Projet de loi sur l’assurance médicaments
Troisième lecture--Débat
8 octobre 2024
Propose que le projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance médicaments, soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, aujourd’hui, alors que nous entamons la dernière phase de nos discussions sur le projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance médicaments, nous faisons ensemble un premier pas historique vers un régime national, universel et public d’assurance médicaments à payeur unique pour le Canada. Le projet de loi C-64 améliorera l’accès à des médicaments sur ordonnance abordables, en commençant par un accès universel et à payeur unique aux contraceptifs essentiels et aux médicaments pour traiter le diabète.
Compte tenu de l’objet du projet de loi, je me sens obligée de remercier notre amie et collègue la sénatrice Lankin du travail qu’elle a accompli tout au long de sa vie. Tous les postes qu’elle a occupés, mais surtout celui de ministre de la Santé de l’Ontario, témoignent de son engagement à promouvoir un régime national et universel d’assurance-médicaments.
La sénatrice Frances Lankin, c.p., se prépare à entamer la prochaine étape de sa vie. Il n’y a pas de meilleure façon pour elle de terminer son mandat au Sénat que de voir ce projet de loi être adopté. Nous sommes tous très heureux qu’elle soit ici et qu’elle parlera peut-être même du projet de loi C-64 avant qu’il soit mis aux voix.
Je sais que je parle au nom de bien des gens lorsque je lui dis à quel point nous lui sommes reconnaissants pour ses années de services généreux qui s’appuient sur sa profonde sagesse, ses précieux conseils et son amitié.
Je tiens à ajouter au compte rendu un chi-meegwetch très sincère. Je vous remercie, sénatrice Lankin, de tout ce que vous êtes et de ce que vous avez fait.
Afin de souligner ce que ce projet de loi signifie pour les Canadiens, je vais d’abord me concentrer sur trois réalisations particulièrement canadiennes. Premièrement, l’insuline a été découverte en 1921 par Banting, Best et Macleod, à l’Université de Toronto. Il n’est que juste que les médicaments pour le diabète fassent partie de ceux offerts durant la première phase du régime national d’assurance-médicaments prévue dans le projet de loi C-64. Cette inclusion représente non seulement un grand pas en avant pour la santé d’innombrables Canadiens qui ont du mal à se payer des traitements pour le diabète, mais nous rappelle aussi le refus de M. Banting, pour des raisons de principe, de profiter des besoins des gens en médicaments pouvant leur sauver la vie. Il a refusé de participer au brevetage de l’insuline, jugeant qu’il était contraire à l’éthique de le faire. Ses deux collègues ont bien obtenu un brevet, mais l’ont vendu à l’Université de Toronto pour 1 $, de sorte que le médicament puisse profiter à tout le monde.
J’ai eu le privilège, en tant que marraine du projet de loi C-64, d’en discuter avec de nombreux collègues ici, dans différents groupes et dans les régions, ainsi qu’avec des experts étrangers et de nombreuses autres personnes dans des domaines d’expertise interreliés. En plus des étapes importantes qui suivront l’adoption de cette mesure législative, ces discussions ont mis en évidence d’autres difficultés liées à l’accès du public à des médicaments vitaux. Parmi les problèmes importants figurent les pratiques monopolistiques et opaques d’établissement des prix des médicaments et les difficultés à les obtenir qui en découlent.
Bien que la capacité d’obtenir un brevet puisse être un aspect important du développement des affaires dans ce domaine et dans d’autres, comme notre ami et collègue le sénateur Colin Deacon l’a si clairement et succinctement expliqué lorsque je l’ai consulté à ce sujet :
Les brevets sont des monopoles accordés par le gouvernement. [...] À un certain moment, les gouvernements se demanderont peut-être si ce monopole qu’ils accordent sert l’intérêt public.
Nous devons aussi nous attaquer au mercantilisme des sociétés pharmaceutiques. Principalement à cause des prix astronomiques des médicaments, les ménages et les employeurs canadiens dépensent environ huit fois plus par habitant en médicaments que les habitants de pays dotés d’un régime d’assurance-médicaments à payeur unique, administré par l’État et limitant les incitatifs aux profits privés qui vont à l’encontre du bien public.
Alors que le Canada fait ses premiers pas vers un régime national d’assurance-médicaments, l’héritage de Banting doit nous rappeler qu’il est impératif de placer l’intérêt public au-dessus de tout le reste et qu’il faut continuer à faire davantage sur ce plan. Il nous restera donc encore beaucoup à faire, même après l’adoption de ce projet de loi.
Je voudrais maintenant souligner l’importance et l’incidence de la proclamation, en 1948, de la Déclaration universelle des droits de l’homme par l’Assemblée générale des Nations unies. Bien qu’il s’agisse incontestablement d’une réalisation internationale, les Canadiens sont fiers de savoir que l’auteur principal de ce texte fondateur — qui continue d’influencer et de façonner la compréhension des droits de la personne au Canada — était le juriste et défenseur canadien des droits de la personne, John Peters Humphrey.
Le paragraphe 25(1) de la déclaration prévoit que toute personne a :
[...] droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement [et] les soins médicaux [...]
En tant que parlementaires, nous avons constaté une vague de soutien de la part de personnes de tout le Canada qui attendent un régime national universel d’assurance-médicaments. Pour rendre justice aux habitants de nos régions, que nous sommes venus représenter à Ottawa, ne perdons jamais de vue le fait que les Canadiens qui réclament une assurance-médicaments ne nous demandent pas simplement de faire preuve de sympathie ou de faire appel à notre raison : ils revendiquent à juste titre leur droit à des soins de santé.
La troisième réalisation canadienne que je soulève aujourd’hui est l’adoption ici même, au Sénat, de la mesure législative qui a mis en place le régime universel d’assurance-maladie du Canada en 1966. Depuis six décennies, l’assurance-maladie incarne nos valeurs communes et notre engagement collectif : l’accès aux soins de santé ne doit pas dépendre de l’argent dont on dispose. Tous les Canadiens, chacun d’entre nous, ont droit à des soins de santé.
Ce système qui, aujourd’hui, est souvent considéré comme un élément fondamental de l’identité canadienne était loin d’être reconnu comme tel à l’époque où il a fait l’objet d’un projet de loi et de débats. Le chemin menant à l’assurance-maladie a été sinueux. Sa mise en œuvre s’est faite au prix de nombreux rebondissements, d’hésitations apparemment sans fin et d’innombrables questions quant à savoir si le Canada pouvait se permettre d’assumer un tel coût. Par ailleurs, le processus reposait sur une coopération fragile entre deux partis fédéraux dans le contexte d’un gouvernement minoritaire. Cela vous rappelle quelque chose? Un des facteurs cruciaux a été le leadership d’une province dotée d’une vision audacieuse, ce qui a contribué à faire avancer toutes les parties dans la même direction, même si parfois tout semblait perdu d’avance.
Aujourd’hui, bien que notre système de santé soit une source de fierté à l’échelle internationale, si cette mesure législative n’est pas adoptée, le Canada demeurera le seul pays au monde à offrir un système de santé universel sans assurance-médicaments.
Le projet de loi C-64 nous met sur la voie pour combler cette lacune historique. À cet égard, les étapes qui ont mené à la mise en œuvre de l’assurance-maladie au Canada devraient nous donner confiance dans les principes qui façonnent le système de santé canadien. Ces principes sont l’administration publique, l’intégralité, l’universalité, la transférabilité et l’accessibilité. Un régime d’assurance-médicaments conforme à ces principes n’est ni hors de portée ni déconnecté de la réalité. C’est ce dont le Canada a besoin depuis des décennies.
Comme nous l’avons entendu au cours de nos discussions dans cette enceinte, le projet de loi C-64 est une mesure législative fondamentale qui énonce les principes clés qui orienteront les efforts du gouvernement dans sa collaboration avec les peuples autochtones, les provinces, les territoires et les autres partenaires et parties prenantes dans le but de mettre en œuvre progressivement un régime d’assurance-médicaments national et universel.
L’article 4 met l’accent sur quatre grands principes : l’accessibilité, le caractère abordable, l’utilisation appropriée et la couverture universelle. Comme cela a été souligné à l’étape de la deuxième lecture, ces principes sont essentiels pour que les Canadiens, en particulier les groupes marginalisés et les populations rendues vulnérables par toutes sortes de circonstances, puissent avoir accès aux médicaments dont ils ont besoin. En outre, le préambule du projet de loi reconnaît que ce processus progressif doit être :
[guidé] par la Loi canadienne sur la santé et conforme aux recommandations du Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments;
Les recommandations de 2019 du conseil consultatif, également connues sous le nom de rapport Hoskins, établissent un plan pour la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments. La principale prémisse du rapport Hoskins est que le régime d’assurance-médicaments peut améliorer l’accès de tous les Canadiens aux médicaments nécessaires à moindre coût s’il est mis en place sous la forme d’un système public universel à payeur unique.
Tout le monde sait que le Canada a du mal à assurer et à garantir un véritable accès aux médicaments pour les Canadiens dont la santé et la vie en dépendent. La principale raison de cette augmentation des dépenses, c’est le prix élevé des médicaments. À l’international, l’achat de médicaments repose sur les assureurs publics et privés qui négocient auprès des fabricants de médicaments des rabais confidentiels sur les prix qui sont affichés publiquement et qui sont souvent exorbitants. Tout ce secret fait qu’il est outrageusement difficile, en particulier pour les petits acheteurs, d’obtenir une entente équitable. Permettre aux régimes publics d’assurance-médicaments du Canada d’unir leurs forces pour fournir une couverture universelle à payeur unique de médicaments soigneusement sélectionnés devrait contribuer à accroître la transparence et le pouvoir de négociation. Cela pourrait effectivement faire baisser les prix des médicaments d’une manière qui est tout simplement impossible pour l’ensemble disparate actuel de régimes publics et privés au Canada. Nous devons donc persister et résister aux tentatives de privatisation et de marchandisation du processus.
Dès le départ, le programme aura besoin du pouvoir d’achat d’un système à payeur unique qui achètera des médicaments pour 40 millions de Canadiens selon des processus fondés sur des données probantes et rendant des comptes au public. Outre la réduction du coût des médicaments, cela devrait permettre de simplifier la complexité du système et les coûts administratifs.
Le rapport Hoskins reconnaît qu’un système robuste à payeur unique ne peut pas être mis en place du jour au lendemain et recommande plutôt une approche graduelle ou « progressive », en commençant par la couverture de certains médicaments, avant de l’élargir à un programme plus complet.
Le projet de loi C-64 reprend cette approche pour la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments. Il jette les bases d’une couverture universelle à payeur unique pour les contraceptifs et les médicaments contre le diabète, qui sont essentiels. Il confie également à la nouvelle Agence canadienne des médicaments le soin d’élaborer une liste nationale de médicaments essentiels plus étendue et une stratégie d’achat en gros qui pourrait contribuer à la prochaine étape de la couverture universelle à payeur unique.
Je souhaite également parler de la collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux dans le cadre de cette première phase d’accès aux contraceptifs et aux médicaments contre le diabète. Comme on le sait, les gouvernements des peuples autochtones, des provinces et des territoires jouent un rôle clé dans la prestation des services de santé, et chacun d’entre eux a des besoins différents et fait face à des défis différents dans la prestation de ces services. C’est pourquoi le projet de loi C-64 reconnaît que les efforts du gouvernement fédéral en faveur d’un régime national d’assurance-médicaments nécessitent une approche coopérative avec les peuples autochtones ainsi qu’avec chaque province et territoire, pour que personne ne soit laissé pour compte. Le projet de loi C-64 précise que tout financement accordé aux provinces et aux territoires pour soutenir l’assurance-médicaments sera fourni dans le cadre d’accords bilatéraux. Le projet de loi prévoit également que ce financement s’ajoutera aux dépenses provinciales et territoriales existantes pour les programmes publics d’assurance-médicaments.
Le projet de loi C-64 met aussi en évidence l’engagement du gouvernement à collaborer avec les peuples autochtones; il souligne particulièrement la nécessité de discuter avec des partenaires autochtones pour l’élaboration d’une liste nationale de médicaments. Devant le Comité des affaires sociales, le ministre Holland a réitéré que le projet de loi C-64 n’entravera pas la couverture d’assurance-médicaments dont bénéficient actuellement les Premières Nations et les Inuits dans le cadre du Programme des services de santé non assurés, et qu’il pourrait permettre de renforcer et d’étendre cette couverture.
Je tiens aussi à vous rappeler que le gouvernement fédéral collabore déjà avec les provinces et les territoires pour d’autres initiatives, ce qui pourra tracer la voie à suivre pour le régime national d’assurance-médicaments et la collaboration que prévoit le projet de loi C-64.
Je pense notamment aux efforts déployés par le gouvernement fédéral afin d’accroître l’accessibilité des médicaments pour le traitement des maladies rares. Le gouvernement du Canada a lancé la toute première Stratégie nationale visant les médicaments pour le traitement des maladies rares en mars 2023, avec un investissement pouvant aller jusqu’à 1,5 milliard de dollars sur trois ans. Dans le cadre de cet investissement global de 1,5 milliard de dollars, le gouvernement fédéral mettra à la disposition des provinces et des territoires qui le souhaitent jusqu’à 1,4 milliard de dollars sur trois ans au moyen d’accords bilatéraux. Ce financement aidera les provinces et les territoires à améliorer l’accès aux médicaments nouveaux et émergents pour les Canadiens atteints de maladies rares, ainsi qu’à améliorer l’accès aux médicaments existants, au diagnostic précoce et au dépistage des maladies rares. Les patients atteints de maladies rares auront ainsi accès aux traitements le plus tôt possible, ce qui pourra améliorer leur qualité de vie.
En outre, le premier accord bilatéral conclu dans le cadre de la stratégie nationale a été annoncé il y a un peu plus de deux mois, soit le 23 juillet. Au cours des trois prochaines années, le gouvernement du Canada versera 194 millions de dollars au gouvernement de la Colombie-Britannique afin de faciliter l’accès aux médicaments dont les patients ont besoin pour traiter une maladie rare et d’alléger le fardeau financier qui pèse sur leur famille.
L’initiative de démonstration de l’assurance-médicaments, organisée en partenariat avec l’Île-du-Prince-Édouard, est un autre exemple du travail soutenu du gouvernement fédéral avec les provinces et les territoires. Cette initiative, annoncée en août 2021, est un exemple concret de la manière dont les principes d’amélioration de l’accessibilité et de l’abordabilité des médicaments sur ordonnance peuvent améliorer le sort des Canadiens. Dans le cadre de cet accord, l’Île-du-Prince-Édouard reçoit un financement fédéral de 35 millions de dollars pour améliorer l’accès aux médicaments sur ordonnance et les rendre plus abordables pour les Prince-Édouardiens. Cette province a été choisie pour participer à l’initiative de démonstration parce que ses habitants sont confrontés à certains des frais les plus élevés au Canada et aux listes de médicaments les plus restreintes au pays.
Depuis le début de l’initiative, l’Île-du-Prince-Édouard a utilisé les fonds fédéraux pour élargir sa liste de médicaments couverts et aider ses habitants à économiser de l’argent sur leurs ordonnances.
Par exemple, en juin 2023, l’Île-du-Prince-Édouard a réduit la quote-part à seulement 5 $ pour près de 60 % des médicaments qui sont régulièrement utilisés par les habitants de la province pour traiter les maladies cardiovasculaires, le diabète et la santé mentale, et qui sont couverts par plusieurs programmes publics d’assurance-médicaments. À ce jour, les habitants de l’île ont économisé plus de 6 millions de dollars de frais grâce à cette initiative.
L’Île-du-Prince-Édouard a également élargi l’accès à plus de 100 nouveaux médicaments pour le traitement de diverses affections, notamment le cancer, les maladies cardiaques, la migraine, la sclérose en plaques, l’hypertension artérielle pulmonaire et le psoriasis.
Comme je l’ai entendu lors de mes rencontres avec les habitants de l’île, l’initiative de démonstration de l’assurance-médicaments de l’Île-du-Prince-Édouard a donné des résultats concrets, et le projet de loi C-64 fera de même, nous mettant sur la voie d’un régime universel d’assurance-médicaments avec un programme gratuit à payeur unique pour les contraceptifs et les médicaments contre le diabète, dont les coûts seront financés et administrés par l’État. Il jette les bases qui permettront au Canada d’offrir enfin un régime d’assurance-médicaments conforme aux principes consacrés par notre régime d’assurance-maladie.
Une fois adopté, le projet de loi C-64 allégera le fardeau des Canadiens qui peinent à acheter les médicaments dont ils ont besoin, à commencer par les femmes et les personnes de diverses identités de genre en âge de procréer, ainsi que les personnes atteintes de diabète. En 2021, Statistique Canada a constaté qu’un adulte sur cinq au Canada n’était pas couvert par une assurance pour ses médicaments. Cela signifie que près de 8 millions de Canadiens n’ont pas les assurances nécessaires pour obtenir les médicaments sur ordonnance dont ils ont besoin.
Malheureusement, cette lacune signifie que, chaque mois — et parfois chaque semaine ou chaque jour —, des millions de Canadiens doivent faire un choix difficile entre payer leurs médicaments ou satisfaire à des besoins essentiels, comme se nourrir ou se chauffer. En outre, trop de Canadiens ont recours aux services médicaux d’urgence parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer leurs médicaments — certains parce qu’ils n’en ont plus, d’autres parce qu’ils ont rationné leurs doses pour essayer de joindre les deux bouts.
Je suis convaincue que, du haut de notre privilège relatif, nous convenons tous que chaque Canadien devrait avoir accès aux soins de santé dont il a besoin, au moment où il en a besoin, indépendamment de sa capacité à payer.
Dans le cadre de la première phase du régime national d’assurance-médicaments, l’accès gratuit aux contraceptifs et aux médicaments contre le diabète aura des effets bénéfiques tant sur la santé des Canadiens que sur notre système de santé.
La prise en charge des contraceptifs permettra à 9 millions de Canadiennes en âge de procréer d’avoir un meilleur accès à la contraception et à l’autonomie en matière de santé reproductive, ce qui réduira le risque de grossesses non désirées et améliorera leur capacité à planifier l’avenir.
Actuellement, la couverture des contraceptifs varie au pays. La plupart des Canadiens ont recours à un régime privé d’assurance-médicaments offert par l’intermédiaire de leur employeur pour satisfaire leurs besoins en médicaments. Malgré cela, la plupart des régimes d’assurance-médicaments ne couvrent qu’une partie du coût, le reste étant à la charge du patient.
Certaines personnes sont touchées de manière disproportionnée par l’absence de couverture. Les femmes, les personnes à faible revenu et les jeunes, qui sont tous plus susceptibles de travailler à temps partiel ou sous contrat, n’ont souvent pas accès à une couverture privée. En l’absence d’assurance privée, la couverture des médicaments implique souvent que les personnes concernées doivent payer de leur poche les médicaments dont elles ont besoin.
Une discussion avec une jeune femme en début de semaine m’a rappelé que trop de filles et de femmes dont les parents, le tuteur ou le partenaire pourraient leur donner droit à un régime privé d’assurance-médicaments, peuvent en fait ne pas avoir accès aux contraceptifs si la personne dont le régime leur est accessible s’oppose à leurs souhaits. Pour ces personnes, l’accès n’est tout simplement pas une option.
Le coût a été identifié par les prestataires de soins contraceptifs canadiens comme étant l’obstacle le plus important à l’accès aux médicaments ou aux dispositifs contraceptifs. Pour de trop nombreuses jeunes femmes travaillant à temps partiel et ne bénéficiant pas d’une assurance-médicaments, il est tout simplement impossible d’avoir accès à un stérilet ou à d’autres méthodes contraceptives efficaces tout en essayant de gérer d’autres dépenses de base telles que le loyer ou les factures d’épicerie.
Le projet de loi C-64 garantira que les Canadiennes auront accès à une gamme complète de médicaments et de dispositifs contraceptifs et qu’elles pourront choisir la forme de contraception qui leur convient le mieux.
Pour ce qui est de la gestion du diabète, la couverture des médicaments et des fournitures varie considérablement à l’échelle du Canada, laissant de nombreux Canadiens sous-assurés. La sous‑assurance peut prendre de nombreuses formes. Par exemple, pour un Canadien en âge de travailler qui n’a pas d’assurance privée, les coûts des régimes publics d’assurance-médicaments peuvent varier énormément. Dans certaines régions du pays, le coût des médicaments pour le diabète de type 1 peut dépasser 18 000 $ par année; et pour le diabète de type 2, 10 000 $ par année.
Même les personnes bénéficiant d’une assurance privée peuvent avoir des quotes-parts élevées qui représentent 20 % ou plus du coût du médicament, dépasser les plafonds annuels de leur régime ou atteindre les limites de leur couverture à vie. Ce sont trop souvent les Canadiens les plus démunis qui doivent essayer de payer de leur poche ces coûts insoutenables pour des médicaments essentiels.
La sous-assurance peut être particulièrement préoccupante pour les jeunes adultes atteints de diabète de type 1 qui ne sont plus couverts par l’assurance privée de leurs parents, mais qui n’ont pas leur propre forme de couverture privée.
Les Canadiens à faible revenu représentent également une part disproportionnée des personnes sous-assurées. Même si la plupart des provinces ont mis en place une couverture des médicaments pour les bénéficiaires de l’aide sociale, trop de ménages à faible revenu qui ne sont pas admissibles à l’aide sociale continuent d’avoir du mal à payer de leur poche les médicaments sur ordonnance.
Des facteurs liés à l’emploi peuvent également contribuer aux différences de couverture d’assurance. Les personnes qui ont des petits boulots ou qui occupent des emplois de débutant, des emplois contractuels, des emplois saisonniers ou des emplois à temps partiel font souvent état d’une couverture d’assurance-médicaments moins adéquate. Cela décourage souvent les prestataires d’aide sociale de postuler à un emploi. Pourquoi? C’est parce qu’une fois embauchés, ils risquent de perdre leur couverture publique d’assurance-médicaments sans recevoir une assurance-médicaments ou un revenu viable qui leur permettrait de couvrir les coûts des médicaments dont ils ont besoin.
Un Canadien diabétique sur quatre a déclaré ne pas suivre son plan de traitement en raison du coût.
L’élimination des obstacles à l’accès aux médicaments contre le diabète permettra d’améliorer la santé d’un grand nombre des 3,7 millions de Canadiens atteints de diabète et réduira le risque de complications graves qui bouleversent la vie et qui, dans certains cas, la mettent en danger, comme la cécité ou les amputations.
Il ne s’agit pas seulement d’aider les gens à gérer leur diabète et à vivre une vie plus saine : le diabète, s’il n’est pas traité ou s’il est mal géré, peut entraîner des coûts élevés pour le système de santé qui sont liés à des complications, notamment les crises cardiaques, les accidents vasculaires cérébraux et l’insuffisance rénale. Selon les estimations de Diabète Canada, le coût total du diabète pour le système de santé pourrait s’élever à près de 40 milliards de dollars d’ici 2028. Ces coûts peuvent être évités si et seulement si les personnes atteintes de diabète peuvent gérer convenablement leur maladie en ayant accès aux médicaments dont elles ont besoin.
Le projet de loi C-64 représente une avancée importante pour garantir que tous les Canadiens ont accès aux médicaments abordables et de qualité dont ils ont besoin. Il offrira aux Canadiens une couverture gratuite et à payeur unique pour les contraceptifs et les médicaments contre le diabète. Il établit également un cadre permettant d’élargir cette première étape pour bâtir le système national, universel, public et à payeur unique recommandé dans le rapport Hoskins et dans d’innombrables autres rapports et études d’envergure nationale.
Une fois que le projet de loi aura reçu la sanction royale, plusieurs mesures clés seront prises. Tout d’abord, le ministre de la Santé et son ministère s’emploieront immédiatement à conclure des accords bilatéraux avec les provinces et les territoires afin de mettre en place une couverture universelle au premier dollar et à payeur unique pour les contraceptifs et les médicaments contre le diabète.
La Colombie-Britannique a déjà conclu un protocole d’entente avec le gouvernement fédéral, indiquant ainsi son intention de signer un tel accord. Comme la Colombie-Britannique offre déjà une couverture universelle pour les médicaments contraceptifs, la province réinvestira les économies réalisées pour offrir aux femmes ménopausées une couverture universelle au premier dollar et à payeur unique de l’hormonothérapie substitutive.
En outre, le ministre de la Santé établira un comité d’experts dans les 30 jours suivant la date de sanction. Le comité sera chargé de formuler des recommandations sur les options de fonctionnement et de financement d’un régime d’assurance-médicaments national et universel au premier dollar et à payeur unique. Fait tout aussi important, l’Agence canadienne des médicaments élaborera, au plus tard au premier anniversaire de la sanction de la loi, une liste de médicaments sur ordonnance et de produits connexes essentiels qui servira de point de départ à l’élaboration d’une liste nationale de médicaments et formulera des conseils au sujet de la stratégie nationale d’achat en gros.
Lorsqu’il a témoigné devant le Comité sénatorial des affaires sociales, le ministre de la Santé a confirmé l’importance de veiller à ce que les membres du comité d’experts soient libres d’intérêts commerciaux dans le secteur pharmaceutique, reprenant ainsi un engagement antérieur selon lequel les processus décisionnels de l’Agence canadienne des médicaments doivent eux aussi être indépendants.
Cette priorité respecte les recommandations contenues dans le rapport Hoskins, selon lesquelles l’Agence canadienne des médicaments doit être exempte de conflits d’intérêts afin que son travail soit rigoureux, équitable, fondé sur des données probantes et solidement arrimé non pas à des intérêts commerciaux, mais à l’intérêt supérieur des Canadiens.
Garantir l’indépendance et l’absence de conflit dans la prise de décision nécessitera de la vigilance, y compris pour résister aux pressions visant à suivre l’exemple des États-Unis, qui a mis en œuvre un système mixte public-privé pour combler les lacunes. Nous ne pouvons pas revenir à un méli-mélo de milliers de régimes d’assurance-médicaments privés et publics, avec les coûts administratifs et la complexité des programmes que cela suppose tant pour les patients que pour les prescripteurs. Nous ne pouvons pas continuer d’accepter des systèmes à payeurs multiples qui fragmentent le pouvoir d’achat du Canada quand vient le temps de négocier des prix et des garanties d’approvisionnement avec des multinationales pharmaceutiques. Nous ne pouvons pas, en toute conscience, continuer de demander aux ménages et aux employeurs d’absorber seuls la majeure partie des coûts du programme.
Alors que nous envisageons la prochaine phase de l’assurance-médicaments, il est important de rappeler que les initiatives décrites dans le projet de loi C-64, ainsi que celles qui sont déjà en cours, seront évaluées afin qu’on puisse tirer des enseignements de ce qui a été fait jusque-là pour la mise en œuvre d’un régime d’assurance-médicaments national et universel au Canada. On évaluera notamment l’amélioration de l’accès à des médicaments sur ordonnance abordables à l’Île-du-Prince-Édouard, les efforts déployés dans le cadre de la Stratégie nationale visant les médicaments pour le traitement des maladies rares et le travail de l’Agence des médicaments du Canada.
Je me réjouis vraiment de l’effet positif qu’aura cette mesure législative pour les Canadiens. Je suis aussi consciente que le travail lié au projet de loi C-64 est loin d’être terminé. C’est le début du chemin que nous devons parcourir ensemble pour ouvrir la voie au régime d’assurance-médicaments national, universel, public et à payeur unique que les Canadiens veulent et pour garantir l’accès universel aux médicaments qu’ils revendiquent à juste titre comme un droit fondamental.
Je partage l’intérêt des Canadiens à l’égard d’un régime national d’assurance-médicaments comme prolongement logique du régime national d’assurance-maladie et comme étape essentielle pour que l’accès d’une personne aux soins de santé dont elle a besoin ne dépende pas de sa capacité de payer. Dans les mois et les années qui suivront la mise en œuvre de ce projet de loi, j’espère que nous continuerons à travailler ensemble, avec et pour tous les Canadiens, afin de mettre en place un régime d’assurance-médicaments pour tous.
Je ne me fais pas d’illusions : le processus ne sera ni rapide ni facile. Le projet de loi C-64 exige un travail par étapes qui doit être réalisé de concert avec les peuples autochtones, les provinces, les territoires, les intervenants du milieu, les experts et ceux qui une expérience personnelle dans le domaine. Je repense à ce dicton souvent cité : seul, on peut aller vite, mais ensemble, on peut aller loin.
Il s’agira d’un processus à long terme et itératif, mais je crois que les Canadiens y tiennent et que nous faisons des progrès importants. La première étape consiste à adopter ce projet de loi sans tarder pour répondre aux appels répétés faits au Comité sénatorial des affaires sociales au nom des Canadiens qui attendent un accès réel aux médicaments.
Meegwetch. Je vous remercie.
Sénatrice Pate, je tiens d’abord à vous remercier de tout votre travail sur ce projet de loi, surtout en votre qualité de marraine.
Vous avez parlé des régimes de santé privés, et j’ai une question concernant les gens déjà couverts par des régimes d’assurance collective. On m’a donné l’assurance que ces régimes ne changeront pas. Y a-t-il quelque chose dans la mesure législative qui garantit que les Canadiens déjà admissibles à une forme quelconque de couverture pour ces médicaments ne perdront pas leur couverture existante?
En tant qu’ancienne employeuse, je m’explique mal pourquoi un employeur continuerait à payer pour quelque chose que le gouvernement offrirait gratuitement.
Merci. C’est une excellente question. Bien sûr, il s’agit également d’une compétence provinciale. Ce sera surtout les provinces qui seront responsables d’inciter les employeurs à renégocier à la baisse la cotisation de l’employeur ou les taux en réponse à ces questions. Je pense que la question que vous soulevez est très importante. C’est une question dont le gouvernement est bien au fait et j’ose espérer que les gouvernements des provinces et des territoires le sont également et qu’ils ont déjà entamé ces discussions. Personne ne souhaite que le projet de loi limite l’accès de certaines personnes ou qu’il fasse en sorte que moins de frais soient couverts.
Ce sera aux provinces de négocier et d’adhérer au programme et, assurément, j’espère que ce seront les Canadiens qui bénéficieront des économies dans leur région.
Accepteriez-vous de répondre à une autre question? Merci.
Si ce n’est pas le cas et que les employeurs éliminent bel et bien leur couverture, j’ai l’impression que cette situation aura une énorme incidence sur le coût global. Je crois que le rapport du directeur parlementaire du budget était fondé sur l’hypothèse que les employeurs n’élimineraient pas leur couverture. Que pensez-vous qu’il se passerait s’ils l’éliminaient?
Merci. Il y a des hypothèses quant à ce qui pourrait se passer. Le directeur parlementaire du budget a calculé les coûts en partant du principe que ce processus itératif était un régime à payeurs multiples au lieu du régime à payeur unique qu’il est censé être. Il pourrait y avoir des coûts supplémentaires. On s’attend également à ce que les accords conclus entre le gouvernement fédéral et les provinces tiennent compte de ces questions.
En fait, je dirais — et d’autres collègues au Sénat ont bien plus d’expérience que moi à ce chapitre — que c’est le type de négociations que les employeurs mèneront avec le gouvernement. Les syndicats ont certainement discuté de cette question. Voilà pourquoi le mouvement syndical au Canada appuie vigoureusement cette initiative.
La sénatrice accepterait-elle de répondre à une autre question? Merci.
Cette question fait suite à celle posée par la sénatrice Ross au sujet des employeurs qui cesseront d’offrir de l’assurance pour certains médicaments, et des personnes qui perdront de ce fait leur assurance-médicaments. Que pouvez-vous nous dire à propos de ce qui s’est passé dans des pays où le même phénomène s’est produit? Le Canada est en train de rattraper son retard, alors peut-être pourriez-vous nous dire ce que des employeurs ont fait dans des situations semblables à la nôtre.
D’après les discussions que j’ai eues avec des experts d’autres régions du monde, cela signifie généralement que les employeurs ont été en mesure de réduire les coûts ou d’étendre la couverture à d’autres domaines qui n’auraient pas été négociés autrement. C’est une mesure positive dans la plupart des cas. Avoir accès à ce type de couverture est aussi un droit de la personne. Je soupçonne que, dans le pire des cas, les employeurs qui tentent d’agir de la sorte s’exposent à des poursuites judiciaires.
Honorables sénateurs, j’aimerais commencer par rappeler que nous sommes réunis sur le territoire traditionnel et non cédé du peuple algonquin anishinaabe, qui protège les terres et les eaux depuis des temps immémoriaux.
Je prends la parole aujourd’hui pour parler du projet de loi C-64, Loi sur l’assurance médicaments.
Je remercie la sénatrice Pate, la marraine du projet de loi C-64, et mes collègues du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie pour le travail qu’ils ont accompli lors de l’étude de ce projet de loi.
Mon discours d’aujourd’hui comportera trois parties; tout d’abord, un bref historique de l’assurance-médicaments au Canada; ensuite, plusieurs des préoccupations actuelles concernant le projet de loi; enfin, mes espoirs pour l’avenir de l’assurance-médicaments.
Commençons par un extrait du Rapport final du Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments de 2019, également connu sous le nom de rapport Hoskins :
Depuis plus de cinquante ans, les Canadiens songent à un système d’assurance-médicaments universel, en complément au système de soins de santé universel. Pour un débat de si longue date, il y a un consensus surprenant. Après avoir entendu les témoignages de plusieurs milliers de Canadiens, nous avons constaté une conviction commune et ferme que chaque Canadien devrait avoir accès à des médicaments d’ordonnance distribués de façon équitable et durable en fonction de ses besoins et non de sa capacité à payer. C’est pourquoi notre conseil a recommandé que le Canada mette en place un régime public d’assurance-médicaments universel à payeur unique.
À l’heure actuelle, les Canadiens paient leurs médicaments sur ordonnance au moyen d’une combinaison d’assurances privées, d’assurances publiques et de paiements directs. Un rapport de Statistique Canada publié en 2022 a révélé que, au cours de l’année précédente, 21 % des Canadiens ont déclaré ne pas avoir d’assurance pour couvrir le coût, en tout ou en partie, de leurs médicaments sur ordonnance. Le recours aux médicaments sur ordonnance était également plus faible chez les personnes sans assurance, à raison de seulement 56 % comparativement à 70 % pour les Canadiens ayant une assurance.
Les pourcentages de personnes qui ont déclaré ne pas avoir d’assurance-médicaments pour couvrir le coût des médicaments sur ordonnance étaient plus élevés chez les immigrants que chez les non-immigrants et chez les personnes racisées comparativement aux personnes non racisées et non autochtones.
Heureusement, le 29 février 2024, après de nombreuses années d’attente, l’honorable Mark Holland, ministre fédéral de la Santé, a présenté le projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance-médicaments.
Sénatrice Osler, je regrette de devoir vous interrompre. Vous disposerez du reste de votre temps de parole lorsque le débat reprendra après la période des questions.