Aller au contenu

Le Code criminel—La Loi réglementant certaines drogues et autres substances

Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Débat

15 novembre 2022


Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet du projet de loi C-5. Je remercie le sénateur Gold d’avoir habilement parrainé le projet de loi.

Malheureusement, le projet de loi C-5, tel qu’il est rédigé, est loin de permettre d’atteindre les objectifs énoncés par le sénateur Gold. La bonne nouvelle, cependant, honorables sénateurs, c’est que nous avons la possibilité de corriger cette situation. En effet, en tant que sénateurs, nous avons la responsabilité d’amender ce projet de loi afin de rendre aux juges leur pouvoir discrétionnaire et ainsi contribuer à prévenir les peines injustes et inefficaces.

Le projet de loi C-5 reconnaît à juste titre que les peines minimales obligatoires entraînent des peines injustes, en particulier pour les membres de groupes racialisés. Pourtant, il ne vise qu’à abroger 20 peines minimales obligatoires, ce qui représente moins du tiers des peines minimales obligatoires actuellement en vigueur. Par ailleurs, le projet de loi ne couvre qu’une fraction — 10 sur 44 — des peines minimales obligatoires qui ont déjà été déclarées inconstitutionnelles et considérées comme des peines cruelles et inusitées par les tribunaux de divers provinces et territoires.

Le projet de loi C-5 ne permettra pas d’atteindre l’objectif du gouvernement, qui consiste à réduire le nombre de Noirs ou d’Autochtones incarcérés dans les prisons fédérales, et il ne réduira certainement pas le nombre de détenues autochtones. En n’abrogeant que certaines peines minimales obligatoires, le gouvernement est loin de respecter son engagement à favoriser la réconciliation et à mettre en œuvre les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Après avoir promis aux Canadiens d’aller plus loin, le gouvernement prétend maintenant que le projet de loi C-5 est ce qu’il peut faire de mieux à l’heure actuelle — mais est-ce bien le cas?

Je ne le pense pas. Les faits demeurent irréfutables : les peines minimales obligatoires engendrent et perpétuent les inégalités et l’incarcération de masse.

Le gouvernement prétend qu’il ne peut pas en faire plus pour le moment, mais il n’a présenté aucun plan de suivi ni d’autres étapes concrètes en vue d’honorer les promesses qu’il a faites aux électeurs. Le gouvernement n’a donné absolument aucune justification de son approche fragmentaire visant à éliminer les peines minimales obligatoires pour certaines infractions mais pas pour d’autres, et ayant pour effet de conserver un ensemble disparate de peines incohérentes dans l’ensemble du pays. Le projet de loi C-5 reflète la crainte du gouvernement d’être qualifié de — tenez-vous bien — « laxiste en matière de criminalité ». Le gouvernement craint que la suppression de certaines peines minimales obligatoires soit interprétée à tort par certains comme un signe d’indulgence ou d’une volonté de décriminalisation totale, plutôt que comme un moyen concret de permettre aux juges de faire simplement leur travail et d’imposer des peines équitables dans un nombre très limité de cas, et absolument pas dans la majorité ou la totalité de ceux-ci.

En 1952, la Commission royale pour la révision du Code criminel a conclu que toutes les peines minimales obligatoires devaient être abolies. Pendant sept décennies, d’innombrables experts ont milité pour l’abrogation des peines minimales obligatoires. La Commission de vérité et réconciliation, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, les commissions s’étant penché sur la réforme du droit et la détermination de la peine, la Cour suprême du Canada ainsi que nos propres comités sénatoriaux des affaires juridiques et des droits de la personne nous ont recommandé de réparer les torts causés par les peines minimales obligatoires.

Un sondage effectué en 2017 par le ministère de la Justice indique que 9 Canadiens sur 10 appuient l’idée du gouvernement d’offrir aux juges la souplesse de ne pas imposer de peines minimales obligatoires. En 1999, dans l’arrêt Gladue, la Cour suprême du Canada a déclaré que la surreprésentation des Autochtones dans les prisons était une crise nationale. À l’époque, les Autochtones représentaient 10,6 % de la population carcérale fédérale du pays. Aujourd’hui, ils en représentent 32 %. Honorables sénateurs, si on qualifiait déjà cette situation de crise en 1999, comment diable peut-on la qualifier maintenant? Je dirais que c’est une déplorable catastrophe, et que nous devons éviter qu’elle prenne de l’ampleur.

Cela s’applique principalement aux femmes noires et autochtones. Quand j’ai été nommée au Sénat il y a six ans jour pour jour, les femmes autochtones représentaient environ 32 % de la population carcérale fédérale. Cette année, elles comptent pour la moitié des femmes détenues dans les pénitenciers fédéraux. Quant aux Noires, elles représentent 10 % des femmes purgeant une peine fédérale. Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-5 contribuera certainement à une augmentation de la criminalisation et de l’incarcération des femmes noires et autochtones, qui verront les services de protection de l’enfance leur retirer plus souvent la garde de leurs enfants.

L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a mis en évidence le fait que les problèmes qui font que les femmes autochtones risquent davantage de disparaître, d’être enlevées, d’être assassinées ou de devenir itinérantes et démunies sont les mêmes qui font qu’elles représentent la population carcérale connaissant la plus forte croissance au pays — 50 % des femmes ayant reçu une peine de deux ans ou plus et plus de 75 % des femmes qui purgent une peine de moins de deux années dans la plupart des provinces de l’Ouest. En outre, en Saskatchewan, au Manitoba et dans le Nord, de 95 % à 100 % des jeunes femmes et des filles emprisonnées sont autochtones. Dans la plupart des cas, il s’agit de survivantes des pensionnats autochtones de première ou deuxième génération qui ont vécu des traumatismes causés par des agressions sexuelles ou physiques, par des démêlés avec la protection de l’enfance ou par des problèmes de santé mentale.

Nous avons le devoir de défendre les intérêts des personnes les plus marginalisées. Dans le cas présent, chers collègues, ce sont les Autochtones et les Noirs qui comptent sur nous pour que nous cessions de les envoyer en prison et de confier leurs enfants à la protection de l’enfance. Ils méritent que nous fassions tout en notre pouvoir pour renverser la tendance.

Honorables sénateurs, faisons le bon choix. La majorité des experts venus témoigner devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles ont demandé de façon explicite que toutes les peines minimales obligatoires soient éliminées ou, au minimum, que nous amendions le projet de loi C-5 afin de permettre aux juges de ne pas imposer les peines minimales obligatoires que le projet de loi n’abroge pas.

Pourquoi? Parce que les peines minimales obligatoires sont le facteur principal qui contribue à ce que les Noirs et les Autochtones soient surreprésentés dans le système carcéral. Elles empêchent non seulement les juges de peser le pour et le contre, mais aussi d’exercer leur pouvoir discrétionnaire pour déterminer la peine juste et suffisante. Ces peines minimales obligatoires empêchent les juges d’appliquer les principes de l’arrêt Gladue. Selon les principes de détermination de la peine prévus à l’alinéa 718.2e) du Code criminel du Canada, les juges ont l’obligation de limiter le recours à l’incarcération et d’examiner les facteurs cruciaux pour déterminer une peine raisonnable. Les peines minimales obligatoires vont à l’encontre de l’objectif principal des principes de détermination de la peine.

Sans amendement, l’effet du projet de loi C-5 sur la surreprésentation des Noirs et des Autochtones dans les prisons sera minime, pas uniquement parce que seulement quelques infractions sont concernées, mais aussi parce que, comme l’ont souligné des témoins devant le comité, les données du gouvernement indiquent que ce projet de loi augmentera les accusations et les pratiques de poursuite discriminatoires. Il amplifiera, multipliera et renforcera la discrimination.

Les peines minimales obligatoires font augmenter la durée moyenne des peines pour l’ensemble des condamnations au criminel. Elles encouragent aussi les procureurs et les avocats de la défense à négocier un plaidoyer. Trop souvent, la personne accusée d’une infraction passible d’une peine minimale obligatoire est encouragée à plaider coupable à des infractions moins graves pour éviter un procès à l’issue incertaine et le risque de se voir imposer une peine minimale obligatoire, et ce, qu’elle soit coupable ou non, ce qui est d’autant plus grave si elle n’est pas coupable. De façon similaire, il arrive trop souvent qu’une femme, après avoir subi des agressions horribles pendant longtemps, agisse pour se défendre ou pour défendre une personne à sa charge, parfois en utilisant une arme. Si, en réagissant de cette façon à de graves menaces de violence, la femme cause de graves blessures à son agresseur, elle est habituellement accusée d’avoir commis une infraction violente, ce dont le projet de loi C-5 ne tient pas compte.

Si son agresseur meurt, alors la femme sera habituellement accusée de meurtre et sera passible d’une peine minimale obligatoire d’emprisonnement à vie. Pour la plupart des femmes qui se trouvent dans cette situation précaire, même si l’accusée a agi de cette façon pour se défendre ou pour défendre ses enfants ou d’autres personnes, elle sera trop souvent encouragée à plaider coupable d’homicide involontaire pour s’éviter une peine minimale obligatoire. Bien des femmes dans cette situation sont autochtones, mais ce projet de loi ne permettrait pas aux juges de bien tenir compte des circonstances entourant chaque cas et d’adapter la peine en conséquence. Dans les décisions qu’elle a rendues récemment à l’égard des affaires Bissonnette, Ndhlovu et Sharma, la Cour suprême du Canada a confirmé que le Parlement a l’obligation de se pencher sur le bien-fondé des peines et qu’il ne devrait pas s’en remettre aux tribunaux lorsqu’il s’agit de combler les lacunes actuelles de la réforme en matière de détermination de la peine.

En 2015, le premier ministre Trudeau avait promis au monde qu’il allait :

[…] en partenariat avec les communautés autochtones, les provinces, les territoires et d’autres partenaires essentiels, mettre intégralement en œuvre les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, en commençant par donner suite à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Il a donné le mandat à la ministre de la Justice de réduire le nombre d’Autochtones dans les prisons, et les lettres de mandat de tous les ministres incluent un engagement à promouvoir la réconciliation et à mettre en œuvre la déclaration de l’ONU.

Plus récemment, notamment devant l’ONU et lors de la deuxième Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, le premier ministre a réaffirmé cet engagement et déclaré qu’il avait « vraiment hâte d’en faire encore plus ». Moi aussi j’ai hâte. Le projet de loi C-5 fait fi des appels à l’action nos 30 et 32 de la Commission de vérité et réconciliation, ainsi que des appels à la justice nos 5.14 et 5.21 du rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, qui mettent l’accent sur l’abrogation de toutes les peines minimales obligatoires et sur la réduction de la surreprésentation des Autochtones dans le système carcéral, plus particulièrement des femmes autochtones.

Nombre de dirigeants autochtones et noirs, y compris la cheffe nationale Archibald de l’Assemblée des Premières Nations, aujourd’hui justement, nous ont demandé d’écouter les conseils de notre ancien collègue l’honorable Murray Sinclair et de nous attaquer dès maintenant à cette crise. Nous avons déjà condamné ceux qui attendent ce changement à des catastrophes encore plus graves. Nous devons prendre dès maintenant des mesures pour permettre aux juges d’accomplir leur travail et pour les libérer des limitations actuelles des peines minimales obligatoires sur leur capacité de tenir compte de toutes les circonstances pour déterminer des peines appropriées.

Le gouvernement prétend que tout amendement signifierait la mort du projet de loi. Nous avons déjà entendu ces arguments auparavant. Il a dit la même chose lorsque le Sénat a insisté pour maintenir les droits reproductifs des femmes, et aussi lorsque le Sénat a ajouté l’article 718.2e) aux principes de détermination de la peine de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Il a dit la même chose lorsque nous avons insisté pour supprimer l’inégalité entre les sexes dans les modifications du projet de loi S-3 sur la Loi sur les Indiens.

La liste est longue, chers collègues. Dans tous ces cas, non seulement la menace était infondée, mais les amendements du Sénat ont grandement amélioré des projets de loi imparfaits. Le Sénat doit tirer les leçons du passé et ne pas répéter ses erreurs. Tirons les leçons de notre histoire d’institutionnalisation des plus marginalisés. Faisons confiance aux données et ne permettons pas que les peines minimales obligatoires et l’incarcération massive qui en résulte, ainsi que le placement d’enfants par l’État, soient notre héritage institutionnel.

Chers collègues, nous avons une véritable catastrophe sur les bras. Nous avons permis que cela se produise. Nous savons que nos lois et nos politiques, à l’instar des pensionnats, des tombes anonymes et de la crise des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées, perpétuent et exacerbent les injustices. Sachant cela, nous avons le choix. Nous pouvons continuer à faire l’autruche ou nous pouvons agir. Nous pouvons décider de corriger le projet de loi C-5 pour tenter de réparer les torts, d’atteindre les objectifs que le gouvernement a fixés et de mettre fin aux préjudices les plus flagrants.

Chers collègues, ceux que nous servons ont besoin de notre courage maintenant plus que jamais. Il est de notre responsabilité de ne pas les laisser tomber. Meegwetch, merci.

L’honorable Bernadette Clement [ + ]

Chers collègues, je vais présenter aujourd’hui un amendement au projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, qui vise à abroger certaines peines minimales. Nous avons discuté et débattu de ce projet de loi en long et en large. Plus précisément, l’autre endroit a entendu 52 témoins. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles en a entendu 45. L’étude de ce projet de loi n’a pas été facile. Nous voici en novembre 2022. Il est temps d’adopter ce projet de loi, mais surtout, il est temps de le faire correctement.

Je l’ai entendu maintes et maintes fois : le mieux est l’ennemi du bien. Le projet de loi C-5 n’est pas assez bien, et les amendements ne le rendront pas mieux.

En 2021-2022, les Noirs représentaient 9,2 % de l’ensemble de la population carcérale, alors qu’ils représentaient environ 3,5 % de la population canadienne. Les Autochtones, qui comptent pour environ 5 % de la population adulte, continuent d’être largement surreprésentés dans le système correctionnel fédéral, puisqu’ils constituent 28 % de la population carcérale fédérale et près d’un tiers des détenus. En outre, 50 % des femmes détenues dans des prisons fédérales au Canada sont des femmes autochtones.

L’examen de ces données nous montre à quel point nous sommes loin du « bien ». Nous approchons-nous du « mieux »? Que nenni. Ce ne sera pas possible, mais un amendement permettrait d’améliorer les choses. L’amendement que je vais proposer rapproche le projet de loi C-5 du « bien » — et non du « mieux » —, afin de réduire la surincarcération des Noirs, des Autochtones et des Canadiens marginalisés.

Beaucoup de discussions et d’actions à l’égard du projet de loi C-5 se sont enchevêtrées dans la politique, mais soyons clairs : il ne s’agit pas d’être laxiste ou sévère envers les criminels. Il s’agit d’établir des lois qui sont efficaces et qui permettent d’atteindre nos objectifs. Les peines minimales obligatoires sont présentées au public comme étant cohérentes, c’est-à-dire qu’elles constituent une punition prévisible pour le crime. Cependant, le site Web du ministère de la Justice mentionne une recherche de mars 2018 qui indique :

La vaste majorité des Canadiens (95 %) estiment que pour en arriver à des peines justes et appropriées pour les délinquants, il faut accorder au moins un certain pouvoir discrétionnaire aux juges.

Je tiens à être claire. Ce n’est pas une question de politique. Il s’agit davantage de la nature et de la forme des messages que nous communiquons au public.

Pendant que je réfléchissais au projet de loi C-5 et à la présentation d’un amendement, je suis retournée au discours que le sénateur Gold a prononcé il y a deux semaines au Sénat et j’ai relu les témoignages. Le sénateur Gold a déjà cité plusieurs témoins du comité, mais je voudrais reprendre d’autres propos de ces témoins parce qu’ils croient au pouvoir discrétionnaire des juges, la raison pour laquelle je présente un amendement aujourd’hui.

Catherine Latimer, la directrice générale de la Société John Howard du Canada, a dit ce qui suit :

Nous sommes largement en faveur d’accorder aux juges le pouvoir discrétionnaire d’imposer une peine moindre que la peine minimale obligatoire lorsque cela permet de rendre une peine juste et proportionnelle. Ce point de vue est aussi celui de nombreux autres témoins et experts [...] qui recommandent de modifier le projet de loi pour accorder aux juges ce pouvoir discrétionnaire, que certains ont qualifié de soupape de sécurité pour empêcher les injustices qu’entraînent inévitablement les peines minimales obligatoires. Il s’agit d’une importante occasion à saisir pour favoriser la justice, et la Société John Howard vous exhorte à agir à cet égard.

Michael Rowe, de l’Association canadienne des chefs de police, a expliqué ceci :

[...] le Parlement pourrait accorder aux juges des pouvoirs supplémentaires par le biais d’une clause ou d’un mécanisme d’allégement, ce que d’autres pays ayant des peines minimales obligatoires ont, mais qui est présentement absent au Canada.

Brian Sauvé, président et fondateur de la Fédération de la police nationale, a dit ce qui suit :

Je pense que le fait d’accorder à notre système judiciaire un pouvoir discrétionnaire est une excellente décision. J’ai confiance dans le système judiciaire. Honnêtement, les juges deviennent des juges pour une bonne raison, et nous devons avoir plus de confiance en ces juges.

Janani Shanmuganathan, une avocate qui a comparu devant le comité, nous a dit :

En fin de compte, les peines minimales obligatoires privent les juges du pouvoir discrétionnaire de peser des facteurs importants comme les circonstances de l’infraction et la culpabilité morale du délinquant. Un juge de première instance ne peut pas s’arrêter à se demander quelle peine la personne mérite vraiment. La peine minimale a la même taille pour tous, sauf que les délinquants sont de formes et de tailles différentes.

Elle a ajouté :

Vraiment, c’est au Parlement de décider. C’est à vous tous et à votre gouvernement que revient le rôle d’éliminer les peines minimales obligatoires et de remettre le pouvoir discrétionnaire aux juges de première instance, comme il se doit.

En plus des experts, de la Cour suprême du Canada, des commissions du droit et des commissions sur la détermination de la peine, une nette majorité des 45 témoins que nous avons entendus au comité appuient le pouvoir discrétionnaire des juges.

Je ne suis pas criminaliste. J’ai travaillé comme avocate dans des cliniques d’aide juridique, et j’en suis fière. L’une des leçons les plus profondes que j’ai tirées de mes trois décennies de pratique — eh oui, trois décennies — vient des multiples générations de clients que j’ai représentés. Après 15 ans de pratique, quand j’avais environ 40 ans — j’en ai maintenant 57, si vous vous posez la question —, les enfants de certains de mes clients sont aussi devenus mes clients.

C’est le résultat du cycle de pauvreté et du manque de soutien dont bénéficient les gens qui se butent à des obstacles dans notre société. J’aime aider les gens, cela m’a toujours motivée, mais j’ai parfois l’impression que c’est une cause désespérée. Savez-vous toutefois ce que j’ai aussi fait à l’âge de 40 ans? Je me suis lancée en politique. Je ressentais le besoin de m’attaquer davantage aux systèmes qui sont la source des problèmes. Je tenais à faire ma part pour briser le cycle de la pauvreté. C’est ce qui m’a amenée ici, à la table des décideurs, avec vous tous.

Pendant les travaux du comité, la sénatrice Pate, une collègue douée et dévouée, a présenté des arguments cruciaux en faveur du pouvoir discrétionnaire des juges. Je reviendrai ici sur les enjeux qu’elle a abordés.

Premièrement, le pouvoir discrétionnaire des juges est accepté dans d’autres provinces et territoires. Julian Roberts, professeur canadien de justice pénale à l’Université d’Oxford, a décrit les différentes façons de rédiger un amendement sur le pouvoir discrétionnaire des juges. Il a souligné que le recours aux « circonstances exceptionnelles » est la norme la plus élevée pour les juges et qu’il s’agit de l’expression utilisée au Royaume-Uni. Le sénateur Dalphond a fait le lien avec la juge en chef McLachlin lorsqu’elle a écrit au nom de la majorité dans l’affaire Lloyd. Comme l’a dit le sénateur Dalphond, elle a choisi d’utiliser l’expression « circonstances exceptionnelles ».

J’ai écouté attentivement son argument, et je remercie le sénateur Dalphond d’avoir souligné ce point important : la version présentée au comité ne contenait pas l’expression « circonstances exceptionnelles » et elle a été rejetée. Veuillez donc noter que l’amendement que je vais présenter a été mis à jour pour utiliser l’expression « circonstances exceptionnelles ».

Deuxièmement, les peines minimales obligatoires ne dissuadent pas et ne dénoncent pas la criminalité. En revanche, elles nuisent aux personnes qui sont les plus vulnérables et marginalisées et qui sont le plus traitées comme des criminels, notamment les Autochtones et les Noirs. Le site Web de Justice Canada indique ce qui suit :

Certaines données mises au jour portent à croire que les peines sévères — telles les PMO — ne sont pas des mesures efficaces de prévention du crime [...]

Même lorsqu’une baisse de la criminalité est enregistrée dans les territoires où sont appliquées des PMO, on constate souvent, à l’issue d’une analyse rigoureuse, que celle-ci s’est amorcée avant l’instauration des PMO et que la plupart des tendances mesurées traduisent d’importantes transformations en matière de criminalité à l’échelle nationale [...]

Dans la partie suivante, on indique ce qui suit :

Les [peines minimales obligatoires] ont un impact disproportionné sur les personnes défavorisées et les membres des minorités, notamment les populations autochtones du Canada. En effet, en interdisant au juge qui prononce la sentence criminelle de prendre en compte le contexte social, elles peuvent avoir des conséquences nuisibles démesurées sur les personnes vulnérables.

Troisièmement, la disparité des lois provinciales en matière de peines minimales obligatoires crée des problèmes au point de vue constitutionnel. Comme on peut le lire sur le site du ministère de la Justice :

En date du 3 décembre 2021, le ministère de la Justice Canada suivait 217 contestations de [peines minimales obligatoires] en vertu de la Charte. Cela représente un peu plus du tiers (34 %) de toutes les contestations du Code criminel fondées sur la Charte [...]

Debra Parkes, professeure de droit à l’Université de la Colombie-Britannique, a dit au comité :

Nous avons eu un ensemble disparate inacceptable et sans principe de lois au Canada où les peines minimales obligatoires ont été déclarées inconstitutionnelles dans certaines provinces mais pas dans d’autres, et cela persiste même avec le projet de loi C-5. Bon nombre de ces lois ne sont pas modifiées par le projet de loi C-5, de sorte que nous continuerons d’avoir cet ensemble disparate.

Quatrièmement, les Autochtones et les Noirs sont moins susceptibles d’avoir les ressources nécessaires pour porter efficacement en appel les condamnations injustes imposées par les peines minimales obligatoires. Janani Shanmuganathan l’a bien expliqué au comité, en déclarant :

[...] ce que je dirais au sujet du plaidoyer de culpabilité, c’est que l’existence de peines minimales obligatoires peut seulement encourager les gens à plaider coupable lorsqu’ils n’ont pas besoin de le faire ou ne devraient pas le faire, parce que s’ils devaient subir un procès pour une accusation donnée et qu’ils perdaient, ils auraient alors la certitude d’obtenir au moins la peine minimale obligatoire, sinon plus. Si on leur permet de plaider coupable à une infraction moins grave, et d’ainsi obtenir une peine qui ne sera pas la peine minimale obligatoire, il devient d’autant plus intéressant pour eux de plaider coupable.

Cinquièmement, le gouvernement fédéral s’est engagé à la réconciliation. Les appels à la justice 5.14 et 5.21 de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées soulignent les répercussions des peines minimales obligatoires et la surreprésentation tout à fait démesurée des femmes et des filles autochtones dans le système de justice pénale.

Les appels à l’action 30 et 32 de la Commission de vérité et réconciliation traitent de la surreprésentation des Autochtones en détention et demandent une dérogation aux peines minimales obligatoires. Ils demandent cela.

Comme l’a déclaré une témoin, Pam Hrick, directrice exécutive du Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes :

Ce comité a le pouvoir de forcer la main du gouvernement, d’insister pour que le Parlement ne remette pas à plus tard la mise en œuvre d’encore un autre appel à l’action. La mise en œuvre de l’appel à l’action 32 est un gain facile, et je vous exhorte à vous en prévaloir.

Cet argument a été repris par l’honorable Murray Sinclair lorsqu’il a déclaré :

Le gouvernement n’a fourni aucune donnée pour justifier son approche fragmentaire en vue d’abroger les peines minimales obligatoires, ni expliqué pourquoi il a rejeté l’appel à l’action no 32 de la Commission de vérité et réconciliation pour les peines minimales obligatoires que le projet de loi C-5 permet de conserver. J’exhorte le gouvernement à revoir sa position et à mettre pleinement en œuvre l’appel à l’action no 32. Nous devons éviter les solutions simplistes, punitives et uniques, et nous devons faire confiance aux juges et leur permettre de faire ce pour quoi ils ont été nommés.

Cet amendement reflète ces arguments et les recommandations exprimées par la majorité des témoins au comité. Il permet aux juges, dans des circonstances exceptionnelles, de ne pas appliquer les peines minimales obligatoires qui subsistent lorsqu’une peine plus adaptée est indiquée.

Haut de page