Le Code criminel—La Loi réglementant certaines drogues et autres substances
Motion d'amendement--Débat
15 novembre 2022
Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :
Que le projet de loi C-5 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à la page 3, par adjonction, après la ligne 10, de ce qui suit :
« 13.1 La même loi est modifiée par adjonction, après l’article 718.3, de ce qui suit :
718.4 (1) Le tribunal peut infliger à l’accusé une peine autre que la peine minimale prévue pour l’infraction si, après examen de l’objectif essentiel et des principes énoncés aux articles 718 à 718.2, il est convaincu que des circonstances exceptionnelles le justifient.
(2) Le tribunal motive toute décision d’infliger une peine autre que la peine minimale prévue pour une infraction et inscrit ses motifs au dossier de l’instance. ».
Merci.
Honorables sénateurs et sénatrices, je comprends l’esprit dans lequel cet amendement a été présenté, et je partage largement les valeurs qui le sous-tendent. Cependant, je prends la parole aujourd’hui pour expliquer pourquoi le gouvernement ne l’appuie pas.
Il est certain qu’un amendement à cet égard a été recommandé par plusieurs témoins. En même temps, des intervenants crédibles ont exprimé des préoccupations quant aux conséquences imprévues pouvant découler de cette approche dite de la « soupape de sécurité », dont l’Association du Barreau canadien, la Criminal Lawyers’ Association et Janani Shanmuganathan, une avocate qui a plaidé avec succès devant la Cour suprême dans l’affaire historique R. c. Nur sur les peines minimales obligatoires.
L’une des principales inquiétudes est que cet amendement pourrait, en fait, stimuler la prolifération des peines minimales obligatoires dans le Code criminel.
Comme l’a mentionné Tony Paisana, de l’Association du Barreau canadien :
Compte tenu de l’article 12 de la Charte, si l’on ajoute une soupape de sécurité, cela voudra dire en fait que toute peine minimale obligatoire future sera à l’abri d’une contestation fondée sur la Charte, ce qui risque d’encourager l’imposition de peines minimales obligatoires à l’avenir [...]
Autrement dit, adopter cet amendement pourrait entraîner l’effet non intentionnel de fournir une protection constitutionnelle à un futur gouvernement qui serait tenté de greffer une peine minimale obligatoire à tout ce qui bouge. Cela voudrait dire que, dans un nombre croissant de cas, au moment de déterminer une peine, on présumerait qu’une peine minimale obligatoire s’applique. La défense aurait la pénible tâche de réfuter cette présomption.
À ce sujet, il est important de garder à l’esprit le témoignage de Julian Roberts, un criminologue de l’Université d’Oxford, devant le comité. S’exprimant sur la valve de sécurité qui existe en Angleterre et au pays de Galles, il a déclaré qu’« un très petit nombre de délinquants seulement peuvent en bénéficier ».
Cela nous porte à nous demander quelles affaires seront jugées dignes du traitement spécial de la « soupape de sécurité ». Au comité, Anne-Marie McElroy, de la Criminal Lawyers’ Association, nous a prévenus que l’approche proposée par un amendement de ce type pourrait, et je cite :
[...] ne [profiter] qu’aux personnes privilégiées qui n’appartiennent pas aux groupes marginalisés dont on espère réduire le taux d’incarcération ou de représentation dans le système.
De plus, Mme Shanmuganathan croit que cela ne ferait, et je cite, « qu’entraîner d’autres litiges sur ce que nous considérons comme une “exception” ».
Bien sûr, les personnes qui ont de l’argent et des privilèges seront mieux placées pour s’engager dans les longs litiges pouvant être nécessaires pour profiter d’une telle disposition de « soupape de sécurité ». Comme je l’ai reconnu au comité, on pourrait faire valoir un argument semblable au sujet du processus de contestations fondées sur la Charte. Toutefois, au moins, pour les contestations fondées sur la Charte, une affaire n’a qu’à être plaidée avec succès une seule fois pour que d’autres personnes, dans des circonstances semblables, puissent en tirer profit. L’approche proposée par cet amendement pourrait condamner chaque délinquant à devoir plaider sa propre affaire.
Cela dit, selon l’Association du Barreau canadien, si les peines minimales obligatoires devenaient « à l’abri d’une contestation fondée sur la Charte » en raison de cet amendement, cela pourrait mettre un frein aux contestations de ces peines qui sont devant les tribunaux à l’heure actuelle.
Par ailleurs, lors des séances du comité, nous avons discuté de la possibilité d’éliminer simplement toutes les peines minimales obligatoires. Pour être franc, comme je l’ai dit plus tôt, le public canadien et les députés élus à la Chambre des communes ne sont tout simplement pas rendus là.
Plusieurs personnes ayant contesté la constitutionnalité des peines minimales obligatoires ont obtenu gain de cause, et d’autres contestations se trouvent devant les tribunaux à l’heure où l’on se parle. Si notre objectif est d’accorder aux juges un plus grand pouvoir discrétionnaire dans la détermination de la peine, n’amendons pas le projet de loi C-5 d’une manière qui risque de faire obstacle à ce progrès.
Enfin, si nous adoptions un tel amendement, nous aurions intérêt à prendre minutieusement en considération la façon dont les dispositions qui servent de soupape de sécurité fonctionnent ailleurs. Des variantes de ceci existent dans d’autres pays, mais elles sont toutes différentes. À certains endroits, la soupape de sécurité ne s’applique qu’à certains types d’infractions, telles que les infractions liées aux drogues ou à des actes criminels non violents. À d’autres endroits, le juge peut déroger à la peine minimale obligatoire si l’accusé coopère avec les autorités, par exemple, en acceptant de plaider coupable à certains chefs d’accusation ou de témoigner contre un tiers. À plusieurs endroits, la loi énumère des facteurs dont le juge doit tenir compte lorsqu’il décide si un cas mérite un traitement exceptionnel et, évidemment, ces facteurs varient d’un État à l’autre.
Il y a également la question du libellé. D’ailleurs, je vous remercie de votre discours, sénatrice Clement. C’était très réussi.
L’amendement à l’étude propose de permettre qu’on inflige une peine autre que la peine minimale obligatoire prévue si des « circonstances exceptionnelles » le justifient. La proposition qui avait été présentée au comité — et rejetée par ce dernier — parlait plutôt de permettre aux juges d’infliger une peine autre que la peine minimale obligatoire prévue dans les cas où cela sert l’intérêt de la justice.
Il existe de nombreuses autres approches possibles. Aux États‑Unis, une proposition a été faite pour qu’il soit possible d’infliger une peine autre que la peine minimale obligatoire prévue s’il s’avère nécessaire de le faire pour éviter d’enfreindre les lignes directrices en matière de détermination de la peine. En Nouvelle‑Zélande, jusqu’à récemment, la loi exigeait qu’on impose à certains récidivistes la peine maximale, à moins qu’une telle peine soit perçue comme étant manifestement injuste.
Chers collègues, ce genre de détails comptent. Lorsque, au comité, on a demandé à Madeleine Redfern, présidente de la Nunavut Inuit Women’s Association, si elle appuyait l’approche de la soupape de sécurité, elle a répondu par des questions très légitimes qu’elle se pose : « [...] qui conçoit cette soupape. Comment fonctionne-t-elle dans la pratique? Comment les gens sont-ils tenus responsables lorsque le système échoue? »
Avant d’adopter une telle mesure, il serait judicieux que l’on mène une analyse approfondie des exemples internationaux, que l’on entende des témoignages sur les avantages et les inconvénients des différents modèles et que l’on obtienne des avis d’experts sur la manière dont un langage législatif particulier est susceptible d’être appliqué.
À cet effet, nous avons obtenu la perspective d’un seul témoin au comité, à la toute fin de notre étude. Il s’agissait d’un éminent criminologue, mais je ne pense pas que ce témoignage unique soit suffisant.
Le comité s’est concentré sur le contenu du projet de loi C-5. Les témoins nous ont répété qu’il s’agissait d’un bon projet de loi et d’un pas en avant considérable. Tout au long de notre étude, les criminalistes nous ont exhortés à adopter le projet de loi C-5 sans délai. De plus, depuis la récente décision de la Cour suprême dans l’arrêt Sharma, qui a confirmé de justesse les restrictions sur les peines avec sursis, les appels visant à adopter rapidement le projet de loi C-5 n’ont fait que s’intensifier.
L’Association du Barreau canadien, ou ABC, a déclaré ceci :
Même s’il y a certainement place au débat et à l’amélioration, il est essentiel que nous ne jetions pas le bébé avec l’eau du bain en visant la perfection. Il est crucial que le projet de loi soit adopté et qu’il le soit rapidement.
Chers collègues, l’Association des avocats noirs du Canada nous a adressé l’exhortation suivante : « [...] nous vous encourageons à adopter promptement ce projet de loi afin que nous puissions commencer à appliquer sur le terrain [...] »
Cette association a aussi déclaré : « Nous ne pouvons laisser le mieux être l’ennemi du bien. »
Voici ce que notre collègue de l’autre endroit, le député néo‑démocrate Randall Garrison, a dit au Hill Times concernant l’étude du Sénat sur le projet de loi C-5 :
[...] ce projet de loi a l’appui de tous les partis et, si vous l’adoptez, nous aurons fait notre part [...] Si vous...
... les sénateurs...
[...] voulez accomplir d’autres choses, alors adoptez un [nouveau] projet de loi et renvoyez-le-nous [...], mais ne retardez pas celui-ci.
Chers collègues, ce sont de bons conseils.
En tout respect, je vous exhorte à vous opposer à cet amendement, à la fois en raison des graves préoccupations soulevées par des intervenants très crédibles, et en raison de l’importance de faire progresser rapidement le projet de loi vers la sanction royale. Je vous remercie de votre aimable attention.
Le sénateur Gold accepterait-il de répondre à une question?
Oui, bien sûr.
Sénateur Gold, je vous remercie.
L’Association du Barreau canadien est en fait en train de reconsidérer sa position, malgré ce qu’a indiqué le futur président sortant.
Je veux revenir sur quelque chose que vous avez dit à propos de l’affirmation de l’Association du Barreau canadien selon laquelle ce type de clause mettrait les peines minimales obligatoires à l’abri des contestations constitutionnelles. Ne conviendriez-vous pas que des autorités comme l’honorable Murray Sinclair, qui, par l’entremise de la Commission de vérité et réconciliation, a tenu compte de tout cela, auraient une certaine connaissance de la pertinence de ces types de soupapes et du fait que la Cour suprême du Canada, dans l’affaire R. c. Bissonnette, au paragraphe 111, a déclaré être d’avis que :
Quoi qu’il en soit [...] l’existence d’un pouvoir discrétionnaire ne saurait sauvegarder une disposition qui permet l’infliction d’une peine cruelle et inusitée par nature. [...]. Étant donné qu’une telle peine doit purement et simplement être exclue de l’arsenal des mesures punitives [...]
Est-ce que cela ressemble, selon vous, à une déclaration de la Cour suprême du Canada selon laquelle ce genre de modification permettrait de maintenir une peine entraînant une violation de la Charte?
Je vous remercie de votre question. Il y a deux choses que j’aimerais dire. Premièrement, je respecte énormément l’autorité des gens et des anciens collègues que vous avez mentionnés ainsi que celle des autres juristes au Sénat. Deuxièmement, des personnes raisonnables peuvent être en désaccord. Le gouvernement estime, à juste titre, que cela augmente le risque que les futures peines minimales obligatoires ne puissent pas être déclarées inconstitutionnelles par les tribunaux.
Je tiens également à répondre à vos observations sur l’Association du Barreau canadien. Devant le comité, cette association était représentée par Tony Paisana, un ancien président de la Section nationale du droit pénal, et, comme je l’ai dit et comme les membres du comité le savent, il a clairement exprimé des réserves au sujet de l’approche de la soupape de sécurité.
Ce matin même, j’ai demandé à mon bureau de vérifier auprès de la Section nationale du droit pénal de l’Association du Barreau canadien pour voir si elle avait changé sa position, comme vous le laissez entendre dans votre question. Chers collègues, voici la réponse que nous avons reçue :
Bien que la section s’efforce continuellement de s’assurer que ses positions demeurent bien fondées, il serait faux de penser que la position de la section sur le projet de loi C-5 qui a été présentée au comité cet automne par nos représentants Tony Paisana et Jody Berkes est en train d’être reconsidérée ou modifiée ou qu’elle évolue actuellement.
Accepteriez-vous de répondre à une autre question, sénateur Gold?
Volontiers.
Comme vous le savez peut-être, l’Association du Barreau canadien a adopté en 2011 une résolution qui autorise exactement ce genre de mécanisme. Bien que je n’aie pas dit que c’était le cas actuellement, l’association aura de nouveaux dirigeants et, d’après ce qui a été clairement communiqué à notre bureau, en réponse à l’envoi du courriel qui provenait de Tony Paisana aujourd’hui, la question n’est vraiment pas réglée.
Je tiens à revenir à la Cour suprême du Canada. Sénateur Gold, êtes-vous en train de dire au Sénat que la position de l’Association du Barreau canadien aurait préséance sur ce qu’a dit la Cour suprême du Canada à ce sujet?
Non, sénatrice Pate, ce n’est pas ce que je dis. À titre de parlementaires, de membres de l’une des Chambres du Parlement, nous avons pour responsabilité de légiférer dans l’intérêt des Canadiens. Le projet de loi à l’étude vient de la Chambre des communes, où il a reçu l’appui du gouvernement et d’un autre parti, le Nouveau Parti démocratique. Le gouvernement est minoritaire, et c’est la politique qu’il choisit de mettre de l’avant.
Je soutiens respectueusement que le ministre de la Justice a expliqué avec clarté et franchise au comité et sur d’autres tribunes que, selon le gouvernement du Canada, les mesures changeront les choses en ce qui concerne l’incarcération excessive et la surreprésentation des Autochtones, des Noirs et d’autres membres marginalisés de la société; qu’il s’agit d’un pas important dans la bonne direction; que les peines minimales obligatoires qui sont abrogées touchent un nombre important de cas impliquant des membres de ces groupes; que le rétablissement des possibilités de peine avec sursis représente une avancée majeure sur laquelle pratiquement tous les témoins s’entendent; et que c’est ce que le gouvernement et la Chambre des communes estiment être l’avancée qui est appropriée et qui, selon eux, est conforme à ce que le public juge acceptable et peut accepter.
Nous avons mené une étude sérieuse, nous avons entendu des témoins, nous avons entendu un nombre renversant de témoignages selon lesquels le projet de loi est bon et mérite d’être adopté. Aucun projet de loi n’est parfait. Tous les projets de loi, peut-être, peuvent être améliorés, mais il s’agit d’une décision stratégique d’un gouvernement minoritaire que nous avons étudiée soigneusement et judicieusement. Nous avons fait notre devoir constitutionnel. Je crois qu’il est temps pour nous d’accomplir notre devoir constitutionnel et d’adopter le projet de loi sans amendement. C’est pourquoi le gouvernement est d’avis que l’amendement ne devrait pas être appuyé, et j’invite tous les sénateurs à voter contre.
Honorables sénateurs, je souhaite prendre la parole au sujet de l’amendement que la sénatrice Clement propose pour le projet de loi C-5, et parler par le fait même de ce projet de loi. Mes observations se déclineront en deux volets. Premièrement, je vais donner trois raisons pour lesquelles je suis sensible à ce qui est proposé dans l’amendement, et je dois admettre que j’appuie le principe qui sous-tend presque tous les arguments qui ont été avancés en faveur du projet de loi.
Deuxièmement, je vais parler des raisons pour lesquelles je vais voter à contrecœur contre l’amendement et voter pour le projet de loi sans amendement.
Dans cette enceinte et au comité, plusieurs intervenants ont donné une foule de raisons qui expliquent pourquoi le projet de loi C-5 comporte de bonnes mesures législatives qu’on aurait pu cependant améliorer considérablement. Je vais m’en tenir aujourd’hui aux dispositions du projet de loi visant à éliminer certaines peines minimales obligatoires du Code criminel, et j’aimerais faire valoir trois points à ce sujet.
Premièrement, j’aimerais parler de l’importance et de l’avantage d’accorder à la magistrature un pouvoir discrétionnaire pratiquement sans limites en ce qui a trait à la détermination de la peine. Même si nous pouvons tous trouver des cas où un juge a rendu une décision ou imposé une peine qui nous préoccupe, de façon générale, le Canada est doté d’une magistrature exceptionnelle composée de juristes éclairés.
En matière de détermination de la peine, ce n’est pas comme si les juges imposaient des sanctions aux personnes condamnées sur la base d’un caprice. D’ailleurs, il existe tout un ensemble de règles de droit sur la question de la détermination de la peine dans les affaires criminelles. En effet, dans mon ancienne faculté de droit, on offre un cours sur les lois relatives à la détermination de la peine, comme dans de nombreuses autres facultés de droit au Canada. Le cadre juridique de la détermination de la peine est complexe et il doit être adapté aux circonstances de chacune des affaires, comme on nous l’a expliqué.
Avec le plus grand respect pour les parlementaires, en général — et en particulier dans les affaires qu’ils connaissent très bien, ce qui est compréhensible —, les juges sont les meilleurs arbitres de la sanction appropriée.
Il me semble étrange que nous soyons parfaitement à l’aise avec le fait que, dans la grande majorité des cas, les juges prennent seuls les décisions relatives à la culpabilité ou à l’innocence, ce qui est de loin leur fonction la plus importante, mais que nous perdions soudainement confiance en eux lorsqu’il s’agit de déterminer une peine, et que nous leur disions, du moins en partie, ce qu’ils doivent faire, sans tenir compte des faits particuliers de l’affaire qu’ils jugent.
Mon deuxième point a été mentionné par quelques témoins, et certains aspects de mon ancienne carrière en enseignement de l’éthique juridique font en sorte que ce point me tracasse. Dans certains cas, comme nous l’avons vu devant les tribunaux et dans le cadre d’arguments présentés au Sénat, l’imposition de peines minimales obligatoires est manifestement injuste, voire inconstitutionnelle, non seulement de mon point de vue, du vôtre, de celui de l’accusé ou de l’avocat de la défense, mais aussi de celui du procureur. Certains d’entre vous déplorent peut-être le cœur de pierre des procureurs, mais, selon mon expérience, la vaste majorité d’entre eux veulent que justice soit faite. Pour ce faire, il faut parfois éviter d’imposer à un accusé une peine qui serait injuste, même aux yeux du procureur.
Que peut donc faire le procureur? La réponse évidente est qu’il cherche une autre accusation criminelle, plus ou moins associée aux éléments de preuve, qui entraîne une punition correspondant mieux au crime — en fait, la sénatrice Batters a suggéré une telle approche dans son échange avec le sénateur Gold un peu plus tôt —, puis il accuse la personne de cette infraction.
Il y a de fortes chances que l’accusé ne soit pas coupable de cette infraction qui correspond plus au moins à l’acte qu’il a commis, et que tant le poursuivant que l’avocat de la défense en soient conscients. Cependant, l’avocat de l’accusé conseille à son client de plaider coupable afin d’éviter d’être condamné pour l’infraction qu’il a probablement commise parce que l’imposition d’une peine minimale obligatoire donnerait lieu à une peine bien plus sévère et injuste.
D’aucuns feront valoir que ce n’est que justice. Cependant, en agissant ainsi, le poursuivant et l’avocat de la défense ont tous les deux violé les obligations centrales de leurs codes de conduite et leurs obligations professionnelles. Le poursuivant doit porter une accusation, alors qu’il sait qu’il n’y a pas de possibilité raisonnable de condamnation. Or, les poursuivants qui ne se conforment pas à cette norme s’attirent des ennuis puisqu’il s’agit d’une de leurs obligations centrales. Quant à l’avocat de la défense, il doit recommander à son client de plaider coupable à une infraction criminelle qu’il n’a fort probablement pas commise.
Étant donné que nous sommes dotés d’un système de justice très avancé et envié, il est fort étrange d’avoir à demander tant aux poursuivants qu’aux avocats de la défense d’agir de façon non éthique parce que la sévérité des peines minimales obligatoires empêcherait autrement l’obtention de justice dans ces cas problématiques.
Je dirais que ces deux points s’appliquent à presque toutes les peines minimales obligatoires et seraient réglés par des dispositions législatives qui supprimeraient l’imposition de telles peines.
Mon troisième point concerne spécifiquement l’amendement que nous examinons. J’appuie le principe de l’amendement. En effet, plus tôt cet automne, quand j’étais porté par l’espoir, j’ai supervisé la rédaction d’un amendement presque identique à celui que propose la sénatrice Clement.
Soyons clairs. Je souscris à l’idée que les gens doivent être tenus responsables de leurs actes. Cependant, la forme que doit prendre cette responsabilité peut varier considérablement. Dans certains cas, cela devrait être l’incarcération, et parfois pour une très longue période. Parfois moins. Si nous pensons que la réinsertion est un objectif important du système de justice pénale, les longues peines d’emprisonnement, voire l’emprisonnement tout court, ne sont peut‑être pas la solution.
Il s’agit d’un débat sérieux et j’hésite à introduire ne serait-ce qu’un soupçon de légèreté, mais, comme vous vous en doutez peut‑être, je ne peux pas résister. J’ai été sous-procureur général et sous‑ministre de la Justice de la Saskatchewan pendant un certain temps. J’étais notamment responsable des prisons provinciales. Comme la sénatrice Pate et d’autres l’ont fait remarquer, les prisons provinciales comptent un grand nombre de détenus autochtones — ce qui est profondément troublant — et je pense que nous avons réussi, à certains égards, à améliorer la situation.
J’avais l’habitude de me rendre régulièrement dans les prisons et de passer un tiers de mon temps avec les gestionnaires, un tiers avec les gardiens et le dernier tiers avec les détenus. Une fois, lors d’une visite au Centre correctionnel provincial de Prince Albert, j’ai rencontré des détenus, dont un qui participait à un programme de formation et qui était accroupi, une lampe à souder à la main, pour couper du métal. Cela faisait partie de sa formation. J’ai discuté avec lui pendant une ou deux minutes et je lui ai demandé pourquoi il était emprisonné. Il m’a répondu que c’était pour avoir forcé un coffre-fort.
Bon, je pense qu’il voulait simplement me faire une blague, mais cela m’a fait me demander si les programmes de formation offerts en prison sont nécessairement les bons programmes pour une vie honnête en société.
Les juges ne trouveront pas toujours la bonne solution, mais ils sont mieux outillés pour le faire que nous, des parlementaires qui, des années après les faits à des centaines de kilomètres d’où s’est produit l’événement, n’ont aucune idée des circonstances liées à cet événement.
L’amendement à l’étude permettrait aux juges d’user de leur jugement et de s’assurer que justice soit rendue au moment de déterminer la peine et de le faire aussi dans les cas où il semble évident qu’il faut éviter d’infliger la peine minimale obligatoire. Cela résoudrait les deux dilemmes que j’ai mentionnés précédemment.
Je ne parlerai pas du débat concernant les partisans et les détracteurs de cette mesure, si ce n’est pour dire ceci. Il y a quelques années, à la Conférence sur l’harmonisation des lois au Canada, la section du droit criminel, composée de procureurs principaux, d’avocats principaux de la défense et de responsables des politiques de justice pénale des gouvernements fédéral et provinciaux, a appuyé l’idée de tenir compte de ces « circonstances exceptionnelles » en employant pratiquement la même formulation que cet amendement.
Maintenant, voici la raison pour laquelle je dois me résoudre, à contrecœur, à ne pas appuyer cet amendement. Après mûre réflexion, j’en suis arrivé à la simple conclusion que ce projet de loi n’ira nulle part à l’autre endroit. Bien que je pourrais en parler plus en détail, comme d’autres l’ont fait, ma position se résume à deux aspects. Premièrement, d’après les renseignements que j’ai pu recueillir de façon indépendante parmi les partisans du projet de loi, je suis arrivé à la conclusion que les appuis dont il bénéficie ne sont pas suffisants pour en permettre l’adoption. J’en suis déçu, mais je m’efforce de ne pas faire preuve de naïveté à ce sujet.
Ma deuxième préoccupation est liée au fait qu’un amendement presque identique à celui-ci a été rejeté par une majorité écrasante de membres du Comité de la justice de l’autre endroit au motif qu’il dépassait la portée du projet de loi. Il semble très improbable que cet amendement soit voué à un sort différent de celui qui lui a déjà été réservé. Cette situation me déçoit, mais, encore une fois, je ne suis pas naïf.
L’adoption de cet amendement et son renvoi à l’autre endroit auraient donc nécessairement comme conséquence, à mon avis, de retarder l’adoption du projet de loi C-5 pendant un certain temps, en pure perte, à la grande déception des personnes qui appuient les modifications législatives proposées dans le projet de loi, dont beaucoup ont demandé qu’il soit adopté de toute urgence.
Il y a aussi le risque, peut-être faible, peut-être réel, que l’étude du projet de loi avance péniblement dans l’autre endroit. Je m’en voudrais de ne pas rappeler aux sénateurs, à ce stade-ci, que le gouvernement s’est engagé fermement à faire adopter ce projet de loi, y compris dans ses plateformes électorales. Selon moi, nous ne devons pas perdre cela de vue.
Je suis loin d’être un expert sur la façon dont ces choses fonctionnent à l’autre endroit — un handicap de 30, pourrait-on dire — mais pour ma part, je ne suis pas prêt à courir le risque d’empêcher l’adoption du projet de loi, car cela m’emmènerait au-delà des frontières de ma légitimité limitée de sénateur, au Parlement, ce que je ne suis pas prêt à faire.
Je répète que le projet de loi C-5 est un bon projet de loi et que je l’appuierai. Cela dit, quelle que soit la décision prise à l’égard de cet amendement et des diverses questions dont nous débattons, je suis plus que prêt à commencer immédiatement, avec d’autres, à examiner tout l’éventail de peines au Canada dans le but de parvenir à un système de justice pénale meilleur, plus réactif et plus équitable. Merci.
Nous débattons de l’amendement. Sénatrice Simons, je devrai vous interrompre à 18 heures, je m’en excuse à l’avance.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer l’amendement que la sénatrice Clement propose d’apporter au projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Je mentionnerai, tout d’abord, que la sénatrice Pate et moi sommes allées à l’Établissement d’Edmonton pour femmes, une prison fédérale qui dessert les Prairies, en août dernier. Lors de notre passage, l’établissement était plein. Il était même surpeuplé. On nous a dit que 70 % des détenues étaient des femmes autochtones issues des Premières Nations, des nations métisses ou du peuple inuit.
C’est l’une des terribles injustices que le projet de loi C-5 vise à régler. Il élimine les peines minimales obligatoires associées à 20 infractions au Code criminel et redonne aux juges le pouvoir discrétionnaire et la responsabilité d’établir une peine appropriée qui tienne compte des circonstances complexes entourant un crime particulier.
Les peines minimales obligatoires privent les juges d’une partie de leur autorité et de leur autonomie, et elles privent les personnes déclarées coupables de la possibilité de recevoir une peine appropriée et nuancée, qui tienne compte de leur contexte social complexe et de leur histoire personnelle. On espère que l’élimination de cette constellation de peines minimales obligatoires permettra non seulement d’offrir une meilleure justice aux accusés autochtones, noirs et queers et aux autres personnes marginalisées, mais aussi de rendre le système de justice plus juste pour tout le monde, de désengorger les tribunaux et les prisons, et de redonner aux juges le respect et l’indépendance dont ils ont besoin.
Le projet de loi C-5 va plus loin encore. Il encouragerait la police à songer à déjudiciariser certaines infractions, notamment les infractions relativement mineures liées aux drogues, ce qui permet d’orienter le délinquant vers des programmes de traitement médical et psychiatrique des toxicomanies que plutôt que le faire entrer dans le système de justice pénale.
Il y aurait aussi d’importants changements apportés à l’utilisation des peines avec sursis, pour permettre à plus de défendeurs d’être considérés comme admissibles à purger leurs peines en étant soigneusement surveillés et restreints chez eux. J’ai certainement entendu des avocats criminalistes exprimer leur impatience de voir le projet de loi adopté rapidement, pour que leurs clients actuels et futurs puissent en bénéficier, surtout à la lumière de l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans le dossier Sharma, qui a bien montré qu’on ne peut pas s’attendre à ce que ce soient les tribunaux eux-mêmes qui fassent en sorte que l’option de la peine avec sursis soit plus souvent retenue.
Pourtant, j’estime que je dois appuyer cet amendement, car si nous n’agissons pas maintenant, nous risquons de manquer une occasion vitale de nous attaquer à un problème plus vaste et plus profond. Comme l’a fait remarquer la sénatrice Clement, le projet de loi C-5 supprime certaines peines minimales obligatoires, mais il en laisse beaucoup d’autres intactes, y compris certaines qui ont déjà été jugées inconstitutionnelles par diverses cours supérieures du pays.
C’est non seulement absurde à première vue, mais cela crée une étrange mosaïque de protocoles de détermination de la peine au pays. Si vous commettez un crime particulier dans une province, vous recevrez une peine complètement différente que si vous commettiez exactement le même crime dans une autre province. Cela tourne en dérision notre système de justice pénale et les droits de la personne des Canadiens, qui ont droit à un traitement égal devant la loi, peu importe la province où ils habitent. Dans une fédération comme la nôtre, le Code criminel doit être appliqué de façon égale, de la Colombie-Britannique à Terre-Neuve.
Le projet de loi C-5 est également muet à propos de l’un des plus grands domaines d’injustice en matière de détermination de la peine : le meurtre. Vous vous dites peut-être : « Évidemment, sénatrice Simons. Le meurtre est le pire des crimes et il exige une peine minimale obligatoire. Qui pourrait le contester? »
Nous devons reconnaître l’existence d’un risque réel que les hommes et les femmes faisant face à la peine minimale obligatoire pour meurtre — soit une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans dans le cas d’un meurtre au deuxième degré et sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans dans le cas d’un meurtre au premier degré — voudront éviter un procès et plaideront coupables à des accusations d’homicide involontaire pour obtenir une peine plus courte, dans un type de scénario comme celui que le sénateur Cotter a si bien décrit. Même dans les cas où les gens peuvent avoir des arguments de défense légitimes devant les tribunaux, beaucoup d’entre eux accepteront une entente de plaidoyer soit parce qu’ils n’ont pas les moyens de préparer une défense vigoureuse et bien financée, soit parce qu’ils ne veulent pas courir le risque de perdre.
Voilà qui me ramène à ma visite de l’Établissement d’Edmonton pour femmes. Alors que je m’y trouvais avec la sénatrice Pate, nous avons rencontré une jeune femme autochtone que je nommerai SB. Elle portait bien en évidence un gros crucifix et elle parlait avec ardeur de son amour pour Jésus. Plus tard, elle m’a entraînée à l’écart pour me demander si je pouvais l’aider avec son cas. Elle venait d’être reconnue coupable d’homicide involontaire, mais elle m’a dit avec ferveur qu’elle était possédée par des démons lorsqu’elle a commis le crime.
Sa vulnérabilité et sa détresse psychologique évidente m’ont touchée et m’ont interpellée. J’ai donc mené des recherches sur son cas. Cela n’a pas été facile. Elle avait été arrêtée à Winnipeg en 2020, puis accusée du meurtre au deuxième degré de l’homme avec lequel elle avait vécu. Même si les médias avaient parlé brièvement de son arrestation, ils n’avaient pas du tout couvert l’issue de cette affaire. J’ai donc communiqué avec le bureau chargé de la poursuite et écrit à la personne chargée de juger cette affaire. Après plusieurs mois, j’avais enfin à ma disposition suffisamment de documents judiciaires pour tenter de faire la lumière sur cette histoire.
S.B. et la victime étaient tous les deux dépendants à la méthamphétamine. Ils squattaient ensemble dans une maison vacante à Winnipeg. Les voisins ont commencé à s’inquiéter de ce qui se passait dans cette maison, et ils ont appelé la police. Quand les policiers sont arrivés sur les lieux, ils ont trouvé le cadavre d’un homme, dont le crâne avait été défoncé. Le corps était en état de décomposition avancée, et le médecin légiste ne pouvait pas préciser depuis combien de temps l’homme était mort. D’après les estimations, le décès remontait à entre deux et huit jours. Selon les résultats de l’enquête médico-légale, l’homme était mort à la suite d’un traumatisme contondant. Cependant, l’autopsie ne parvenait pas à déterminer l’arme utilisée, et je n’ai rien trouvé dans les dossiers publics des tribunaux indiquant qu’une arme quelconque avait été découverte.
La police a rapidement arrêté l’un des associés masculins du défunt. Dans les documents du tribunal, l’homme a été décrit comme un :
« témoin douteux » en raison de son casier judiciaire et du fait qu’il n’a fait une déclaration à la police qu’après avoir été lui-même arrêté pour le meurtre.
Ce « témoin douteux » a déclaré à la police que c’était SB qui avait battu l’homme à mort avec un manche de hache et qu’il était entré dans la pièce et l’avait vue le faire.
Or, à en juger par les dossiers judiciaires que j’ai eu la chance d’examiner, la police n’a jamais trouvé de preuves médico-légales reliant Mme B au crime. Il n’y a aucune mention dans les dossiers d’éclaboussures de sang ou d’empreintes digitales sur l’arme du crime ni aucune mention d’une quelconque arme du crime. Les services de police ne pouvaient même pas situer de manière fiable la femme dans la maison au moment du meurtre, car ils ne disposaient d’aucune preuve médico-légale indépendante permettant de déterminer la date ou l’heure du décès. Il n’y avait pas non plus d’indication de mobile pour expliquer pourquoi SB aurait pu tuer son compagnon. La preuve principale était le témoignage personnel du premier suspect arrêté pour le crime. Cela, et la mémoire extrêmement floue de SB. Elle a déclaré à la Cour qu’elle pensait avoir tué son compagnon, mais qu’elle n’en avait pas un souvenir précis et qu’elle n’avait aucune raison ou explication pour laquelle elle aurait voulu le tuer.
Je me permets de citer son témoignage devant le tribunal :
Ce... ce jour-là, ce qui s’est produit était... je ne peux même pas commencer à l’expliquer parce que j’ai très peu de souvenirs de ce qui s’est produit ce soir-là. Tout ce que je sais est que c’était un incident contre nature et je suis tellement désolée. Jamais de ma vie j’aurais pu penser que je pouvais commettre un crime aussi odieux. Et je veux seulement... je demande pardon à... à tous les côtés de ma famille, de sa... surtout de sa famille.
Je suis désolé, sénatrice Simons, mais je dois vous interrompre.
Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je dois quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, à moins que nous convenions de ne pas tenir compte de l’heure. Est-ce d’accord?
J’entends un « non ».