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Projet de loi sur une approche axée sur la santé en matière de consommation de substances

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

9 février 2023


Honorables sénateurs, nous sommes redevables à la sénatrice Boniface d’avoir présenté le projet de loi S-232, Loi sur une approche axée sur la santé en matière de consommation de substances. Ce projet de loi vise à apporter un changement important et crucial à l’approche du Canada en matière de politique sur les drogues.

Comme certains d’entre vous le savent, ma nomination au Sénat a été annoncée le même jour que celle de la sénatrice Boniface. Les journaux nous ont décrites comme une sommité des milieux policiers et une militante des droits des détenus, nous caractérisant de façon présomptueuse comme deux côtés opposés du système de justice pénale. Cependant, nos parcours très différents nous ont donné des perspectives nuancées mais similaires et une compréhension approfondie des limites des approches dites de la loi et de l’ordre en matière de politique sur les drogues.

En raison de leurs expériences de vie et de travail, d’autres parmi vous ne savent que trop bien ce qui arrive lorsqu’on a affaire à des systèmes sociaux, économiques et de santé qui tombent en ruine ainsi qu’à des mesures législatives sur les drogues qui sont punitives et qui imposent des peines obligatoires. Depuis trop longtemps, et plus particulièrement dans les trois dernières années, on laisse des gens à eux-mêmes dans les rues ainsi que dans le système pénal, le système judiciaire et le système carcéral, et un trop grand nombre de personnes sont mortes de causes parfaitement évitables.

La sénatrice Boniface et bien d’autres militants ont fourni amplement de données probantes qui montrent que la prétendue guerre contre la drogue et les politiques de tolérance zéro en matière de droit pénal ont échoué. Cette approche n’a pas d’effet dissuasif sur la toxicomanie et ne rend pas les collectivités plus sûres. En fait, elle les rend moins sûres, parce qu’elle stigmatise et marginalise les gens, et parce qu’elles augmentent les risques de préjudices en réduisant l’accès aux services de santé, aux services sociaux et aux services communautaires. Les politiques de tolérance zéro marginalisent des gens dans le besoin et les mènent à la rue et en prison.

Bon nombre d’experts et de militants sont favorables à la décriminalisation de la possession de drogues. En 2020 ainsi qu’en 2021, plus de 50 groupes ont exhorté le gouvernement fédéral à mettre fin aux accusations au criminel pour possession simple de drogues. Ils étaient particulièrement préoccupés par la hausse marquée du nombre de morts par surdose associées à la COVID-19. L’Association canadienne des chefs de police est favorable à la décriminalisation de la possession de drogues comme moyen efficace d’améliorer la sécurité publique tout en réduisant les risques pour la santé associés à la toxicomanie. Ils sont favorables aux approches qui réduisent les cas de récidive en ce qui concerne la toxicomanie et les activités criminelles qui y sont associées, et ce, tout en améliorant les résultats en matière de santé.

Des appels sont venus de partout au Canada pour que nous nous attaquions à ce problème dès maintenant. La Colombie-Britannique et la Ville de Vancouver ont demandé au gouvernement fédéral de créer une exemption en matière de sanctions pénales pour les personnes qui possèdent des drogues illicites pour leur usage personnel. Le nombre de décès dus aux opioïdes a augmenté de 66 % pendant la pandémie, avec une moyenne signalée de 20 décès par surdose d’opioïdes chaque jour en 2021. Rien qu’au cours des deux dernières années, la Colombie-Britannique a été confrontée à une moyenne de six décès par jour dus à des drogues toxiques, et 15 % des personnes ayant fait une surdose étaient des Autochtones. Le taux de mortalité des membres des Premières Nations est cinq fois plus élevé que celui des autres résidants de la Colombie‑Britannique. Pour les femmes autochtones, ce taux est encore plus élevé.

En Ontario, les décès chez les Premières Nations seulement ont augmenté de 132 %, et le taux de mortalité a augmenté de 68 % dans l’ensemble de la province. À la suite du décès par surdose de quatre jeunes, comme beaucoup d’entre vous le savent, la Police provinciale de l’Ontario a récemment averti le public de l’arrivée d’une souche puissante et de plus en plus mortelle d’opioïdes dans le centre de l’Ontario.

Le Nouveau-Brunswick comptait quatre fois plus de décès par surdose que par COVID-19 en 2020. Autrement dit, chers collègues, au plus fort de la pandémie, les décès liés aux opioïdes dépassaient ceux liés à la COVID-19. Pire encore, ces décès sont évitables.

Le groupe des maires des grandes villes de l’Ontario, une coalition regroupant des représentants des 29 plus grandes villes de l’Ontario, ainsi que le Centre de toxicomanie et de santé mentale, l’Association canadienne pour la santé mentale et le conseil de santé de Toronto, proposent tous la décriminalisation des drogues.

Bon nombre de provinces veulent du changement et attendent que le gouvernement fédéral prenne l’initiative. Après tout, le droit criminel relève du gouvernement fédéral. En 2021, le NPD et le Parti vert ont inclus la décriminalisation dans leur plateforme électorale. Par la suite, le NPD a présenté un projet de loi d’initiative parlementaire, le projet de loi C-216. Il faut reconnaître que le gouvernement a également créé le nouveau poste de ministre de la Santé mentale et des Dépendances, dont la titulaire se dit à l’écoute des intervenants sur le terrain.

Le projet de loi C-5 appelait à ce que la toxicomanie entraîne des interventions axées sur la santé au lieu de mesures de judiciarisation. Tout cela laisse croire qu’il y a peut-être une volonté politique de tous les partis d’agir dans ce dossier maintenant.

L’approche punitive actuelle du Canada par rapport aux politiques antidrogue permet au racisme et aux inégalités de s’enraciner et contribue aux incarcérations massives des personnes les plus marginalisées. Le cadre législatif actuel judiciarise de façon démesurée les femmes, les personnes qui vivent sous le seuil de la pauvreté, les sans-abri, les Canadiens noirs et les Autochtones. Comme nous l’a rappelé la directrice de la santé publique en Colombie-Britannique, les conséquences sont particulièrement désolantes pour les femmes. Elles sont nombreuses à être mères, et leur incarcération peut entraîner des séparations familiales, des fractures au sein de la communauté et un traumatisme intergénérationnel.

Les infractions liées aux drogues contribuent de façon importante à l’emprisonnement de beaucoup trop de personnes. Au sein des communautés racialisées, en particulier des communautés autochtones, cette approche perpétue les politiques coloniales et les torts irréparables du placement forcé d’enfants par l’État.

La criminalisation raciste concernant les drogues est pratiquée de longue date et continue d’exacerber l’incarcération de masse de toutes les personnes racialisées. Par exemple, avant la décriminalisation du cannabis en Nouvelle-Écosse, les Canadiens d’origine africaine étaient cinq fois plus susceptibles que les autres d’être arrêtés pour possession. À Regina, les Autochtones étaient neuf fois plus susceptibles d’être arrêtés pour possession de cannabis. Ces statistiques n’ont rien de surprenant quand on sait que les quartiers racisés sont également plus surveillés. Par ailleurs, ils disposent de beaucoup moins de soutien et de ressources pour obtenir un traitement adapté et rapide.

Les données qui associent l’itinérance et le chômage aux surdoses montrent bien qu’il existe un lien entre le statut socio-économique et les traumatismes passés, la santé et la dépendance.

L’autre terrible réalité est que les surdoses augmentent de façon exponentielle après l’incarcération. Pour de trop nombreuses femmes, la judiciarisation et la consommation de drogues sont associées à des expériences de violence. Neuf femmes autochtones sur dix détenues dans des établissements pénitentiaires fédéraux ont été victimes d’abus physiques ou sexuels et indiquent qu’elles consomment des drogues pour atténuer les souvenirs de ces violences et des traumatismes qu’elles ont subis.

En raison du manque de soutien sanitaire, social et économique, de nombreuses femmes victimes de violences sont isolées. On leur dit qu’elles sont responsables de leur situation et elles sont essentiellement abandonnées à leur sort et chargées de se protéger elles-mêmes. Celles qui sont obligées d’agir, de subvenir à leurs besoins et de se défendre ou de défendre les personnes dont elles ont la charge se retrouvent trop souvent inculpées, judiciarisées et soumises à toute une série de condamnations et de sanctions punitives.

Chers collègues, les prisons ne sont pas des centres de traitement. Au contraire, les prisons causent des problèmes de santé, de santé mentale et de toxicomanie en plus d’exacerber les conditions existantes.

À juste raison, la Commission de vérité et réconciliation, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et le Caucus des parlementaires noirs demandent des mesures plus robustes et proactives. Le projet de loi S-232 a pour but de prévenir la judiciarisation des personnes qui consomment de la drogue, ce qui leur éviterait le fardeau et les préjugés d’un dossier criminel pour possession simple. Pour de nombreuses personnes, le fait d’avoir un dossier criminel les enlise, parfois de manière permanente, dans la pauvreté et la marginalisation parce que cela crée des obstacles pour se trouver un emploi bien rémunéré, un logement, des possibilités d’éducation ou de bénévolat, et même accéder à des soins de santé mentale et des soins aux aînés.

Malgré les bonnes intentions du gouvernement, par exemple la légalisation du cannabis et les dispositions du projet de loi C-93 pour accélérer, sans frais, le traitement des demandes de suspension de casier judiciaire pour la possession simple de cannabis, on constate avec stupeur que peu de gens ont pu se libérer du fardeau de leurs antécédents judiciaires. En fait, seulement 484 pardons en lien avec la possession de marijuana ont été accordés depuis l’entrée en vigueur du programme en 2019.

Ce dernier point prouve l’urgence d’accorder une exonération au moyen d’un autre projet de loi, le projet de loi S-212, pour réduire les obstacles et les préjudices inutiles d’un trop grand nombre de personnes au sein des groupes les plus marginalisés au Canada. Nous devons agir urgemment pour faire progresser des réformes afin d’atteindre les objectifs essentiels de déjudiciarisation, de décarcération et de décolonisation fixés dans le projet de loi.

Le projet de loi S-232 constitue un important pas en avant. Il nous invite à faire en sorte que la politique canadienne en matière de drogues reflète ces valeurs en mettant l’accent sur la santé et le bien-être et en abandonnant les approches punitives du droit pénal qui se sont révélées depuis longtemps non seulement inefficaces, mais contraires au bien public.

Il existe de nombreuses preuves que la décriminalisation fonctionne. Des pays comme le Portugal ont répondu aux crises liées à la consommation de drogue par des politiques de décriminalisation semblables à ce qui est prévu dans le projet de loi S-232. Le résultat? Ils sont allés de l’avant avec la décriminalisation et ont réaffecté des ressources à l’amélioration de l’accès au traitement et à d’autres soins de santé de soutien, au logement et au bien-être économique, tout en réduisant l’incarcération, le tout sans augmentation de la criminalité, des coûts ou de la consommation de drogues illicites.

Il est temps que le Canada fasse preuve d’un leadership semblable. Au lieu de mettre l’accent sur la criminalisation, il est temps pour nous de promouvoir un accès équitable et véritable aux soins de santé, aux services sociaux, au logement et aux soutiens économiques pour tous les Canadiens — des soutiens qui augmenteront la probabilité d’un Canada plus sain et plus sûr pour tous.

Merci encore une fois, sénatrice Boniface, pour vos conseils et votre leadership. J’ai hâte de travailler avec vous tous, chers collègues, pour agir maintenant et faire avancer le projet de loi, qui est important.

Meegwetch. Merci.

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