Le Code criminel—La Loi réglementant certaines drogues et autres substances
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Débat
22 juin 2022
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-5 présenté par le sénateur Gold plus tôt cette semaine et, si je peux me permettre, dont on a parlé en détail et avec élégance.
J’appuie le projet de loi, mais j’espère que, au comité, nous aurons l’occasion de l’étudier et possiblement d’aller plus loin.
Bon nombre de mes collègues ont une compréhension empirique meilleure que la mienne des implications de nombreux aspect du projet de loi. Je n’essaierai pas de reprendre les éléments qui découlent de cette meilleure compréhension ni de me les approprier. Aujourd’hui, je veux parler des principes associés à deux aspects du projet de loi que nous aurons l’occasion, je l’espère, d’étudier plus en profondeur.
Le premier concerne le retrait d’une série de peines minimales obligatoires pour environ une vingtaine d’infractions. Comme d’autres l’ont souligné, notamment le parrain du projet de loi, ces infractions représentent une minorité des infractions pour lesquelles une peine minimale obligatoire est prévue en droit pénal fédéral. Je veux aborder les principes sur lesquels cette initiative repose et je soutiendrai que ces principes s’appliquent également à la cinquantaine d’autres infractions pour lesquelles des peines minimales sont prévues.
J’aimerais faire valoir qu’il y a deux principes directeurs qui sous-tendent cet aspect du projet de loi. Le premier est le principe de la constitutionnalité et les conséquences des lois inconstitutionnelles dans les registres. Comme vous le savez, cet amendement est grandement justifié par le fait que plus de 40 instances judiciaires ont statué que les peines minimales obligatoires étaient inconstitutionnelles et violent la Charte canadienne des droits et libertés, soit parce qu’elles constituent des peines cruelles et inusitées, soit parce qu’elles violent injustement les principes de justice fondamentale.
L’instauration de peines minimales obligatoires a entraîné au moins quatre conséquences problématiques. Premièrement, elles ont, dans de nombreux cas, mené à des incarcérations sévères et injustes qui, comme nous l’avons entendu, ont touché de manière disproportionnée les contrevenants des communautés racialisées et marginalisées.
Deuxièmement, si l’on tient compte des circonstances d’un contrevenant qui se retrouve accusé d’une infraction susceptible de mener à une peine minimale obligatoire, le stress de cette éventualité risque de faire en sorte que ce contrevenant accepte d’admettre un crime moindre — même s’il est convaincu d’être innocent — uniquement pour éviter le risque de se retrouver avec une peine minimale obligatoire. La nature coercitive des peines minimales obligatoires est trop lourde, ce qui, par conséquent, peut mener les contrevenants à négocier des plaidoyers de culpabilité injustes.
Troisièmement, les contrevenants qui souhaitent contester le caractère constitutionnel des peines minimales obligatoires doivent amorcer la procédure eux-mêmes et assumer les coûts qui y sont associés. Puisqu’un grand nombre des personnes prises dans le système de justice pénale ont des revenus modestes, c’est le moins qu’on puisse dire, leurs chances de pouvoir lancer une telle procédure sont très minces, à moins qu’un avocat ou une organisation juridique souhaite les épauler; cette situation cause une injustice en soi.
Quatrièmement, la remise en question des peines minimales obligatoires touche des cas complexes et, jusqu’à un certain point, uniques. Ils exigent énormément de temps et de dépenses en cour. Ils exigent que les tribunaux élaborent des approches imaginatives pour analyser la constitutionnalité des peines minimales obligatoires. En effet, un des juges les plus éminents sur cette question, le juge David Doherty de la Cour d’appel de l’Ontario, devient rapidement l’« empereur » de ces soi-disant « hypothèses raisonnables », une technique inhabituelle, mais nécessaire, d’analyse des peines minimales obligatoires.
Ces questions d’inconstitutionnalité sont importantes pour nous, sénateurs, car elles font partie de nos responsabilités, et les conséquences des peines minimales obligatoires inconstitutionnelles revêtent une grande importance pour les contrevenants, le système et les grandes questions d’accès à la justice qui méritent que nous nous penchions sérieusement là-dessus.
Le deuxième principe qui touche l’initiative visant à éliminer certaines peines minimales obligatoires est une déclaration implicite de notre confiance dans les juges et dans le sage exercice du pouvoir de discrétion de leur part. C’est un autre point vraiment important. Nous sommes une société régie par le droit et, comme nous aimons le dire, par la primauté du droit. En tant que sénateurs, nous faisons partie de ce cadre, mais ce sont les juges qui en occupent le centre.
Étant donné l’importance de la primauté du droit, le moins qu’on puisse dire, c’est que nous plaçons sur les épaules des juges énormément de pouvoir et de responsabilités. À de rares exceptions près, nous faisons de notre mieux pour confier la tâche de juge aux meilleures personnes disponibles. Une fois en poste, les juges ont un travail important à faire : ils doivent s’assurer que le procès est équitable, entendre et évaluer les témoins, et rendre des décisions dont certaines changeront le cours de la vie des gens qui comparaissent devant eux. Il s’agit pour le moins de décisions lourdes de conséquences.
Cela demeure tout aussi vrai dans les affaires où des peines minimales obligatoires sont en jeu.
Il faut toutefois garder une chose à l’esprit : bien avant la détermination de la peine, il revient au juge de superviser le procès et, dans la plupart des cas, de soupeser les éléments de preuve pour déterminer le point le plus important, c’est-à-dire si la personne qui comparaît devant lui doit être reconnue coupable de l’infraction. Dans ce contexte, n’est-il pas étrange que nous ayons décidé, en tant que parlementaires, que ces mêmes juges sont incapables de gérer l’étape suivante du processus de justice, et qu’on ne peut pas avoir pleinement confiance qu’ils imposeront une peine juste et équitable?
La détermination de la peine est elle-même un processus guidé par un corpus législatif — le droit de la détermination de la peine — qui s’est élaboré au fil des décennies. À titre d’exemple, ma Faculté de droit offre un cours fort populaire consacré exclusivement à la détermination de la peine en droit pénal. C’est donc dire qu’il existe un système mûrement réfléchi.
Si l’on pense que le juge a mal appliqué ces principes de détermination de la peine, il est possible de passer en revue la décision.
C’est un système remarquablement efficace.
Je ne veux pas manquer de charité envers les parlementaires et je n’ai pas étudié le travail effectué par le Parlement lorsque des peines minimales obligatoires ont été proposées au fil des ans, mais j’imagine que cet ensemble de règles juridiques — ces règles juridiques sur la détermination de la peine — n’a pas été beaucoup étudié à l’époque.
En ce qui concerne le projet de loi, c’est à l’honneur du gouvernement que le projet de loi appuie et approuve les deux principes suivants : un engagement à la constitutionnalité et la reconnaissance de l’indépendance des juges et de l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire dans l’accomplissement des tâches difficiles que nous leur demandons de faire. Chacun de ces principes s’applique aux modifications dont nous sommes saisis et qui supprimeront certaines peines minimales obligatoires.
Toutefois, voici le hic pour moi et, je pense, pour d’autres sénateurs : ces deux principes s’appliquent également aux peines minimales obligatoires qui demeurent, sans aucune forme d’atténuation, lorsque des circonstances exceptionnelles existent et pourraient justifier le recours à celles-ci. En effet, et c’est tout à l’honneur de la sénatrice Jaffer et d’autres collègues au Sénat, le parrainage d’autres projets de loi permettraient de faire prévaloir ces deux principes jusqu’à leur conclusion logique et de traiter l’éventail de peines minimales obligatoires de manière honorable et conforme aux principes.
Sur ce, je veux terminer en faisant remarquer que certains peuvent dire que l’opportunisme politique — à petite dose — est parfois nécessaire, c’est-à-dire que des demi-mesures sont requises. Je suis nouveau dans ce genre de travail et je pense comprendre ce principe de manière générale, mais nous parlons ici de principes qui sont profondément ancrés dans notre droit. Nous sommes un peuple qui respecte la loi, en particulier notre Constitution, et nous accordons notre confiance à l’un des meilleurs systèmes judiciaires du monde pour appliquer la loi de manière correcte, honorable et équitable.
Mon espoir est que nous choisissions de tels principes plutôt que l’opportunisme et que nous allions plus loin que le projet de loi C-5 sur la question des peines minimales obligatoires.
Ma deuxième série d’observations concernant le projet de loi C-5 porte sur les mesures de déjudiciarisation que l’on envisage d’inclure dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. J’appuie ces mesures, mais j’aimerais soulever deux questions ou préoccupations. La première est d’ordre contextuel. J’emprunte ici, et je critique dans une certaine mesure, les observations que le sénateur Gold a faites dans son intervention concernant le projet de loi.
Le projet de loi propose d’engager des poursuites pour possession simple seulement si le procureur est d’avis qu’aucune autre solution — avertissement, renvoi ou mesures de rechange — ne convient. Le fait qu’aucune autre solution ne convient est nécessaire pour qu’un procureur aille de l’avant. Essentiellement, toutefois — et le sénateur Gold y a fait allusion dans une certaine mesure —, il s’agit d’une description du pouvoir discrétionnaire de la poursuite. Comme les procureurs possèdent déjà ce pouvoir, l’article me semble redondant et inutile.
De plus — et cela me laisse perplexe même si cela existe peut-être déjà —, presque toutes les accusations prévues dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances sont portées par des procureurs fédéraux ou leurs mandataires plutôt que par des procureurs provinciaux, qui s’occupent de la plupart des autres affaires criminelles. Donc, ceux qui s’occupent des affaires de drogue sont les mandataires du procureur général du Canada, qui peut donner la directive aux procureurs sans avoir besoin de la moindre loi. Même si le sénateur Gold a déclaré que c’est utile dans un contexte provincial, le fait est que les procureurs provinciaux ne portent pas d’accusations dans ces cas, sauf dans des circonstances extrêmement rares.
Je trouve cela redondant. J’appuie le concept, mais il me semble inutile dans la loi.
La deuxième chose qui me préoccupe dans cette partie du projet de loi — la plus grave pour être honnête —, c’est cet écart entre ce que les procureurs doivent utiliser comme mesures de rechange — le processus que je viens de décrire — et ce qui est exigé des policiers.
Il s’agit d’une dimension assez importante du projet de loi en temps réel. C’est ce qui est le plus problématique pour les personnes qui pourraient faire face à des accusations. Dans la plupart des provinces ou des territoires canadiens, lorsque le policier a un motif raisonnable de croire qu’un crime a été commis, il a le pouvoir discrétionnaire de porter une accusation — « déposer une dénonciation » en langage juridique. C’est aussi vrai pour les accusations de possession simple prévues dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Rappelons-nous l’amendement proposé selon lequel les procureurs ne pourraient déposer une accusation que si les mesures de rechange ne sont pas opportunes. Ils prendraient alors les accusations portées par les policiers et porteraient un jugement. Nous pourrions par conséquent nous attendre à ce que, pour les policiers qui lancent le processus, le critère pour porter l’accusation initiale — seulement lorsque les autres options ne sont pas opportunes — soit le même. Eh bien non. Les policiers n’auraient qu’à déterminer s’il est « préférable » de prendre une mesure de rechange. Voilà qui n’est pas du tout de la même teneur que l’exigence selon laquelle une poursuite ne peut être engagée que dans les cas où les autres options ne sont pas opportunes.
Vous pourriez vous dire que ce n’est pas grave, que le procureur corrigera la situation. C’est vrai, mais cela ne tient pas compte de certains problèmes soulevés notamment par le sénateur Gold, comme les conséquences pour une personne d’être visée par des accusations. Pensons aux mesures de rechange qui auraient pu être prises, mais qui ne l’ont pas été, à la honte que la personne faisant l’objet d’accusations a ressentie, même si les accusations ont été retirées par la suite. On ne tient pas compte non plus du gaspillage des ressources des services policiers, des tribunaux et des procureurs lorsque les dossiers se règlent plus tard que nécessaire dans le processus.
Si on doit aller de l’avant avec les poursuites seulement quand cela est opportun, alors le même principe devrait s’appliquer au moment de décider si on doit porter des accusations. Il faut se pencher là-dessus.
Même si j’appuie le projet de loi, j’estime qu’il peut être amélioré et élargi. J’espère que ces questions et d’autres aspects du projet de loi C-5 seront étudiés attentivement au comité, et qu’on pourra rendre un bon projet de loi encore meilleur.
Merci, hiy hiy.
Sénateur Cotter, il se peut que je vous aie mal compris, alors je voulais vous poser une question. À un moment donné dans votre discours, vous avez semblé indiquer que lorsque de tels projets de loi, qui présentent ces peines minimales obligatoires qui étaient en place et que ce projet de loi cherche à supprimer, sont entrés en vigueur, les parlementaires n’ont peut-être pas pris suffisamment de temps pour les étudier. En ce qui concerne la détermination de la peine — je ne peux pas parler au nom de la Chambre des communes et je ne suis ici que depuis neuf ans et demi —, je peux vous dire que pendant que le gouvernement Harper était au pouvoir et que je siégeais au Comité sénatorial des affaires juridiques, nous avons présenté un grand nombre de ces peines minimales obligatoires et, chaque fois, nous y avons consacré une étude diligente.
Est-ce à cela que vous faisiez référence? Lorsque vous dites « parlementaires », cela fait bien sûr référence non seulement à la Chambre des communes, mais aussi au Sénat, et le Comité sénatorial des affaires juridiques fait toujours une étude diligente.
Je n’ai pas consulté ce qui a été consigné, sénatrice Batters, et je ne faisais pas référence à la qualité de l’examen des peines minimales obligatoires. Je faisais référence au vaste ensemble de lois du droit de la détermination de la peine et je pense qu’il n’a pas été étudié en profondeur ni suffisamment respecté dans cet exercice. À mon avis, l’introduction de peines minimales obligatoires impose implicitement des contraintes aux juges, en raison d’un manque de confiance en eux et dans le système qu’ils administrent.
Honorables sénateurs, les objectifs du gouvernement avec le projet de loi C-5 sont louables. Je le répète : ils sont louables. Je les appuie. Malheureusement, le projet de loi C-5 ne permettra pas de réduire considérablement le nombre d’Autochtones ou de Noirs qui sont incarcérés dans une prison fédérale, et c’est particulièrement vrai pour les femmes autochtones.
En 1999, dans l’arrêt Gladue, la Cour suprême a déclaré que la surreprésentation des Autochtones dans les prisons était une crise nationale. À l’époque, les Autochtones représentaient 10,6 % de la population carcérale fédérale du pays. Aujourd’hui, ce pourcentage a atteint 32 %. Pire encore, les femmes autochtones représentent maintenant la moitié des femmes dans les prisons fédérales, et, parmi les femmes purgeant une peine dans un établissement fédéral, une sur dix est Noire.
En 2015, le premier ministre Trudeau a donné le mandat à la ministre de la Justice de réduire le nombre d’Autochtones dans les prisons et d’abroger les peines minimales obligatoires conformément aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, qui a demandé :
[...] au gouvernement fédéral de modifier le Code criminel afin de permettre aux juges de première instance, avec motifs à l’appui, de déroger à l’imposition des peines minimales obligatoires [...]
Cette demande et la réconciliation relèvent toujours du mandat du ministre de la Justice. Le projet de loi C-5 ne permettra pas d’atteindre ces objectifs et il est bien loin de répondre à l’appel à l’action no 32 de la Commission de vérité et réconciliation et des appels à la justice 5.14 et 5.21 de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Les peines minimales obligatoires sont un des principaux facteurs contribuant à la surreprésentation des Autochtones et des Noirs dans les prisons. Comme l’enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées l’a démontré, les femmes autochtones ne sont pas traitées de façon juste et équitable dans le cadre de la loi. C’est l’héritage du Canada. La Commission de vérité et réconciliation et l’enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ont fait ressortir les abus et les mauvais traitements infligés par le Canada aux peuples autochtones par le passé, à cause des effets du colonialisme, dont les séquelles des pensionnats autochtones, qui se manifestent aujourd’hui dans cette incarcération massive.
De toute évidence, il est urgent d’agir pour remédier à cette crise. Le projet de loi C-5 permettra de supprimer les peines minimales obligatoires pour certaines infractions liées à la drogue, certaines infractions liées aux armes à feu et une infraction liée au tabac. Cependant, la plupart des peines minimales obligatoires demeureront en vigueur, y compris la peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité en cas de meurtre. En supprimant seulement certaines peines minimales obligatoires nous sanctionnons en réalité le maintien d’une injustice au Canada.
On justifie le maintien de la grande majorité des peines minimales obligatoires en avançant qu’elles seraient dissuasives. Cette logique interpelle souvent les gens, car ils pensent que de longues peines obligatoires empêcheront les délinquants de commettre des crimes. Si c’était vrai, on n’aurait pas abandonné la punition dans presque tous les autres domaines, notamment dans le cadre du rôle parental et de l’éducation. Plus précisément, si c’était vrai, nous devrions nous attendre à ce que les États-Unis — un pays passé maître dans l’art de la prolifération des peines minimales obligatoires — soient le pays le plus sécuritaire et le plus exempt de criminalité au monde.
Pourtant, l’effet dissuasif des peines minimales obligatoires a été démenti depuis longtemps. Les recherches du gouvernement révèlent que les peines minimales obligatoires n’ont pas d’effet dissuasif et qu’elles sont moins efficaces que les peines proportionnelles établies par des juges dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire. Je veux remercier le sénateur Cotter d’avoir décrit ce que cela signifie exactement.
En 1952, la Commission royale pour la révision du Code criminel est arrivée à la conclusion que toutes les peines minimales obligatoires devaient être abolies. Depuis au moins sept décennies, des experts, des commissions d’enquête, des juges, des groupes communautaires et des commissions sur la réconciliation réclament que les peines minimales obligatoires soient abrogées.
Le projet de loi à l’étude prévoit plutôt d’en abroger seulement quelques-unes. L’effet sur la surreprésentation des Autochtones et des Noirs dans les prisons sera minime, pas uniquement parce que seulement quelques infractions sont concernées, mais aussi parce que les peines minimales obligatoires amplifient la discrimination et les pratiques d’application de la loi et de poursuite discriminatoires, ce qui augmente l’impact en empêchant les juges chargés de la détermination de la peine de tenir compte du contexte de l’infraction et de corriger ce qui, dans le système de justice pénale, contribue à maintenir et à aggraver la discrimination.
Les peines minimales obligatoires, couplées aux interventions, aux enquêtes et aux pratiques en matière d’accusation biaisées de la police, entraînent des erreurs judiciaires. Pour les populations vulnérables, les interactions avec la police sont souvent intimidantes et traumatisantes. Pour de nombreuses femmes autochtones, les premières expériences d’utilisation de la force et d’agression par les forces de l’ordre arrivent en bas âge, alors qu’elles ont souvent besoin d’aide et de protection, et les agressions peuvent se poursuivre même à l’âge adulte.
Les femmes autochtones qui font appel à la police et dont le témoignage n’est pas pris au sérieux sont non seulement traumatisées davantage, mais aussi trop nombreuses à devoir assurer elles-mêmes leur protection. Si elles font usage de la force de manière réactive — même défensive — elles risquent de se retrouver criminalisées et emprisonnées.
Trop souvent, les attitudes colonialistes des membres du système de justice font en sorte qu’ils estiment que les femmes autochtones sont plus coupables que les autres et qu’elles méritent d’être sévèrement punies par la justice. Ce phénomène, qualifié d’hyperresponsabilisation, est vécu par de nombreuses personnes, notamment les douze femmes dont le profil a récemment été établi dans notre rapport.
Comme on l’a également souligné dans Réclamer notre pouvoir et notre place : le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, le système de justice canadien :
[…] criminalise les actes qui découlent directement de leur instinct de survie. Cette situation recrée les modèles du colonialisme, car on jette le blâme et la responsabilité sur les femmes autochtones et sur les choix qu’elles ont faits, et on ignore les injustices systémiques qu’elles subissent […]
— et qui contribuent directement au comportement pour lequel elles sont criminalisées.
Les peines minimales obligatoires entravent les juges en les obligeant à imposer des peines d’emprisonnement qui ne tiennent pas adéquatement compte du contexte, des circonstances ou de la culpabilité légale des accusés ou des abus que ces derniers ont pu subir dans le cadre du processus d’application de la loi.
Les peines minimales obligatoires rompent avec la tradition de confiance des Canadiens envers les juges, qui leur laissait le pouvoir discrétionnaire de déterminer la peine. Avant que l’engouement à l’égard des peines minimales obligatoires ne déferle sur toutes nos lois criminelles en 1995, on confiait aux juges la tâche de concevoir une peine individualisée établissant un juste équilibre entre la gravité de l’infraction, d’une part, et le degré de culpabilité de l’accusé et les circonstances entourant le crime, d’autre part. Lorsque le Code criminel a été promulgué pour la première fois, en 1892, il contenait six dispositions prévoyant une peine minimale obligatoire. Jusqu’en 1995, le nombre d’infractions assorties d’une peine minimale obligatoire est demeuré constant, se situant autour d’une dizaine.
Il y a maintenant plus de 70 infractions qui sont assorties de peines minimales obligatoires, malgré le fait que les Canadiens appuient majoritairement le pouvoir discrétionnaire des juges au moment de déterminer la peine. En 2017, selon un rapport commandé par le ministère de la Justice, 9 Canadiens sur 10 avaient déclaré vouloir que le gouvernement envisage de laisser les juges libres de ne pas infliger des peines minimales obligatoires.
Le projet de loi n’offre pas une réponse adéquate aux décisions judiciaires selon lesquelles les peines minimales obligatoires constituent une violation de la Charte canadienne des droits et libertés.
Omission flagrante, le projet de loi ne traite pas des peines minimales obligatoires en cas d’inadmissibilité à la libération conditionnelle dans les affaires de meurtre, une mesure très importante pour réduire l’incarcération excessive des femmes autochtones. Une peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité, combinée à l’inadmissibilité à la libération conditionnelle pour au moins 10 ans dans le cas d’un meurtre au deuxième degré et 25 ans pour les meurtres au premier degré, c’est le compromis qui a été négocié pour abolir la peine de mort.
Même là, la disposition qui permet une révision judiciaire spéciale et un processus en cinq étapes dont les contrevenants pourraient se prévaloir après avoir purgé 15 ans d’une peine d’emprisonnement à perpétuité constitue un élément clé de la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle. Il s’agit de ce qu’on appelle communément la « disposition de la dernière chance » du Code criminel.
La Cour suprême du Canada s’est penchée sur l’importance de la clause de la dernière chance en 1990, lorsque la constitutionnalité de la peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité a fait l’objet d’une contestation. À l’époque, la Cour suprême a rejeté la contestation et elle a maintenu la peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité au motif que la clause de la dernière chance préservait la constitutionnalité d’une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre.
En 2011, le gouvernement conservateur a aboli la clause de la dernière chance, limitant ainsi encore davantage les possibilités de libération conditionnelle et rendant la peine minimale obligatoire inconstitutionnelle.
Continuons dans le temps. L’an dernier, lors de la première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, le premier ministre Justin Trudeau a prononcé un discours, dans lequel il a dit ceci :
En ce jour, nous reconnaissons [...] les torts, les injustices et les traumatismes intergénérationnels que les peuples autochtones ont subis, et continuent de subir à cause du système des pensionnats, du racisme systémique et de la discrimination qui persiste dans notre société.
Chers collègues, il est temps que nous fassions notre travail. Aidons le gouvernement à progresser dans cette voie en faisant en sorte que le projet de loi C-5 atteigne son objectif.
Meegwetch, merci.