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Le Code criminel

Deuxième lecture--Suite du débat

9 février 2023


Honorables sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-251, Loi abrogeant l’article 43 du Code criminel (appel à l’action numéro 6 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada). Je remercie le sénateur Kutcher de l’avoir présenté.

Cela fait plusieurs décennies qu’on tente d’abroger l’article 43 du Code criminel, comme le demande l’appel à l’action no 6 de la Commission de vérité et réconciliation.

L’article 43 du Code criminel défend et justifie la violence perpétrée contre des enfants par des instituteurs et des parents dans le but de les « corriger ».

Quand cette disposition a été créée il y a 130 ans, en 1892, les hommes étaient autorisés à recourir aux châtiments corporels pour punir ceux qui étaient considérés comme leurs biens : leurs animaux, leurs employés, leur femme, leurs prisonniers et leurs enfants. Il a été prouvé que les effets de la violence physique comme punition disciplinaire sont si profondément préjudiciables que cette pratique est désormais jugée draconienne et barbare.

Les effets à long terme des châtiments corporels sont bien documentés, et leurs répercussions négatives ont été bien expliquées par le sénateur Kutcher.

Quand on examine les recherches menées sur les effets des châtiments corporels, le message est très clair : les risques et les dangers associés aux châtiments corporels sont innombrables et, parfois, irréparables.

Une grande méta-analyse de 88 études de recherche, réalisée en 2002, a établi une corrélation entre des châtiments corporels légaux infligés par des parents et 10 conséquences négatives. De plus, en 2016, une autre grande méta-analyse de 75 études de recherches publiées sur 50 ans et portant sur plus de 160 000 enfants, a confirmé les conclusions de la première méta-analyse et établi une corrélation avec cinq autres conséquences négatives.

L’une de ces conséquences est que le châtiment corporel est associé à une agressivité accrue chez l’enfant. L’étude démontre que les enfants ayant subi des châtiments corporels sont plus susceptibles de se montrer agressifs envers leurs pairs, d’approuver le recours à la violence dans les relations entre pairs, de subir de la violence aux mains de leurs pairs, d’employer des méthodes violentes pour résoudre les conflits et de se montrer agressifs envers leurs parents. L’une des raisons qui expliquent cela est qu’en étant soumis à des châtiments corporels, les enfants apprennent — de leurs parents — que la violence est une méthode appropriée pour obtenir ce que l’on désire. Vraisemblablement, nous ne souhaitons pas perpétuer de telles leçons.

Les nombreux effets néfastes des châtiments corporels infligés aux enfants sont maintenant indéniables. En effet, même dans l’affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada entendue par la Cour suprême du Canada en 2004, pas un seul témoin expert n’a laissé entendre que le châtiment corporel a le moindre bienfait. Dans son arrêt, la Cour suprême a répété que le châtiment corporel n’a aucun bienfait sur l’enfant.

Donc, pourquoi conserver cette disposition, vous demanderez-vous? Pourquoi la Cour suprême du Canada ne l’a-t-elle pas invalidée pour motif d’inconstitutionnalité? Ce doit forcément être parce qu’il existe des cas où le châtiment corporel est dans l’intérêt de l’enfant.

La Cour suprême n’a pas conclu que les châtiments corporels pouvaient s’avérer bénéfiques pour l’enfant. Au contraire, elle a soutenu clairement que l’intérêt supérieur de l’enfant, lequel est servi par la prévention du châtiment corporel, pouvait être subordonné à d’autres intérêts dans des contextes appropriés. Tel est le contexte dans lequel elle a établi des critères flous et manifestement arbitraires pour déterminer les circonstances dans lesquelles le châtiment corporel pouvait encore s’appliquer.

En tentant de protéger les enseignants et les tuteurs qui ont recours à la force physique envers les enfants dans des cas mineurs, la cour a permis à cette défense de continuer à être invoquée.

Pour illustrer ce point, j’ai raconté l’anecdote suivante lors de la précédente étude de ce projet de loi, lorsque notre ancien collègue, l’honorable Murray Sinclair, en était le parrain. À l’époque, j’ai raconté la réaction de mon fils aîné à cette affaire en 2004. Mes enfants, aujourd’hui d’âge adulte, étaient à l’époque dans la fourchette d’âge visée par la décision. Mon fils Michael, merveilleusement intelligent, était alors âgé de 13 ans, et ma fille Madison, tout aussi merveilleuse, était alors âgée de 5 ans. Mon fils avait suivi l’affaire avec intérêt et avait fait sa propre interprétation de grand frère de la règle limitant le recours à cette défense aux personnes qui infligent des châtiments corporels à des enfants âgés de 2 à 12 ans. Quelle a été sa décision finale? « Personne ne peut me frapper, mais tout le monde peut frapper Madison. »

Mon fils avait ainsi mis le doigt sur la réalité atroce et absurde qui se cache au cœur de l’article 43, une faille que nous devons reconnaître nous aussi. Aucun enfant ne devrait avoir à attendre jusqu’à l’adolescence pour avoir droit à une protection juridique contre les préjudices, une protection que nous avons tous en tant qu’adultes. Nous ne voudrions pas, non plus, courir le risque que les enfants retiennent qu’ils méritent d’être agressés et, pire encore, que c’est pour leur bien. Les enfants qui ont été régulièrement violentés par des personnes qui cherchaient à corriger leur comportement peuvent, une fois un peu plus âgés, en garder des séquelles qui auront des conséquences importantes et durables sur leur vie et sur les générations futures. Pourquoi laisser la moindre possibilité qu’une personne invoque cette défense, ou le moindre risque de perpétuer le mythe voulant que cela ne pose aucun problème de toute façon?

L’appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation qui demande l’abrogation de l’article 43 met en lumière le rôle que les châtiments corporels ont joué dans les mauvais traitements infligés dans les pensionnats ainsi que la croyance selon laquelle on devrait infliger ces châtiments aux enfants en toute impunité.

Les survivants du système des pensionnats autochtones du Canada ont vécu, pendant leur enfance, des traumatismes aux effets durables et intergénérationnels; ces traumatismes continuent d’avoir des conséquences néfastes et parfois dévastatrices sur leur famille et leur communauté.

Bien que le projet de loi à l’étude en soit à sa 18e version, il reste encore un vide juridique qui permet de violenter des enfants. Cela dit, à chaque nouvelle version, les arguments favorables à l’adoption de ce projet de loi se multiplient.

Nous devons à tous les enfants d’hier, d’aujourd’hui et de demain de remédier à cette approbation continuelle à l’égard des agressions contre les enfants. Il est temps de mettre en œuvre les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, ainsi que les recommandations du Comité des droits de l’enfant des Nations unies. Il est plus que temps d’abroger l’article 43. Il est également temps d’offrir des mesures de soutien avec et pour les enfants. Hélas, ce n’est pas l’objectif de ce projet de loi, mais il souligne certainement la nécessité de travailler beaucoup plus fort dans le but d’éliminer les nombreuses lacunes dans nos mesures de soutien à l’égard des enfants et des jeunes dans ce pays. Meegwetch. Merci.

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