Le Code criminel
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture
23 juin 2022
Honorables sénateurs, il est très bon de voir que, peu importe si cela fait notre affaire ou non, nos principes entourant la demande de consentement et d’autres questions peuvent changer selon les besoins. Nous en sommes certainement reconnaissants.
Je ne veux pas refroidir les ardeurs, mais j’ai un discours d’environ 75 minutes à faire. Cela nous amène à quelle heure? Je suis désolé, honorables collègues, mais vous n’aurez peut-être pas l’occasion d’intervenir. Vous feriez aussi bien de rentrer chez vous, et le sénateur Gold et moi ferons le reste du travail.
Ma charmante épouse m’a signalé aujourd’hui que j’ai commis une erreur lorsque j’ai dit, plus tôt, que j’avais voté avec le sénateur Gold. Elle a dit que j’étais censé lui rappeler que, lors du dernier vote, c’est lui qui a voté avec l’opposition, et non l’inverse. Je tenais à apporter cette correction. Sénateur Gold, nous sommes heureux que vous ayez voté avec nous.
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-28, Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire extrême). J’ai déjà dit que j’allais appuyer ce projet de loi. Je vais prendre au moins 10 minutes pour vous dire pourquoi je ne devrais pas l’appuyer, puis, comme ceux qui acceptent de donner leur consentement et qui refusent ensuite, je vais faire toutes sortes de contorsions et finalement voter en faveur d’un projet de loi après vous avoir expliqué pendant 10 minutes pourquoi on ne devrait jamais l’appuyer.
Le projet de loi est censé répondre aux décisions que la Cour suprême du Canada a rendues dans les affaires Brown et Sullivan le mois passé, où elle a conclu que l’article 33.1 du Code criminel était inconstitutionnel. L’arrêt de la Cour suprême a été prononcé le 13 mai 2022. Nous n’avons rien entendu de la part du gouvernement sur cette question pendant cinq semaines. Je pense que le premier ministre était dans un avion.
Soudainement, le projet de loi a été déposé juste avant la fin de la session, le 17 juin. Chers collègues, aucun débat sur ce projet de loi n’était prévu dans les quatre jours suivants.
On nous a ensuite dit que le projet de loi dont nous sommes saisis, le projet de loi C-28, devait non seulement être adopté dans la plus grande hâte, mais aussi l’être essentiellement sans aucun examen législatif substantiel. Bien sûr, c’est le sujet de préoccupation que notre ami et collègue le sénateur Patterson a soulevé plus tôt aujourd’hui.
Honorables sénateurs, pendant cinq semaines, ce fut le silence complet, puis, soudainement, comme c’est la coutume avec ce gouvernement, un vent de panique a soufflé. Le gouvernement prétend que, dans les cinq semaines entre la décision de la cour et la semaine dernière, il était occupé à mener des consultations sur le projet de loi. Il prétend que, depuis que la cour a rendu sa décision, il a consulté environ 30 groupes. C’est un nombre conséquent.
Le ministre Lametti a affirmé, pendant notre brève rencontre en comité plénier cette semaine, que ces groupes approuvent la réponse du gouvernement presque à l’unanimité. Chers collègues, c’est surprenant à bien des égards.
Premièrement, il est surprenant que le gouvernement ait été en mesure de consulter de manière exhaustive 30 groupes en seulement un mois, mais c’est qu’il affirme avoir fait.
Pourtant, il semble avoir été complètement incapable de faire de même pour d’autres projets de loi. Pas plus tard que lundi dernier, le Sénat a adopté le projet de loi S-7, qui était aussi une réponse du gouvernement à une décision judiciaire. En effet, ce projet de loi a été présenté à la suite d’une décision rendue par la Cour d’appel de l’Alberta en octobre 2020, qui a invalidé un article de la Loi sur les douanes. La cour avait donné 18 mois au gouvernement pour présenter une mesure législative en réponse à sa décision. Pourtant, non seulement cette échéance n’a-t-elle pas été respectée, mais, comme les sénateurs l’ont appris lors de l’étude du projet de loi par le comité, le gouvernement n’avait consulté absolument personne avant de présenter le projet de loi. Or, il s’agissait d’un projet de loi extrêmement complexe portant sur des questions juridiques tout aussi complexes.
Nous sommes maintenant saisis de ce projet de loi, qui porte lui aussi sur une question juridique extrêmement complexe. Pourtant, si nous croyons le ministre sur parole, le gouvernement a réussi, en seulement un mois, à consulter de manière exhaustive des groupes qui ont approuvé unanimement le plan d’action du gouvernement.
Honorables sénateurs, je dois dire que cela dépasse l’entendement. Je crois qu’une autre raison se cache derrière le peu d’empressement du gouvernement à présenter ce projet de loi. C’est tout simplement parce que ses priorités sont ailleurs. Ce gouvernement n’accorde pas beaucoup d’attention aux détails des politiques. Il règle les problèmes en jetant de l’argent emprunté par les fenêtres. Il ne prête pas attention à la façon dont l’argent est dépensé.
On se demande pourquoi, chers collègues, certains d’entre nous — ou certains d’entre vous — ont voté il y a une heure pour un budget complètement débridé. Même ceux qui se disent conservateurs ont voté en faveur de ce budget. Je trouve extrêmement étrange que des conservateurs qui ont fait campagne sous une bannière conservatrice aient pu voter ainsi. Pourtant, c’est ce qu’ils ont fait.
Je ne sais pas combien d’entre vous écoutent Simon & Garfunkel. C’est de ma génération. Comme le chantait Simon & Garfunkel : « Ceux qui prient auront une place au paradis. » Alors, chers collègues conservateurs, il y a de l’espoir pour vous si vous vous repentez. Il y a quelques années, Chuck Cadman a promis de maintenir en place le gouvernement de Paul Martin. Après avoir voté, il a déclaré qu’il allait devoir demander pardon à Dieu. Dieu lui a pardonné, et il vous pardonnera.
Ce gouvernement brasse beaucoup d’air, chers collègues. Je suis certain qu’à la suite de cette décision de la Cour suprême, quelqu’un a vu une occasion politique à saisir. C’était l’occasion d’avoir l’air de prendre des décisions. Je n’ai pas l’intention de m’étendre trop sur le fond du projet de loi, comme vous l’avez sans doute déjà constaté. C’est mieux de laisser cela à d’autres. Le sénateur Patterson a beaucoup plus de choses à dire à ce sujet. Cependant, je remarque que beaucoup de sénateurs ont soulevé, en très peu de temps, des questions très importantes.
Le sénateur Carignan a parlé d’un professeur érudit de l’Université de Montréal qui se spécialise dans la défense au criminel et qui soutient que certaines dimensions de l’intoxication extrême risquent de ne pas être couvertes par le projet de loi. Voici ce qu’a dit mardi le sénateur Cotter :
[...] ce qui m’inquiète ici, c’est que la proposition, aussi sincère soit-elle, ratera la cible et que presque personne ne pourra être condamné en vertu de la disposition.
Le sénateur Cotter et moi n’étions pas sur la même longueur d’onde au début, c’est le moins que l’on puisse dire, mais j’ai certainement appris à respecter ses très grandes connaissances et l’expertise qu’il apporte au Comité des affaires juridiques, et je respecte ce qu’il a dit.
La sénatrice Pate a cité Sean Fagan, avocat de la défense dans l’affaire en question : « [...] les dispositions législatives seraient complètement inefficaces en raison du fardeau de la preuve qui incombe aux procureurs. » Je reconnais la préoccupation éclairée et le scepticisme lorsque je les vois, et en l’occurrence, sénatrice Pate, il s’agit d’une préoccupation éclairée accompagnée d’une certaine dose de scepticisme, j’en suis sûr. Voilà pourquoi je suis si préoccupé par la façon dont le gouvernement tente de faire adopter de force ce projet de loi tant à la Chambre des communes qu’au Sénat, et même ce coup, il l’exécute lamentablement.
Comme nous le savons tous, mardi, le système informatique tant vanté par le gouvernement qui permet la tenue de séances hybrides est tombé en panne. Le Sénat a mis fin à sa séance parce que nous ne pouvions plus fonctionner. Heureusement, à ce jour, le leader du gouvernement au Sénat n’a pas encore suggéré que nous maintenions cet horrible mode de fonctionnement hybride. Je suis tout à fait convaincu qu’il ne proposera rien à cet effet. Je tiens à ce qu’il soit inscrit dans le hansard que je compte sur le sénateur Gold pour ne pas présenter de motion portant que le mode de fonctionnement hybride au Sénat soit prolongé.
Par contre, le leader du gouvernement à la Chambre, Mark Holland, veut et vient d’obtenir une autre année de ce mode hybride qui, en de si nombreuses occasions, n’a pas fonctionné pour nous. Pourquoi? Parce qu’il dit, honorables sénateurs, qu’une autre pandémie pourrait survenir. C’est possible. Docteur Ravalia, avez‑vous entendu parler d’une pandémie imminente?
Non.
Merci. Voici ce que dit la science : aucune pandémie n’est à nos portes. Pourtant, Mark Holland affirme qu’il faut une autre année de séances hybrides afin que nous puissions tous rester à la maison pour vaquer à nos occupations. Honnêtement, il semble que la nouvelle priorité du gouvernement soit de faire en sorte que les parlementaires aient le moins souvent possible besoin de venir au Parlement. C’est très triste, honorables sénateurs. À l’évidence, les caucus du NPD et du Parti libéral aiment bien les séances hybrides, mais il n’y a personne ici qui fait partie de ces caucus, n’est-ce pas? Je ne crois pas. Nous sommes tous indépendants. Nous avons voté de façon indépendante. Oh non, c’est vrai, nous avons tous voté pour le budget néo-démocrate—libéral — enfin, nous n’avons pas tous voté, mais beaucoup d’entre nous l’ont fait — il y a à peine quelques minutes.
Néanmoins, les séances hybrides plaisent à l’autre endroit pour les mêmes raisons qu’elles plaisent à de nombreux sénateurs. On peut rester à la maison, s’asseoir devant la caméra pendant quelques heures, lire une ou deux questions et prétendre qu’on sert la population avec dévouement. Il est facile de voir à qui profitent les séances hybrides : aux parlementaires qui, en toute honnêteté, ne veulent pas venir travailler.
J’ai mentionné aujourd’hui que lorsqu’une personne dit « avec tout le respect que je vous dois », elle va probablement dire quelque chose d’irrespectueux. La sénatrice Moncion se souvient du moment où j’ai exprimé cette opinion. Et je veux respecter tous les sénateurs qui sont ici. Je le veux vraiment. Et je respecte tous les sénateurs qui sont ici, mais je ne crois pas que ce soit la façon de mener des travaux parlementaires.
On voit clairement qui sort gagnant des séances hybrides, mais les Canadiens, qui comptent sur nous pour examiner sérieusement les projets de loi d’initiative ministérielle, sont perdants. C’est ce que nous voyons relativement à ce projet de loi précis, le projet de loi C-28. Le processus d’examen du projet de loi C-28 a atteint de nouveaux abîmes, même pour le gouvernement. Il reflète un gouvernement en plein chaos. Le Canada est maintenant confronté à de multiples défis, tant à l’échelle nationale qu’internationale, mais le gouvernement ne cesse de se concentrer sur les mauvaises priorités.
Non seulement le gouvernement ne met pas ses priorités à la bonne place, mais il s’y prend également très mal pour les mettre en œuvre. Prenez l’exemple du projet de loi C-11. Cette mesure a été un véritable fiasco dans l’autre endroit, et ce, pour la seconde fois. Le gouvernement n’a tiré aucune leçon du fiasco entourant le projet de loi original, le projet de loi C-10. Un autre exemple, le projet de loi S-7, a été adopté dans cette enceinte plus tôt cette semaine, mais seulement après avoir été pratiquement refondu par le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Puis, il y a le fiasco en devenir du projet de loi C-21, qui est ni plus ni moins qu’une attaque gratuite contre les tireurs sportifs respectueux des lois alors que les crimes commis avec une arme à feu ne cessent d’augmenter dans les grands centres. Dois-je vous rappeler ce que le premier ministre et le ministre Blair ont fait avec la commissaire de la GRC dans le seul but de promouvoir ce projet de loi?
Honorables sénateurs, la liste est infinie et, au bout du compte, ce sont les Canadiens qui perdent au change. Honorables sénateurs, les Canadiens méritent bien mieux. Nous devons en faire beaucoup plus pour eux. J’espère seulement qu’ils auront un gouvernement compétent très bientôt et je suis persuadé que cela se produira. Je ne vais pas me péter les bretelles encore une fois — je l’ai déjà fait avant la pause du repas —, mais j’espère sincèrement que nous aurons un gouvernement compétent qui accordera finalement la priorité aux véritables besoins des Canadiens.
Ce n’est pas ce que fait le gouvernement actuel, honorables sénateurs; on le constate, peu importe comment on présente les choses ou peu importe le caucus auquel on appartient. Le gouvernement actuel fait passer ses intérêts avant ceux des Canadiens. Nous devons inverser cette tendance. Nous devons approuver le projet de loi C-28 aujourd’hui. Pourquoi? Pas en raison du gouvernement, pas à cause de son incompétence, ni même parce qu’il s’agit d’un bon projet de loi. Comme d’autres l’ont dit, toutefois, c’est un projet de loi qui constitue un pas dans la bonne direction. Il protège les femmes, les filles et les enfants contre les crimes odieux dont nous n’avons cessé de parler.
Honorables sénateurs, voilà pourquoi, à la fin de cette soirée, que nous soyons ou non des partisans de ce gouvernement — et je crois qu’il est manifeste que je n’en suis pas un —, il s’agit d’un projet de loi qui, j’en suis persuadé, mérite un appui unanime. J’espère que vous l’appuierez ce soir. Merci.
Sénateur Plett, acceptez-vous de répondre à une question?
Certainement.
Sénateur Plett, vous avez émis des remarques du genre « personne ne sera reconnu coupable », « complètement inefficaces » et « a atteint de nouveaux abîmes ».
Je suis très préoccupée par ce projet de loi et j’ai le droit de me sentir très préoccupée. Pensez-vous que la violence à l’égard des femmes se poursuivra une fois le projet de loi adopté? Je me préoccupe en particulier de la violence contre les femmes autochtones, étant donné qu’il n’y a eu aucun progrès pour ce qui est de la résolution des questions liées aux femmes et aux filles autochtones disparues et assassinées.
Ce soir, je veux poser cette question à tous les sénateurs : ne sommes-nous pas importantes en tant que femmes? J’ai peine à comprendre que le patriarcat décide de cette question. C’est de la violence contre les femmes dont il est question. Je suis très inquiète à ce sujet. Merci.
Sénatrice McCallum, merci beaucoup de votre question. Je comprends vos inquiétudes.
Sénatrice McCallum, vous savez que j’ai le plus grand respect pour vous en tant que sénatrice, en tant que leader autochtone et en tant que défenseure des femmes et des filles autochtones.
Est-ce que je crois que cela mettra fin à la violence contre les femmes et les enfants? Je suis persuadé que non. Est-ce que je crois que cela pourrait contribuer à y mettre fin? Oui, je le crois. Est-ce que je crois que de cibler les tireurs sportifs et les chasseurs empêchera les meurtres? Non, je ne le crois pas.
Je veux vraiment m’assurer d’aller au cœur de votre question. Est-ce que je me préoccupe des femmes et des enfants autochtones et de la violence dont ils sont victimes?
Laissez-moi simplement, sénatrice McCallum, vous dire ceci : je me préoccupe de chaque femme, de chaque enfant qui fait l’expérience de la violence et qui a subi des choses horribles, comme le sénateur Boisvenu et sa fille, dont nous avons parlé aujourd’hui. Je me préoccupe d’eux, qu’ils soient autochtones, aborigènes, blancs, noirs — je suis désolé, je ne fais pas de différence entre les races, entre les ethnies. La violence contre les femmes et les enfants est horrible, quelle que soit la couleur de leur peau.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui afin de partager avec vous mes observations sur le projet de loi C-28, Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire extrême).
Le contexte dans lequel nous devons examiner ce projet de loi me force à jongler avec deux sentiments bien distincts que je peine à réconcilier. D’un côté, je ne puis qu’exprimer une frustration certaine en raison du peu de temps dont nous disposons pour analyser ce projet de loi. D’un autre côté, j’ai conscience de la gravité des conséquences, pour les victimes, de maintenir le statu quo, compte tenu de la décision de la Cour suprême du 13 mai dernier. J’ai conscience de la nécessité d’agir maintenant, et je crois que le projet de loi C-28, même s’il avait pu bénéficier, dans un monde idéal, d’une étude plus approfondie, demeure une réponse adéquate devant cette nécessité.
Chers collègues, nous devons prendre la mesure des conséquences de ne pas agir maintenant pour combler ce vide juridique, comme nous suggère la Cour suprême. J’aimerais citer un extrait du jugement de la cour dans R. c. Brown. Il se lit comme suit :
Bien que l’art. 33.1 [du Code criminel] soit inconstitutionnel, le Parlement aurait très bien pu recourir à d’autres moyens pour réaliser ses objectifs légitimes en matière de lutte contre la violence perpétrée en état d’intoxication extrême. […] Il était loisible au Parlement d’adopter une disposition législative visant à tenir des personnes extrêmement intoxiquées responsables d’un crime violent lorsqu’elles ont choisi de créer le risque de préjudice en ingérant des substances intoxicantes.
— et j’insiste : « lorsqu’elles ont choisi de créer le risque de préjudice [...] ».
Voyons maintenant pourquoi le projet de loi C-28 est une réponse appropriée et comment il comblera le vide juridique créé par l’arrêt R. c. Brown de la Cour suprême. Je rappelle aux sénateurs que, dans sa décision, la cour a invalidé l’article 33.1 du Code criminel. Par le fait même, elle a statué qu’interdire l’utilisation de l’intoxication extrême comme défense pour les crimes violents était inconstitutionnel et violait l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte.
En réponse à cet arrêt, le gouvernement a choisi de rétablir l’article 33.1 et de le modifier. La modification proposée dans le projet de loi C-28 ferait en sorte — ce qui est la chose à faire, selon moi — que si une personne consomme volontairement des substances intoxicantes comme des drogues illégales, de l’alcool et des médicaments d’ordonnance, qu’elle le fait d’une façon criminellement négligente et que, en raison d’un état d’intoxication extrême, elle attaque violemment d’autres personnes, elle pourrait être tenue criminellement responsable de ces gestes violents.
L’esprit de cette modification est semblable à celui de la version précédente de l’article 33.1, mais la modification met l’accent sur le concept de négligence. C’est un point très important : on met l’accent sur le concept de négligence.
Comme le ministre Lametti l’a souligné lorsqu’il était au Sénat mardi :
[...] les individus ne seraient pas tenus criminellement responsables dans les cas où les risques de perte de contrôle violente étaient imprévisibles ou, s’ils étaient prévisibles, que des efforts raisonnables ont été entrepris pour éviter ce genre de préjudice.
Cette exemption n’est valable que dans des cas très rares. Il appartiendra aux tribunaux de déterminer le degré de négligence d’un individu. Dans ce contexte, la négligence criminelle est définie comme le fait de ne pas prendre suffisamment de précautions pour éviter un risque raisonnablement prévisible de perdre le contrôle et d’agir violemment.
À mon avis, il s’agit d’une bonne solution au problème que la décision de la Cour suprême nous a demandé de régler. Les changements proposés par le projet de loi C-28 sont essentiels pour la sécurité publique, particulièrement pour les personnes les plus vulnérables de notre société et, en fait, pour tout le monde, car personne n’est à l’abri d’une agression violente. J’ajouterais également qu’ils sont nécessaires pour maintenir la confiance dans notre système de justice.
Tel qu’il nous est présenté aujourd’hui, le projet de loi a l’appui de la majorité des intervenants consultés avant sa conception, y compris des groupes de défense et de promotion de la cause des femmes comme le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes, ou FAEJ. Dans une déclaration publiée le 17 juin, Pam Hrick, directrice exécutive et conseillère générale du FAEJ, a affirmé que le projet de loi C-28 est « [...] une réponse réfléchie, nuancée et constitutionnelle » à la décision de la Cour suprême.
Je crois avoir clairement indiqué que j’appuie l’adoption du projet de loi et mon appui va dans le même sens que mon discours. Je reconnais le devoir qu’avait le gouvernement d’agir rapidement afin de remédier aux lacunes de la loi.
Cependant, pour revenir à la frustration que j’ai exprimée plus tôt, je crois que nous devons trouver un équilibre entre la nécessité d’adopter maintenant ce projet de loi urgent du gouvernement et la pertinence de répondre aux préoccupations soulevées par de nombreux sénateurs en comité plénier et dans leur étude globale de ce projet de loi depuis qu’il nous a été présenté.
C’est l’équilibre qu’il faut maintenant trouver entre la nécessité d’adopter ce projet de loi urgent et celle d’effectuer une étude plus approfondie sur la pertinence des concepts soulevés par de nombreux sénateurs et d’autres intervenants en comité plénier et dans les médias.
Chers collègues, ces préoccupations sont valables. Même sans la situation dans laquelle nous nous trouvons, le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles devrait entreprendre une étude. Il s’agit d’une question d’intérêt public et général, et je fais grandement confiance aux solides juristes qui siègent à ce comité.
Par conséquent, il est essentiel que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles soit autorisé à examiner certains aspects stratégiques de ce projet de loi et à en faire rapport, comme nous l’avons fait avec l’adoption de la motion no 53.
Nous réalisons la distinction entre l’urgence d’adopter ce projet de loi et la portée plus large de cet enjeu lié à l’intoxication. C’est la raison pour laquelle les chefs de tous les caucus et groupes, moi y compris, à titre de coordonnatrice, ont veillé à présenter une motion peu prescriptive qui laisse une grande marge de manœuvre au comité.
Après une étude attentive menée par le Sénat et l’autre endroit, on demandera au gouvernement de fournir une réponse complète et détaillée dans un délai de 120 jours. Procéder de cette manière est la décision qui s’impose. C’est la seule façon de cibler immédiatement le problème juridique que le projet de loi C-28 cherche à régler tout en donnant au Sénat la possibilité d’étudier, pour en faire rapport, la question plus vaste de l’intoxication volontaire, y compris l’intoxication volontaire extrême dans le contexte du droit criminel.
Nous devons aussi être conscients que le projet de loi C-28 pourrait être une solution provisoire pendant la période qui s’étend de l’adoption du projet de loi à l’examen du Parlement. Cette période d’essai pourrait se révéler utile pour relever les problèmes d’ordre pratique qui pourraient découler de la version actuelle du projet de loi, et ce, sans laisser tomber les personnes qui risquent le plus de subir des agressions violentes.
En conclusion, j’estime qu’il serait irresponsable de notre part de ne pas adopter ce projet de loi aujourd’hui. Nous avons le devoir d’agir et, en l’occurrence, d’agir maintenant. Nous pourrons ainsi assurer dans la loi une protection adéquate à nos concitoyens tout en fermant une échappatoire pour des individus qui ont commis des crimes violents dans un état d’intoxication résultant de leur propre négligence. Merci, meegwetch.
Sénatrice Saint-Germain, accepteriez-vous de répondre à une question?
Oui.
Quelles seraient les conséquences de ne pas agir? Je n’arrive pas à comprendre la conversation que nous avons en ce moment. Il me semble que les femmes continuent d’être exposées à des risques et qu’elles continueront de devoir porter le fardeau. Quelles sont les conséquences?
Je vous remercie de la question, sénatrice McCallum. C’est une question importante, et je partage vos inquiétudes.
Nous devons tous bien comprendre la nécessité d’agir à bien des égards. Nous devons prendre de nombreuses mesures pour prévenir la violence envers les femmes, les personnes racisées et les membres de la communauté LGBT.
Si nous n’agissons pas, nous allons maintenir le vide juridique qui découle de l’arrêt de la Cour suprême, et ceux qui pourraient commettre ou qui ont commis des actes de violence tout en ayant les facultés affaiblies pourront encore éviter, lors d’un procès, d’être tenus responsables de leurs actes après avoir agressé quelqu’un pendant qu’ils avaient les facultés affaiblies, et ce, même s’ils se sont mis dans cet état de façon volontaire.
Par conséquent, si nous n’agissons pas, nous protégerons les délinquants plutôt que leurs victimes. Voilà pourquoi il est important de combler cette lacune.
Encore une fois, sénatrice McCallum, je conviens, comme vous, que nous devons en faire plus pour prévenir la violence envers les femmes, les groupes ciblés et les personnes vulnérables. Par ailleurs, nous devons intervenir sur le plan social en offrant plus d’aide aux victimes après ces actes de violence pour qu’elles puissent se remettre le mieux possible de cette épreuve.
Je vous remercie encore de la question.
Accepteriez-vous de répondre à une question, sénatrice Saint-Germain?
Oui, sénateur.
Je vous remercie de votre discours.
Comme vous le savez, l’une des principales critiques faites par le milieu juridique — composée d’éminents universitaires que je ne nommerai pas, mais aussi de groupes de femmes — concerne le fait que le fardeau assumé par la Couronne dans cette version du projet de loi serait trop lourd. Nous sommes tous d’avis qu’il faut corriger cela, mais la solution proposée comporte de graves lacunes.
Je me demande simplement si vous craignez que — pendant que le comité se réunira pour entendre les témoins qui n’ont pas été bien entendus ou n’ont pas été entendus du tout, puis pendant les 120 jours qui suivront — à cause de ce lourd fardeau de la preuve qui repose sur la Couronne, des personnes ne puissent s’en sortir impunément après avoir commis un viol ou un meurtre, car le fardeau de la preuve reposera davantage sur la Couronne que sur la défense.
Merci de votre question.
Premièrement, je veux corriger votre affirmation selon laquelle une majorité de groupes et de conseillers juridiques craindrait vivement que le procureur de la Couronne ne soit pas en mesure d’agir efficacement et qu’il ait un trop lourd fardeau à porter. Je ne suis pas d’accord. Je pourrais certainement trouver, notamment dans cette enceinte, des juristes qui vous diront le contraire.
Cependant, ce qui me préoccupe le plus, c’est que si nous n’agissons pas de manière responsable en comblant maintenant cette lacune dans la loi, les auteurs de crimes ne seront pas condamnés. Il s’agit là d’un problème très grave ayant des conséquences tout aussi graves. À mon avis, le meilleur moyen de protéger les victimes à court terme est d’agir maintenant et de voter en faveur du projet de loi.
En outre, le mandat du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles ne se limite pas à ce projet de loi. Il porte aussi sur le traitement par le système de justice pénale des questions plus larges d’intoxication et d’intoxication extrême, et il vise à déterminer ce qui peut être fait à cet égard. Je ne parle pas uniquement ici du domaine judiciaire, des tribunaux et des lois. Je parle d’adopter tout un éventail de mesures cohérentes et complémentaires qui permettraient aux victimes d’être mieux protégées et d’accroître les efforts de prévention. Il faudrait offrir aux victimes, en temps opportun, plus de programmes de guérison et de services sociaux, psychologiques et médicaux, entre autres, pour les aider à guérir.
C’est la façon dont je vois les choses.
Encore une fois, pour l’instant, nos discussions doivent porter sur le projet de loi à l’étude. Cela réglera-t-il une question opportune? Oui, je le pense.
Accepteriez-vous de répondre à une autre brève question?
Oui, monsieur le sénateur.
Madame la sénatrice, je pense que vous disiez que nous devons adopter le projet de loi, sinon il y aura un vide dans la loi. Diriez-vous que ce que vous conseillez au Sénat, bien que le projet de loi puisse avoir des défauts qui, à mon avis, pourraient être corrigés au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, c’est que l’adopter serait toujours mieux que de ne rien faire?
Exactement.
Merci.
Honorables sénateurs, je prends la parole brièvement au sujet du projet de loi C-28. Je ne suis pas intervenu dans le débat sur la motion de programmation tout à l’heure. Je vais donc faire quelques observations à ce sujet, puis je vais rapidement m’exprimer au sujet du projet de loi.
Comme il a été dit, la motion de programmation a été approuvée par tous les leaders. Il faut savoir que cette motion a vu le jour en raison des préoccupations exprimées très récemment par les sénateurs et des gens de l’extérieur du Sénat concernant le projet de loi. Par conséquent, les leaders ont convenu qu’il serait malavisé, voire injuste — du moins, de mon point de vue — de demander le consentement du Sénat pour suspendre l’application de notre Règlement. Ainsi, nous avons eu l’idée de proposer cette motion de programmation comme solution de rechange. Nous avons participé à ce processus aujourd’hui, un processus qui a permis à tous les sénateurs de débattre et de décider la façon dont nous traiterions ce projet de loi — je dis bien tous les sénateurs.
Le Sénat a procédé à l’étude de la motion et nous avons pris la décision d’utiliser les outils prévus dans le Règlement sans presser les dissidents de se taire et d’accorder leur consentement. Je crois que c’est à cela que doit ressembler un Sénat indépendant de nos jours. Je suis fier du travail que nous avons fait, même si cela a pris du temps. Je suis fier du travail que nous avons accompli plus tôt aujourd’hui et je tiens à remercier tous les sénateurs de leur participation.
Maintenant, au sujet du projet de loi, comme plusieurs, je regrette que nous n’ayons pas pu en débattre plus longuement. J’ai bien écouté les discours. J’ai également suivi notre propre équipe de recherche et les informations qu’elle nous a transmises, qui étaient très claires. Il est évident que ce projet de loi doit être adopté d’urgence, qu’il s’agit d’une affaire sérieuse qui n’a rien de politique. Il n’est pas question d’adopter à toute vapeur une mesure pour des raisons partisanes. Le problème est bien réel et grave, et d’autres éléments viennent appuyer cette affirmation.
Honorables sénateurs, le gouvernement a présenté la motion à l’étude un peu plus d’un mois après que la Cour suprême a rendu sa décision. Dans le monde gouvernemental, c’est à la vitesse de l’éclair. Cela en dit long sur le sérieux et l’urgence de cette affaire pour le gouvernement.
Nous savons tous que, une fois que le projet de loi a été déposé à la Chambre des communes, il y a un peu moins d’une semaine, le plan en vue de l’adoption rapide à l’unanimité de la motion à l’étude s’est heurté à quelques difficultés alors que certains se sont dits préoccupés et ont commencé à soulever des objections. Un compromis a été obtenu au moyen d’une motion qui proposait la tenue non pas d’une étude préalable, mais d’une étude a posteriori, un concept nouveau, qui serait menée par le Comité permanent de la justice de la Chambre des communes. Nous venons de permettre à notre propre Comité de la justice de faire la même chose.
Honorables sénateurs, je pense que les événements, les décisions et les compromis ont donné des résultats intéressants. Nous avons la possibilité de combler un vide dès maintenant et de donner suite à la recommandation du gouvernement selon les conclusions de sa recherche. On ne parle pas d’une idée saugrenue ici. J’oserais même dire que des centaines de personnes ont contribué au meilleur de leur connaissance à préparer la recommandation dont nous sommes saisis. Nous pouvons combler le vide immédiatement. Toutefois, nous aurons aussi la possibilité de faire en sorte que la solution permanente appropriée soit instaurée et qu’un processus de suivi soit mis en place pour que l’étude a posteriori soit prise en compte et exécutée.
Ce sera notre responsabilité de veiller à ce que notre suivi se traduise par des mesures concrètes. Il faudra faire preuve de volonté, de diligence et de persévérance, car le suivi nécessaire s’échelonnera sur un certain temps. Parallèlement, nous aurons d’autres travaux en cours. Cependant, je sais que des personnes dans cette enceinte veilleront à ce que nous remplissions notre rôle de surveillance.
J’appuie ces mesures de tout cœur. J’ai confiance que le gouvernement a déployé tous les efforts requis pour nous présenter la meilleure solution possible à ce problème. J’appuie ces mesures, mais j’estime que c’est l’une de ces situations où il est bon de suivre les judicieux conseils de Ronald Reagan dans sa célèbre citation : « Faisons confiance, mais vérifions. » Nous accordons notre confiance au gouvernement en adoptant ce projet de loi, mais nous allons faire le suivi requis et, s’il le faut, passer à l’action dans l’avenir.
Merci, chers collègues.
J’aimerais poser une petite question au sénateur, s’il le veut bien.
Absolument.
Merci, sénateur Tannas. Tout d’abord, je ne veux en aucun cas enlever quoi que ce soit à votre discours. Je suis 100 % d’accord avec vous. Comme je l’ai dit plus tôt aujourd’hui, sénateur Tannas, je pense vous avoir attribué pas mal de mérite pour avoir proposé une voie à suivre, en raison de vos réticences — ou de celles de votre caucus — à accorder le consentement, afin que le leader du gouvernement puisse faire avancer les choses.
J’ai passé un peu de temps cet après-midi à parler des explications que je dois donner sur ce qui pourrait être perçu comme une motion d’attribution de temps ou de programmation, à m’y préparer. J’aimerais donc citer quelque chose officiellement et ensuite vous poser une question.
Je viens de vérifier la définition d’une motion de programmation. Une motion de programmation peut être utilisée par le gouvernement pour imposer un échéancier à la progression d’un projet de loi à la Chambre des communes en fixant le temps alloué au débat à chaque étape du processus. La motion est généralement présentée aux fins d’approbation immédiatement après que le projet de loi d’initiative ministérielle franchit l’étape de la deuxième lecture. En général, c’est le gouvernement qui présente une motion de programmation qui prévoit une attribution de temps et ainsi de suite.
Je pose la question pour la forme, sénateur Tannas, car je ne pense pas que nous devons débattre de la définition d’une motion de programmation. Je ne veux pas enlever quoi que ce soit au sénateur Gold, car il a fait preuve d’une grande coopération. Toutefois, pour remettre les pendules à l’heure, il s’agit d’une motion et d’une idée présentées par le leader du plus important groupe au Sénat et le leader de l’opposition dans le but de clore le débat et d’imposer une certaine limite de temps. Le gouvernement a accepté après que les quatre autres partis en eurent fait autant.
J’aimerais simplement que vous affirmiez que c’est, en fait, la démarche qui a été suivie.
En fait, j’ai commodément omis ce point dans mon intervention parce que je souhaitais gagner du temps, mais vous avez raison. Le mérite de la feuille de route revient à la sénatrice Saint-Germain et à notre collaboration avec vous.
C’est ce qu’il faut faire après un certain temps. Nous devons trouver des moyens de conclure, sinon, nous ne le ferons jamais. Nous tournerons en rond et nous n’accomplirons pas ce qui pourrait être accompli, et nous n’établirons pas correctement les priorités. J’ai trouvé que c’était un travail magistral. Je l’ai soutenu à 100 %.
Quant à la motion de programmation, je conviens que nous devons trouver un autre terme. Cependant, le fait est que la motion que nous avons présentée avait deux composantes. L’une était qu’il était injuste et malavisé de demander à un nombre croissant de sénateurs mal à l’aise à l’idée de s’asseoir tranquillement et de donner leur consentement. Il était plus logique de mettre la décision entre les mains de tous les sénateurs collectivement, et non individuellement, pour déterminer si c’était une façon convenable de procéder, et c’est ce que nous avons fait.
Donc, nous n’avons pas présenté une motion de programmation; nous avons présenté une motion de ratification, il faut le souligner, d’une décision des leaders qui exigeait l’appui de tous les sénateurs pour pouvoir aller de l’avant. Merci.
Est-ce que le sénateur Tannas accepterait de répondre à une question?
Oui, volontiers. Ce sera la dernière, puisque je sais que nous souhaitons continuer d’avancer.
Sénateur Tannas, vous appuyez ce projet de loi, comme vous l’avez dit dans votre discours, sur la prémisse de recherches qui auraient été menées auprès de plusieurs spécialistes. Pouvez-vous nous dire pourquoi le ministre n’a pu nous dire quelles consultations avaient été faites auprès d’autres juridictions avant le dépôt de ce projet de loi?
Je ne parlais pas de consultations. Je parlais plutôt du ministère de la Justice et de sa capacité d’évaluer la situation et de recommander une solution.
Je ne suis pas du tout certain. C’est pourquoi il m’apparaît important que le comité mène une étude a posteriori. Je ne suis pas certain que le processus de consultation ait été exhaustif et que la réponse choisie soit parfaitement la bonne. Je ne suis pas convaincu, non plus, que ce n’est pas la bonne réponse, pas au point où je choisirais de recommander aux sénateurs de rejeter le projet de loi et de le renvoyer à la table de travail pendant des semaines ou des mois. Je crois que nous devrions choisir « ceci et cela », au lieu de choisir soit l’un, soit l’autre. Nous pouvons tout avoir. Nous pouvons accepter la mesure proposée, combler le vide, puis déterminer s’il s’agit d’une bonne solution à long terme et permanente, ce que nous ferons en prenant le temps nécessaire et en écoutant toutes les voix, y compris celles d’experts et d’autres personnes qui souhaitent être entendues pour d’autres raisons. C’est la voie qui s’offre à nous, et elle me convient.
Honorables sénateurs, les interventions faites ce soir et tout au long de la journée sur le sujet ont été remarquables. Le sénateur Gold a prononcé l’un de ses meilleurs discours, et on s’en souviendra au Sénat. Je suis d’accord avec une grande partie de son discours. Son exposé historique de ces questions était remarquable.
Il s’agit d’une question pointue, mais importante, et d’un vide juridique reconnu même par la Cour suprême du Canada.
Je me permets de commencer par en parler d’un point de vue personnel. Pendant une grande partie de ma carrière, je suis passé d’une question à une autre, comme un surfer sur la crête des vagues, plutôt que de creuser les dossiers en profondeur, à quelques exceptions près, et celle-ci en est une.
En tant que jeune avocat travaillant pour l’aide juridique, j’ai défendu un jeune homme souffrant de déficiences intellectuelles qui était accusé de viol, comme on l’appelait alors. Il était extrêmement intoxiqué, à un point tel que, plusieurs heures après son arrestation, il a obtenu un résultat de 0,21 à l’alcootest, soit près de trois fois la limite permise pour conduire une voiture. La défense était qu’il était trop intoxiqué pour avoir l’intention de commettre le crime d’agression sexuelle.
J’ai fait de mon mieux. L’affaire a été portée devant la Cour d’appel de la Saskatchewan. Les questions juridiques étaient complexes, ou du moins elles l’étaient à l’époque, et la Cour d’appel a pris un an pour rendre sa décision. Elle a confirmé la condamnation du jeune homme. À juste titre, à mon avis.
Cela m’a fait penser à deux choses. Premièrement, il y a le rôle des avocats qui défendent des personnes dans ces situations, mais c’est un sujet pour un autre jour. Deuxièmement, il y a la nature problématique de la loi puisque des gens qui se mettent dans un tel état peuvent être absous de ce qu’ils ont fait parce qu’ils étaient très intoxiqués.
Contrairement à d’autres domaines du droit, j’ai suivi de près l’évolution du droit dans le domaine de l’intoxication extrême. Le récit par le sénateur Gold de toute la jurisprudence à ce sujet m’a rappelé différentes affaires et des souvenirs de cette évolution.
Cela m’amène, d’une certaine façon, à parler de cette question ici aujourd’hui. J’allais commencer par m’écarter du sujet, mais je crois que le sénateur Plett a atteint le quota de digressions pour la soirée. Je vais donc m’en abstenir et commencer mon discours un peu plus loin.
J’ai un immense respect pour le ministre Lametti. À mon avis, il fait un excellent travail avec un portefeuille très difficile, et j’admire énormément le travail accompli par son équipe au ministère de la Justice. En ce sens, je suis d’accord avec les propos du sénateur Tannas.
Au sujet du projet de loi C-28, je pense que son équipe a travaillé avec diligence à court préavis, sous des pressions publiques et politiques importantes, et qu’elle a fait de son mieux. Je tiens à être juste envers le ministre et son équipe : ils travaillent peut-être sur un problème presque impossible à régler. Je vais tenter de vous expliquer pourquoi.
Ce que nous aimons ou que nous valorisons en termes généraux, on en déteste souvent les détails précis. Voici ce que je veux dire : premièrement, il y a un principe fondamental du droit pénal qui existe depuis des centaines d’années et qui est renforcé par la Charte, soit que, sauf à de rares exceptions, on punit seulement les gens pour les infractions lorsqu’ils ont l’intention coupable ou, comme l’a dit le sénateur Dalphond avec plus d’érudition, mens rea. En termes plus simples, on se sert du Code criminel uniquement pour punir les gens qui ont fait une mauvaise chose si l’on conclut qu’ils avaient l’intention de la faire — et presque tout le monde est d’accord avec cela. Le sénateur Gold a présenté cette idée plus élégamment que moi.
Deuxièmement, dans le cas des affaires qui nous amènent ici, les tribunaux ont conclu que la personne qui a fait la mauvaise chose n’avait pas la capacité d’avoir une intention coupable, d’où son acquittement, et d’où notre problème.
Permettez que j’en dise un peu plus. Dans les affaires Brown, Sullivan et Chan, les neuf juges de la Cour suprême du Canada sont arrivés à la même conclusion. Il ne s’agit pas d’un caprice absurde. En fait, à mon avis, la décision du juge Kasirer, rédigé au nom de l’ensemble la Cour suprême, est honorable, sincère et fondée sur des principes. Il a compris l’importance de ce que lui et ses collègues étaient en train de décider, et dans un effort extraordinaire — ce qui est inhabituel dans les décisions de justice —, il a fait des suggestions pour que le Parlement puisse combler le vide qu’ils se savaient en train de créer en matière de droit pénal.
Voilà un exemple classique de ce que le professeur Peter Hogg, qui est peut-être le plus grand constitutionnaliste du Canada — et même, si je puis dire, plus grand que le leader du gouvernement au Sénat, ce qui pourrait faire l’objet d’un autre débat —, a appelé un dialogue entre les tribunaux et les assemblées législatives en ce qui concerne la Charte des droits et libertés. En l’occurrence, c’est le dialogue du juge Kasirer. C’est maintenant notre tour.
La question est la suivante : le projet de loi C-28 correspond-il à la bonne réponse parlementaire dans ce dialogue? Nombreux sont ceux qui se sont exprimés et qui vont s’exprimer à propos des lacunes perçues ou anticipées du projet de loi C-28 en tant que réponse à ce que j’appellerai une intoxication volontaire extrême par négligence criminelle entraînant un préjudice pour les victimes. Lors de la discussion avec le ministre Lametti, comme l’a noté le sénateur Plett, j’ai soulevé l’une de ces questions à propos de la capacité de poursuivre une personne à l’égard de cette infraction.
En toute honnêteté, c’est un dilemme difficile. On hésite — comme le sénateur Gold l’a souligné — à créer une infraction qui se limiterait à criminaliser l’intoxication par négligence. Certains ont fait valoir, y compris la Cour suprême, qu’une telle approche revient à accorder une réduction de peine pour intoxication. D’un autre côté, un projet de loi comme le projet de loi C-28 cherche de façon honorable à établir un lien entre, d’un côté, la négligence criminelle et, de l’autre, le risque de préjudice et essentiellement le préjudice lui-même afin que l’accusé, s’il est reconnu coupable, reçoive une peine proportionnelle à la gravité du préjudice causé, et non seulement à l’intoxication.
Voici ce qui m’inquiète : en tentant d’atteindre son objectif même, le projet de loi C-28 entraîne le risque qu’il soit potentiellement impossible d’établir le lien probant nécessaire, et non pas constitutionnel, avec cette infraction plus grave et la peine qui y est associée — le lien avec l’intention criminelle de ne pas seulement devenir extrêmement intoxiqué, mais aussi de prendre objectivement le risque de causer un préjudice.
Permettez-moi d’en dire un peu plus sur le sujet. Le sénateur Gold a expliqué, avec raison, qu’il s’agira d’une norme objective. Je n’ai aucune idée des données statistiques sur la consommation de champignons magiques. Je veux toutefois vous dire que j’ai bien de la difficulté à m’imaginer que beaucoup de personnes qui ont consommé une grande quantité de champignons magiques ont perdu le contrôle et causé un préjudice à autrui. Je suppose que, pour toutes sortes de substances, les données statistiques montrent qu’une infime proportion de personnes les consomment, puis commettent des actes de violence. Si tel est bien le cas, l’argument selon lequel des condamnations seront obtenues s’en trouve sérieusement affaibli.
Le sénateur Gold et moi avons eu une discussion informelle sur le projet de loi C-28 hier. C’était une riche discussion. Je n’en dirai pas davantage sur sa teneur. C’était une discussion enrichissante, du moins pour moi. Elle m’a donné un peu plus d’espoir — mais seulement un peu plus — que le projet de loi sera efficace. Cela m’a fait penser à une métaphore que j’ai racontée au sénateur Gold. Je n’allais pas la raconter aujourd’hui mais, franchement, je ne peux pas résister à l’envie de le faire. Je ne peux pas laisser le sénateur Plett se servir de toutes les métaphores. Je vais donc en utiliser une moi aussi.
Un de mes amis néo-écossais m’a raconté l’histoire de deux types dans une chaloupe. Ils descendent la rivière quand ils se rendent compte soudainement qu’ils sont sur le point de tomber dans une chute, nom d’une pipe. L’un d’entre eux, celui qui dirige la chaloupe, dit à l’autre : « Jette l’ancre ». Le deuxième type lui répond : « Je le ferais bien, mais l’ancre n’est pas attachée à la chaloupe. » Le premier réplique alors : « Jette-là quand même, ce sera peut-être utile. »
Je crains un peu que cette mesure législative, aussi sincère soit-elle — et je l’ai dit au début de mes remarques au ministre Lametti — puisse ne pas être efficace.
Quelle est ma position sur le projet de loi?
Premièrement, je suis convaincu que le projet de loi est constitutionnel. D’autres m’ont renseigné à ce sujet. Je suis tout à fait d’accord avec le sénateur Gold. Le projet de loi ne sera pas invalidé. Il aborde tous les points soulevés par la Cour suprême, et, en effet, c’est une des options qu’elle a suggérées.
Deuxièmement, j’aurais préféré avoir plus de temps pour que l’on réfléchisse à d’autres formulations. En même temps, je suis conscient de l’urgence de la situation. En outre, la volonté des parlementaires élus de choisir cette option mérite d’être sérieusement prise en compte. Je suis heureux que des plans soient prévus pour que les sénateurs puissent étudier en détail le concept de l’intoxication extrême dans le droit criminel, y compris dans cet article du Code. En conséquence, même si j’éprouve un peu de réticence, je voterai en faveur de ce projet de loi et j’observerai attentivement s’il fonctionne. Merci.
Si je puis me permettre, j’aimerais dire une chose rapidement. Il reste cinq orateurs, si je ne me trompe pas, et 25 minutes. J’aimerais simplement demander le consentement du Sénat pour que nous laissions ces cinq sénateurs bénéficier de leurs 10 minutes de temps de parole chacun, sans qu’il y ait de questions. Cela prendra le temps qu’il faudra. Je pense qu’il serait regrettable d’abandonner les deux derniers orateurs à leur sort pour le simple plaisir de gagner 20 minutes.
Honorables sénateurs, le consentement est-il accordé?
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-28, Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire extrême).
Sénateurs, j’ai de sérieuses réserves par rapport au processus que nous avons suivi concernant le projet de loi C-28. Cette mesure législative porte sur une question si importante du droit pénal. Cela dit, je comprends également qu’en raison du grand vide juridique que les décisions récentes de la Cour suprême dans les affaires R. c. Brown et R. c. Sullivan ont créé dans le droit pénal, nous devons agir rapidement. Je l’accepte.
Sénateur Gold, j’ai une demande à vous faire : si le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles étudie le projet de loi C-28 — ce dont je ne doute aucunement — et qu’il fournit des recommandations au Sénat ainsi qu’au ministre de la Justice, j’aimerais que le ministre de la Justice prenne nos recommandations au sérieux et qu’il nous réponde dans le délai prévu. J’espère que s’il y a des recommandations, nous les mettrons en œuvre.
Honorables sénateurs, j’avais préparé un discours beaucoup plus long, mais par respect pour mes collègues et tous ceux qui ont pu s’exprimer, je vais me contenter de soulever quelques points qui, selon moi, méritent sérieusement d’être étudiés. Le comité sera peut-être d’un autre avis.
Lorsque le ministre Lametti est venu au Sénat, le sénateur Cotter, la sénatrice Simons et moi lui avons demandé ce qu’on entend par négligence dans le contexte d’un état d’intoxication extrême. Je dois admettre que je n’ai pas trouvé sa réponse satisfaisante.
Par exemple, qu’arrive-t-il aux adolescents ou même aux jeunes adultes qui ne connaissent pas leur tolérance? Seraient-ils exonérés d’office en vertu de la défense d’intoxication extrême parce qu’ils n’ont pas pu agir de façon négligente? L’accusé doit-il connaître ses limites pour qu’on puisse considérer qu’il a été négligent?
Deuxièmement, nous ne savons pas si le fardeau pour prouver la négligence en cas d’intoxication extrême est approprié.
Si le projet de loi C-28 est adopté, la Couronne devra prouver hors de tout doute raisonnable qu’il y a eu négligence de la part de l’accusé. Or, comme l’a souligné le sénateur Boisvenu, cela mènera probablement à des confrontations d’experts. Comment un jury ou un juge arriveront-ils à trancher ce genre de questions inextricables?
Troisièmement, nous ne savons pas si, dans le projet de loi C-28, nous devrions inclure la présomption que l’alcool seul peut provoquer une intoxication extrême. Cela fait que nous permettrons une défense qui n’aura plus de contexte.
Honorables sénateurs, je sais que le comité devra examiner de nombreuses questions, mais que faudra-t-il pour prouver devant un tribunal la négligence de la personne qui s’est volontairement intoxiquée de façon extrême? Comment un procureur arrivera-t-il à prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé a été négligent lorsqu’il n’a pas eu conscience que sa consommation allait l’amener à un point d’intoxication extrême et qu’il causerait des méfaits? En particulier dans le cas des jeunes adultes qui ne connaissent pas leurs limites, comment la négligence sera-t-elle déterminée?
Honorables sénateurs, j’ai entendu ad nauseam ce soir et pendant le débat sur cette question qu’il fallait combler une lacune et que les groupes de femmes le demandent. D’abord, en tout respect, les groupes de femmes ne forment pas un tout homogène. Certains groupes de femmes le veulent. Il ne s’agit pas d’un groupe homogène.
Ensuite, quand j’étais jeune avocate, j’ai essayé de convaincre ma cliente que si le juge déclarait l’accusé responsable, elle serait protégée. Quatre ans plus tard, il est revenu chez lui et l’a tuée. Il ne suffit donc pas de dire que nous protégeons les personnes vulnérables et les femmes. En agissant si vite, nous sèmerons une fausse idée, au sein des groupes vulnérables, selon laquelle il y a une protection.
Il n’y a jamais de protection si les ressources ne sont pas là pour protéger les femmes. Merci, honorables sénateurs.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-28, Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire extrême). Je tiens à rappeler ce dont nous parlons réellement.
Un soir de janvier 2018, Matthew Brown, étudiant à l’Université Mount Royal de Calgary et capitaine de l’équipe de hockey de Mount Royal, s’est rendu à une fête. Après avoir beaucoup bu, il a pris des champignons magiques.
Ce mélange a plongé M. Brown dans ce que le juge de première instance a décrit plus tard comme un « délire d’intoxication aux substances », un état si extrême qu’il s’« apparente à l’automatisme ». Bien que capable de mouvements physiques, M. Brown n’avait aucun contrôle volontaire sur ses actions.
Il s’est dépouillé de tous ses vêtements par une froide nuit de janvier à Calgary et a couru pieds nus dans la neige tandis que des amis le poursuivaient. Quinze minutes plus tard, il s’est introduit dans la maison d’une professeure de l’Université Mount Royal, qu’il ne connaissait toutefois pas. C’était une agression au hasard, pas une agression pour un motif particulier. Il a frappé la professeure avec un manche à balai, lui brisant les os de la main. Puis il a continué à courir et, une heure plus tard, il a pénétré dans une deuxième maison située un kilomètre plus loin. Le couple qui y vivait a appelé la police, qui l’a trouvé délirant sur le sol de la salle de bain.
M. Brown n’avait pas de casier judiciaire ni d’antécédents de maladie mentale. Il avait déjà consommé des champignons magiques avant, mais n’avait jamais eu une telle réaction. Lors du procès, un juge de Calgary l’a déclaré non coupable et a conclu qu’il n’avait pas pu former l’intention nécessaire de commettre un crime. La Cour d’appel de l’Alberta ne fut pas du même avis. Cependant, le mois dernier, la Cour suprême du Canada a jugé à l’unanimité que M. Brown ne devait pas être tenu responsable des actes violents qu’il avait commis et que l’article 33.1 du Code criminel était inconstitutionnel.
Comme le sénateur Gold nous l’a expliqué, l’article 33.1 a été introduit en 1994 en réponse à l’indignation publique soulevée par le cas d’un alcoolique chronique nommé Daviault, qui a commis une terrible agression sexuelle alors qu’il était extrêmement ivre.
À l’époque, des gens se sont plaints que le projet de loi avait été adopté à toute vapeur, car il avait été adopté en quelques mois seulement. Il a longtemps été considéré comme problématique et peut-être inconstitutionnel.
Alors pourquoi la cour a-t-elle invalidé l’article du Code criminel le mois dernier? Permettez-moi de citer un extrait de son jugement unanime. Je vous promets que ce n’est pas le même que celui que nous a lu le sénateur Gold.
L’article 33.1 contrevient à l’art. 7 de la Charte en permettant une déclaration de culpabilité sans preuve de mens rea ou preuve de volonté. Un principe de justice fondamentale veut qu’une déclaration de culpabilité criminelle exige au minimum la preuve d’une négligence pénale, sous la forme d’un écart marqué par rapport à la norme d’une personne raisonnable, sauf si la nature précise du crime exige une faute subjective. L’article 33.1 exige l’intention de s’intoxiquer, mais l’intention de s’intoxiquer à n’importe quel degré suffit — il importe peu que l’individu n’ait pas prévu sa perte de conscience ou de maîtrise, et l’article est muet sur le caractère licite ou illicite de la substance intoxicante ou sur ses propriétés connues. Pour cette raison, bien que l’art. 33.1 s’applique à ceux qui provoquent de manière téméraire leur perte de maîtrise, il englobe également la manifestation inattendue d’un comportement involontaire, par exemple la réaction imprévue à un médicament prescrit contre la douleur. Il impose également une responsabilité criminelle lorsque l’intoxication ne s’accompagne pas de la prévisibilité objective d’un préjudice. En outre, au lieu d’inviter le tribunal à se demander si une personne raisonnable aurait prévu le risque et pris des mesures pour l’éviter et si l’omission de l’avoir fait constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence attendue dans les circonstances, l’art. 33.1 dispose qu’un écart marqué est réputé exister dès lors que la personne commet un acte violent alors qu’elle est dans un état d’intoxication volontaire extrême s’apparentant à l’automatisme. Puisque l’art. 33.1 permet à un tribunal de déclarer un accusé coupable sans preuve de la mens rea exigée par la Constitution, il viole l’art. 7 de la Charte. L’article 33.1 prévoit également que l’accusé est criminellement responsable de sa conduite involontaire. Comme l’absence de volonté écarte l’actus reus de l’infraction, la conduite involontaire n’est pas criminelle, et le droit reconnaît que l’exigence relative au caractère volontaire requis pour qu’une personne soit déclarée coupable d’un crime est un principe de justice fondamentale.
La décision de la cour est claire : une personne ne peut pas être reconnue coupable d’un crime si elle a agi par automatisme, sans être consciente de ses actes. Ce n’est pas une brèche dans la loi, c’est un principe fondamental de justice. Je le répète, ce n’est pas la même chose que d’avoir le jugement altéré par le crack, la méthamphétamine ou la vodka.
Comme l’a expliqué le sénateur Gold, la cour a insisté sur le fait que cette défense n’est pas admissible pour les contrevenants qui sont simplement très ivres ou drogués. Une personne dans un état d’automatisme a, à toutes fins utiles, quitté son corps. C’est un état extrêmement rare et une défense extrêmement rare en droit.
Néanmoins, la population a vivement réagi à cette décision et elle craint que celle-ci n’ouvre la voie à un passe-droit pour toute personne ivre qui commet une agression sexuelle ou un acte de violence familiale. C’est pourquoi nous procédons de manière exceptionnellement urgente pour modifier l’article 33.1. C’est vraiment extraordinaire.
Le projet de loi C-28 a été déposé à l’autre endroit vendredi dernier. Soudainement, il se retrouve entre nos mains, et on nous demande de l’adopter immédiatement, sans étude par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles et avec des discours très abrégés. Nous avons entendu le ministre, mais pas les gens qui critiquent le projet de loi, ni ceux qui considèrent qu’il va trop loin, ni ceux qui considèrent qu’il ne va pas assez loin, ni ceux qui trouvent simplement que le libellé n’est pas clair, qu’il porte à confusion ou qu’il ouvre la porte à une contestation.
Le projet de loi C-28 propose une nouvelle définition de ce que signifie, pour une personne, s’écarter de façon marquée de la norme de diligence attendue. Premièrement, le tribunal doit prendre en compte la prévisibilité objective du risque que la consommation des substances intoxicantes puisse provoquer une intoxication extrême. Deuxièmement, il doit aussi prendre en compte toute circonstance pertinente, notamment ce que la personne a fait afin d’éviter ce risque.
La prémisse est donc de traiter la consommation de drogues, par exemple de champignons magiques, comme un type de négligence criminelle. Je crains toutefois que nous nous retrouvions coincés dans une boucle logique ex post facto.
Si une personne consomme des drogues récréatives ou des médicaments d’ordonnance de manière imprudente, que son intoxication la plonge dans un état d’automatisme mais qu’elle ne commet pas d’acte violent envers une autre personne, elle sera vraisemblablement tout aussi négligente, du point de vue moral. Est-ce à dire qu’elle sera coupable seulement si elle a fait mal à quelqu’un à cause d’une rare réaction? Je crains qu’il soit tentant d’inverser le raisonnement et de dire que le fait qu’elle a fait mal à quelqu’un prouve sa négligence.
Pour sa part, M. Brown buvait beaucoup, mais cela ne le rendait pas violent. Un soir, il a pris quelques champignons, comme il l’avait déjà fait sans aucune répercussion négative. Ce soir-là, par contre, la combinaison de l’alcool et de la psilocybine l’a amené à commettre des actes terribles. Cette réaction neurochimique bizarre pouvait-elle, raisonnablement et objectivement, être prévue? Un Canadien raisonnable aurait-il pu la prédire?
En droit, il y a un adage qui dit que le risque perceptible définit l’obligation à remplir. Dans le cas qui nous occupe, en quoi consistent le risque perceptible et l’obligation? J’ignore si le projet de loi C-28 permet d’atteindre le juste équilibre entre la protection des droits des victimes et la protection du droit de l’accusé à un procès équitable. Vous l’ignorez peut-être également. Comment pourrait-il en être autrement, étant donné qu’on n’a pratiquement pas débattu du projet de loi à la Chambre, que nous n’avons jamais pu faire appel à des témoins experts et que nous n’avons pas eu le temps de tenir un véritable débat public et médiatique sur la question?
Honorables collègues, cet empressement inopportun est un signe non pas de courage, mais de lâcheté politique, et tous les partis à l’autre endroit en sont aussi responsables. Personne ne voulait assumer des risques politiques en s’attaquant véritablement à ces questions difficiles, et disons-le franchement, personne ne voulait vraiment retarder ses vacances estivales. Nos collègues de l’autre endroit ont plutôt choisi de nous refiler cet épineux dossier. Le Sénat compte bon nombre d’anciens juges, d’anciens procureurs, d’anciens enquêteurs de police et d’anciens professeurs de droit constitutionnel. Il y a aussi parmi nous des médecins, des gens qui ont travaillé dans le système correctionnel, un professeur de psychiatrie, des militants pour les droits de la personne, ainsi que des spécialistes en matière de violence conjugale, de droits des victimes et de réforme féministe du droit, sans oublier que la moitié d’entre nous sont des femmes. Pourtant, le Sénat, qui est particulièrement qualifié pour analyser et étudier ce projet de loi, a été privé de la chance de faire le travail pour lequel il a été créé. On nous a privés de l’occasion de réaliser au préalable une étude appropriée de ce projet de loi, pas après. Voilà une logique ex post facto.
On nous demande d’adopter un projet de loi à tâtons et de manière irresponsable, dans l’espoir que, s’il y a des problèmes, nous pourrons les régler plus tard. Pour le bien de tous ceux qui pourraient être traduits en justice dans l’intervalle, je ne peux pas souscrire à cette démarche. Merci. Hiy hiy.
Honorables sénateurs, je prends la parole à propos du projet de loi C-28, Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire extrême).
Comme beaucoup de sénateurs et de membres du grand public, j’ai, en tant que femme des Premières Nations, de sérieuses préoccupations de même que des doutes quant à la hâte avec laquelle nous examinons ce projet de loi. Je ne sais pas s’il y a des sénateurs qui peuvent honnêtement affirmer que le Sénat a fait preuve de diligence raisonnable à l’égard du projet de loi C-28. Pour ma part, je ne peux pas faire cette affirmation.
C’est une pratique très inhabituelle et très dangereuse à laquelle nous nous livrons, tant ici qu’à l’autre endroit. Je crois savoir qu’un comité de la Chambre des communes a été chargé d’étudier l’objet de ce projet de loi à l’automne. J’ai également noté l’appui du ministre Lametti pour que le Sénat entreprenne une étude similaire en comité, à la suite d’une question que lui avait posée le sénateur Carignan en comité plénier. Cependant, je trouve très inquiétant que le Parlement ait accepté de suivre ce processus à l’envers. Il n’est pas judicieux d’étudier le contenu d’un projet de loi et de comprendre ainsi les points de vue des experts dans le domaine seulement après que ce projet de loi a été adopté.
On pourrait dire que cela ressemble dangereusement à un empiétement sur notre privilège collectif d’accomplissement de nos fonctions sénatoriales. Comment pouvons-nous voter avec compétence sur un projet de loi si nous n’avons pas eu la possibilité d’en examiner les mérites et les lacunes de manière adéquate?
Chers collègues, c’est particulièrement vrai pour moi en tant que sénatrice non affiliée. Dans ses observations sur la motion no 53, le sénateur Plett a mentionné qu’il ne s’agit pas d’une motion d’attribution de temps parce qu’elle a été appuyée à l’unanimité. On ne m’a jamais consultée ou informée sur le processus entourant ce projet de loi ou toute autre question législative de la sorte.
Je ne peux que présumer que c’est aussi le cas pour mes collègues non affiliés. Cette subordination de longue date des sénateurs non affiliés m’a empêché de me faire entendre sur les décisions générales du Sénat, y compris pour le projet de loi C-28. Je dénonce cette situation.
Chers collègues, j’aimerais dire que j’appuie le principe du projet de loi, mais je n’appuie pas la méthode. L’intoxication volontaire extrême ne devrait jamais être acceptée comme défense pour des actes criminels et odieux. Il s’agit d’une échappatoire qu’il faut corriger. Bien sûr, l’élimination de cette échappatoire vise à faire en sorte que les coupables ne puissent pas se soustraire à une peine en raison d’une subtilité. Elle vise aussi — et c’est tout aussi important — à protéger les victimes, qui sont en grande majorité des femmes, des actes criminels qui ont tendance à découler de l’intoxication volontaire extrême.
Honorables sénateurs, compte tenu du laps de temps extrêmement court qui s’est écoulé entre la décision de la Cour suprême du Canada sur cette question et la présentation de cette mesure législative à la Chambre — à peine plus d’un mois —, il n’est pas surprenant que le manque de consultation soit un problème de taille. Je note que le problème des consultations insuffisantes n’est pas non plus nouveau.
En ce qui concerne le projet de loi C-28, cette question a été soulevée par un des groupes qui avaient été consultés, l’Association nationale Femmes et Droit. Cette association se désole de ne pas avoir été adéquatement consultée, à l’instar de nombreuses autres parties intéressées. Elle a également affirmé avec raison que le Sénat, par l’entremise du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, aurait grand avantage à recevoir des spécialistes de la médecine, des groupes de femmes et des procureurs de la Couronne dont le travail est de mener des poursuites au nom des victimes.
Lorsque le sénateur White a interrogé le ministre Lametti au sujet de cette lacune devant le comité plénier, le ministre a répondu ceci :
Nous avons effectué les consultations que nous avons pu dans le temps que nous avons eu depuis que la Cour suprême a rendu sa décision. Nous avons consulté.
Il faut l’admettre, honorables sénateurs, ce genre de réponse n’inspire pas vraiment confiance.
Honorables sénateurs, au-delà de la question de la consultation, d’autres préoccupations ont été soulevées quant au caractère inadéquat du projet de loi C-28. L’élément central de ces préoccupations est que le projet de loi C-28 n’atteindra pas les objectifs visés. Cela est dû au fait que le fardeau de la preuve, qui incombe malheureusement à la Couronne et à la victime, impose un seuil pratiquement impossible à atteindre.
L’Association nationale Femmes et Droit a exprimé une préoccupation très légitime concernant les exigences rigoureuses pour les procureurs chargés de prouver hors de tout doute raisonnable à la fois que la perte de contrôle après la consommation de substances intoxicantes était raisonnablement prévisible, et que le préjudice était prévisible. Dans son communiqué du 21 juin, l’association indique ce qui suit :
En effet, l’ANFD craint que cette réforme ne soit impossible à mettre en œuvre par la Couronne. Elle craint également que le lourd fardeau de la violence des hommes en état d’intoxication extrême retombe principalement sur les femmes auxquelles ils causent un préjudice. En effet, la Couronne doit prouver hors de tout doute raisonnable qu’une personne raisonnable aurait pu prévoir que la consommation par l’accusé d’une substance intoxicante donnée pouvait entraîner une perte de contrôle volontaire, même si des personnes raisonnables peuvent ne pas connaître les effets des substances intoxicantes qu’elles consomment, notamment en ce qui concerne les quantités et les combinaisons de substances intoxicantes. De plus, la Couronne doit maintenant prouver que la personne raisonnable aurait pu prévoir que la consommation de substances intoxicantes pouvait l’amener à devenir violente et à causer un préjudice à autrui, même s’il semble y avoir peu de preuves scientifiques à l’appui de l’affirmation selon laquelle une drogue particulière rend la violence plus probable.
Comme certains d’entre vous le savent, le conseil albertain des refuges pour femmes — qu’on appelle l’ACWS — a aussi soulevé cette préoccupation auprès des sénateurs. Cet organisme gère plus de 50 refuges dans la province de l’Alberta pour accueillir des femmes, des enfants et des personnes âgées victimes de violence familiale. Pour reprendre les termes utilisés par cet organisme, sa mission est de « [...] mettre fin à la violence familiale grâce à des programmes de prévention de la violence favorisant un changement de culture, des recherches et des collectes de données, et des formations pour les intervenants de première ligne ».
Chers collègues, notre comité sénatorial aurait mieux fait de tirer des leçons des groupes comme l’ANFD et l’ACWS, et des organisations autochtones, en raison de leur expertise et de leur travail sur le terrain.
Si de tels organismes se disent préoccupés par le processus et le contenu de ce projet de loi, il serait sage de tenir compte de leurs paroles.
Comme le ministre Lametti l’a déclaré devant le Sénat :
Vous avez possiblement vu quelle était la réaction à la décision de la Cour suprême. Je pense qu’elle a été la même partout au Canada [...]« Vous devez agir rapidement. »
Honorables sénateurs, il existe une distinction entre agir rapidement et faire preuve de négligence. Je crains que la balance ne penche du mauvais côté en ce qui concerne le projet de loi C-28. Nous avons entendu les sénateurs en comité plénier dire au ministre des choses comme « les dispositions législatives seraient complètement inefficaces en raison du fardeau de la preuve qui incombe aux procureurs », ou encore :
[...] ce qui m’inquiète ici, c’est que la proposition [...] ratera la cible et que presque personne ne pourra être condamné en vertu de la disposition.
Honorables sénateurs, je crois que ce projet de loi est une autre forme de violence contre les femmes, et plus particulièrement contre les femmes autochtones. Est-ce que je fais confiance au gouvernement? Les femmes autochtones font-elles confiance au gouvernement? Je dirais que non. Pourquoi accorderions-nous notre confiance à une telle institution?
Alors que nous nous préparons à voter sur le projet de loi C-28, nous devons veiller à prendre les bonnes décisions pour les Canadiens, et non pas à prendre des décisions qui arrangent les parlementaires. Merci. Kinanâskomitin.
Honorables sénateurs, je félicite le ministre de la Justice de ses intentions louables relativement à ce projet de loi. Je suis convaincue que protéger les victimes de crimes violents et d’agression sexuelle est un objectif que nous partageons tous. Vu l’importance de cet objectif, il est vital que nous ne prenions aucun raccourci et que nous soumettions plutôt ce projet de loi à l’étude et à l’analyse complètes qu’il mérite, particulièrement à la lumière de l’information qui continue de faire surface concernant les graves lacunes dans le processus de consultation du gouvernement et les préoccupations considérables soulevées par de nombreux groupes. Il est profondément préoccupant et, franchement, irresponsable que le Sénat mette aux voix ce projet de loi sans avoir au préalable entendu ce qu’en disent les parties concernées et s’être mieux renseigné sur les implications de son adoption.
Tentant d’agir rapidement, ce qui est fort compréhensible, le ministre fait franchir au projet de loi C-28 les étapes du processus législatif à toute vapeur, méprisant de façon ahurissante la procédure normale et l’application régulière des règles. L’exercice d’une telle pression donne lieu à ce qu’on ne saurait considérer autrement que comme un manque de transparence de la part du gouvernement. Le gouvernement prétend qu’il doit intervenir de toute urgence, mais reconnaît également que les cas relatifs à une intoxication équivalant à l’automatisme sont incroyablement rares.
Pourquoi, chers collègues? Voici quelques vérités. La plupart des personnes accusées d’infractions violentes sont pauvres, racialisées et représentées par des avocats des services d’aide juridique. Ces personnes n’ont pas les moyens de se payer l’équipe de défense incroyable, les rapports médicaux et toute la gymnastique juridique requis pour faire valoir le genre d’arguments qui ont été présentés à la Cour suprême du Canada dans cette affaire. Voilà pourquoi les cas sont rares, chers collègues.
Si cela est rare, c’est également parce que cela impose une pression extraordinaire sur la crédibilité des allégations. Or, l’application régulière de la loi a ses exigences, et, comme l’a souligné très adroitement la sénatrice Simons, ces exigences font que même les personnes les plus privilégiées peuvent employer ce genre de défense.
Le projet de loi à l’étude défend-il les intérêts de la sécurité publique — réfléchissez-y — ou, comme bon nombre ici le pensent, est-il le résultat de pressions sociales à motivation politique? Soyons clairs, honorables sénateurs, le gouvernement savait qu’un projet de loi allait être présenté. Il savait qui consulter et où les trouver et il aurait pu mener des consultations en bonne et due forme en vue de toute décision rendue par la Cour suprême du Canada.
Les prétendues consultations qui ont été menées pendant l’élaboration du projet de loi sont peut-être la preuve de l’argument que je présente. La teneur des consultations menée auprès des groupes de femmes, des groupes de défense des victimes et des spécialistes du droit pénal n’a toujours pas été communiquée à nos bureaux respectifs. Malgré des demandes répétées, outre un communiqué, nous n’avons obtenu aucun détail concernant les mémoires, les avis ou les opinions qui ont été présentés par ces groupes ou par d’autres groupes.
Chers collègues, le fait que nous n’avons cessé d’entendre les intervenants parler d’un unique communiqué de presse d’un seul groupe est effectivement instructif. La nature précipitée de ce processus soulève d’autres questions quant à son efficacité. Selon certains des témoins énumérés par le ministre, non seulement la consultation était tout à fait inadéquate, mais les participants ne savaient même pas que l’appel téléphonique auquel ils ont participé était considéré comme une consultation. D’importantes préoccupations relatives à la procédure et à l’application régulière de la loi ont été soulevées par un bon nombre de ces groupes et apparemment ignorées ou balayées du revers de la main.
Comme le montrent la correspondance et les plaidoyers des derniers jours, les préoccupations soulevées par les témoins n’ont manifestement pas été prises en compte sérieusement pendant la rédaction du projet de loi. Comment sommes-nous censés remplir notre rôle de second examen objectif lorsque nous ne disposons pas des informations nécessaires pour prendre une décision éclairée et mûrement réfléchie? Les études menées par les comités ont des objectifs importants et multiples. Au-delà de l’objectif politique, elles nous permettent d’apprendre les répercussions et les implications des projets de loi en consultant des experts qui peuvent mettre en évidence celles qui ne sont pas nécessaires intuitives pour tout le monde et, surtout, les effets que les projets de loi peuvent avoir sur les personnes les plus vulnérables et marginalisées. Dans ce cas-ci, ce sont les victimes d’agression sexuelle et elles sont presque toujours des femmes.
Nous apprenons de ces processus et, plus important encore, nous modifions ensuite les lois en conséquence. Ce n’est pas l’inverse. Le projet de loi C-28 n’a pas encore été adopté que, déjà, nous sommes conscients de questions qui nous ont échappé. Comme beaucoup d’autres sénateurs l’ont souligné, une des préoccupations qu’on a le plus souvent soulevées est le fardeau juridique accru de la Couronne de prouver la négligence criminelle. Le ministre a reconnu ce problème et a souligné qu’en vertu de la loi proposée, l’accusé devra d’abord soulever la question de l’intoxication extrême. Toujours est-il que le fardeau de réfuter cette défense hautement subjective, spécialisée et scientifique incombe à la Couronne.
Notre capacité à étudier davantage la question a été étouffée. Nous en venons à nous demander à quel point les répercussions de ce problème seront graves. En fait, à cette étape-ci, nombre de groupes, que le ministère de la Justice a apparemment consultés, nous disent qu’ils ne savent pas si la nécessité de prouver la prévisibilité objective hors de tout doute raisonnable s’avérera un obstacle infranchissable pour les procureurs.
Je veux prendre un moment pour souligner brièvement que je ne suis pas la seule à soulever ces préoccupations. Des intervenants et des experts bien informés ont affirmé craindre qu’on ne sache pas exactement à quel moment une personne devient négligente pour avoir simplement pris une drogue, une drogue qui ne met pas le reste de ses amis ou de sa famille dans un état d’automatisme. Pouvons-nous vraiment prouver qu’en consommant une substance intoxicante, il existe un risque objectivement prévisible que l’utilisateur perde le contrôle et devienne violent? Voilà, chers amis, l’une des choses que suggère cette mesure législative.
Le fardeau de faire valoir ces points incombera à la Couronne, malgré les amendements recommandés par des groupes comme l’Association nationale Femmes et Droit et des refuges. Nous n’avons pas étudié ces options. Ne laissons pas tomber ces groupes, et reconnaissons plutôt la validité de ces critiques. En tant que législateurs éclairés, c’est une responsabilité qui nous incombe.
On a beaucoup parlé de la nécessité de se hâter à la suite de la décision de la Cour suprême, mais nous semblons négliger le fait que, même dans la décision elle-même, la cour nous recommande d’étudier la question — je dis bien d’étudier — puis de légiférer. Pour beaucoup d’entre nous, sauter ces étapes importantes équivaut à une abdication de notre responsabilité, et pour moi personnellement, cela me rappelle où nous étions il y a trois ans au sujet d’un autre enjeu important lié à la Charte : l’isolement cellulaire.
Au lieu de poursuivre ce train en dérive avec un examen après coup de ce qui aurait pu ou dû être fait, s’il vous plaît, honorables collègues, faisons une pause, vérifions à nouveau la voie sur laquelle nous sommes, apportons des correctifs si nécessaire et continuons de manière responsable.
Notre rôle principal au Sénat est de procéder à un second examen objectif. Par conséquent, avant de céder mon temps de parole, je vous demande à tous : comment pouvons-nous procéder à un second examen objectif sans prendre d’abord le temps de réfléchir? Meegwetch. Merci.
Honorables sénateurs, il y a quelques mois, ma fille avait 15 ans, 15 ans de vie; elle a une jumelle, donc ces 15 ans comptent en double. Elle s’appelle Sheshka. Sheshka m’a écrit pendant que j’étais au Yukon avec des femmes autochtones pour célébrer le troisième anniversaire du rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
À 23 heures, heure du Québec, elle m’écrit ceci par message texte : « Maman, est-ce que c’est vrai? » Vous comprendrez que, comme mère ou comme parent, lorsqu’on se fait aborder à cette heure, on se demande ce qui se passe. Je lui ai alors demandé : « Pourquoi? De quoi parles-tu? » Elle m’a demandé ceci : « Est-ce que c’est vrai que lorsque quelqu’un est intoxiqué ou quelque chose du genre, il a le droit de me violer ou d’avoir un avantage sur moi comme femme? » On parle de ma fille de 15 ans. Vous comprendrez que c’est venu me chercher aussi. Je me suis demandé ce qui se passait. Vite, j’ai fait des recherches sur Google pour avoir de l’information. J’étais alors avec cette femme que vous avez rencontrée aujourd’hui, Mme Nagano, qui est une ancienne membre de la GRC. Ensemble, nous avons compris toute la situation.
Tous les jours, j’essaie de rassurer ma fille, parce que cette inquiétude s’est encore accrue avec les réseaux sociaux, Internet, les amis et des situations que ces jeunes femmes ont peut-être vécues et qui ont laissé des traumatismes semblables.
Alors, j’ai dit à ma fille, Sheshka, que nous sommes quelques sénatrices ici dans cette belle Chambre qui allons écrire au gouvernement du Canada, aux autres sénateurs et à la société canadienne pour leur indiquer notre intention d’examiner toutes les options qui sont à notre disposition pour répondre de façon efficace et concrète à cette décision de la Cour suprême. Je lui ai affirmé que nous allions nous engager — moi, en tout cas — à plaider pour exhorter le gouvernement fédéral à évaluer les différents leviers législatifs et politiques qui existent. Je lui ai fait cet engagement.
Vous comprenez que sa réaction aujourd’hui, lorsqu’on en a discuté de vive voix, a été la suivante : « Dans ce cas-là, maman, pourquoi est-ce que l’alcool au volant, c’est criminel, alors qu’un homme peut me violer sans que ce soit criminel? » C’était avant que nous recevions le projet de loi. Je lui ai dit de ne pas s’inquiéter et que nous allions trouver collectivement de meilleures façons de protéger les hommes et les femmes, jeunes et moins jeunes.
Je comprends que la Cour suprême soit arrivée à une décision, mais je n’ai pas vu si cette décision était assortie d’un délai, d’une période de temps, à moins que j’aie manqué ce paragraphe. On me parle d’urgence ce soir, et je le comprends. Depuis que nous sommes nées, l’urgence, on la répète surtout aux femmes autochtones.
Je suis choyée d’être entourée ici de conseillers et de conseillères juridiques et législatifs. Vous l’avez bien mentionné, chers collègues, mais nous disposons aussi d’experts en procédure, qui savent comment on doit faire les choses et comment conserver les traditions. J’aime bien entendre certains commentaires sur notre capacité d’innover et de faire les choses à l’automne, à la rentrée parlementaire. Pouvez-vous nous rassurer, moi, ma fille Sheshka et toutes ces femmes qui habitent le Grand Nord, qui n’ont peut-être pas accès aux mêmes services qui sont offerts ici, dans le sud du pays? Il y a peut-être aussi des problèmes de toxicomanie à cause de la violence coloniale et d’autres éléments qui sont cités dans tous les rapports qu’on a produits au fil du temps. Il est important d’adopter une perspective sociale, une perspective autochtone, une perspective des droits de la personne et de la justice réparatrice pour être sûr que lorsqu’on fera ces études, on puisse reconnaître qu’en effet, c’est rare, qu’il ne faudrait pas se précipiter, mais qu’en même temps, il est important de bien le faire.
Pendant cette même période, on entendra dire qu’il y a eu un viol collectif, et on sera silencieux. Ce sont encore les femmes qui doivent en débattre ou démontrer que le côté juridique est important, mais il ne faut pas oublier le côté psychosocial.
Ainsi, comme vous, j’aimerais faire les choses différemment ce soir, mais j’ai espoir que le sénateur Gold, notre représentant du gouvernement, pourra nous assurer que ce que je partage avec vous ce soir, nous allons le ressentir et le voir se concrétiser à l’automne. Quant à vous, sénateur Plett, je vous demande de rappeler à notre représentant du gouvernement qu’il faut des voix autochtones dans le cadre des prochaines études. Tshinashkumitnau.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)