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La Loi sur l'Agence du revenu du Canada

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

6 novembre 2025


L’honorable Elizabeth Marshall [ + ]

Honorables sénateurs, je prends aujourd’hui la parole en tant que porte-parole pour le projet de loi S-217, présenté par le sénateur Downe et intitulé Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (rapports concernant l’impôt sur le revenu impayé). Bien que mon rôle de porte-parole consiste normalement à critiquer, il se trouve que j’appuie pleinement ce projet de loi. J’espère que, cette fois-ci, il sera adopté et entrera en vigueur.

Comme la plupart d’entre vous le savent, le sénateur Downe défend cette cause depuis plus de 10 ans. Son premier projet de loi d’intérêt public sur la question a été déposé au Sénat en avril 2015, sous le numéro S-226, mais il est mort au Feuilleton quand les élections ont été déclenchées cette année-là. Il a présenté à nouveau le projet de loi sous le numéro S-243, en 2018. Celui-ci a été adopté par le Sénat avec quelques amendements mineurs apportés en comité, puis il a atteint l’étape de la deuxième lecture à l’autre endroit.

Le projet de loi S-258 en était la version suivante, présentée en mars 2023 et intégrant les modifications qui avaient été recommandées lors du débat sur le projet de loi précédent. Le projet de loi S-258 a été adopté à l’étape de la deuxième lecture, puis étudié par le Comité des finances nationales, qui, à cette fin, a tenu deux réunions et entendu l’Agence du revenu du Canada et le directeur parlementaire du budget.

Alors que l’Agence du revenu du Canada a tenté de démontrer que le projet de loi était inutile et injustifié, le directeur parlementaire du budget de l’époque l’a fortement approuvé en déclarant que le projet de loi S-258 renforcerait la capacité du directeur parlementaire du budget à accéder aux données sur le manque à gagner fiscal nécessaires à la réalisation d’une analyse indépendante. Il a ajouté qu’une telle analyse serait selon lui très utile aux parlementaires et aux Canadiens.

Le Sénat a adopté le projet de loi S-258 sans amendement en juin 2024, mais malheureusement, la prorogation du Parlement a entraîné sa mort au Feuilleton de l’autre endroit.

Le projet de loi actuel, le projet de loi S-217, a fait l’objet d’un examen minutieux au fil des ans et a reçu à plusieurs reprises un appui important au Sénat. J’espère sincèrement que cette dernière version recevra le même appui, non seulement au Sénat, mais également à l’autre endroit.

Le projet de loi S-217 est identique au projet de loi S-258. Il prévoit trois modifications principales à la Loi sur l’Agence du revenu du Canada. Premièrement, il exige que l’Agence du revenu du Canada produise au moins une fois tous les trois ans des statistiques sur le manque à gagner fiscal. Deuxièmement, il oblige le ministre du Revenu national à fournir les données sur le manque à gagner fiscal au directeur parlementaire du budget. Troisièmement, il exige que l’Agence du revenu du Canada énumère toutes les condamnations pour évasion fiscale, y compris celles pour évasion fiscale internationale, dans le rapport qu’elle soumet chaque année au ministre du Revenu national.

Le manque à gagner fiscal désigne la différence entre le montant des impôts qui devraient être perçus et celui qui est réellement perçu. Bien que son calcul ne soit pas une science exacte, étant donné qu’il y a souvent des revenus cachés ou des erreurs de bonne foi, il existe des méthodes crédibles pour estimer une fourchette fiable.

Par exemple, en 2022, l’Agence du revenu du Canada a estimé que le manque à gagner fiscal brut du Canada se situait entre 35 et 40 milliards de dollars, soit environ 9 % du total des recettes fédérales. Elle a également estimé qu’elle pourrait récupérer environ 17 milliards de dollars grâce à des mesures d’application de la loi, ce qui laisserait un manque à gagner fiscal net de 23 milliards de dollars.

En quoi est-ce important? C’est important parce que mesurer le manque à gagner fiscal nous fournit un outil de diagnostic essentiel, un point de repère qui nous indique l’efficacité du système fiscal. Sans cet outil, nous ne pouvons pas savoir clairement si les mesures d’application de la loi sont efficaces et nous ne disposons d’aucun moyen concret pour évaluer les progrès réalisés.

Comme je l’ai indiqué dans mon discours sur le projet de loi S-258, le simple fait de calculer le manque à gagner fiscal ne règle aucun problème en soi, mais cela revient en quelque sorte à prendre les signes vitaux d’une personne : cela permet de détecter si quelque chose ne va pas et si la situation s’améliore ou s’aggrave. Si le manque à gagner fiscal est élevé, on sait que l’on a un problème; s’il augmente, le problème s’aggrave; mais s’il diminue, c’est qu’on fait ce qu’il faut.

Ces données peuvent aider le gouvernement à améliorer la perception des recettes, à évaluer la politique fiscale, à promouvoir l’équité, à répartir plus efficacement les ressources d’application de la loi, à élaborer de meilleures stratégies de conformité et à évaluer plus exactement le travail de l’Agence du revenu du Canada. Cependant, malgré l’intérêt de mesurer le manque à gagner fiscal, le Canada n’avait pas d’approche cohérente pour le faire jusqu’à il y a quelques années. La situation a commencé à changer en 2016, lorsque l’agence a commencé à publier des rapports sur des éléments précis du manque à gagner fiscal, y compris les méthodes utilisées pour les estimer.

En 2022, l’agence a publié un premier rapport complet, intitulé Rapport sur l’écart fiscal fédéral global : Estimations et principales constatations concernant l’inobservation pour les années d’imposition 2014 à 2018, qui examinait toutes les principales sources fiscales fédérales.

Comme on peut le lire sur le site Web de l’Agence du revenu du Canada :

Le programme sur l’écart fiscal de l’Agence prévoit publier le deuxième rapport sur l’écart fiscal global en 2025 (cible : fin juin) avec les estimations mises à jour et les principales constatations jusqu’à l’année d’imposition 2022…

Fait intéressant, l’Agence du revenu du Canada souligne que « cette approche est conforme à la proposition du projet de loi S-258, déposé par le sénateur Percy Downe en mars 2023 ».

Honorables sénateurs, je crois que c’est une façon pour l’Agence du revenu du Canada de reconnaître que le travail du sénateur Downe a déjà changé les choses. Même si les mesures prises par l’Agence du revenu du Canada sont encourageantes, elles présentent trois lacunes importantes.

Tout d’abord, la loi n’oblige pas l’agence à continuer de faire le travail requis pour publier des rapports sur des éléments précis du manque à gagner fiscal. Compte tenu de l’importance de ces renseignements pour le Parlement, il faut que la loi exige que l’agence fournisse ces données au lieu de laisser cela à sa discrétion.

Il faut que la loi exige des rapports réguliers sur le manque à gagner fiscal afin que nous puissions suivre les progrès au fil du temps. Le projet de loi S-217 viendrait remédier à la situation en exigeant des rapports sur le manque à gagner fiscal tous les trois ans.

La deuxième lacune du processus en place, c’est que l’agence n’est pas obligée de communiquer les données sur le manque à gagner fiscal au directeur parlementaire du budget. S’il n’a pas accès à ces données, le directeur parlementaire du budget est limité dans sa capacité de vérifier ou d’évaluer de manière indépendante les estimations de l’agence, ce qui constitue une lacune importante en matière de reddition de comptes au public.

Le projet de loi S-217 propose une solution à ce problème qui, comme je l’ai mentionné, est jugée satisfaisante par le directeur parlementaire du budget.

Troisièmement, même si l’Agence du revenu du Canada publie certaines condamnations pour évasion fiscale, la liste actuelle n’est pas exhaustive et fournit peu d’information sur les affaires internationales. Ce manque de transparence nuit à la responsabilité publique dans la lutte contre l’évasion fiscale à l’étranger. Le projet de loi S-217 remédierait à cette situation en exigeant la divulgation complète de ces condamnations.

Le projet de loi représente essentiellement un point de départ de la lutte contre l’évasion fiscale. Lorsque des particuliers ou des entreprises font de l’évasion fiscale, ils évitent de payer leur juste part du coût des services publics, ce qui alourdit le fardeau de ceux qui paient leurs impôts et sape l’intégrité de l’ensemble du système.

L’évasion fiscale réduit également les recettes du gouvernement, ce qui peut entraîner des coupes dans les programmes publics ou une augmentation des impôts pour les citoyens respectueux de la loi. Ces conséquences érodent davantage la confiance dans le gouvernement et ses promesses de lutter contre l’évasion fiscale.

Même si le projet de loi S-217 ne permet pas d’éliminer l’évasion fiscale, il constituerait un pas important dans la bonne direction. Il comblerait des lacunes majeures en ce qui concerne l’information dont le Parlement a besoin pour exercer une surveillance efficace. Il augmenterait la transparence et la reddition de comptes. Il favoriserait une meilleure application de la loi et une meilleure élaboration des politiques. Enfin, il sensibiliserait davantage le public, ce qui encouragerait l’observation volontaire de la loi et renforcerait la confiance dans l’équité du système.

Honorables sénateurs, même si aucun régime fiscal n’est parfait, nous avons la responsabilité de rendre le nôtre plus solide et plus équitable. Le projet de loi S-217 nous aiderait à atteindre cet objectif. Je vous encourage à appuyer le projet de loi et à le renvoyer rapidement au comité pour un examen plus approfondi.

Merci.

La sénatrice Marshall accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Marshall [ + ]

Oui.

Je tiens à vous remercier de tout le travail que vous accomplissez au sujet des questions financières. C’est fort apprécié.

Je voudrais vous poser une question, comme je ne siège plus au Comité des finances et que je n’ai plus l’occasion de poser des questions de ce genre. Quand le sénateur Downe a parlé du projet de loi à l’étude et prononcé son discours en deuxième lecture, il a évoqué les Panama Papers et les Pandora Papers et il a nommé quelques pays qui ont fait des démarches pour récupérer des sommes ou poursuivre des gens.

J’ai profité de l’été pour explorer cette question. Je me suis particulièrement demandé comment l’Islande — un très petit pays — avait géré cette affaire. J’en ai donc discuté avec les procureurs islandais. Vous vous souvenez peut-être que les fonctionnaires ont souvent dit au Comité des finances que ces affaires étaient extrêmement complexes, ce qui expliquait en partie pourquoi le Canada ne cherchait pas à récupérer l’argent en cause ni à poursuivre les personnes nommées dans les documents. Eh bien, en Islande, ils ne se sont pas contentés de poursuivre des gens. Je leur ai demandé à quel point il s’agissait d’un travail monumental et complexe. Ils m’ont répondu qu’un journaliste d’enquête et deux procureurs, avec la pleine coopération de toutes les autorités qu’ils avaient contactées, avaient obtenu les renseignements grâce aux Pandora Papers et aux Panama Papers.

Est-ce que cela vous surprend? Que devrions-nous faire, selon vous, à la lumière de cette information?

La sénatrice Marshall [ + ]

Merci beaucoup de votre question, sénatrice Pate.

Je dois dire que je ne suis pas surprise. Je pense que l’Agence du revenu du Canada éprouve des difficultés depuis plusieurs années. Je ne sais pas pourquoi. Je sais que vous êtes au courant du rapport publié par la vérificatrice générale il y a deux semaines. L’Agence du revenu du Canada semble éprouver des difficultés même dans l’exécution de ses fonctions les plus élémentaires. À mon avis, si vous n’êtes pas capable de réparer votre système téléphonique, vous avez vraiment un problème, et l’Agence du revenu du Canada est incapable de réparer son système téléphonique.

Je ne suis donc pas surprise du tout.

Je ne pense pas qu’une solution législative soit de mise. Bien que l’Agence du revenu du Canada ait affirmé lors des audiences du Comité sénatorial permanent des finances nationales qu’elle n’avait pas besoin de la mesure législative, je ne compterais pas sur elle pour divulguer volontairement cette information. Je pense que la meilleure solution consiste à en faire une obligation légale.

Merci, sénatrice Marshall. Comme je ne fais plus partie du Comité des finances nationales, seriez-vous disposé à poser certaines de ces questions et pourrions-nous travailler ensemble sur ce dossier?

La sénatrice Marshall [ + ]

Oui, et j’ai hâte d’entendre ce que l’Agence du revenu du Canada a à dire, car, en plus de cette nouvelle exigence, vous remarquerez qu’elle devra également faire face aux compressions importantes et à la réaffectation des ressources qui sont prévues dans le budget.

Par conséquent, je poserai effectivement ces questions. Merci.

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