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La Loi sur le casier judiciaire
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture
25 mai 2021
Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler du projet de loi S-208, le projet de loi de la sénatrice Pate pour modifier la Loi sur le casier judiciaire afin de prévoir l’expiration du casier judiciaire. Ainsi, le système de suspension du casier serait plus automatique que le système actuel de demande de pardon, qui coûte très cher.
Je reconnais certes la persévérance dont a fait preuve la sénatrice Pate pour que ce projet de loi voie le jour. Elle avait d’abord présenté ces mesures législatives sous le projet de loi S-258, ensuite le projet de loi S-214 et maintenant le projet de loi S-208. Tout en comprenant l’intention de la sénatrice Pate de réduire les préjugés et la discrimination envers les délinquants qui ont déjà payé leur dette à la société, j’ai de sérieuses préoccupations au sujet des conséquences imprévues de ce projet de loi.
Premièrement, je m’inquiète de savoir si un nombre suffisant de mesures de sécurité sont prévues dans ce processus. À l’heure actuelle, la Loi sur le casier judiciaire prévoit qu’une personne qui a été condamnée pour une infraction visée à l’annexe 1, ce qui inclut des crimes de nature sexuelle contre des enfants, n’est généralement pas capable d’obtenir un pardon.
En vertu du projet de loi S-208, le casier judiciaire aura expiré après une certaine période de temps de manière à ce qu’une personne ayant purgé sa peine n’ait pas besoin de présenter une demande de pardon ni de payer les frais connexes pour obtenir la suspension de son casier. Le tout se ferait dorénavant automatiquement.
À l’heure actuelle, en vertu de la Loi sur le casier judiciaire, une personne peut présenter une demande de pardon 10 ans après la fin de la peine pour un acte criminel et 5 ans après la fin de la peine pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
Dans le projet de loi S-208, la sénatrice Pate veut que les délais soient réduits de moitié. L’expiration du casier serait prévue après seulement cinq ans dans le cas d’un acte criminel et deux ans dans un cas de déclaration de culpabilité par procédure sommaire. J’estime que la réduction draconienne des délais devant s’écouler avant l’expiration d’un casier pourrait avoir des conséquences dévastatrices sur la sécurité collective. Habituellement, plus le temps passe après la fin de la peine, plus le risque de récidive diminue.
Ce qui m’inquiète le plus dans ce projet de loi, c’est l’abrogation des annexes 1, 2 et 3 de la Loi sur le casier judiciaire. Il s’agit d’un changement majeur qui est apporté aux mesures de protection inscrites dans la loi. Pour l’heure, l’annexe 1 indique les infractions qui rendent un délinquant inadmissible à la suspension du casier.
Je veux lire cette liste d’infractions pour la consigner au compte rendu, car le projet de loi S-208, qui en prévoit l’abrogation en entier, permettrait à un délinquant ayant purgé sa peine d’obtenir gratuitement la suspension de son casier pour des crimes comme : contacts sexuels — enfant de moins de 16 ans; incitation à des contacts sexuels — enfant de moins de 16 ans; exploitation d’une personne âgée de 16 ans ou plus, mais de moins de 18 ans; bestialité en présence d’un enfant âgé de moins de 16 ans, ou incitation d’un enfant de moins de 16 ans à commettre la bestialité; pornographie juvénile; père, mère ou tuteur qui sert d’entremetteur; maître de maison qui permet des actes sexuels interdits; rendre accessible à une personne âgée de moins de 18 ans du matériel sexuellement explicite en vue de faciliter la perpétration d’une infraction mentionnée à cet alinéa; rendre accessible à une personne âgée de moins de 16 ans du matériel sexuellement explicite en vue de faciliter la perpétration d’une infraction mentionnée à cet alinéa; rendre accessible à une personne âgée de moins de 14 ans du matériel sexuellement explicite en vue de faciliter la perpétration d’une infraction mentionnée à cet alinéa; corruption d’enfants; leurre; entente ou arrangement pour perpétrer une infraction d’ordre sexuel mentionnée à cet alinéa à l’égard d’un tiers âgé de moins de 18 ans; entente ou arrangement pour perpétrer une infraction d’ordre sexuel mentionnée à cet alinéa à l’égard d’un tiers âgé de moins de 16 ans; entente ou arrangement pour perpétrer une infraction d’ordre sexuel mentionnée à cet alinéa à l’égard d’un tiers âgé de moins de 14 ans; exhibitionnisme; passage à l’étranger d’un enfant âgé de moins de 16 ans en vue de permettre la commission d’une infraction mentionnée à cet alinéa; passage à l’étranger d’un enfant âgé de 16 ans ou plus mais de moins de 18 ans en vue de permettre la commission de l’infraction mentionnée à cet alinéa; passage à l’étranger d’un enfant âgé de moins de 18 ans en vue de permettre la commission d’une infraction mentionnée à cet alinéa; traite de personnes âgées de moins de 18 ans; avantage matériel — traite de personnes âgées de moins de 18 ans; rétention ou destruction de documents — traite de personnes âgées de moins de 18 ans; obtention de services sexuels moyennant rétribution — personne âgée de moins de 18 ans; avantage matériel provenant de la prestation de services sexuels d’une personne âgée de moins de 18 ans; proxénétisme — personne âgée de moins de 18 ans; introduction par effraction dans un endroit avec intention d’y commettre un acte criminel mentionné à certains sous-alinéas; introduction par effraction dans un endroit et commission d’un acte criminel mentionné à certains sous-alinéas.
Ajoutons à cette liste des infractions qui figuraient dans des versions précédentes du Code criminel : rapports sexuels avec une personne du sexe féminin âgée de moins de 14 ans; rapports sexuels avec une personne du sexe féminin âgée de 14 ans ou plus mais de moins de 16 ans; séduction d’une personne du sexe féminin âgée de 16 ans ou plus mais de moins de 18 ans; père, mère ou tuteur qui cause le déflorement; maître de maison qui permet le déflorement; vivre des produits de la prostitution d’une personne âgée de moins de 18 ans; infraction grave — vivre des produits de la prostitution d’une personne âgée de moins de 18 ans; prostitution d’une personne âgée de moins de 18 ans.
Gardons à l’esprit que, pour toutes ces infractions et celles que je lirai ensuite, le projet de loi S-208 de la sénatrice Pate permettrait d’obtenir une suspension gratuite du casier judiciaire. Cela comprend les infractions concernant des enfants prévues par les dispositions suivantes du Code criminel : exploitation sexuelle d’une personne ayant une déficience; inceste; voyeurisme; matériel obscène; mise à la poste de choses obscènes; actions indécentes; agression sexuelle; agression sexuelle avec une arme à feu; agression sexuelle sans arme à feu; agression sexuelle grave; introduction par effraction dans un endroit avec intention d’y commettre un acte criminel mentionné à certains sous-alinéas; introduction par effraction dans un endroit et à la commission d’un acte criminel mentionné à certains sous-alinéas.
À cela s’ajoutent les infractions figurant dans d’anciennes versions du Code criminel et concernant des enfants : rapports sexuels avec sa belle-fille, etc., ou son employée; actes de grossière indécence; viol; tentative de viol; attentat à la pudeur d’une personne du sexe féminin; attentat à la pudeur d’une personne du sexe masculin; voies de fait simples; voies de fait avec intention de commettre un acte criminel.
Lorsque j’ai posé à la sénatrice Pate une question sur ce sujet après son discours à l’étape de la deuxième lecture, elle a dit :
Il y a une disposition concernant la consultation des dossiers de condamnation sensibles, ce qui, évidemment, couvrirait le type de casiers dont vous parlez — les crimes sexuels et certains types de crimes particulièrement violents —, et qui prévoit le report du processus d’expiration ou son interdiction ou qui ferait que le casier pourrait être réactivé, le cas échéant.
Il n’y a pas de définition explicite de crimes qui ne seraient pas inclus — cela à l’exception, bien entendu, des peines à perpétuité, parce qu’elles ne prennent jamais fin. Dans tous les cas, le délai commencerait à la fin d’une période prévue après la peine, à moins que la personne ait eu des démêlés avec les autorités, auquel cas il y aurait une enquête et une procédure appropriée.
La sénatrice Pate nous propose de supprimer entièrement la liste des infractions actuellement non admissibles à la suspension du casier judiciaire et de compter sur la vérification des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables pour mettre au jour les renseignements. Toutefois, la vérification des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables ne peut pas être effectuée en toute circonstance. Le paragraphe 6.3(3) de la Loi sur le casier judiciaire indique quand une telle vérification est menée :
Un corps policier ou autre organisme autorisé doit, à la demande d’un particulier ou d’une organisation responsable du bien-être d’un enfant ou d’une personne vulnérable, vérifier si la personne qui postule un emploi — rémunéré ou à titre bénévole [...] lorsque
a) d’une part, l’emploi placerait le postulant en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis de l’enfant ou de la personne vulnérable;
b) d’autre part, le postulant a consenti par écrit à la vérification.
La sénatrice Pate nous a dit que ces délinquants seraient encore visés par les vérifications concernant les personnes vulnérables. Bien que cela élimine une partie des problèmes, lorsqu’il s’agit de limiter l’accès à des postes qui exigent de travailler auprès de jeunes, par exemple, que fait-on des situations qui ne sont pas couvertes par ces vérifications? Que ferait-on dans le cas d’une femme âgée qui s’occupe de son petit-enfant et qui, sans le savoir, loue un appartement dans son sous-sol à un délinquant qui a purgé une peine pour des crimes sexuels commis contre des enfants ou qui a des antécédents d’agression sexuelle grave? Selon le projet de loi S-208, le délinquant n’aurait même pas à demander une suspension de son casier; elle serait accordée automatiquement. Ce casier serait scellé, cette propriétaire âgée n’en saurait rien, et il ne nous resterait plus qu’à croiser les doigts et à espérer que le délinquant sexuel ne récidive pas. J’estime que ce risque est inacceptable et que la plupart des Canadiens seraient d’accord avec moi.
Il existe de nombreux autres cas pour lesquels il pourrait s’avérer dangereux d’ignorer le dossier criminel passé d’un délinquant. Prenons par exemple un emploi pour lequel un délinquant sexuel masculin travaillerait en compagnie d’une collègue durant le quart de nuit, à un endroit désert ou éloigné. Il n’aurait probablement pas besoin qu’on fasse une consultation des dossiers de condamnation sensibles pour obtenir ce poste, et, avec le projet de loi S-208, la suspension de son casier judiciaire pourrait devenir automatique à peine deux ans après sa sentence. Est-il juste de cacher cette information à son employeur ou à une collègue de travail qui pourrait, à son insu, se mettre en danger tout simplement en faisant son travail? Qu’en serait-il d’un délinquant qui a purgé une peine pour agression sexuelle grave, qui recevrait une suspension de son casier judiciaire et qui décrocherait un emploi d’agent immobilier, par lequel il pourrait faire visiter des résidences à des clientes non accompagnées? Puisqu’il ne se trouverait pas dans une position de confiance ou d’autorité envers un enfant ou une personne vulnérable, il ne devrait peut-être pas faire l’objet d’une consultation des dossiers de condamnation sensibles, mais s’il récidive, le nombre de victimes vulnérables ne fera qu’augmenter. En tant que législateurs, nous nous montrerions irresponsables d’ignorer sciemment les dangers que ce projet de loi pourrait causer.
En retirant l’annexe 2 de la Loi sur le casier judiciaire, le projet de loi S-208 élimine d’autres infractions pour lesquelles une personne aurait pu obtenir une suspension du casier judiciaire qui aurait été auparavant inscrite au fichier automatisé des relevés de condamnations criminelles de la GRC. Encore une fois, la modification proposée par la sénatrice Pate au paragraphe 6.3(2) fait en sorte que ce type d’indications ne se ferait que dans le cas des infractions commises contre des personnes vulnérables, ce qui, comme je l’ai expliqué, ne couvrirait pas toutes les situations. Les infractions inscrites à l’annexe 2 — qui, je le rappelle, seraient éliminées par le projet de loi — comprennent les suivantes : personne en situation d’autorité par rapport à une personne ayant une déficience; inceste; voyeurisme; matériel obscène; mise à la poste de choses obscène; actions indécentes; agression sexuelle; agression sexuelle avec une arme à feu; agression sexuelle sans arme à feu; agression sexuelle grave; enlèvement d’une personne de moins de 16 ans; enlèvement d’une personne de moins de 14 ans; propos indécents au téléphone; introduction par effraction dans un endroit avec intention d’y commettre un acte criminel mentionné dans certaines dispositions; introduction par effraction dans un endroit et commission d’un acte criminel mentionné dans certaines dispositions; complot ou tentative en vue de commettre une infraction visée à l’un ou l’autre des sous-alinéas.
Sont également ciblées des infractions inscrites dans les versions antérieures du Code criminel : rapports sexuels avec une personne du sexe féminin âgée de moins de 14 ans; rapports sexuels avec une personne du sexe féminin âgée de 14 ans ou plus mais de moins de 16 ans; séduction d’une personne du sexe féminin âgée de 16 ans ou plus mais de moins de 18 ans; rapports sexuels avec sa belle-fille, etc., ou son employée; actes de grossière indécence; complot ou tentative en vue de commettre une infraction visée à l’un ou l’autre des sous-alinéas. À ces infractions s’ajoutent : viol; tentative de viol; attentat à la pudeur d’une personne du sexe féminin; attentat à la pudeur d’une personne du sexe masculin; voies de fait simples; voies de fait avec intention de commettre un acte criminel; complot ou tentative en vue de commettre une infraction visée à l’un ou l’autre des sous-alinéas.
Il est alarmant de constater que la suppression des annexes qui est prévue dans le projet de loi S-208 élimine l’équilibre prudent qui existe dans la loi actuelle. De plus, le projet de loi S-208 conserve des renvois aux annexes 1, 2 et 3, même s’il les supprime complètement. Il s’agit là d’une rédaction législative très confuse.
En 2018, la CBC a publié un article qui examine plus en détail le processus de vérification des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables. L’article décrit le processus comme suit :
Lorsqu’une personne postule un emploi dans un secteur où le gouvernement fédéral estime que le titulaire travaillera auprès de « personnes vulnérables », notamment les maisons de retraite, les garderies, les services de taxi et tout service fourni aux personnes handicapées, elle doit se soumettre à une vérification spéciale des antécédents, qui combine une vérification policière ordinaire et une recherche d’infractions sexuelles pour lesquelles le casier judiciaire a été suspendu.
Si la vérification révèle l’existence d’une infraction pour laquelle le casier judiciaire a été suspendu, le service de police qui a effectué la vérification n’a pas accès au contenu du dossier. Il informe le ministère fédéral de la Sécurité publique de la situation, et le ministre décide si, compte tenu de l’emploi postulé, il serait nécessaire de divulguer l’infraction. Si le ministre opte pour la divulgation, une copie du dossier est envoyée au candidat et au service de police qui a supervisé la demande. Dans le cas contraire, la réponse à la vérification des antécédents est que la personne n’a pas de casier judiciaire.
Je trouve inquiétant que, dans le cas où le ministre juge que la divulgation n’est pas justifiée, la personne qui a fait la demande se fasse tout simplement répondre qu’aucun casier judiciaire n’existe. Cela lui donne un faux sentiment de sécurité quand vient le temps de retenir les services de quelqu’un qui doit travailler auprès de personnes vulnérables. En outre, comme l’article l’explique, la façon dont un ministre et le gouvernement choisissent d’interpréter les critères concernant la vérification des antécédents d’une personne souhaitant travailler auprès de personnes vulnérables pourra avoir des conséquences dramatiques subséquemment.
L’article se poursuit ainsi :
Sous le gouvernement conservateur précédent, la quasi-totalité des vérifications en lien avec des personnes vulnérables, soit 95 % d’entre elles, ont débouché sur la divulgation à la police et aux candidats. Ce chiffre a chuté à 38 % sous les libéraux.
Ralph Goodale était ministre de la Sécurité publique à l’époque.
L’article continue en ces termes :
[...] des chercheurs ont déclaré qu’il n’est « pas pertinent » de divulguer une infraction de nature sexuelle au sujet de laquelle le casier judiciaire a été suspendu si le candidat veut travailler avec des personnes âgées et que son infraction passée concernait des enfants.
Voici ce que dit un document du ministère de la Sécurité publique cité dans l’article :
Étant donné qu’ils ont une préférence sexuelle pour les enfants, il est très peu probable qu’ils commettent une infraction contre un aîné.
Je suppose que nous sommes censés être rassurés, mais je ne le suis certainement pas, et les Canadiens ne le sont pas non plus. Les gens ne s’attendent pas à ce que le casier judiciaire d’un délinquant disparaisse en moins de temps qu’il a fallu pour que le dossier de ce dernier franchisse toutes les étapes du processus judiciaire. En tant qu’avocate et que membre de longue date du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui a longuement étudié la question, je sais très bien à quel point certains délais judiciaires peuvent être longs. Même avec les nouveaux échéanciers découlant de l’arrêt Jordan, qui visent à accélérer le processus, avec les appels, un dossier peut tout de même finir par passer des années devant les tribunaux.
Les Canadiens sont souvent choqués par la légèreté des peines imposées pour de nombreux types de crimes. En réalité, au Canada, les peines imposées sont déjà considérablement réduites, surtout par rapport aux États-Unis, et le temps passé par les délinquants en détention est aussi beaucoup plus court au Canada. Par exemple, s’ils ont une bonne conduite, certains délinquants ne purgent que le tiers de leur peine en détention. La plupart des délinquants purgent seulement les deux tiers de leur peine. Quand une telle chose se produit dans le cas d’un crime particulièrement odieux, la confiance des Canadiens dans le système de justice est ébranlée, à juste titre.
De plus, le projet de loi de la sénatrice Pate ne prévoit aucun délai avant l’expiration du casier judiciaire pour une personne condamnée, au titre de la Loi sur le casier judiciaire, même si elle a atteint l’âge de la majorité au moment de sa libération. De nombreux Canadiens estiment déjà que le traitement des jeunes contrevenants dans le système de justice pénale, surtout pour ceux qui approchent de l’âge adulte, est trop laxiste. Le fait de leur accorder une expiration automatique de leur casier, sans délai, ne ferait qu’exacerber ces sentiments au sein de la population canadienne. Un délai serait certainement justifié.
C’est le gouvernement conservateur précédent qui avait initialement remplacé le terme « réhabilitation » par « suspension du casier judiciaire » dans la Loi sur le casier judiciaire. Le gouvernement Harper a également prolongé le délai entre l’exécution d’une peine et la présentation d’une demande de suspension du casier judiciaire, le faisant passer à 10 ans pour une condamnation pour acte criminel et à cinq ans pour une déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
À l’époque, de nombreux parlementaires avaient en tête le cas de l’ancien entraîneur de hockey Graham James, un prédateur sexuel d’enfants en série. M. James a été condamné à une peine de trois ans et demi pour avoir agressé sexuellement à plusieurs reprises deux joueurs de hockey adolescents, Sheldon Kennedy et une autre victime non identifiée. Graham James a agressé ses victimes des centaines de fois.
Il avait obtenu son pardon en 2007, cinq ans après avoir purgé sa peine, conformément aux règles en vigueur à l’époque. Les Canadiens ont été outrés, à juste titre, qu’un délinquant sexuel récidiviste comme James soit en mesure de recevoir un pardon après seulement cinq ans. Il est ensuite allé vivre au Mexique puis il est devenu entraîneur de hockey en Espagne, avant d’être à nouveau accusé d’agressions sexuelles sur d’autres victimes. À l’époque où James était entraîneur dans l’Ouest du Canada, il a agressé Theoren Fleury, qui fait partie de ses victimes. Il a été condamné à une peine de deux ans pour avoir plaidé coupable à ces crimes, mais cette peine a fait l’objet d’un appel et elle a été augmentée à cinq ans. La Commission nationale des libérations conditionnelles a accordé à James sa libération conditionnelle en 2016.
En fait, le monde est petit, car le sénateur Gold était à la Commission nationale des libérations conditionnelles à cette époque, et les reportages des médias nous apprennent qu’il a participé à l’audience et à la décision de libération conditionnelle de Graham James. James a été libéré à Montréal.
Si l’on revient au pardon de Graham James en 2007, il est important de se rappeler que ce pardon n’a été porté à la connaissance du public que trois ans plus tard, en 2010, et que cela a eu l’effet d’une bombe dans la population canadienne. Sheldon Kennedy s’était exprimé ainsi au sujet du pardon de James :
Les enfants victimes passent leur vie à essayer d’expliquer ce qui leur est arrivé et de retrouver leur bien-être affectif. Mais les agresseurs se font réhabiliter.
Les victimes éprouvent souvent des difficultés émotives, des problèmes d’alcool ou de toxicomanie ou peuvent se suicider. Elles doivent chercher leur propre forme de réadaptation. Le plus souvent, les agresseurs sont contraints de se soumettre à une thérapie et beaucoup se réadaptent, du moins en théorie. Or, les recherches montrent que les pédophiles se réadaptent rarement. Curieux. Alors comment peut-on les réhabiliter?
Mon agresseur a été condamné à trois ans et demi de prison pour ses crimes et il a été libéré au bout de 18 mois seulement. Puis, il a obtenu une réhabilitation automatique et il est parti pour le Mexique, où il n’avait pas de casier, où il a changé son nom et trouvé la possibilité de récidiver. Y a-t-il un seul parent au Canada qui trouverait à redire si on protégeait ses enfants de cet être immonde et de ceux qui lui ressemblent? Ces agresseurs ne devraient jamais pouvoir obtenir la réhabilitation.
Lorsqu’il a appris que James avait obtenu un pardon en 2010, le premier ministre de l’époque, Stephen Harper, a promis de modifier immédiatement les règles pour éviter que des infractions semblables se reproduisent. M. Harper a aussi souligné qu’il fallait refondre tout système qui accorderait un pardon à 99 % des demandeurs.
En 2010, le gouvernement Harper avait un autre motif pour modifier les règles entourant l’octroi d’un pardon : la date de demande de pardon de la célèbre meurtrière Karla Homolka était le 5 juillet de cette année-là. Karla Homolka a plaidé coupable à une accusation d’homicide involontaire et a eu droit à une entente de plaidoyer controversée, qui s’est conclue par une peine d’emprisonnement de 12 ans pour son rôle dans les viols et les meurtres des adolescentes Kristen French, Leslie Mahaffy et Tammy, la sœur de Karla Homolka, commis avec son partenaire, le tueur en série Paul Bernardo.
Le gouvernement conservateur a scindé le projet de loi sur les pardons en deux. Avec la coopération de l’opposition, y compris le leader de l’opposition à la Chambre Ralph Goodale, il a été en mesure de faire adopter rapidement le projet de loi C-23A par le Parlement vers la fin de juin. La condamnation pour homicide involontaire coupable de Karla Homolka a ainsi été déclarée inadmissible au pardon.
Honorables sénateurs, le projet de loi S-208 ferait reculer en grande partie d’importants changements en matière de pardon apportés par le gouvernement conservateur pour protéger le public canadien.
Le gouvernement Trudeau a tendance à vouloir démanteler les lois mises en place par le premier ministre conservateur Harper, en raison d’une antipathie partisane envers celui-ci et le Parti conservateur. Croyez-le ou non, honorables sénateurs, mais une loi n’est pas sans valeur simplement parce qu’elle a été instaurée par un gouvernement conservateur.
Le gouvernement conservateur a mis en place ces changements pour que les Canadiens aient davantage confiance dans le système de justice. Ces règles permettent de s’assurer que la période de temps requise avant de pouvoir demander un pardon reflète la gravité et les circonstances du crime qui a entraîné une condamnation et que ces facteurs sont pris en considération avant d’accorder la suspension du casier. Après ces progrès, nous ne devrions pas reculer maintenant, surtout pas au moyen d’un projet de loi d’intérêt public du Sénat.
La suspension du casier judiciaire ne devrait pas se faire automatiquement. Ce n’est pas un droit, mais un privilège. Commettre un acte criminel est une décision volontaire. C’est un crime contre la société canadienne en général, et quiconque commet cette faute a un lourd prix à payer, à juste titre. C’est pour cela que le délinquant doit notamment prouver, pendant une plus longue période, qu’il est prêt à ne plus commettre de crime après avoir purgé sa peine. J’estime qu’une période de cinq ans pour une infraction punissable par mise en accusation et de deux ans pour une infraction punissable par procédure sommaire est insuffisante pour prouver cet engagement.
Le projet de loi S-208 fait lamentablement abstraction des victimes d’acte criminel. Il ne semble pas conforme à l’esprit de la Charte des droits des victimes.
Les victimes devraient avoir le droit d’être prévenues que des personnes ayant purgé des peines pour des crimes graves obtiendront une expiration de casier. À l’évidence, cela aurait de graves répercussions sur le sentiment de sécurité des victimes et de leur famille. De nombreuses victimes revivent leurs traumatismes passés chaque jour de leur existence. Contrairement à un délinquant à qui l’on a accordé un pardon, les victimes ne peuvent pas se contenter de tout effacer et de repartir à zéro. Dans bien des cas, les victimes et leur famille doivent endurer leurs pertes pour toujours.
Le fait d’accorder aux délinquants une suspension automatique de leur casier après une courte période seulement constitue un manque de respect envers les victimes.
La sénatrice Pate a indiqué avoir été inspirée en partie à proposer cette version du projet de loi S-208 après avoir examiné le projet de loi C-93, c’est-à-dire la mesure législative de pardon sur le cannabis du gouvernement Trudeau. Je vous conseillerais de modérer vos attentes par rapport à ce projet de loi, sénatrice Pate, étant donné l’échec lamentable du gouvernement Trudeau à accorder des pardons à l’égard du cannabis. Pour commencer, le gouvernement n’a pas les bons chiffres. Lorsque le projet de loi a été déposé la première fois, le ministre Bill Blair avait laissé entendre que le nombre de Canadiens ayant été accusés de possession de marijuana atteindrait les 400 000, mais que le gouvernement s’attendait à ce qu’entre 70 000 et 80 000 d’entre eux fassent une demande de pardon liée au cannabis. Le ministre de la Justice, David Lametti, avait quant à lui affirmé que plus de 250 000 Canadiens avaient une condamnation pour possession de cannabis inscrite à leur casier judiciaire. Il avait également dit ceci :
En accélérant le processus, nous espérons que de milliers de personnes deviendront admissibles à un pardon.
En réponse aux questions que je leur ai posées au Comité sénatorial des affaires juridiques, les hauts fonctionnaires venus témoigner ont répondu que le nombre le plus plausible avoisinait probablement les 10 000 personnes.
La vérité? Dans l’année suivant l’entrée en vigueur du projet de loi C-93, le gouvernement fédéral n’a accordé que 265 suspensions de casiers judiciaires liés au cannabis. Honorables sénateurs, on parle de moins de 300, alors qu’on nous disait qu’il y en aurait près d’un demi-million. Les libéraux sont vraiment forts en maths. Cela nous indique que le gouvernement est complètement dépassé. On constate que le gouvernement Trudeau est prêt à dire et à faire n’importe quoi pour gagner des votes et détourner l’attention des Canadiens des vrais problèmes.
Le gouvernement Trudeau voulait une mesure affriolante à présenter lors des élections de 2019. Alors, le gouvernement libéral, aidé par les sénateurs nommés par Justin Trudeau, a fait franchir ici, à toute vitesse, toutes les étapes du processus législatif aux mesures relatives aux demandes de pardon liées au cannabis, et la loi a été promulguée en l’espace de quelques jours, en juin, juste avant que le Sénat ne s’ajourne. Entretemps, de nombreux Canadiens ont découvert un problème caché dans les détails de ce projet de loi. Les personnes reconnues coupables d’une infraction autre que la simple possession de cannabis n’avaient pas le droit de demander un pardon pour leur condamnation pour avoir eu de la marijuana en leur possession. Le temps que les Canadiens s’en rendent compte, le premier ministre Trudeau avait déjà obtenu suffisamment de voix pour conserver le pouvoir, même si son gouvernement était minoritaire. Il s’agissait d’obtenir des voix, bien entendu. Cette situation est vraiment révélatrice de la façon dont le gouvernement Trudeau aborde la plupart des politiques. Il ne s’agit pas de faire la bonne chose, mais plutôt la chose la plus payante sur un plan politique.
Honorables sénateurs, je vous encourage à vous demander si cela est suffisant pour vous et pour nous tous, en tant que Canadiens. Nous avons la responsabilité d’assurer la sécurité des gens, et ce n’est certainement pas ce que le projet de loi S-208 fera. Nous ne pouvons pas simplement fermer les yeux et espérer que tout marche comme sur des roulettes. Nous devons élaborer une politique solide et raisonnable en matière de pardons, et non prendre à la légère la vie et la sécurité des Canadiens.
Je comprends certainement que la sénatrice Pate a de bonnes intentions en présentant ce projet de loi. Bien que nous soyons souvent en désaccord sur les politiques, je ne doute point de la sincérité de ses convictions dans ce dossier. Malheureusement, le projet de loi S-208 va tout simplement beaucoup trop loin. Il nuirait à la sûreté et à la sécurité des Canadiens et, pour cette raison, je ne peux l’appuyer.
Merci.
Sénatrice Batters, accepteriez-vous de répondre à une question?
Oui.
Honorables sénateurs, je demandais le vote, mais je crois comprendre que l’un de mes collègues a une question. J’aimerais remercier la sénatrice Batters d’avoir soulevé les problèmes qu’elle a cernés et qui existent selon elle. J’espère que le comité aura l’occasion de les examiner plus en profondeur, notamment en entendant des témoignages et en examinant les statistiques sur le nombre de cas ainsi que la question de l’évaluation des risques. Merci beaucoup.
Sénatrice Batters, les statistiques que j’ai examinées sur les agresseurs d’enfants et les pédophiles démontrent que 48 % d’entre eux risquent de récidiver après cinq ans.
Le projet de loi de la sénatrice Pate ferait en sorte qu’après cinq ans les dossiers criminels de ces agresseurs soient effacés. Ne croyez-vous pas que ce projet de loi risque de mettre en danger la vie et la sécurité des enfants, étant donné que les policiers n’auraient plus accès à des données sur le passé de ces criminels?
Merci, sénateur Boisvenu, de tout votre travail dans ce dossier. Oui, c’est effectivement une préoccupation bien réelle, surtout étant donné que la suspension automatique et sans frais du casier de cette personne pourrait non seulement se produire après cinq ans, mais pourrait se produire après aussi peu que deux ans s’il s’agit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Pour une infraction punissable par mise en accusation, c’est cinq ans. Alors, oui, c’est certainement une préoccupation majeure et une chose qu’il faudra étudier à fond au comité.
Merci de votre question et de tous vos efforts soutenus dans ce dossier.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)