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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Report du vote

21 juin 2021


L’honorable Gwen Boniface [ - ]

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet du projet de loi C-218 sur les paris portant sur une seule épreuve sportive. J’ai lu le compte-rendu des témoignages devant le comité et j’ai écouté attentivement les sénateurs qui sont intervenus avant moi. Je les remercie tous individuellement de leur discours et de leur contribution au débat. J’ai décidé d’y participer aujourd’hui parce que je ne crois pas que nous, sénateurs, avons accordé au projet de loi le temps et les délibérations nécessaires pour en comprendre toutes les conséquences. Je ne suis nullement contre les paris sur une seule épreuve sportive, mais je crois fermement qu’il s’agit d’un projet de loi avec lequel il faut procéder prudemment après une étude plus approfondie.

Les témoignages ont clairement montré que le trucage des matchs est déjà un problème au Canada. Comme Declan Hill, l’un des plus éminents spécialistes du trucage des matchs et de la corruption dans le sport international, que le sénateur White a cité précédemment dans son discours, l’a affirmé dans une lettre d’opinion publiée dans le Globe and Mail en décembre dernier :

Aux conférences internationales de police, des délégués d’Interpol désignent le Canada comme un haut lieu du trucage de matchs. En 2015, ils ont dirigé une délégation afin de partager leurs connaissances du problème et, en particulier, montrer quels matchs étaient truqués.

La réponse des autorités canadiennes? Un gigantesque haussement d’épaules.

Honorables sénateurs, je crois qu’il vaut la peine de souligner que les sénateurs qui ont déjà travaillé dans les forces de l’ordre, qui composent une partie du Sénat, ont voté en faveur de l’amendement du sénateur White et je tiens à dire que ce n’est pas sans raison. C’est à la police de recueillir les preuves pour permettre au procureur de la Couronne d’intenter des poursuites, et je peux confirmer qu’il est assez difficile de porter des accusations de fraude, encore plus d’obtenir une condamnation. Le sénateur White, qui a passé beaucoup de temps à enquêter sur des cas de fraude, en a parlé et il a soulevé ses préoccupations à ce sujet en répondant à la question du sénateur Cotter.

Je tiens à citer un échange entre le député Fortin et M. Michael Ellison, avocat de la Section de la politique en matière de droit pénal du Secteur des politiques du ministère de la Justice, tiré des témoignages du comité de l’autre endroit du 25 février 2021. Dans sa question, M. Fortin avait demandé si, dans l’éventualité où le projet de loi C-218 était adopté, le Code criminel ou la législation canadienne permettrait de bien contrôler les problèmes potentiellement liés au trucage des événements sportifs uniques, et, dans la négative, ce que nous pouvions faire pour améliorer la loi? M. Ellison a répondu ceci :

Actuellement, le Code criminel prévoit deux infractions menant à des accusations de matchs truqués. Ces infractions sont généralement celles de tricher au jeu — c’est l’une des deux —, mais la plus courante est la fraude, visée au paragraphe 380(1) du Code criminel.

Il a ajouté ceci :

Ces infractions ont fait l’objet de poursuites qui ont mené à des condamnations, y compris récemment, en 2015, dans un arrêt de la Cour suprême: R. c. Riesberry. Donc, il y a des infractions prévues au Code criminel pour lutter contre ces activités. Bien sûr, il y a d’autres problèmes, qui sont liés à la détection.

M. Fortin a dit ceci :

Est-ce suffisant?

Pourrions-nous améliorer cela?

M. Ellison lui a répondu comme suit :

Actuellement, je dirais que, même si la Cour suprême a établi que ces infractions sont applicables, le Comité pourrait jeter un coup d’œil sur ce qui se fait dans d’autres pays et aussi sur les mesures qu’ont prises les Nations unies et les autres organisations internationales qui réclament des infractions précises pour cela.

M. Fortin a demandé : « Êtes-vous sûr que, advenant l’adoption du projet de loi C-218, nous pourrons éviter le trucage des épreuves sportives uniques au Canada? »

M. Ellison a répondu :

Je ne crois pas me tromper en disant que le trucage des épreuves sportives existe déjà et qu’il continuera d’exister après. Ce sera aux provinces et aux territoires, aux services judiciaires et aux services d’enquête de déployer des efforts pour se renseigner davantage sur le trucage d’épreuves sportives et les moyens de l’empêcher. Comme n’importe quel autre crime, ce serait impossible de l’éliminer complètement.

Je fournis ces citations parce qu’elles touchent au cœur même de ma préoccupation. Par ailleurs, un livre blanc en réponse au Symposium international sur la manipulation de matchs et les paris sportifs, corédigé par le Centre canadien pour l’éthique dans le sport et McLaren Global Sport Solutions, a fait la recommandation suivante dans son rapport d’octobre 2019 :

Revoir les articles pertinents du Code criminel canadien et proposer des modifications aux mesures prévues contre la corruption, tout particulièrement en matière de manipulation de matchs dans le milieu sportif canadien.

Honorables sénateurs, je ne souhaite pas reprendre le débat sur un amendement perdu d’avance, mais je pense que la question du trucage des épreuves sportives n’a peut-être pas obtenu toute l’attention qu’elle méritait lors de l’examen du projet de loi au Parlement. Il me semble que cette question devrait avoir bénéficié de clarté, surtout pour les services de police qui auront la responsabilité de recueillir les preuves, ce qui, en ce qui concerne le trucage des épreuves sportives, s’avérerait extrêmement difficile dans la plupart des cas.

Il n’a pas non plus été suffisamment question des problèmes de dépendance. Beaucoup de régimes étrangers sont déjà en place, et il serait possible de les étudier dans une perspective canadienne. De mon point de vue, cette expertise a cependant fait défaut dans le processus d’étude du projet de loi.

Dans le même article de Declan Hill, il parle d’une conversation qu’il a eue avec un collègue qui organisait des paris sportifs en Europe avec environ 1 million de clients. M. Hill lui a demandé combien de clients avaient gagné dans une année. Il a répondu : « Cinq. » Sur environ 1 million de clients, seulement cinq ont gagné de l’argent pendant un an. Chers collègues, beaucoup de gens ont perdu de l’argent.

Tournons-nous vers le Royaume-Uni pour examiner quelques chiffres renversants. En juillet dernier, nos collègues de la Chambre des lords ont publié un rapport intitulé Gambling Harm — Time For Action, qui traite en profondeur des problèmes de jeu et des solutions à appliquer. Selon leurs conclusions, environ 333 000 personnes au Royaume-Uni ont des problèmes de jeu et, en moyenne, un joueur compulsif se suicide par jour.

De plus, ils ont découvert que 55 000 personnes parmi ces joueurs compulsifs sont âgées de 11 à 16 ans et que les problèmes de jeu dans ce groupe d’âge sont deux fois plus élevés chez les filles et trois fois plus élevés chez les garçons que chez les adultes. Pour ce groupe d’âge, le jeu est illégal, mais les efforts pour enrayer ce problème ont été infructueux.

Le journal britannique The Independent a rapporté que le nombre de jeunes aux prises avec des problèmes de jeu a quadruplé au cours des deux dernières années seulement. Voici ce que disait l’article :

Le jeu de hasard chez les enfants est alimenté par des sites de jeux en ligne et des publicités ciblées. Le National Health Service England, qui est de plus en plus inquiet de la situation, a annoncé son intention d’ouvrir la National Problem Gambling Clinic à Londres, qui offrira une aide spécialisée aux enfants et aux jeunes âgés de 13 à 25 ans.

Cependant, la dépendance au jeu a des conséquences plus larges qui touchent également les familles. Six personnes en moyenne sont directement touchées par la dépendance d’un joueur.

Permettre les paris sur une seule épreuve sportive sans prendre en compte ces considérations pourrait avoir les mêmes conséquences fâcheuses au Canada. Ce type de pari est rapidement et facilement accessible pour quiconque a accès à Internet. C’est facile à comprendre et à faire. Nous devrions nous attendre à voir une augmentation du nombre de joueurs de tous les âges une fois ce genre de pari accepté, s’il est accepté un jour.

Revenons au rapport de la Chambre des Lords : il y est dit que « 60 % de ses profits proviennent des 5 % qui sont déjà des joueurs dépendants , ou qui risquent de le devenir ». Permettez-moi de mettre l’accent sur « qui risquent de le devenir ». Les paris sur une seule épreuve sportive vont contribuer à faire augmenter le nombre de personnes qui risquent de devenir dépendantes au jeu.

Bien que nous sachions que des soutiens sont déjà en place, nous ignorons dans quelle mesure des soutiens supplémentaires s’imposeront dans le cas des paris sur une seule épreuve sportive. Rappelez-vous, chers collègues, que nous créons une expansion des options de jeu légales et, ce faisant, nous devons faire preuve de rigueur et prendre tout le temps voulu pour étudier la question.

Honorables sénateurs, j’estime que si nous avions étudié le projet de loi C-13, un projet de loi d’initiative ministérielle, plutôt que le projet de loi C-218, un projet de loi d’initiative parlementaire, l’autre endroit l’aurait peut-être étudié de manière plus approfondie, et le Sénat aussi peut-être. Il est malheureux que l’on nous presse ainsi dans le temps à l’égard de cette mesure. Peut-être aurions-nous entendu d’autres témoins. Peut-être aurions-nous pu en apprendre davantage de la part d’experts internationaux — tant à l’appui du projet de loi que contre celui-ci —, qui auraient pu nous donner un vaste éventail de points de vue. J’aurais aimé entendre des représentants des forces de l’ordre nous parler des subtilités de la loi et des choix qui devront être faits.

Cette modification du Code criminel semble mineure, mais ses implications ont une portée plus grande que ce dont nous avons discuté jusqu’à présent. Deux aspects auraient besoin d’être clarifiés. Or, ni l’un ni l’autre ne figure dans les observations jointes au rapport. Je comprends totalement que le comité était pressé dans le temps.

J’estime également qu’il aurait été plus sage d’attendre le rapport final de la Commission Cullen en Colombie-Britannique. Cette commission indépendante a été chargée de faire enquête sur les activités de blanchiment d’argent dans certains secteurs, notamment celui des jeux de hasard et des courses de chevaux. La commission en arrivera certainement à des conclusions utiles qui s’appliquent aux paris sur une seule épreuve sportive, question dont nous sommes saisis aujourd’hui. Par surcroît, il serait avantageux pour les provinces de disposer de cette information avant de prendre ou de modifier un règlement à cet égard. Je ne vois pas pourquoi nous ne pouvons pas donner à la commission le temps de faire ses recommandations avant de poursuivre l’étude de ce projet de loi.

Honorables sénateurs, comme je l’ai dit, en soi, je ne suis pas contre les paris sur une seule épreuve sportive. Je félicite le député Kevin Waugh, parrain de cette mesure législative, du travail qu’il a fait dans ce dossier. Je remercie également les sénateurs Wells et Cotter de leur contribution ici au Sénat. Cependant, j’estime qu’il n’y a malheureusement pas eu suffisamment de débats pour que je me sente à l’aise de voter pour ce projet de loi.

Je ne suis pas influencé par l’argument selon lequel si cette pratique a déjà cours dans l’ombre, il vaudrait mieux permettre qu’elle se fasse au grand jour. Chers collègues, si nous permettons que cette pratique se fasse au grand jour, gardons alors les yeux bien ouverts. Il ne s’agit pas de nier aux gens la possibilité de parier un petit montant sur leur équipe favorite de la LNH. Il s’agit plutôt de s’attaquer au risque que l’issue des matchs soit déterminée à l’avance et de comprendre les répercussions liées au fait d’offrir aux Canadiens davantage de possibilités de parier. Si nous devons nous prononcer sur ce projet de loi à l’étape de la troisième lecture, assurons-nous de bien en comprendre les tenants et aboutissants. Merci. Meegwetch.

Son Honneur le Président [ - ]

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer? L’honorable sénateur Wells, avec l’appui de l’honorable sénateur Plett, propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois. Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Son Honneur le Président [ - ]

J’ai entendu un non. Que les sénateurs présents au Sénat qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Son Honneur le Président [ - ]

Que les sénateurs présents au Sénat qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Son Honneur le Président [ - ]

À mon avis, les oui l’emportent.

Son Honneur le Président [ - ]

Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Votre Honneur, nous proposons de reporter le vote à la prochaine séance du Sénat.

Son Honneur le Président [ - ]

Honorables sénateurs, conformément au paragraphe 16 de l’ordre du 27 octobre 2020 concernant les séances hybrides, le vote est reporté à 15 h 30 le jour de séance suivant du Sénat, à la condition que, si ce vote a lieu un lundi, il ait lieu à la fin de la période des questions. Quel que soit le cas, le vote aura lieu après une sonnerie de 15 minutes.

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