Recours au Règlement
Report de la décision de la présidence
8 décembre 2020
Votre Honneur, j’espère que vous m’accorderez votre indulgence. Je veux faire deux rappels au Règlement. Je n’étais pas présent à la Chambre lorsque la sénatrice Lankin a invoqué le Règlement et je n’ai donc pas pu répondre. J’aimerais faire quelques brèves observations, si vous le permettez.
Sénateur Plett, me demandez-vous de rouvrir un débat sur un rappel au Règlement? Si c’est le cas, et si vous dites que d’autres sénateurs veulent prendre part au débat, et je sais que c’est peut-être le cas, je suis prêt à rouvrir le débat, car je l’ai fait par le passé, mais je vais seulement permettre que l’on discute de nouveaux points.
Merci, votre honneur. Je m’excuse, j’aurais dû le demander avant de commencer.
Comme je le disais, jeudi soir dernier, nous débattions de la motion no 14, qui allait comme suit :
Que le Comité sénatorial permanent des langues officielles soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, la décision du gouvernement du Canada d’attribuer un contrat pour un programme de bourses d’études à l’organisme UNIS […]
Au cours du débat, la sénatrice Lankin a invoqué le Règlement au sujet des termes qu’a utilisés le sénateur Housakos dans son discours.
Votre Honneur, vous siégez au Sénat depuis de nombreuses années. Je suis certain que jeudi dernier, vous vous êtes dit qu’effectivement, les termes employés par le sénateur Housakos pour décrire les liens entre le premier ministre et l’organisme UNIS étaient tranchants, mais que vous aviez déjà entendu des propos plus offensants dans cette enceinte par le passé pour décrire un premier ministre. Je tiens à vous rassurer, vous avez raison. Vous avez entendu bien pire.
Vos collègues libéraux ont utilisé à maintes reprises des mots comme « scandale », « fraude », « abus de confiance », « corruption » et autres termes semblables pour décrire des actions du gouvernement conservateur. Je me rappelle très bien d’un discours du sénateur Cowan en décembre 2013, où il avait prononcé « corruption » cinq fois, « abus de confiance » quatre fois, « fraude » six fois et « scandale » six fois, dans le même discours. À cette époque, le Sénat avait estimé, comme nous devrions le faire aujourd’hui, qu’il s’agissait d’un langage propre au discours politique. Par conséquent, selon cet argument, je vous demanderais de rejeter le recours au Règlement de la sénatrice Lankin.
Au cours de ce même débat jeudi dernier, la sénatrice Dupuis a semblé vouloir soulever une question de privilège. Je dis qu’elle a semblé, parce que son intention n’était pas claire. Durant le week-end, j’ai consulté le hansard. J’ai décidé que puisqu’il y avait un doute si la question de privilège avait été soulevée ou non, je ne courrai pas le risque que Votre Honneur prenne une décision avant que j’aie eu la possibilité de présenter mes arguments.
Je ne crois pas que la sénatrice Dupuis a soulevé une question de privilège valable. Elle a résumé son argument en concluant ainsi :
L’invocation d’un privilège parlementaire pour attaquer, pour des raisons politiques ou autres, des responsables publics devant cet auditoire captif que sont les sénateurs et sénatrices est inacceptable.
Questionner, critiquer et attaquer les agents publics pour les décisions qu’ils ont prises est l’essence même du Parlement. Le privilège parlementaire ne protège pas les sénateurs des critiques formulées à l’encontre de leurs dirigeants politiques et de leurs alliés. Il s’agit d’un argument étrange — d’aucuns diraient même ridicule — et, selon moi, il ne constitue pas un motif valable pour soulever une question de privilège. Toutefois, je saisis l’occasion pour exprimer les préoccupations que suscite chez moi l’approche de certains de nos collègues. Certains sénateurs ne semblent pas comprendre la notion de privilège parlementaire. Comme je n’ai pas l’intention de donner aujourd’hui une classe de maître sur le privilège, j’invite tous les sénateurs à lire le 11e rapport du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement intitulé Privilège parlementaire : d’hier à aujourd’hui.
Enfin, si Son Honneur décide que le sénateur Housakos n’aurait effectivement par dû accuser le premier ministre d’être corrompu et d’avoir accepté des pots-de-vin, comme il l’a apparemment fait jeudi dernier, je propose donc que nous entendions tous les principaux acteurs du scandale UNIS, en commençant notamment par faire témoigner devant un comité plénier les autres intervenants de ce scandale — le premier ministre Trudeau, Sophie Grégoire, Alexandre Trudeau, Margaret Trudeau, l’ancien ministre des Finances Bill Morneau, les frères Keilburger et d’autres représentants de l’organisme UNIS — pour qu’ils expliquent leur point de vue. Ainsi, tous les sénateurs pourraient déterminer si les propos du sénateur Housakos ont dépassé les bornes, comme la sénatrice Lankin l’a mentionné. Avant de condamner le sénateur Housakos, il devrait avoir la chance de prouver que le premier ministre et sa famille ont effectivement pris part à des activités répréhensibles.
N’oublions jamais que, au Sénat, nous devrions toujours chercher à assurer la reddition de comptes, peu importe qui est au pouvoir.
Merci, Votre Honneur.
Les honorables sénateurs savent que, en ce qui concerne les recours au Règlement et les questions de privilège, comme pour la plupart des Présidents dans les systèmes de gouvernement de style Westminster, ma pratique habituelle consiste à ne plus accepter de demande écrite ou orale sur un sujet une fois que le débat en Chambre est clos, à moins qu’un sénateur, pour une raison spéciale, demande la réouverture du dossier, comme il m’est déjà arrivé d’accepter.
Hier soir, j’ai reçu d’une sénatrice un avis par écrit. J’allais refuser cette demande, mais puisque le sénateur Plett a demandé et reçu la permission de rouvrir le débat, je vais tenir compte de la demande que j’ai reçue. La lettre venait de la sénatrice Dupuis et énonçait quelques-uns de ses arguments. Je vais donc tenir compte de cela également.
Votre Honneur, je remercie le sénateur Plett d’avoir soulevé des éléments supplémentaires à prendre en considération. Je dois admettre, mon côté malicieux m’incite à proposer l’ajournement de la séance en ce moment même, mais je ne le ferai pas.
J’aimerais par contre dire, Votre Honneur, en réponse à l’intervention du sénateur, que le fait que ce genre de langage ait été accepté, toléré et utilisé au Sénat par le passé m’importe peu en ce qui concerne la situation qui nous intéresse.
Je vous demande de réfléchir à la question suivante : si l’accusation d’accepter un pot-de-vin et d’accorder des faveurs politiques — ce dont le sénateur Housakos a accusé à la fois le premier ministre, sa famille et l’ancien ministre Morneau — ne dépasse les limites de ce qui est acceptable conformément au Règlement qui régit le Sénat, quoi donc serait considéré comme étant inacceptable?
Je comprends tout à fait l’argument du sénateur Plett concernant le privilège parlementaire. J’ai siégé à une assemblée législative. J’ai été témoin de recours au Règlement concernant le langage parlementaire et je comprends que les règles diffèrent d’une législature à l’autre et d’une Chambre à l’autre. Notre histoire diffère aussi.
Je suis également consciente des décisions rendues dans le passé. Je dirais que, au sein du nouveau Sénat indépendant et des réformes que nous tentons d’amener, il y a un certain décorum que nous voulons implanter où la partisanerie a moins sa place, sauf dans le cas de l’opposition officielle, évidemment, qui joue son rôle. J’admire les tactiques politiques qu’ils emploient pour faire valoir leurs arguments. Je comprends cela également. Je voudrais cependant que vous réfléchissiez bien à ce que signifie réellement l’article du Règlement concernant les propos « vifs ou offensants » et au moment où il serait pertinent d’invoquer cet article pour assurer le maintien du décorum au Sénat, si ce n’est maintenant. Merci beaucoup.
Sénateur Housakos, vous savez que l’article 2-5(1) du Règlement me permet d’entendre des arguments jusqu’à ce que je considère en avoir assez entendu, donc, si vous avez quelque chose de nouveau à présenter, allez-y.
Votre Honneur, je reviens dans le débat après que la sénatrice Lankin ait fait de même. Je voudrais répondre à certains points clés qui ont été soulevés.
Le Sénat est une institution parlementaire où l’on a une marge de manœuvre assez grande quant aux propos utilisés. La présidence donne aux sénateurs toute la latitude voulue pour faire leur travail. Je crois que mon collègue a mentionné plusieurs situations où un langage similaire avait été employé.
Il est fort injuste de dire, comme l’a fait ma collègue, que nous ne faisons qu’user de tactiques. Il nous incombe d’élaborer et d’examiner les lois du pays et je crois qu’il est tout à fait justifié pour moi de demander qu’on vérifie si les articles 119 et 121 du Code criminel s’appliquent à la branche exécutive du gouvernement lorsqu’un membre de cette dernière fait quelque chose d’inapproprié, parce que je crois que, fondamentalement, c’est notre devoir de le faire. Je crois que c’est la raison d’être du Sénat et je crois que nous devrions tous commencer à faire notre travail.
Votre Honneur, je voudrais mêler mon grain de sel à ce qu’a ajouté la sénatrice Lankin. Il est important de tenir compte de l’histoire du Sénat et de ce qui a été dit par le passé. Quand je suis devenue la leader adjointe de l’opposition, on m’a remis un livre énorme intitulé Document d’accompagnement du Règlement du Sénat du Canada, qui contient des extraits de décisions du Président et toutes sortes d’explications. Le but était de me mettre en contexte. Je l’ai lu d’un bout à l’autre et je l’ai trouvé très utile. C’est ainsi que j’en suis venue à comprendre le Règlement du Sénat, et je veux souligner que nous devons tenir compte de ce qui s’est déjà passé. Je sais que cela ne constitue pas un précédent en tant que tel.
Avec le consentement du Sénat, nous sommes en mesure de réaliser toutes sortes de choses dans cette enceinte, et je crois que nos travaux nous permettent de nous engager dans de tels débats, qui peuvent parfois s’avérer difficiles et houleux, mais nous faisons tous de notre mieux pour rester concentrés sur la question à l’étude. S’ils n’en ont pas eu l’occasion, je recommande à tous les sénateurs de prendre le temps de lire le Document d’accompagnement du Règlement du Sénat du Canada, parce qu’on y trouve de très bons exemples qui peuvent nous être vraiment utiles.
Je vois qu’il y a quelques autres sénateurs qui souhaitent participer au débat. Je tiens simplement à rappeler que le débat porte sur la question de savoir si certains propos tenus par un sénateur étaient non parlementaires. Nous n’avons pas vraiment besoin d’entendre des points de vue sur ce que des gens pensent de telle ou telle intervention ou de ce qui s’est passé dans le passé, à moins, bien sûr, qu’un sénateur souhaite citer une décision passée, ce qui serait certainement approprié. Le but de la réouverture du débat est d’entendre de nouveaux arguments.
Quand je suis intervenue jeudi soir dernier au Sénat, j’ai dit très clairement — et mes propos figurent dans les bleus — que j’intervenais à propos de ce rappel au Règlement et que j’aurais pu en faire une question de privilège. J’ai relu les bleus. Ils sont clairs. Je voulais juste rassurer mes collègues sur le fait que mon intervention vient précisément appuyer le rappel au Règlement soulevé par la sénatrice Lankin.
Je vais m’arrêter ici, afin de respecter la consigne que vous venez de donner de nous en tenir aux questions essentielles qui entourent ce débat.
Je vous remercie.
Merci.
Votre Honneur, étant donné que nous avançons de nouveaux arguments et que la sénatrice Martin a parlé du Document d’accompagnement du Règlement du Sénat du Canada, si vous me le permettez, j’attire votre attention sur un extrait du document, qui cite la page 147 de la sixième édition de la Jurisprudence parlementaire de Beauchesne :
Le président ne permet pas qu’un député, à la Chambre des communes, se laisse aller à des critiques contre la Chambre en tant qu’institution politique, prête des motifs indignes aux actes d’un ou de plusieurs députés dans un cas particulier, emploie un langage blasphématoire ou des propos indécents, mette en doute les pouvoirs incontestés et incontestables de la Chambre en matière de privilège, critique ou mette en doute de quelque manière que ce soit les actes et travaux passés de la Chambre, ou parle d’une façon abusive et irrespectueuse d’une loi du Parlement [...].
Votre Honneur, je crois comprendre que dans une démocratie parlementaire, il est hors de question de prêter des motifs inavoués ou de fausses intentions à un député de la Chambre des communes, ou à un membre d’une assemblée législative ou de cette vénérable enceinte. Je vous recommande donc vivement d’en tenir compte dans votre décision et de renvoyer l’affaire au Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement pour qu’il en discute plus en profondeur et qu’il ajoute des précisions dans les documents d’accompagnement et le Règlement du Sénat. Merci, Votre Honneur.
Je remercie tous les sénateurs qui ont participé au débat et je vais prendre la question en délibéré.