Projet de loi canadienne sur l'accessibilité
Deuxième lecture
21 mars 2019
Honorables sénatrices et sénateurs, c’est avec une certaine émotion que je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-81, un projet de loi que l’on a qualifié d’historique à plusieurs reprises et qui laisse espérer un Canada sans obstacle pour les personnes qui vivent avec un handicap.
J’aimerais tout d’abord remercier le parrain de ce projet de loi, le sénateur Munson, pour son travail inlassable à faire avancer ce dossier. Je le remercie également de son discours remarquable. Il fait ce travail avec le grand cœur qu’on lui connaît, mais surtout avec respect envers les personnes qui vivent avec un handicap.
Je tiens également à féliciter la ministre Carla Qualtrough, ancienne championne paralympique, qui a grandement contribué au projet de loi. En 1992, l’année d’adoption de la Disability Act aux États-Unis, nous participions toutes les deux aux jeux de Barcelone. Je me souviens très bien de l’espoir que ce projet de loi suscitait dans le monde pour les personnes handicapées.
Oui, cela a pris du temps, mais nous avons enfin notre propre projet de loi, la Loi visant à faire du Canada un pays exempt d’obstacles. C’est donc un moment historique. Il est juste de dire que votre héritage, ministre Qualtrough, est loin de se limiter aux médailles que vous avez gagnées pour le Canada.
Au lieu de vous offrir un discours aujourd’hui, j’aimerais simplement vous raconter trois histoires qui, de mon humble avis, mettent en relief non seulement le projet de loi, mais surtout l’importance de bâtir ce Canada sans obstacle.
Je me lance. C’était en 1988, à ma première année au cégep, soit cinq ans après que je sois devenue paraplégique. C’était aussi l’année de la sortie du film de Wim Wenders intitulé Les Ailes du désir. Ainsi, à 17 ans, j’ai décidé qu’apprendre l’allemand était une priorité. Je me suis donc inscrite à un cours d’allemand, mais un petit problème se posait : il y avait quatre ou cinq marches à monter avant d’atteindre le local au bout du corridor. Le cégep a bien réagi; une rampe a été installée. Or, elle était tellement courte et sa pente était tellement raide qu’une catastrophe était inévitable. J’avais le choix : soit je demandais à des amis de me pousser jusqu’en haut, soit je prenais une grande respiration avant de prendre mon élan et de rouler comme si ma vie en dépendait en espérant me rendre jusqu’en haut.
J’étais jeune. J’essayais de m’intégrer et je refusais de demander de l’aide. J’étais par contre très déterminée. Pour que personne ne me remarque, j’arrivais en avance et j’essayais de monter la rampe sans que personne ne me voie. Il me fallait parfois trois ou quatre tentatives.
Après quelque temps, mon ego, ou mon instinct de survie, a pris le dessus, et j’ai décidé d’abandonner le cours.
Je crois que nous conviendrons tous que de ne pas avoir appris l’allemand n’est pas pour moi une tragédie, mais on peut facilement imaginer — et c’est le point que je veux souligner — que des milliers de personnes handicapées vivent encore aujourd’hui des situations semblables, mais qui ont des répercussions beaucoup plus graves sur leur vie, sur l’atteinte de leurs objectifs, sur la contribution qu’elles veulent apporter à la société et sur leur droit fondamental à l’accessibilité.
À mon humble avis, tant que les obstacles physiques et architecturaux et les obstacles à la communication n’auront pas été levés, nous ne pourrons dire que le Canada est accessible.
Avec le projet de loi C-81, non seulement on tente d’éliminer les obstacles, mais on parle aussi de mettre en place des normes précises, définies et concrètes pour que l’accessibilité devienne une réalité. Plus encore, ce projet de loi énonce clairement que, à toutes les étapes, les personnes qui vivent avec un handicap feront partie du processus.
Le principe qui sous-tend le projet de loi, soit que « rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous », m’apparaît absolument essentiel. En effet, malgré les bonnes intentions de tout un chacun, les personnes handicapées sont bien placées pour savoir quels sont les besoins et quelles sont les solutions efficaces, étant donné leur expérience personnelle et leur expertise. Le projet de loi place les personnes handicapées au cœur du processus, comme il se doit. Cela suffit à me rendre optimiste.
Cela dit, il ne suffit évidemment pas de construire de bonnes rampes pour rendre le Canada « exempt d’obstacles ». Ce sera la partie la plus facile, à mon avis. Ce qui importe le plus, c’est de faire évoluer les mentalités.
Permettez-moi de vous raconter une autre anecdote. Mon amie Cheri Blauwet, une coureuse paralympique américaine, est une femme brillante. Quand elle a pris sa retraite, elle souhaitait étudier la médecine, et c’est ce qu’elle a fait. C’est une femme pleine de vigueur et de passion, et elle s’est butée à peu d’obstacles architecturaux en partie grâce à la loi américaine sur les personnes handicapées. Elle pouvait accéder facilement aux immeubles et aux locaux et utiliser un équipement médical légèrement modifié. Elle a donc fait ses études de médecine et est devenue la Dre Blauwet.
Il y a toutefois un obstacle qu’elle n’avait pas imaginé : les patients trouvaient déboussolant de voir un médecin en fauteuil roulant et réagissaient de toutes sortes de façons. Voici mon exemple préféré. Il est tiré de l’article du New York Times intitulé I Use a Wheelchair. And Yes, I’m Your Doctor, ou « Je me déplace en fauteuil roulant et oui, je suis votre médecin ». L’article cite ces propos de Cheri :
Malgré mon insigne disant « Dre Blauwet » et le stéthoscope clairement visible autour de mon cou, un homme près de moi dans la queue m’a dit : « Vous semblez aller très bien. Quand obtiendrez-vous votre congé? » De toute évidence, seul mon fauteuil roulant avait retenu son attention. De plus, pour lui, mon fauteuil roulant était synonyme de maladie, plutôt qu’un moyen d’être autonome.
Je trouve cet exemple très éloquent. Je sais qu’elle a vécu plusieurs fois une telle situation — on l’a prise pour une patiente malgré son insigne, ses vêtements blancs et son stéthoscope.
L’attitude est au cœur de la solution. Si nous ne parvenons pas à changer l’attitude, la perception et les comportements des gens, le Canada ne deviendra jamais un pays exempt d’obstacles.
Est-ce que ce projet de loi saura être un outil puissant pour aider à changer les attitudes envers les personnes handicapées? Il en a l’intention, et nous sommes en droit, je l’espère, de croire que cela se concrétisera.
Je veux terminer mes propos en vous parlant du fils de ma cousine, le fantastique petit Milan.
Milan a 8 ans et est atteint de la paralysie cérébrale depuis qu’il est né. C’est un petit garçon courageux, intrépide et joyeux. Il utilise deux cannes pour marcher, jouer et courir. Il serait très content que je dise qu’il est la future étoile de son équipe de hockey sur luge.
L’an dernier, chez moi, j’ai observé Milan jouer avec mon fils. Sans crainte et insouciant, il courait partout et bousculait tout sur son passage. Il m’est alors apparu clairement que le petit Milan ne se voyait pas du tout comme une personne handicapée. Fait tout aussi révélateur, mon petit garçon ne le considérait pas non plus comme une personne handicapée. C’était tout simplement deux garçons jouant ensemble.
Chers collègues, voilà l’objectif qu’il faudrait viser lorsqu’on parle d’un Canada exempt d’obstacles.
Maintenant, je ne suis pas naïve. Je sais fort bien que ce projet de loi ne va pas, par magie, transformer la vie de toutes les personnes vivant avec un handicap au Canada. Il présente des limites dans ce qu’il peut faire, dans son étendue et dans le nombre de personnes handicapées qui pourront en profiter. Un certain nombre d’inquiétudes légitimes ont été soulevées, ici, au Sénat, et par des organisations, que nous aurons l’occasion d’étudier au sein d’un comité.
Je ne suis donc pas naïve, mais permettez-moi d’espérer. J’espère que le projet de loi C-81 jettera des bases solides, établira des normes d’accessibilité concrètes et élevées et contribuera au changement des mentalités. J’espère aussi qu’il créera un fort mouvement qui sera accueilli par les provinces et les territoires et que le Canada deviendra progressivement un pays exempt d’obstacles.
Au bout du compte, j’espère que le jeune Milan pourra grandir dans un pays où son handicap ne l’empêchera jamais de réaliser ses rêves les plus fous. C’est ainsi, chers collègues, que nous pourrons évaluer le succès du projet de loi dans les années à venir.
Merci.
Honorables sénateurs, mon propos d’aujourd’hui porte sur le projet de loi C-81, Loi visant à faire du Canada un pays exempt d’obstacles. Ce projet de loi s’inspire largement de la Loi de 2005 sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario (LAPHO).
Les discours prononcés jusqu’à présent sur le projet de loi ont couvert l’ensemble des éléments qui sont intégrés à cette législation. Je ne m’y attarderai donc que très peu. Je concentrerai mes propos sur quelques points qui pourraient être étudiés par un comité.
Entre autres, le projet de loi C-81 prévoit la création d’une entité indépendante, pérenne et experte, soit l’Organisation canadienne d’élaboration de normes d’accessibilité, dont le mandat sera d’améliorer les normes d’accessibilité qui serviront de référence à la création de règlements. Il crée le poste de commissaire à l’accessibilité, dont le mandat sera de veiller à la mise en œuvre du projet de loi. Le projet de loi C-81 sera encadré par des règlements dans lesquels nous retrouverons le détail des obligations qui incomberont aux entités assujetties et il prévoit que le ministre, le CRTC et l’OTC pourront accorder certaines exemptions quant à la production de rapports.
Mon intervention d’aujourd’hui vise à faire une analyse comparative des deux régimes législatifs : la Loi sur l’accessibilité de l’Ontario et le projet de loi C-81. J’analyserai les obligations qui incombent aux entités qui y seront soumises en ce qui a trait aux services offerts aux personnes vivant avec un handicap visuel, de l’ouïe ou du langage, aux obligations en matière de formation des personnes qui offrent les services au public et à l’échéancier de mise en application de cette loi.
Je connais la Loi sur l’accessibilité de l’Ontario, parce que j’ai dû la mettre en place dans mon entreprise. Je voulais donc m’assurer que le projet de loi couvrait l’ensemble des composantes et présentait des améliorations par rapport à la législation ontarienne.
La grande différence entre le cadre législatif fédéral proposé dans le projet de loi C-81 et la loi ontarienne est liée à la création de l’entité indépendante, pérenne et experte, l’Organisation canadienne d’élaboration de normes d’accessibilité, dont le mandat sera d’élaborer les normes d’accessibilité qui serviront de référence à la création de règlements. En Ontario, les comités chargés d’élaborer les normes sont formés par le ministre des Services aux aînés et de l’Accessibilité et sont établis au besoin.
Le projet de loi C-81 crée le poste de commissaire à l’accessibilité, dont le mandat est de veiller à la mise en œuvre du projet de loi et à son application. Toutefois, le projet de loi ne fixe pas de date limite pour sa mise en œuvre, ce qui rend celle-ci moins contraignante et diminue l’urgence associée aux dispositions qu’elle contient. Or, cet aspect est contraire aux dispositions de la loi ontarienne. Il semblerait, comme l’a affirmé la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement lors de la séance d’information tenue le 20 février dernier, « qu’une telle date limite ait un impact négligeable sur l’efficacité de la législation et ne soit pas réaliste ».
Je suis plutôt d’avis que s’il n’y a pas de date limite pour l’entrée en vigueur de la loi, les entités ne seront pas contraintes de s’y conformer en fonction d’une échéance établie et que certaines tarderont à le faire. En Ontario, les échéances ont été établies sur plusieurs années, selon le type d’entreprise ou d’organisme, ce qui leur donnait suffisamment de temps pour s’y conformer et permettait aux responsables de la mise en œuvre de cette loi de suivre l’évolution du dossier. Le même système pourrait être mis en place dans les règlements et permettrait d’établir des indicateurs de conformité.
La partie 4 du projet de loi C-81 impose une variété d’obligations aux entités réglementées, comme la création d’un plan d’accessibilité, l’établissement d’un processus de rétroaction et la production de rapports d’étapes sur la mise en œuvre d’un plan initial. En vertu de la nouvelle loi sur l’accessibilité, le plan initial doit être adopté et publié au cours de l’année qui suit la date fixée par règlement et doit contenir les politiques, programmes et pratiques de reconnaissance des obstacles. Les plans subséquents doivent être préparés et publiés au plus tard trois ans suivant la publication du rapport précédent.
En ce qui a trait aux obligations imposées aux employeurs, un rapport initial et des rapports subséquents doivent être fournis au commissaire de manière ponctuelle. Les règlements établiront le détail des obligations qui incomberont aux entités assujetties au projet de loi C-81.
Pour l’instant, nous savons que les règlements pourraient avoir une portée très large, étant donné que la jurisprudence canadienne reconnaît avec latitude les situations de discrimination sur la base du handicap et que le test est exigeant pour les employeurs qui souhaitent se prévaloir de la défense de la « contrainte excessive ».
À titre de chef d’entreprise d’une entité de l’Ontario soumise à la Loi sur l’accessibilité pour les personnes handicapées, j’ai dû mettre en place les politiques et les règles de fonctionnement de la loi ontarienne, veiller à ce que l’entreprise respecte en tout point les normes décrétées et soumettre périodiquement un rapport de conformité. La Loi sur l’accessibilité pour les personnes handicapées aurait pu être contraignante pour nous, à titre d’employeurs d’une entité offrant des services au grand public, autant au chapitre financier que logistique, dans le cadre de sa mise en œuvre.
Cette loi aura été plutôt une occasion, puisqu’elle nous a permis de grandir en tant qu’individus et de mieux comprendre les difficultés auxquelles les personnes vivant avec un handicap se heurtent quotidiennement. Nous avons donc appris à mieux les servir.
Comme la sénatrice Petitclerc le mentionnait plus tôt, cela a aussi amené des changements importants de comportement. En effet, l’Ontario est la première juridiction au monde à avoir mis en place une obligation pour les employés de suivre une formation sur l’accessibilité. Le projet de loi C-81 ne prévoit pas d’obligation semblable, mais une telle mesure pourrait découler d’un règlement éventuel.
Chez nous, à l’Alliance des caisses populaires, la formation a été offerte par le groupe Le Phénix, qui est, et je cite :
[...] le seul organisme provincial francophone qui œuvre à l’inclusion et à la véritable et pleine participation des personnes en situation de handicap dans tous les secteurs d’activité et dans toute leur diversité.
Tous les employés de mon réseau — et nous étions près de 400 — ont suivi la formation offerte par des personnes vivant avec un handicap visuel, auditif, langagier et physique. Sous le couvert de l’humour et du jeu, ces personnes nous ont montré que, même si nous parlions plus fort, la personne malentendante n’entendait pas mieux et que nous devions plutôt lui offrir un service d’interprétation adapté à ses besoins. Il en était de même pour les ententes contractuelles, l’accessibilité aux guichets automatiques et aux services en ligne. Nous avions des obligations légales à respecter. Nous avons appris à reconnaître les problèmes auxquels les personnes en fauteuil roulant se heurtaient tous les jours et qui réduisaient leur autonomie. Nous avons appris à ne pas déranger les animaux-guides, qui ont un travail à faire et qui doivent demeurer vigilants pour leur maître. Enfin, nous avons appris l’ensemble des règles liées au service et à nos obligations en tant qu’entreprise de services.
Je trouve regrettable que cette composante ne soit pas incluse dans la loi. Nous devons démystifier le handicap, éliminer la peur et la gêne qui y sont associées et mieux faire comprendre les contraintes auxquelles font face quotidiennement les personnes qui sont en situation de handicap, tout en gardant en tête qu’elles seront mieux servies.
Le projet de loi C-81 prévoit un outil pour éduquer et sensibiliser les entités réglementées par la constitution de l’Organisation canadienne d’élaboration de normes d’accessibilité, dont la mission vise, entre autres, et je cite :
la diffusion de renseignements, notamment sur les pratiques exemplaires, relativement à la reconnaissance et l’élimination d’obstacles ainsi que la prévention de nouveaux obstacles.
Je souhaite que cet outil soit tout aussi pertinent que ce qui est fait à l’heure actuelle en Ontario.
J’invite donc les membres qui étudieront cette composante en comité à s’attarder sur cette question afin de voir s’il ne serait pas de mise d’intégrer la formation obligatoire dans le projet de loi. L’Ontario prévoit que l’amélioration de l’accessibilité, et je cite :
[...] peut créer jusqu’à 9,6 milliards de dollars en nouvelles dépenses de détail et 1,6 milliard de dollars en nouvelles dépenses de tourisme sur cinq ans.
Il est prévu que d’ici 2025, le revenu des personnes âgées et des personnes qui vivent avec un handicap représentera 536 milliards de dollars ou 40 p. 100 du revenu total de la population ontarienne. Il y a peut-être lieu de revoir la composante axée sur la formation dans la loi. Si nous tenons pour acquis que ces prévisions qui ont été publiées le 19 juillet dernier sont bonnes, l’Ontario fait preuve de clairvoyance dans son approche visant les services aux personnes âgées et aux personnes en situation de handicap.
Comme dans le cas de bon nombre de projets sur lesquels nous devons nous prononcer, nous n’avons que peu d’information quant aux règlements qui encadreront la mise en œuvre de cette loi. Si on dit que « le diable est dans les détails », il nous est difficile de nous prononcer sur la portée qu’aura cette loi pour les entités qui y seront soumises. Nous devons tenir pour acquis que, si les règlements sont le reflet de l’état du droit au Canada, ils couvriront une large portion du spectre des handicaps en vertu desquels découleront les obligations des entités réglementées.
Finalement, le projet de loi C-81 prévoit que le ministre, le CRTC et l’OTC peuvent accorder certaines exemptions quant à la production de rapports. La loi ontarienne ne prévoit pas d’exemption de ce genre. Il y aura lieu de mieux comprendre ces exemptions afin d’éviter les échappatoires qui permettraient à une entité de se soustraire à la loi.
Le régime législatif fédéral sur l’accessibilité qui est en vigueur en ce moment protège les personnes qui vivent avec un handicap contre la discrimination en vertu de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et de l’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Charte s’applique au gouvernement, alors que la Loi canadienne sur les droits de la personne s’applique aux entités privées qui relèvent de compétences fédérales. Le Canada est également signataire de la Convention relative aux personnes handicapées des Nations Unies.
Le régime fédéral en matière de discrimination est réactif plutôt que proactif, c’est-à-dire qu’il faut attendre qu’une violation en vertu de la Charte ou de la Loi sur les droits de la personne se matérialise, que la personne handicapée ou son mandataire formule une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne ou les tribunaux, et que, éventuellement, elle obtienne une ordonnance ou un jugement afin que soient imposées des sanctions à l’entité qui a manqué à ses obligations, et qu’une réparation lui soit accordée. Les avancements dans ce domaine se font donc de violation à violation.
Il n’y a pas non plus de tierce partie qui veille au respect des droits des personnes handicapées. Le fardeau de faire respecter des droits brimés repose sur les épaules des personnes handicapées qui sont victimes de discrimination. Notons que le handicap est le motif le plus courant parmi les plaintes pour discrimination déposées devant la Commission canadienne des droits de la personne, ce qui représente plus de 60 p. 100 des plaintes reçues.
Il est grand temps que nous mettions fin à ce régime discriminatoire et que nous passions à la mise en place d’un nouveau régime beaucoup mieux adapté aux besoins d’aujourd’hui. Le projet de loi C-81 est important et nécessaire afin que nous puissions offrir aux personnes qui vivent avec un handicap un ensemble de services adaptés et adéquats. Envoyons sans tarder ce projet de loi au Comité des affaires sociales afin qu’il soit étudié en profondeur et que nous puissions adopter une loi qui améliore l’accessibilité pour les personnes handicapées.
Merci de votre attention.
Distingués collègues, je prends brièvement la parole à mon tour aujourd’hui afin d’apporter mon soutien au projet de loi C-81, Loi visant à faire du Canada un pays exempt d’obstacles, et de vous faire part de quelques observations et préoccupations qui sont ressorties de mes diverses rencontres avec des organismes au Nouveau-Brunswick récemment.
Je tiens d’abord à affirmer que j’appuie ce projet de loi qui constitue une étape importante et même historique pour les personnes en situation de handicap, comme plusieurs de nos collègues nous l’ont si bien rappelé. D’ailleurs, depuis l’adoption de la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies, un tel projet de loi était revendiqué par de nombreux Canadiens et Canadiennes, et plus particulièrement par les personnes en situation de handicap.
Je veux aussi souligner le débat rigoureux à l’appui du projet de loi, dont les fondements et les objectifs tiennent compte des valeurs qui feront du Canada le pays inclusif que nous visons tous.
Permettez-moi, honorables sénateurs, de relever toute l’importance de ce projet de loi pour ma région. Lors de l’une de mes récentes tournées des différentes régions du Nouveau-Brunswick, j’ai appris que ma province se classait deuxième au Canada quant à la proportion de la population qui vit avec un handicap, soit environ 26 p. 100 de la population néo-brunswickoise.
Étant donné que le vieillissement rapide de la population va certainement augmenter cette proportion, les mesures visant à faire du Canada un pays exempt d’obstacles constituent une priorité pour ma province.
Bien que circonscrit aux domaines énumérés à l’article 5 et dans le champ de compétences fédérales en vertu de l’article 7, le projet de loi sur l’accessibilité pourrait servir de modèle, voire d’inspiration, pour tous les organismes et entités n’étant pas assujettis à ce projet de loi.
Comme l’honorable sénateur Munson l’a si bien mentionné — et j’en profite pour le remercier de son leadership dans ce dossier —, ce projet de loi constitue un changement de culture. Il me semble que ce changement est déjà bien entamé au sein de la population canadienne, et c’est à notre tour, honorables collègues, de donner la dernière impulsion nécessaire pour assurer l’inclusion pleine et entière des personnes en situation de handicap et le respect des droits fondamentaux de tous nos concitoyens et concitoyennes.
Malgré l’appui inconditionnel que je manifeste envers le projet de loi C-81, quelques interrogations me sont apparues à l’étape de la première lecture et m’ont été signalées par des organismes néo-brunswickois qui cumulent de nombreuses années de travail sur le terrain. J’en aborderai trois ici : la réalité des milieux ruraux, la terminologie utilisée dans le projet de loi et la reconnaissance des droits linguistiques.
J’aborderai tout d’abord la réalité des milieux ruraux.
Lorsque j’ai rencontré Haley Flaro, la directrice de Capacité Nouveau-Brunswick, un organisme fondé à Moncton en 1956, elle m’a parlé des besoins et des défis quotidiens de ses membres. Il était alarmant d’entendre les difficultés particulières éprouvées par les personnes handicapées qui vivent en région rurale.
Par exemple, une grande proportion des personnes handicapées qui vivent en région rurale dépendent de services de transport adapté fournis par des bénévoles, qui sont coordonnés par les organismes, pour se déplacer dans leur quotidien. Nous ne pouvons qu’imaginer à quel point cette situation doit être difficile pour eux sur le plan de l’accessibilité.
Les collectivités rurales partout au Canada doivent être ingénieuses et agir en solidarité lorsqu’elles essaient de régler les problèmes d’inaccessibilité des personnes handicapées, même dans le cadre du projet de loi C-81.
Il semble aussi que certaines personnes craignent que l’attention soit axée sur les problèmes des grands centres urbains du pays, comme Montréal, Toronto et Vancouver. Pourtant, les difficultés éprouvées par les gens qui vivent en région rurale sont parfois très différentes de celles éprouvées par les citadins. Ces deux types de difficultés doivent être considérées sur un pied d’égalité.
Les personnes en situation de handicap et les organismes qui travaillent dans ce domaine dans les régions rurales réclament donc une meilleure représentation dans le cadre du projet de loi C-81.
Les alinéas 23(2)a) et 23(2)b) du projet de loi précisent que le conseil d’administration de l’Organisation canadienne d’élaboration de normes d’accessibilité sera majoritairement constitué de personnes en situation de handicap et qu’il représentera la diversité de la société canadienne. Ces objectifs sont très louables et doivent être salués. Cela dit, étant donné qu’une grande partie de la population canadienne est répartie dans des milieux ruraux et que les besoins et difficultés y sont très distincts, il m’apparaît essentiel de maintenir une représentation effective afin que leurs préoccupations soient entendues en tout temps, particulièrement dans le cadre de la création des normes en matière d’accessibilité.
Je souhaite donc que le comité qui étudiera plus en profondeur ce projet de loi réfléchisse aux moyens disponibles pour parvenir à ces fins, et qu’il cerne bien, dans le cadre du projet de loi C-81, ce qui pourrait constituer une représentation effective des droits et préoccupations de toute personne en situation de handicap dans nos collectivités rurales, d’un bout à l’autre du pays.
Le deuxième élément est la terminologie utilisée dans le projet de loi. Après avoir consulté plusieurs groupes de la communauté, je peux affirmer, chers collègues, qu’il est essentiel de toujours placer l’individu au centre de la situation du handicap, puisque celui-ci ne définit pas la personne. Effectivement, au cours de mes recherches, je me suis renseigné sur le concept du processus de production du handicap. À ce chapitre, je cite ici le Dr Patrick Fougeyrollas, qui affirme ceci :
Ce modèle systémique prend en compte les variables individuelles et environnementales en interaction, déterminant la qualité de la participation sociale. Une personne est en situation de participation sociale ou en situation de handicap selon la qualité de réalisation de ses habitudes de vie, résultant de l’interaction entre les facteurs personnels (ses déficiences, ses incapacités et ses autres caractéristiques personnelles) et les facteurs environnementaux (les facilitateurs et les obstacles).
En examinant de plus près la définition de handicap contenue à l’article 1 du projet de loi C-81, je constate que celle-ci se veut la plus inclusive possible et précise que c’est « l’interaction avec un obstacle [qui] nuit à la participation pleine et égale d’une personne dans la société ». Cette définition semble donc correspondre à un modèle inclusif qui place l’interaction avec l’environnement comme source d’inaccessibilité. À cette fin, ne serait-il pas opportun dans ce projet de loi d’utiliser une terminologie qui refléterait parfaitement ce concept, par exemple l’expression « personne en situation de handicap », plutôt que celle de « personne handicapée »?
Je crois qu’il s’agit là d’une occasion hautement symbolique à saisir. Cela permettrait de mettre en évidence le fait que tous les individus sont égaux et que c’est plutôt notre organisation sociale et environnementale qui crée des contraintes inconciliables avec les capacités ou facteurs personnels d’une portion de la population, desquels découlent donc les handicaps. J’invite donc le comité à réfléchir aussi à cette question.
Le troisième et dernier point est la reconnaissance des droits linguistiques. Comme nous l’ont rappelé à maintes reprises nos honorables collègues, et suivant le préambule du projet de loi C-81, celui-ci vise à mettre en œuvre la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées.
Or, deux articles de cette convention traitent de la reconnaissance de l’utilisation des langues des signes. Tout d’abord, l’article 21e) prévoit que les États parties à la convention « reconnaissent et favorisent l’utilisation des langues des signes », et ce, afin de permettre à toutes personnes d’exercer le « droit à la liberté d’expression et d’opinion, y compris la liberté de demander, recevoir et communiquer des informations et des idées, sur la base de l’égalité avec les autres et en recourant à tous moyens de communication de leur choix [...] ».
L’article 30 de la Convention des Nations Unies traite de la participation à la vie culturelle et récréative, aux loisirs et aux sports des personnes en situation de handicap — aspect crucial, particulièrement du point de vue de l’inclusion sociale. Selon le paragraphe 4, et je cite :
Les personnes handicapées ont droit, sur la base de l’égalité avec les autres, à la reconnaissance et au soutien de leur identité culturelle et linguistique spécifique, y compris les langues des signes et la culture des sourds.
Contrairement aux demandes des divers organismes et de cette disposition de la Convention des Nations Unies, le gouvernement n’a inclus aucune reconnaissance des langages des signes ASL et LSQ pour la population de personnes en situation de surdité au projet de loi C-81. Sans pour autant leur octroyer le statut de langues officielles du Canada, une forme de reconnaissance de ces langages des signes, dans ce projet de loi, permettrait de donner accès aux services d’interprétation de façon systématique ou à toutes les mesures nécessaires afin de respecter les droits de la population en situation de surdité, notamment en matière de communication, l’un des domaines inclus dans l’objet même du projet de loi, selon l’alinéa 5c). Encore une fois, le comité qui étudiera le projet de loi aura l’occasion de se pencher sur cette question importante.
En conclusion, je joins ma voix à celle de tous mes honorables collègues qui, comme moi, souhaitent que le débat entourant ce projet de loi soit efficient et que son adoption se fasse dans les meilleurs délais.
Mes dernières paroles s’adressent directement aux personnes en situation de handicap et à toutes ces communautés, organismes, aidants et proches au Canada qui les accompagnent jour après jour. Il va sans dire que le dévouement dont vous faites preuve est source d’inspiration pour nous tous. L’entraide et la détermination qui vous sont propres sont admirables et devraient nous guider afin de nous aider à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le respect du droit fondamental à l’égalité et du droit de chacun à l’inclusion pleine et entière dans notre société.
Mon plus grand souhait est que, partout au Canada, peu importe le handicap, les barrières soient réduites pour que chaque citoyen et citoyenne puisse, à l’image de notre collègue, la sénatrice Chantal Petitclerc, atteindre les plus hauts niveaux d’excellence et réaliser ses rêves les plus grands.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Il est proposé que le projet de loi soit lu une deuxième fois.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)