Projet de loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées
Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Débat
17 mai 2023
Propose que le projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu, tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-22. J’aimerais ouvrir une parenthèse pour vous transmettre mes félicitations, madame la Présidente, mais aussi pour souligner que j’en fais davantage que mes collègues pour vous remercier. J’ai lancé une modeste collecte de fonds entre nous tous afin de vous offrir une paire de gants d’une taille plus petite.
Pour en revenir aux choses sérieuses, je parlerai brièvement du projet de loi et de quatre ou cinq amendements qui ont été adoptés par le Comité des affaires sociales. En vue de respecter les objectifs du projet de loi et par souci de rapidité, je vous invite à adopter la version actuelle du projet de loi, sous sa forme modifiée.
J’ai préparé deux discours et, pour être fidèle à mon propre appel à la rapidité, j’ai choisi de prononcer le plus court des deux. Je crois que vous m’en serez reconnaissants.
Dès que ce projet de loi s’appliquera — c’est-à-dire quand la réglementation aura été élaborée et que les personnes handicapées commenceront à recevoir les prestations — nous aurons réalisé un exploit dont tous les sénateurs pourront être fiers. Afin d’y parvenir, ce projet de loi doit être adopté, et nous devons le faire sans tarder.
En ce qui concerne le projet de loi et les amendements, permettez-moi de commencer par dire que, comme à l’autre endroit, je crois que nous soutenons unanimement les sentiments et des objectifs énoncés dans le projet de loi C-22. Cela était manifeste dans les discours des sénateurs à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi et dans chacune des interventions lors de l’examen du projet de loi par le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Évidemment, force est de reconnaître que tous les amendements proposés au comité, notamment ceux qui ont été adoptés, visaient à renforcer et à améliorer le projet de loi.
Comme vous le savez, ce projet de loi est une mesure-cadre qui habilite le ministre et le gouvernement à élaborer, en étroite collaboration avec la communauté des personnes handicapées, un régime de prestations d’invalidité, par voie de règlement, en vertu des dispositions de l’article 11. Les détails de cette mesure ainsi que les amendements et les discussions dont elle fait l’objet dans cette enceinte sont suivis de près par un groupe qui a pour intérêt commun l’adoption de cette mesure. Pour des milliers de personnes, la mise en œuvre de ce projet de loi est vitale pour améliorer leur sort. Je crois que nous visons tous cet objectif.
Néanmoins, divers amendements qui sont proposés posent des défis. Je voudrais en souligner quelques-uns. Certains d’entre nous ont des réserves à l’égard de ces amendements. Vous vous rappelez peut-être qu’il y a eu dissidence lors du vote portant sur l’adoption du rapport du comité. Quoi qu’il en soit, j’exhorte tous les sénateurs à adopter le projet de loi, tel qu’amendé, pour que nous puissions le renvoyer à l’autre endroit le plus rapidement possible.
Je passe maintenant à des dispositions précises, en commençant par la disposition d’entrée en vigueur. Si vous suivez le texte, il s’agit de l’article 14. Le comité a adopté un amendement afin d’améliorer la disposition d’entrée en vigueur. Le projet de loi disait seulement que la loi devait entrer en vigueur au plus tard un an après sa sanction, mais sans préciser qui pouvait faire en sorte qu’elle entre en vigueur plus tôt. L’amendement proposé par le sénatrice Petitclerc précise que la date d’entrée en vigueur, au plus tard un an après la sanction royale, doit être fixée par le Cabinet. Le projet de loi n’a pas changé, mais on a précisé qui pouvait le faire entrer en vigueur.
Deuxièmement, et en rapport avec le calendrier, un amendement adopté par le comité exige que les règlements soient mis en place dans les 12 mois suivant l’entrée en vigueur du projet de loi. Il s’agit de l’article 11 et du nouveau paragraphe 1.2. Cet amendement part d’une bonne intention, mais, à mon avis, il pose problème. Si la ministre et le gouvernement sont résolus à mettre en œuvre le projet de loi C-22 dans les délais impartis, et que la ministre souhaite que cela se fasse dans les 12 mois, cet amendement donne en fait au gouvernement — s’il devait se conformer à la lettre de la loi — plus de temps que nécessaire pour mettre en œuvre le projet de loi. En effet, l’amendement ajoute 12 mois aux 12 mois précédant l’entrée en vigueur du projet de loi. Je suis persuadé que nous parviendrons à la mise en œuvre bien avant cela et que l’amendement ne sera plus pertinent, mais c’est un message pour le moins malheureux à envoyer.
Troisièmement, le projet de loi ajoute, à l’article 11, des considérations supplémentaires que le ministre doit prendre en compte en ce qui concerne le montant de la prestation. Il s’agit tout d’abord de références au seuil officiel de la pauvreté — un chiffre précis qui figurait déjà dans le projet de loi — ainsi qu’à quatre autres considérations, à savoir les coûts supplémentaires liés à la vie avec un handicap, les difficultés rencontrées pour gagner sa vie, les besoins intersectionnels des personnes et des groupes défavorisés et les obligations internationales en matière de droits de la personne.
Encore une fois, ces considérations sont sincères, mais des inquiétudes demeurent. Premièrement, la terminologie est problématique, puisque, de nos jours, on ne parle pas de personnes « vivant avec un handicap ».
Deuxièmement, dans l’article qui demande de prendre en considération les besoins des personnes et des groupes défavorisés, je pense savoir ce qui était voulu. Alors que le concept de « handicap » est compris et défini dans la mesure législative, le mot « défavorisé » ne l’est pas, et son sens littéral nous amènerait, d’après moi, bien au-delà des objectifs du projet de loi, qui sont nettement articulés dans le projet de loi et dans son préambule.
L’autre problème est une difficulté d’ordre technique pour le ministre. Cette disposition exige à présent que le ministre tienne compte de ces quatre facteurs pour déterminer le montant de la prestation. Si nous voulons que les choses soient faites sérieusement, le ministre peut s’appuyer sur le seuil de pauvreté, y faire référence et le prendre en considération, car il s’agit d’une donnée précise. Or, la capacité à chiffrer les « coûts supplémentaires associés au fait de vivre avec un handicap » et, lorsque l’on pense au large éventail de handicaps qui existent, à quantifier la difficulté qu’ont les personnes handicapées à gagner un revenu d’emploi — une considération là encore très variable — et à quantifier les besoins intersectionnels est un aspect complexe. Ces aspects doivent être mieux connus, mieux compris, et mieux étudiés qu’ils ne le sont aujourd’hui. De façon réaliste, le fait d’exiger du ministre qu’il prenne honnêtement et sérieusement en considération les données quantitatives relatives à ces considérations, et ce dans les délais urgents que nous attendons tous, revient à lui en demander beaucoup, voire à lui demander l’impossible. Quoi qu’il en soit, le préambule fait clairement référence à tous ces facteurs, même s’ils n’ont pas le poids que leur confère cet amendement.
En quatrième vient l’amendement qui crée le nouvel article 10.1 et qui officialise le droit d’appel. L’article 11 du projet de loi traite déjà des appels, mais d’aucuns estimaient qu’il était de nature discrétionnaire. C’est vrai, mais c’est ainsi qu’est structuré le pouvoir de réglementation du gouvernement. En fait, le montant de la future prestation sera établi de manière discrétionnaire si on considère que les principes de rédaction des règlements comportent une certaine marge de manœuvre. On pourrait même avancer qu’en théorie, le Cabinet pourrait simplement décider de ne pas prendre de règlement mettant la future prestation en œuvre. Sans vouloir manquer de respect à qui que ce soit, je crois que c’est irréaliste. Quoi qu’il en soit, pour ce type de prestation, il y a toujours un processus d’appel, qu’il soit inscrit ou non dans la loi, car il s’agit d’un principe de justice naturelle. Je répète donc qu’à mon avis, même si cet amendement part de bonnes intentions, il n’est pas nécessaire.
Il y a un autre aspect préoccupant. Cet amendement crée deux catégories d’appel : une pour l’admissibilité à la prestation et une autre pour le montant de celle-ci. Selon ce qu’on m’a dit, les prestataires pourraient avoir beaucoup d’autres raisons de vouloir faire appel sans que ces raisons tombent dans l’une ou l’autre de ces deux catégories. Le problème, c’est qu’en inscrivant dans la loi qu’il existe deux motifs d’appels et seulement deux, on exclut d’office tous les autres motifs possibles. Or, ce qu’exclut une loi ne peut pas être inclus de nouveau par son règlement d’application.
J’en arrive à ma cinquième et dernière observation sur les amendements, mais d’abord un peu de contexte. Comme des membres du comité, des témoins et même certains sénateurs l’ont noté à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-22 au Sénat, il existe d’importantes réserves concernant l’efficacité de la prestation, qui risque d’être érodée ou récupérée par les provinces ou d’autres fournisseurs de prestations, les compagnies d’assurance par exemple. En effet, des gens qui reçoivent déjà d’autres prestations pourraient être admissibles à la prestation canadienne pour les personnes handicapées. Si je me souviens bien, la sénatrice Duncan m’a gentiment questionné sur ce point en février.
J’aimerais dire d’emblée qu’il s’agit d’une préoccupation légitime et sérieuse, et ce, pour deux raisons. Premièrement, des gouvernements provinciaux ou territoriaux pourraient réduire leur soutien aux prestataires parce qu’ils bénéficieraient de la prestation canadienne pour les personnes handicapées. Deuxièmement, il serait possible — et même probable — que les assureurs privés en fassent autant. Selon des témoignages entendus au comité, il s’agit déjà d’une pratique suffisamment répandue dans les contrats d’assurance visant des handicaps pour qu’elle suscite des inquiétudes. En ce qui me concerne, je considère ces préoccupations légitimes et sérieuses. Personne ne souhaite que les assureurs deviennent les bénéficiaires, même en partie, de la prestation pour les personnes handicapées.
À la lumière de ces éléments, et à la demande de certains témoins, un amendement a été proposé au comité et adopté, de sorte que l’article 9 de la loi comprend désormais ce qui suit :
Toute prestation versée sous le régime de la présente loi :
c.1) ne peut être recouvrée ou retenue, en tout ou partie, aux termes d’un contrat, d’un régime d’assurance ou d’un autre instrument semblable [...]
Je comprends tout à fait l’intention derrière cet amendement, mais j’ai deux préoccupations. La première concerne la formulation proposée. Vous vous souviendrez que la formulation dit que la prestation « ne peut être recouvrée ou retenue ». Or, les compagnies d’assurance ne recevront jamais directement la prestation d’invalidité ou n’y auront jamais droit, de sorte qu’elles n’auront rien à retenir ou à recouvrer.
Deuxièmement, cet amendement, même s’il part d’une bonne intention — à laquelle je souscris —, constitue une intrusion dans un champ de compétence provinciale et, partant, une violation de la Constitution.
Les arguments avancés par les témoins qui ont comparu lors de l’examen article par article suggèrent que l’amendement respecte la Constitution au regard du pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral ou de l’engagement du Canada au titre de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées. Or, ces arguments ne présentent pas de façon exacte la portée du pouvoir fédéral et ajoutent au projet de loi un élément litigieux qui engendre une problématique liée au respect de la Constitution et des champs de compétence des provinces.
Quoi qu’il en soit, il reste très peu de temps pour faire adopter ce projet de loi dans cette enceinte et à l’autre endroit. Ainsi, même si vous avez des réserves à l’égard de cette mesure, je vous exhorte à donner votre aval.
Je m’en voudrais de ne pas remercier à nouveau les nombreuses personnes handicapées, dirigeants d’organismes pour les personnes handicapées et tant d’autres personnes de bonne volonté qui ont communiqué avec moi au sujet de cette mesure. Je remercie également la porte-parole du projet de loi, la sénatrice Seidman; les membres du comité, et chacun d’entre nous, pour avoir prodigué des conseils, exprimé des préoccupations et appuyé de façon inconditionnelle les objectifs de ce projet de loi. Enfin, je remercie le comité de s’être penché avec diligence sur cette mesure législative.
Nous posons un geste important aujourd’hui en appuyant ce projet de loi en vue de son adoption. Je suis honoré de participer à cette grande entreprise.
Merci, hiy hiy.
Félicitations pour votre nomination, madame la Présidente, et bon courage.
Honorables sénateurs, c’est à titre de porte-parole de l’opposition que je parlerai aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.
Je remercie mes collègues du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie d’avoir étudié attentivement ce projet de loi. Je remercie notre présidente, la sénatrice Omidvar, pour la manière dont elle dirige les travaux du comité, et je remercie aussi le parrain du projet de loi, qui était déterminé à le faire adopter le plus rapidement possible.
Je suis également reconnaissante aux personnes handicapées qui sont venues témoigner et qui ont su expliquer avec éloquence à quel point ce projet de loi est important pour elles.
Comme vous venez de l’entendre, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a apporté six amendements au projet de loi C-22. J’en appuie deux : le premier est un amendement de forme portant sur la date d’entrée en vigueur de la loi et vise à corriger une erreur qui s’est glissée dans le texte pendant l’étude article par article du comité de l’autre endroit. La deuxième porte davantage sur le fond du projet de loi.
Il y a quatre ans, le Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie et le Sénat ont ajouté des délais à la Loi canadienne sur l’accessibilité, et maintenant, cette année, nous avons ajouté des délais à la Loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées. En effet, nous avons amendé ce projet de loi, à l’article 11, afin d’exiger que le gouverneur en conseil prenne les règlements nécessaires dans les 12 mois suivant l’entrée en vigueur de la loi, pour permettre le versement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées sous le régime de cette loi. Avec ce délai, on aura l’assurance que les règlements seront pris rapidement, conformément aux recommandations des défenseurs des droits des personnes handicapées.
Parmi les témoins que nous avons entendus, David Lepofsky, de l’Alliance de la Loi sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario, est probablement celui qui a insisté le plus sur l’importance de ce délai en disant ceci :
Tout dépend du règlement, mais il n’y a pas de date limite pour l’adoption du règlement. Il y a six mois, la ministre a dit qu’il lui fallait un an, et qu’il n’est pas nécessaire d’attendre jusqu’à l’adoption du projet de loi. Ils s’occupent du travail politique actuellement. [...] Donc, fixez [le délai] à un an [...] Fixez une date limite.
Ce délai de 12 mois correspond à l’estimation que la ministre Qualtrough a donnée au comité et aux médias.
En effet, le 22 mars, en réponse à une question de la sénatrice Osler, la ministre Qualtrough a dit :
Compte tenu de tout le travail que nous avons déjà fait — c’est-à-dire les consultations massives, les sondages, le financement des organisations nationales pour communiquer avec leurs membres et leurs collectivités afin d’obtenir des commentaires —, nous prévoyons un délai réglementaire de 12 mois.
De plus, cet amendement permet une meilleure reddition de comptes et fournit un paramètre pour mesurer les progrès réalisés.
Comme vous l’avez déjà entendu, d’autres amendements ont été présentés au comité, dont un grand nombre sont importants et défendus par des membres de la communauté des personnes handicapées. Pourtant, comme je l’ai dit dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, le plus grand défi découle peut-être du fait que le gouvernement a présenté une loi habilitante, qui établit un cadre réglementaire et qui délègue la tâche d’en fixer les détails au moyen de règlements. Au lieu d’établir les détails d’une politique qui sera inscrite dans la loi, le projet de loi laisse la responsabilité aux autorités de réglementation qui conseillent le Cabinet et le ministre.
Le site Web de Santé Canada décrit les liens entre un règlement et une loi de la façon suivante :
Un règlement est une forme de loi, parfois appelé législation subordonnée, qui définit l’application et l’exécution de la loi. Il est pris sous le régime d’une loi, appelée loi habilitante. Les règlements sont adoptés par l’organe auquel le pouvoir de prendre des règlements a été délégué dans la loi habilitante, par exemple le gouverneur en conseil [ou] un ministre [...]
Les règlements qui en découlent sont appelés des décrets-lois. Comme l’expliquent Marc Bosc et André Gagnon au chapitre 17 de la troisième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes :
Certaines lois du Parlement délèguent aux ministres, ministères, conseils, commissions ou autres organismes le pouvoir d’établir et d’appliquer des mesures législatives subordonnées définies seulement en termes généraux dans les lois. Le terme « décret-loi » est utilisé pour désigner ces règlements, décrets, règles, règlements administratifs et autres instruments.
Honorables sénateurs, de telles lois habilitantes modifient fondamentalement notre rôle parlementaire.
L’emploi de décrets-lois au Canada continue de susciter des débats depuis la Confédération. Je suis redevable à Laura Blackmore, l’analyste de la Bibliothèque du Parlement qui travaille pour le Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie, d’avoir partagé des ressources avec notre comité, nous permettant ainsi de mieux comprendre l’utilisation de ces pouvoirs.
Le professeur Lorne Neudorf, rédacteur en chef du Canadian Journal of Comparative and Contemporary Law et doyen adjoint de la Faculté de droit de l’Université La Trobe à Melbourne, en Australie, est sur le point d’achever une étude comparative pluriannuelle sur le contrôle parlementaire des décrets-lois en Australie, au Canada, en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni. Cette étude a été financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.
Dans un article intitulé « Reassessing the Constitutional Foundation of Delegated Legislation in Canada », publié en 2018 dans le Dalhousie Law Journal, le professeur Neudorf retrace la jurisprudence canadienne en matière de pouvoirs délégués. Voici ce qu’il écrit :
S’il peut y avoir d’importants avantages pour le Parlement à déléguer certains pouvoirs législatifs, par exemple permettre la rédaction rapide de règles détaillées pour répondre à de nouvelles circonstances et faire gagner du temps au Parlement et ménager ses ressources en vue des débats sur des politiques clés, cela implique également des préoccupations réelles quant à la reddition de comptes, ainsi qu’à la qualité et à la transparence d’un processus législatif mené en grande partie derrière des portes closes.
La délégation fait en sorte que d’importantes décisions qui affectent le pays entier peuvent être prises dans le cadre d’un processus qui exclut le Parlement et qui ne reflète pas le caractère conféré à ce dernier dans la Constitution — notamment en ce qui a trait à la démocratie, à la représentativité et à la responsabilité. Ce sont ces qualités qui ont fait que les fondateurs ont placé le Parlement au centre du processus législatif fédéral [...]
Le projet de loi C-22 envoie presque tout dans la cour de la réglementation, mais en plus, on nous presse de l’adopter le plus rapidement possible.
Ceux qui voulaient que le projet de loi soit adopté sans qu’aucune question ne soit posée ont trouvé que l’étude menée par le Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie avait été longue — huit réunions où des témoins ont été entendus et d’autres réunions pour l’étude article par article. Or, huit réunions de témoignages ne suffisent pas pour élaborer une politique. Si le gouvernement avait présenté un projet de loi plus approprié — précisant soigneusement les critères d’admissibilité, les conditions à remplir pour toucher les prestations, le montant des prestations, le processus d’appel, l’échéancier, et cetera —, le Comité des affaires sociales aurait entendu des témoignages sur les dispositions détaillées et le Sénat aurait pu véritablement faire un second examen objectif de cette mesure législative. Au lieu de cela, nous avons dû nous contenter d’en faire une étude très générale.
Où cela nous mène-t-il?
Les tribunaux ont maintenu que les décrets-lois sont constitutionnels, mais, dans les décisions qu’ils ont rendues, ils ont souligné l’importance de la surveillance parlementaire. Comme le professeur Lorne Neudorf le souligne en ce qui concerne la décision Hodge c. La Reine, rendue en 1883, le Comité judiciaire du Conseil privé, le plus haut tribunal du Canada à l’époque, avait conclu qu’il incombait au Parlement de superviser le pouvoir exécutif en prenant des décrets-lois.
Le professeur Neudorf note également que dans l’arrêt In Re Gray de 1918, le juge en chef Fitzpatrick et le juge Duff ont déclaré :
La disponibilité constante de la surveillance parlementaire et, dans la mesure nécessaire, le contrôle du pouvoir exécutif ont dissipé la crainte que le pouvoir exécutif n’usurpe celui du Parlement [...]
En ce qui concerne la décision rendue en 1943 dans l’affaire Chemicals Reference, le professeur Neudorf a écrit ceci :
La Cour suprême a confirmé la constitutionnalité des aspects importants de la loi, mais les juges ont souligné qu’il incombait au Parlement d’exiger que le pouvoir exécutif rende des comptes, en exerçant une surveillance et un contrôle du recours aux décrets-lois.
Bref, aux yeux des tribunaux, les décrets-lois sont constitutionnels, pourvu que le Parlement fasse son travail et garde un œil attentif sur la réglementation. Si nous adoptons cette mesure législative, c’est à nous que reviendra cette responsabilité de supervision parlementaire. Autrement, c’est que nous aurons abdiqué notre responsabilité. Autrement dit, si nous adoptons le projet de loi C-22 maintenant, nous confierons le premier volet de la surveillance aux personnes handicapées.
Le gouvernement s’est engagé à les consulter lorsqu’il rédigera le règlement d’application. J’estime que ce sont encore les personnes handicapées qui sauront le mieux faire valoir leurs intérêts et leurs points de vue, en plus de guider le gouvernement pour que ce processus aboutisse le plus rapidement possible, quitte à exercer la pression qui s’impose. Sauf qu’au final, c’est à nous de demander des comptes au gouvernement.
Honorables sénateurs, j’attire votre sur l’article 12 du projet de loi C-22. Voici ce qu’il dit :
Dès que possible après le premier anniversaire de la date d’entrée en vigueur du présent article, après le troisième anniversaire de cette date et après chaque cinquième anniversaire par la suite, le comité du Sénat, de la Chambre des communes ou des deux chambres désigné ou constitué à cette fin entreprend l’examen des dispositions et de l’application de la présente loi.
J’aimerais également ajouter la mise en garde suivante pour ce qui est de notre propre histoire en matière d’examens parlementaires. Charlie Feldman, dont nous nous souvenons tous, j’en suis sûr, qui était le conseiller parlementaire du Sénat, a publié en mars 2022 dans la Revue de droit parlementaire et politique un article intitulé « Much Ado about Parliamentary Review », ou beaucoup de bruit autour de l’examen parlementaire. M. Feldman a relevé les dispositions des lois fédérales qui prévoient expressément l’examen d’un texte législatif, ou de parties de celui-ci, par un comité parlementaire. Dans son examen de la période allant de janvier 2001 à juin 2021, il a trouvé 51 dispositions de ce type exigeant qu’un comité examine la loi à un moment ultérieur. Cependant, il a découvert que de nombreux examens n’ont jamais eu lieu et que de nombreux rapports sur les examens législatifs sont en retard de plusieurs années. Au moment de la rédaction de son rapport en 2022, seuls 17 de ces 51 examens avaient donné lieu à un rapport.
M. Feldman indique que :
[…] il se peut que les examens n’aient pas lieu en partie parce que l’absence d’examen ne semble pas entraîner de conséquences significatives.
Honorables collègues, nous devrions nous considérer comme avertis. Nous devons faire mieux pour garantir l’examen parlementaire de ce texte législatif au moment de sa promulgation, ainsi que l’examen de tous les textes législatifs qui prévoient un processus d’examen assorti d’un délai.
Au sujet de nos observations, brièvement, je dirais que, selon moi, il peut être plutôt futile d’inclure de nombreuses observations dans notre rapport d’étude d’un projet de loi. Toutefois, puisque ce projet de loi ne comporte que de grandes lignes, le comité a jugé important d’attirer l’attention sur des questions pertinentes soulevées par les témoins issus de la communauté des personnes handicapées. Vous avez déjà entendu ces observations. Elles se trouvent dans le rapport du Comité des affaires sociales et la sénatrice Omidvar, présidente du comité, en a discuté hier.
Honorables collègues, en terminant, bien que le projet de loi C-22 soit une loi habilitante dépourvue de détails, il s’agit également d’une occasion exceptionnelle, et la communauté des personnes handicapées l’appuie fermement. Comme l’a déclaré au comité Amélie Duranleau, directrice générale de la Société québécoise de la déficience intellectuelle :
Ce projet de loi pourrait jouer un rôle déterminant pour sortir de la pauvreté des personnes en situation de handicap partout au pays. En ce sens, il s’agit d’une occasion qui ne s’est pas présentée depuis des décennies.
Adoptons dès maintenant le projet de loi C-22, tel que modifié, et espérons que l’autre endroit ne tardera pas à nous communiquer sa réponse. Plus vite ce sera fait, plus vite le gouvernement et la communauté pourront entamer le processus de prise de règlements. Cela dit, n’oublions pas notre rôle essentiel, voire notre responsabilité d’examiner ces règlements et d’exiger des comptes de la ministre et du Cabinet.
Merci.
Je vois que la sénatrice Wallin a une question. La sénatrice Seidman accepterait-elle de répondre à une question?
Oui.
Merci.
Je n’ai pas examiné le projet de loi dans le détail. Existe-t-il une disposition relative à un délai concernant la consultation ou l’élaboration de règlements qui permettrait au comité — et au Sénat — d’avoir le sentiment qu’ils auront l’occasion d’examiner le résultat de ce processus?
Je vous remercie, sénatrice. Comme le sénateur Cotter et moi l’avons mentionné, le comité a adopté un amendement prévoyant un délai. Le délai est la période au cours de laquelle le gouvernement doit prendre les règlements — c’est ce que le délai établit.
Est-ce que cela vous satisfait?
Tout à fait.
Je crois avoir dit dans mon discours que nous avions entendu de nombreuses parties prenantes, en particulier M. David Lepofsky, qui a clairement indiqué que nous avions besoin de fixer un délai, comme nous l’avions fait pour la Loi canadienne sur l’accessibilité. Nous avons ajouté ce délai.
Et oui, cela me satisfait. Merci.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui sur le territoire ancestral et non cédé du peuple algonquin anishinabe dans le cadre du débat à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-22, que j’ai appuyé à l’étape de la deuxième lecture.
Avant de plonger dans le vif du sujet, j’aimerais me joindre à mes collègues pour féliciter la Présidente Raymonde Gagné de sa nomination à un poste qui est essentiel au Sénat. Votre Honneur, je suis persuadée que vous saurez exécuter vos tâches avec toute la dignité et la sagesse pour lesquelles vous êtes reconnue.
Je reviens maintenant au sujet du moment. À l’occasion de mon discours à l’étape de la deuxième lecture, prononcé le jour de la Saint-Valentin, j’avais dit ceci :
Le projet de loi C-22 a été adopté à l’unanimité à la Chambre après une étude détaillée et des amendements. Notre tâche n’est pas de retarder indûment le projet de loi; toutefois, en même temps, nous devons travailler efficacement pour nous acquitter de notre responsabilité d’adopter une loi permettant la création d’une prestation canadienne pour les personnes handicapées qui soit robuste et qui aura les résultats escomptés, à savoir de réduire considérablement la pauvreté et de soutenir la sécurité financière des personnes handicapées. Autrement dit, une loi qui répond clairement aux attentes des personnes handicapées.
Chers collègues, de nombreuses personnes aux prises avec divers handicaps vivent dans la pauvreté au Canada en ce moment. Tous s’accordent pour dire qu’il est urgent de mettre en place cette prestation et de faire en sorte que l’argent dont ils ont tant besoin leur parvienne le plus rapidement possible.
Honorables collègues, nous avons entendu hier la présidente du Comité des affaires sociales, la sénatrice Ratna Omidvar, présenter le rapport du comité sur le projet de loi C-22. Elle a parlé avec respect et gratitude des nombreux témoins qui ont contribué aux travaux du comité et l’ont ainsi aidé à étudier et à améliorer le projet de loi C-22. Je me joins à elle pour remercier les témoins, en particulier les personnes handicapées et l’ensemble de la communauté des personnes handicapées du Canada, qui nous ont fourni des conseils très clairs et très constructifs à propos de cet important projet de loi.
Je ne suis pas membre du Comité des affaires sociales, et je n’ai pas pu assister à ses réunions parce que les travaux du Comité des affaires étrangères se déroulaient au même moment. Cela dit, un de mes collègues, Ben Gormley, a assisté aux réunions pour étudier cet important projet de loi à ma place. J’ai lu la plupart des comptes rendus, particulièrement la discussion qui s’est déroulée lors de l’examen article par article.
Chers collègues, je tiens à féliciter tous les membres du Comité des affaires sociales pour leur travail acharné, leur dévouement et leur engagement. J’ai pu lire dans les comptes rendus que beaucoup de membres du comité avaient passé des nuits blanches à se triturer la cervelle pour faire en sorte que ce projet de loi aide efficacement les personnes qu’il est censé aider. Ces collègues, issus de tous les groupes du Sénat, se sont acquittés de leur devoir de sénateurs en faisant preuve d’un leadership exemplaire. Ils ont écouté et ils ont décidé d’agir.
Je félicite également le parrain du projet de loi, le sénateur Brent Cotter, d’avoir pris la responsabilité de présenter le projet de loi et d’avoir veillé à ce que son cheminement au Sénat se déroule sans heurts, de manière appropriée et en temps voulu. Je remercie également la porte-parole pour son discours merveilleusement détaillé et réfléchi. Sénatrice Seidman, vous avez soulevé des points auxquels il sera important de penser lorsque nous transmettrons ce projet de loi.
Honorables sénateurs, depuis des mois, nous recevons de la correspondance et rencontrons des personnes handicapées et des organismes qui défendent leurs droits et leurs intérêts. Au début du mois, j’ai accueilli au Sénat des représentants de SP Canada. L’une de leurs grandes priorités est de veiller à ce que les personnes atteintes de sclérose en plaques aient accès à la prestation canadienne pour les personnes handicapées qu’elles en aient besoin de temps à autre ou qu’elles en aient besoin à temps plein.
À l’étape de la deuxième lecture, je vous ai aussi parlé de mon frère John, qui vit avec un grave handicap mental depuis l’âge de 14 ans. Il en avait 55 quand la prestation canadienne pour les personnes handicapées a été mentionnée la première fois dans le discours du Trône. C’était en septembre 2020. Il aura 58 ans le mois prochain, et j’ose espérer qu’il commencera à toucher cette prestation d’une grande importance pour lui avant qu’il en ait 59. À l’heure actuelle, lui et les Ontariens dans sa situation sont censés vivre avec les 1 230 $ par mois que leur verse le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées. Les Néo-Écossais, eux, ont droit à 950 $. Je l’ai dit et je le répète : la pauvreté engendrée par les lois est une honte nationale.
Chers collègues, je n’apprendrai rien à personne en disant qu’il y a des tensions entre ceux qui voudraient qu’on adopte ce projet de loi rapidement, sans rien y changer, et ceux qui souhaitent l’amender. Le Comité des affaires sociales en était tout à fait conscient, et il a tout mis en œuvre pour en tenir compte et agir en conséquence.
La ministre Carla Qualtrough, qui mérite toute notre considération et notre respect pour ce qu’elle fait pour améliorer l’accessibilité au Canada et pour avoir présenté ce texte historique, nous a dit, au comité et à moi, qu’elle est ouverte aux amendements.
Le tout est de trouver l’équilibre entre ce qui doit être modifié dès maintenant et ce qui peut attendre la rédaction du règlement d’application.
Chers collègues, comme nous le savons pertinemment, cet exercice repose sur la confiance, une question en soi fort complexe. Il s’agit de faire confiance aux gens chargés du travail, de croire dans le processus, de croire qu’il y aura vraiment une élaboration conjointe avec des représentants de confiance de la communauté des personnes handicapées et de croire que le gouvernement respectera ses engagements.
Nos collègues qui siègent au Comité des affaires sociales ont fait un examen approfondi de ce projet de loi et ont préparé et débattu des propositions d’amendements visant à l’améliorer. Comme l’a indiqué la sénatrice Omidvar, certains amendements qui ont été adoptés font suite aux préoccupations soulevées par les personnes handicapées et portent sur des questions comme la récupération, le processus d’appel et le montant des prestations qui se doit d’être suffisant étant donné que les personnes handicapées doivent composer avec des dépenses plus élevées que la moyenne des Canadiens et peuvent être confrontées à des obstacles additionnels à cause de leur genre, de leur race ou parce qu’ils sont Autochtones ou qu’ils sont dans une autre situation intersectionnelle. Plus important encore, le facteur temps qui doit être pris en compte, car il faut s’efforcer de verser les prestations dans les meilleurs délais.
Chers collègues, je ne parlerai pas de tous les amendements; je me concentrerai plutôt sur deux amendements qui concernent le facteur temps. Le parrain du projet de loi et la porte-parole ont déjà parlé de ce facteur plus tôt aujourd’hui.
Hier, la sénatrice Omidvar a indiqué que tous les témoins qui ont comparu devant le comité avaient convenu qu’il faudrait commencer à verser la prestation canadienne pour les personnes handicapées le plus tôt possible. Le comité a présenté deux amendements visant à répondre à ce souhait.
Je le répète, la sénatrice Omidvar déclarait hier que « le comité a décidé d’amender l’article 11 afin d’exiger que, dans les 12 mois suivant l’entrée en vigueur du projet de loi, le gouverneur en conseil prenne les règlements nécessaires pour que les versements puissent débuter ».
Le comité a aussi adopté un amendement qui énonce clairement le pouvoir conféré au gouverneur en conseil de fixer une date d’entrée en vigueur au plus tard un an après la sanction royale.
Chers collègues, même si le comité souhaite que les versements débutent le plus tôt possible — avant 12 mois, si possible —, je crains qu’avec l’amendement apporté au projet de loi les personnes handicapées au Canada se retrouvent à attendre jusqu’à deux ans avant de recevoir cette importante prestation.
Quand l’éventualité de cette conséquence a été soulevée en comité, Elisha Ram, sous-ministre adjoint principal à la Direction générale de la sécurité du revenu et du développement social, à Emploi et Développement social Canada, a déclaré ce qui suit :
La proposition d’aujourd’hui permettrait au gouverneur en conseil de fixer la date dans l’année suivante, de sorte qu’elle pourrait être plus tôt, mais pas plus tard qu’un an. Nous devons ensuite ajouter à cela l’amendement adopté la semaine dernière, qui précise que le règlement doit entrer en vigueur dans les 12 mois suivant l’entrée en vigueur de la loi. [...] qu’à la limite, il pourrait s’écouler 24 mois avant que le ne soit présenté. [...]
Nous avons également contacté le Bureau du légiste et conseiller parlementaire pour nous aider à interpréter les résultats de ces amendements. Voici ce qui a été confirmé :
En théorie, des règlements peuvent être élaborés à partir du jour où la loi reçoit la sanction royale et jusqu’à deux ans après la sanction royale.
Ainsi, chers collègues, où cela nous mène-t-il? La combinaison de ces amendements relatifs au délai pourrait-elle avoir pour conséquence involontaire de retarder le versement de cette prestation essentielle pour les personnes handicapées? S’agira-t-il encore d’une question de confiance?
Le gouvernement nous a assuré qu’il souhaitait que cette prestation soit mise en place le plus rapidement possible. Les représentants de la communauté des personnes handicapées qui participent à la rédaction des règlements avec le gouvernement ne manqueront pas de faire pression pour une mise en œuvre rapide.
Chers collègues, en adoptant ces amendements, notre comité est convaincu que son intention d’insister sur un versement aussi rapide que possible de la prestation canadienne pour les personnes handicapées est claire et qu’elle sera suivie par le gouvernement.
Chers collègues, à l’instar des membres de notre comité, de tous les sénateurs et, j’en suis convaincue, de la grande majorité des Canadiens, je suis totalement solidaire de nos frères, de nos sœurs, de nos enfants et de nos voisins handicapés, qui souhaitent que le projet de loi C-22 tienne le plus rapidement possible ses importantes promesses de sécurité financière, de réduction de la pauvreté et de dignité pour tous.
Honorables sénateurs, continuons à faire pression pour que cette promesse importante soit tenue de toute urgence. Wela’lioq, merci.
La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?
Absolument.
Sénatrice Coyle, je me sens obligée de me retourner pour vous regarder. Je vous remercie de votre discours très éclairé et de vos observations sur les travaux du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
J’aimerais obtenir des éclaircissements sur ce que j’ai entendu de votre part. Je crois vous avoir entendu dire que bien que le délai maximum pour que les personnes handicapées reçoivent la prestation soit fixé à deux ans, cette prestation pourrait commencer à être versée le jour où le projet de loi recevra la sanction royale, soit dans un délai de six mois. Ai-je bien compris ce que vous avez dit?
Merci de votre question, sénatrice Omidvar. C’est bien ce que j’ai dit. Bien que je pense que l’objectif général était de fixer un délai maximum de 12 mois ou d’un an, nous avons en fait fixé un délai maximum de 24 mois, comme l’a également indiqué le parrain du projet de loi. Toutefois, vous avez tout à fait raison. C’est une mesure que j’appuie, et j’espère que cette prestation sera versée bien plus rapidement que cela. En fait, le versement de la prestation pourrait commencer dès l’octroi de la sanction royale.
Honorables sénatrices et sénateurs, nous y sommes presque.
Les Canadiens handicapés attendent le projet de loi C-22 depuis 966 jours, et nous sommes enfin sur le point de franchir la ligne d’arrivée.
D’abord, permettez-moi d’exprimer ma gratitude envers mes collègues du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, qui ont étudié et amélioré le projet de loi avec rapidité et rigueur.
Vous vous rappellerez qu’à l’étape de la deuxième lecture, j’avais émis un certain nombre d’inquiétudes et dressé une liste de questions essentielles pour m’aider à prendre position à partir de faits quantifiables, et pas seulement par acte de confiance. J’espérais que les réponses allaient me confirmer que ce projet de loi est, en fait, le meilleur mécanisme pour réduire la pauvreté des personnes handicapées en âge de travailler.
Au cours de notre étude étalée sur 10 réunions, nous avons entendu 49 témoins, reçu 48 mémoires, fait 7 suivis et reçu 2 lettres. Ce que nous avons appris, c’est que, d’une part, les besoins de la communauté sont criants et urgents, et d’autre part, que ce projet de loi jouera un rôle primordial pour répondre à ces besoins.
Ai-je reçu les réponses qui m’ont permis de confirmer que le projet de C-22 contribuera à régler la situation de pauvreté dans laquelle se trouvent des milliers de personnes en situation de handicap? La réponse est oui.
Les témoins ont été clairs : la situation est urgente. L’étude du comité a mis en lumière un aspect crucial, soit l’ampleur des besoins des personnes handicapées. Plusieurs témoins ont confirmé que vivre avec un handicap est effectivement beaucoup plus coûteux. Selon Krista Carr, vice-présidente à la direction d’Inclusion Canada :
[...] les personnes handicapées font face à des coûts supplémentaires.
Il n’existe pas beaucoup de données canadiennes à ce sujet, mais celles qui existent indiquent qu’une personne handicapée doit faire face à des coûts de l’ordre de 30 à 40 % plus élevés. Cela dépend de la nature du handicap et de l’équipement nécessaire ou d’autres coûts [...]
J’ai réalisé que la vulnérabilité économique de nombreuses personnes handicapées était encore plus grave, et que les inégalités et les disparités au sein de la communauté elle-même étaient encore plus importantes que je ne le pensais. Les témoignages étaient choquants. Qui pouvait s’attendre, dans un pays comme le Canada, à lire ceci?
Je ne me souviens pas de la dernière fois où j’ai mangé une pomme ou une salade. Cela fait 15 à 20 ans que je n’ai rien acheté de neuf, et je ne peux pas me le permettre. Je ne peux pas me déplacer, je ne bouge pas, je ne vais qu’aux rendez-vous chez le médecin. Je suis en quelque sorte prisonnier de mon propre appartement. Je n’ai pas les moyens d’aller où que ce soit.
Il s’agit du témoignage d’un bénéficiaire des services de la banque alimentaire Daily Bread, publié dans le bulletin de cette dernière, et il y en a eu beaucoup d’autres.
Des représentantes du Réseau d’action des femmes handicapées du Canada nous ont ouvert les yeux sur ces réalités lorsqu’elles ont dit que « les femmes handicapées sont parmi les plus marginalisés » et que « la personne la plus pauvre et la plus démunie de ce pays est une mère célibataire noire en situation de handicap ».
Jheanelle Anderson, vice-présidente de l’organisation ASE Fondation communautaire pour les Canadiens noirs handicapés, a abondé dans le même sens lorsqu’elle a dit :
Nous savons que le handicap et la pauvreté sont inextricablement liés et que la pauvreté est fortement racisée [...] [L]es personnes noires handicapées ont moins de possibilités d’emploi et d’avancement professionnel et, [...] elles vivent certaines des inégalités les plus marquées en matière de pauvreté.
Krista Wilcox, directrice générale du Bureau de la condition des personnes handicapées à Emploi et Développement social Canada, l’a aussi confirmé :
[...] 40 % des personnes handicapées noires vivent dans la pauvreté. Nous savons donc que les personnes handicapées racisées sont beaucoup plus susceptibles de vivre dans la pauvreté profonde que les autres Canadiens.
Ces témoignages et beaucoup d’autres ont montré non seulement l’importance, mais également l’urgence de mettre en œuvre le projet de loi.
Soyons clairs sur le point suivant : la communauté des personnes vivant avec un handicap, bien qu’elle soit diverse, est unie. Je le note, car ce n’est pas toujours le cas. Nous l’avons souvent entendu dire dans cette Chambre : cette communauté diverse ne parle pas toujours d’une seule voix sur un enjeu donné. Nous en avons notamment fait le constat lors de l’étude des deux projets de loi sur l’aide médicale à mourir.
Le projet de loi C-22 est, en ce sens, assez unique. Tous sont d’accord pour dire que la prestation doit considérer les besoins liés au handicap, que le seuil de pauvreté officiel n’est pas suffisant et qu’il ne constitue pas un indicateur représentatif des coûts de la vie liés au handicap. Tout le monde s’entend également pour dire qu’il faut tout faire pour éviter les possibilités de récupération. On a vu la même unanimité en ce qui concerne l’importance que la prestation bénéficie à l’individu, et non à la famille ou au ménage.
Là où l’opinion diffère au sein de la communauté, c’est sur la force qu’il faut donner au projet de loi et l’ampleur de ce qui devrait être régi par les règlements. Les deux camps ont mentionné les incertitudes politiques liées aux gouvernements. Certains s’en servent pour justifier l’adoption rapide du projet de loi, sans amendement, puisque nous ignorons ce que l’avenir nous réserve. D’autres s’en servent pour insister sur l’importance de renforcer le projet de loi immédiatement pour nous protéger, car nous ignorons ce que l’avenir nous réserve. Selon moi, le comité a agi de manière responsable en tenant compte des deux camps, en étudiant rapidement et efficacement le projet de loi et en le renforçant là où c’était essentiel.
Comme cela avait été le cas avec la Loi canadienne sur l’accessibilité, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales a procédé à des modifications afin d’aider le gouvernement à atteindre plus efficacement son objectif d’améliorer la situation et la sécurité financière de millions de Canadiens.
D’ailleurs, rappelons-nous que, en 2019, malgré le souhait initial de plusieurs — soit que le Sénat adopte le projet de loi C-81 sans présenter aucun amendement —, les amendements que nous y avions apportés ont été accueillis fort positivement à l’époque. Le gouvernement avait d’ailleurs reconnu la qualité de notre contribution et la ministre Qualtrough a récemment réitéré ses félicitations lors de son dernier passage au comité.
La sénatrice Omidvar a présenté très clairement les six amendements qui, espérons-le, seront conservés par le gouvernement. Permettez-moi de revenir sur certains d’entre eux, lesquels, j’en suis convaincue, feront une réelle différence quant à la solidité de ce projet de loi.
Selon moi, l’un des plus importants est l’amendement qui garantit un processus d’appel aux personnes en situation de handicap. Le projet de loi prévoyait que le Cabinet puisse prendre des règlements concernant tout appel. Vous conviendrez que c’est tout de même assez vague. C’est ce que votre comité a corrigé en précisant que l’appel doit au moins porter sur toute décision concernant l’admissibilité d’une personne à la prestation, ou encore sur le montant reçu ou celui qui lui sera versé.
L’appel pourrait aussi être présenté par la personne concernée ou par quiconque le ferait de sa part. En votant en faveur de cet amendement, les membres du comité ont convenu que même une loi-cadre doit inclure des mesures qui atténuent les inquiétudes portant sur les obstacles administratifs potentiels, afin d’offrir des protections.
Par ailleurs, plusieurs témoins nous ont montré que l’intersectionnalité apporte son lot de vulnérabilités supplémentaires.
Il est crucial, comme le comité l’a fait inscrire dans le préambule, que l’intersectionnalité soit prise en considération dans le processus réglementaire.
Je vais vous donner un exemple. Bonnie Brayton, directrice générale du Réseau d’action des femmes handicapées du Canada, nous a dit ceci :
[...] les personnes handicapées les plus marginalisées — les Autochtones, les Noirs, les personnes de diverses identités de genre — [sont] au centre du processus, parce qu’elles affrontent les taux les plus élevés de pauvreté et de sans-abrisme [...]
Un sentiment a été aisément perceptible durant les audiences du Comité des affaires sociales : c’est la confiance vis-à-vis de l’engagement du gouvernement d’impliquer largement les personnes concernées dans l’élaboration des règlements où tout se jouera. La ministre nous a rassurés à cet effet. Dans l’esprit du « rien sans nous », les personnes qui vivent avec un handicap veulent être partie prenante à chaque étape en tant que « codesigners ». J’ai bon espoir que les personnes vivant avec un handicap qui sont généralement et trop souvent marginalisées ne vont pas se faire mettre de côté et que tous ceux qui ne sont pas consultés d’habitude se feront entendre, pour que les choses soient bien faites.
Les témoins nous ont répété que ce n’était pas négociable. Voici quelques exemples de ce que nous avons entendu :
Ça ne peut être imposé d’en haut. Les communautés savent comment définir le problème, l’ayant vécu. L’élite ne le connaît pas, elle n’a pas connu directement la pauvreté.
Mais aussi :
[Cela signifie qu’il faut] dépasser le fait d’accueillir des consultations des collectivités pour s’engager à nous mobiliser comme coconcepteurs et spécialistes en la matière.
Beaucoup ont dit qu’ils faisaient confiance au gouvernement pour s’assurer que les consultations et la participation se dérouleraient correctement. Bien que je n’aie aucune raison de douter du processus, je fais principalement confiance aux personnes et aux organisations qui ont affirmé très clairement, fermement et directement que cela ne pourra pas se faire sans elles. Je pense que nous pouvons compter sur elles pour nous faire savoir si elles ne font effectivement pas partie de l’ensemble du processus.
Parmi tous les témoignages, je souhaite attirer votre attention sur celui de la ministre Qualtrough, qui a déclaré : « Ce que je dis constamment, c’est que la prestation sera versée en 2024. » Cet engagement est important. Il donne de la clarté, un délai et de l’espoir aux Canadiens qui vivent avec un handicap, qui représentent 21 % de la population. Ils le méritent certainement.
Lors de l’étude du projet de loi C-81, alors que nous en étions à cette même étape, notre collègue le sénateur Munson avait dit ceci :
Malgré les contraintes de temps, les membres du comité ont accordé au projet de loi et aux amendements adoptés l’étude exhaustive et attentive qu’ils méritaient. Je sais que nombre de ces amendements proviennent directement des communautés, des témoins et des organisations concernés. Je crois donc que nous devrions adopter le projet de loi avec ces amendements et laisser l’autre endroit faire son travail et étudier nos amendements. C’est ainsi que notre démocratie et notre Parlement fonctionnent. Nous devons tous agir avec célérité.
J’étais d’accord avec lui à ce moment-là. Aujourd’hui, j’ai la même conviction quand je regarde le projet de loi que nous étudions.
En conclusion, j’aimerais aller au-delà du projet de loi C-22. Compte tenu de ce que nous avons appris au comité sur le niveau de détresse et l’urgence d’agir, lorsque le gouvernement s’emploiera à faire de cette prestation une réalité dans le cadre de son prochain budget, je l’exhorte à explorer toutes les options possibles pour aider les personnes handicapées qui en ont le plus besoin. Qu’il s’agisse de l’accès au logement, du transport ou de l’aide pour acheter des aliments, nous ne devons pas nous en tenir à une seule initiative comme celle-ci. Ce ne sera pas suffisant, et nous le savons. Nous devons donc agir.
Pour le moment, honorables collègues, nous devons aussi agir en mettant le projet de loi C-22 aux voix sans délai. La réalité, c’est que, lorsqu’on sort des personnes — handicapées ou non — de la pauvreté, tout le monde y gagne.
Meegwetch. Merci.
Honorables sénateurs, je m’inspire de la sagesse et des judicieux conseils de notre ancien collègue, le sénateur Baker, qui nous a souvent implorés d’étudier les projets de loi de la manière le plus exhaustive possible et de voir à ce que notre compte rendu soit le plus complet possible pour ceux qui, dans l’avenir, se pencheront sur nos délibérations.
Ceux qui savent ce que c’est que d’avoir très peu de ressources, que ce soit pour des raisons d’ordre économique, sexuel ou racial, et ceux qui savent ce que c’est que d’être jugé incapable ou indigne, ne connaissent que trop intimement les niveaux correspondants d’irrespect, de mépris et de dédain qui s’ajoutent à ces situations initiales marquées par une iniquité systémique profonde. Tel est l’état des choses pour de trop nombreuses personnes handicapées et pour le projet de loi C-22. Si le gouvernement veut sérieusement dénoncer et corriger ce statu quo inacceptable vécu par un trop grand nombre de personnes handicapées, il doit soutenir — et il le fera — les amendements proposés par nos collègues du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie au cours de leur étude du projet de loi C-22, et ils continueront à travailler ensemble pour apporter d’autres améliorations au cours de la mise en œuvre du projet de loi.
Les amendements et les observations importantes qui ont été formulées apportent un nouveau souffle à nos responsabilités constitutionnelles, lesquelles comprennent, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada, la protection des minorités, la capacité d’adopter une perspective à long terme en ce qui concerne l’élaboration des politiques et les mesures législatives, et la volonté d’étudier à l’avance des dossiers qui pourraient être trop controversés pour une assemblée élue. Félicitations à nos collègues, qui se sont acquittés de ces devoirs. Comme la ministre les y avait invités lors de son témoignage devant le comité, ils ont apporté des amendements qui aideront à la fois la ministre, le gouvernement et, en fin de compte, les personnes qui seront probablement les plus touchées par le projet de loi, puisqu’ils ont permis d’apporter des améliorations demandées par les témoins.
Avant que ces amendements soient apportés, nous avons été nombreux à parler des préoccupations exprimées par des groupes de défense des personnes handicapées, qui soulignaient, à l’étape de la deuxième lecture, que le projet de loi C-22 ne semblait pas apte à atteindre l’objectif visé, c’est-à-dire à réduire la pauvreté des Canadiens handicapés ou, pour reprendre une expression employée par la ministre, à sortir les Canadiens handicapés de la pauvreté.
Sans les amendements apportés par le comité, le projet de loi C-22 est une coquille vide, il risque d’être soumis, à l’avenir, aux caprices des organismes de réglementation, et aucun engagement concret n’y est pris pour assurer l’efficacité du processus. Même si on nous a poussés à adopter ce projet de loi-cadre et à faire confiance au processus réglementaire, nous remercions nos collègues d’avoir reconnu l’inefficacité d’une telle approche et, plus encore, le fait qu’elle obligerait les personnes handicapées à convaincre les gouvernements futurs d’agir comme il se doit. Il est navrant que nous semblions de plus en plus enclins à demander aux communautés les plus vulnérables, les plus démunies et les plus marginalisées de croire en des processus qui les avantagent rarement.
Cette approche reflète la vieille morale charitable du XIXe siècle, quand on s’attendait à ce que les personnes vivant dans la pauvreté se contentent de ce que le gouvernement du moment jugeait « suffisant ». Les sénateurs doivent s’assurer que cette mesure législative atteint son objectif d’éradiquer la pauvreté, en garantissant que le cadre qu’elle propose est solide et qu’il inscrit dans la loi les principes et les protections nécessaires à l’élaboration des règlements, et non le contraire, comme on l’avait initialement suggéré.
Les tribunaux canadiens ont souligné que le Parlement doit tenir compte des effets d’une loi dans toutes les situations auxquelles elle pourrait s’appliquer, et qu’il doit le faire à la lumière des rapports, études et situations qui ont fait l’objet de discussions et qui ont été soulevés dans le cadre du processus parlementaire ainsi que de la loi applicable, notamment les principes énoncés dans les décisions judiciaires. Au nombre de ces principes figure le principe constitutionnel qui comprend un engagement à fournir, à un niveau de qualité acceptable, les services publics essentiels.
Chers collègues, disons très clairement que la consultation de la communauté des personnes handicapées n’équivaut pas à garantir l’inscription dans une mesure législative des mesures de protection que cette communauté réclame. Il n’est pas non plus assuré que les conclusions de cet exercice seront prises en compte dans le processus décisionnel ou même que les décisions qui en résulteront respecteront les droits fondamentaux de la personne.