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Projet de loi visant l'égalité réelle entre les langues officielles du Canada

Projet de loi modificatif--Autorisation au Comité des langues officielles d'étudier la teneur du projet de loi

31 mai 2022


L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition)

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler de la motion 41. Comme vous le savez, cette motion est très semblable à la motion 42, dont nous débattrons également plus tard aujourd’hui.

Je m’oppose à ces deux motions pour les mêmes raisons et je ferai donc la plupart de mes remarques sur la motion qui nous occupe maintenant, bien que mes arguments s’appliquent également aux deux motions.

La motion dont nous sommes saisis demande :

Que, conformément à l’article 10-11(1) du Règlement, le Comité sénatorial permanent des langues officielles soit autorisé à examiner la teneur du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois, déposé à la Chambre des communes le 1er mars 2022, avant que ce projet de loi ne soit présenté au Sénat;

Que, aux fins de cette étude, le comité soit autorisé à se réunir, même si le Sénat siège à ce moment-là ou est alors ajourné, l’application des articles 12-18(1) et 12-18(2) du Règlement étant suspendue à cet égard.

Chers collègues, l’étude préalable est un outil légitime que le Sénat peut utiliser à sa discrétion. Elle a été utilisée à maintes reprises dans le passé et le sera sans aucun doute à nouveau. Cependant, lorsque le Sénat envisage d’autoriser ou non une étude préalable, il est impératif qu’il considère si la demande constitue une utilisation légitime de cet outil.

Le Règlement du Sénat n’indique aucun critère pour le moment où il faudrait effectuer des études préalables. L’article 10-11(1) énonce simplement :

Le Sénat peut saisir un comité permanent de la teneur d’un projet de loi qui a pris naissance à la Chambre des communes, avant que celle-ci lui transmette ce projet de loi.

Cela signifie, chers collègues, que, pour déterminer ce qui constitue un recours légitime à une étude préalable, nous devons jeter un coup d’œil aux pratiques historiques du Sénat; ensuite, nous devons envisager pour quelle raison on nous demande de procéder ainsi dans ce contexte.

Ces 150 dernières années, 193 études préalables ont été approuvées par le Sénat. C’est moins de quatre projets de loi par année. De ces derniers, 103 concernaient des projets de loi étudiés par le Comité des finances nationales ou le Comité des banques, et la majorité visaient à modifier la Loi de l’impôt sur le revenu, la Loi sur les banques et la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions.

En d’autres mots, ces études préalables concernaient habituellement la teneur de projets de loi budgétaires ou d’autres mesures politiques bénéficiant d’un fort appui. L’enjeu à considérer lors des études préalables était rarement si la mesure devait être appliquée, mais plutôt de quelle façon elle devrait l’être.

Ces études préalables ont été lancées à des fins procédurales ou stratégiques. Voilà une utilisation légitime des études préalables au Sénat.

Les études préalables autorisées à des fins procédurales se divisent grossièrement en trois catégories. Premièrement, elles peuvent être entreprises avec l’objectif de demander des amendements à un projet de loi avant son adoption par la Chambre des communes. Cela sert à empêcher que les deux chambres se renvoient sans cesse la balle en proposant des amendements.

Pour éviter cela, le gouvernement demande alors au Sénat d’étudier un projet de loi à l’avance pour que tout amendement proposé puisse être incorporé au projet de loi du côté de la Chambre des communes. La dernière fois qu’une étude préalable a été utilisée à cette fin, c’était pour le projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d’autres lois, en 2014. Le 24 mars 2015, le sénateur Grant Mitchell a dit que, selon lui, c’était une excellente raison de faire une étude préalable. Je vais citer le sénateur Mitchell. Je ne vais pas imiter sa voix, même si j’aimerais essayer de le faire :

Il n’y a pas si longtemps, dans le cas de la Loi sur l’intégrité des élections, nous avons vu qu’une étude préalable du Sénat pouvait mener à des amendements qui ont été acceptés par la Chambre des communes avant que le projet de loi ne nous soit renvoyé, à la condition que les travaux se fassent en parallèle. Étant donné cette expérience et le fait que le ministre affiche une certaine ouverture, j’estime que nous avons un argument de bonne tenue pour demander une étude préalable.

Je n’ai pas été très souvent d’accord avec le sénateur Grant Mitchell, mais je le suis dans ce cas-ci. C’est un exemple de situation où une étude préalable est justifiée. Cependant, honorables collègues, nous ne sommes pas dans ce genre de situation aujourd’hui.

Le deuxième motif légitime pour que la Chambre des communes demande au Sénat de faire une étude préalable, c’est lorsqu’elle veut tirer parti de l’expertise du Sénat. Si le gouvernement estime qu’un projet de loi sera mieux étudié au Sénat qu’à la Chambre — et c’est souvent le cas —, parce qu’il s’agit d’un projet de loi de nature très technique et parce que le Sénat a une expertise en la matière, alors il est logique de faire une étude préalable.

En 2019, nous avons constaté la même chose avec le projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones, et le projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Chers collègues, dans ces deux cas, le Sénat disposait d’une expertise à laquelle la Chambre s’est fiée pour améliorer la mesure législative. Le Comité des peuples autochtones a apporté de multiples amendements, dont beaucoup ont été acceptés par la Chambre et incorporés aux projets de loi.

À de nombreuses autres occasions, le gouvernement a puisé dans l’expertise du Sénat dans le cadre d’une étude préalable approfondie effectuée sur des projets de loi concernant la Loi sur les banques, des mesures législatives antitrust et d’autres encore. Il existe donc des exemples d’une utilisation légitime des études préalables.

Cependant, en ce qui concerne les deux projets de loi dont nous parlons aujourd’hui, rien n’indique que c’est l’intention du gouvernement. Au contraire, le Sénat semble être perçu un peu comme un élément perturbateur que le gouvernement espère pouvoir écarter le plus rapidement possible.

Le troisième motif légitime pour entreprendre une étude préalable consiste à accélérer l’adoption d’un projet de loi une fois que le Sénat en est saisi. Nous l’avons constaté lors du recours aux études préalables pour des mesures budgétaires, pour des projets de loi liés à la COVID et pour des projets de loi découlant d’une décision de la Cour suprême, qui sont assortis d’une échéance.

Par exemple, le Sénat a mené une étude préalable en 2014 sur le projet de loi C-36, Loi modifiant le Code criminel pour donner suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Procureur général du Canada c. Bedford et apportant des modifications à d’autres lois en conséquence. La Cour suprême avait invalidé une partie du Code criminel et donné une date limite au Parlement pour reformuler les mesures législatives. Une étude préalable était nécessaire et légitime pour assurer le respect de cette date limite.

Il s’est passé la même chose dans le cas du projet de loi C-14 sur le suicide assisté. Le Parlement avait une courte période pour donner suite à la décision de la cour. Le Sénat a pris cette obligation au sérieux et a mené une étude préalable.

La situation s’est répétée avec le projet de loi C-7, lorsque la mesure législative sur le suicide assisté a dû être modifiée en raison d’une autre décision de la cour. Tous ces cas sont d’excellents exemples du recours légitime à une étude préalable dans le but de répondre à l’urgent besoin d’adopter un projet de loi. Toutefois, comme je l’ai déjà dit, ce n’est pas le cas du projet de loi C-11 ou du projet de loi C-13.

Aucun mandat imposé par la cour ni aucune date d’échéance imminente ne nous poussent à nous dépêcher. Au contraire, chers collègues, il nous faut suffisamment de temps pour mettre en lumière tout le contenu de ces projets de loi. Il n’y a pas de consensus sur ces questions, et les inquiétudes sont nombreuses.

Lorsque le gouvernement est à la recherche d’amendements de façon anticipée ou qu’il prévoit de s’en remettre intentionnellement à l’expertise du Sénat, ou encore lorsqu’il est nécessaire d’accélérer l’adoption d’un important projet de loi urgent, le recours aux études préalables est légitime.

C’est ce que nous avons vu pendant les années du gouvernement Harper.

Entre 2006 et 2013, des études préalables ont été menées pour sept projets de loi budgétaires, deux projets de loi modifiant le Code criminel et deux projets de loi sur l’assurance-emploi.

Entre 2013 et 2015, pendant la deuxième session de la 41e législature, des études préalables ont été menées pour quatre projets de loi budgétaires en vue d’accélérer leur mise en œuvre : deux projets de loi sur les affaires autochtones ou du Nord parce que le Sénat possédait une expertise en la matière; ainsi qu’un projet de loi sur la Loi électorale du Canada parce que beaucoup de sénateurs qui siégeaient à l’époque étaient ou avaient été des représentants de leur parti et possédaient donc une grande expertise en matière électorale.

Par ailleurs, la Chambre des communes a attendu que le comité sénatorial suggère des modifications à la Loi électorale du Canada pour pouvoir les intégrer dans la mesure législative sur cette loi.

De plus, on a réalisé l’étude préalable d’un projet de loi modifiant le Code criminel. Ce projet de loi, que j’ai mentionné plus tôt, proposait ces modifications en réponse à une décision de la Cour suprême sur la prostitution. On a également effectué une étude préalable sur la citoyenneté et une autre sur la sécurité nationale.

Par conséquent, en 9 ans, des études préalables ont été menées pour 11 projets de loi budgétaires. En outre, 10 projets de loi non budgétaires ont fait l’objet d’une telle étude, pour une moyenne d’un par année, y compris des mesures législatives de nature urgente ou portant sur des sujets dans lesquels le Sénat se spécialisait.

C’est tout à fait différent de ce que le leader du gouvernement au Sénat propose aujourd’hui.

Même s’il existe des raisons procédurales et stratégiques légitimes d’entreprendre des études préalables, les études préalables que l’on nous demande d’approuver aujourd’hui ne sont motivées que par des fins politiques. Au lieu de chercher à améliorer le projet de loi, le gouvernement semble déterminé lui faire éviter le second examen objectif afin d’en accélérer inutilement l’adoption. Chers collègues, cela ne correspond pas au rôle du Sénat.

Or, ce n’est pas la première fois que le gouvernement tente de recourir à des études préalables pour compenser son incompétence.

En 2017, l’ancien sénateur Joseph Day avait déclaré :

La Chambre des communes ne devrait pas tenir pour acquis que nous allons contourner nos pratiques habituelles et traditionnelles afin de pallier sa difficulté à gérer son programme.

Notre collègue récemment retraité, le sénateur Mercer, avait alors ajouté :

Cette étude préalable continuera de permettre aux députés à la Chambre des communes de traiter les sénateurs avec peu ou pas de respect. Elle continuera de leur permettre d’être trop paresseux pour faire leur travail avec diligence. Les Canadiens s’attendent à mieux. Les électeurs s’attendent à mieux [...]

J’ai un message pour les députés : arrêtez de nous faire perdre notre temps, relevez-vous les manches et faites votre travail. La population s’attend à ce que les députés fassent leur travail. Nous nous attendons à la même chose, parce que tout le monde sait que nous sommes prêts à faire le nôtre et que nous n’appuierons pas une étude préalable.

Ainsi soit-il, sénateur Mercer.

Quel que soit le parti au pouvoir, recourir à une étude préalable pour tenter de rattraper le temps perdu est considéré comme une mauvaise idée depuis longtemps.

En 2015, encore une fois, mon ami le sénateur Grant Mitchell a dit :

Le fait de permettre des études préalables ou de se montrer d’accord avec de telles études suscite des préoccupations, en particulier pour l’opposition. On évoque souvent de bonnes raisons. L’une des raisons évoquées est la contrainte temporelle. C’est la raison la moins bonne et, dans bien des cas, on y recourt parce que la Chambre des communes n’a pas accordé au Sénat le respect qu’elle lui doit et s’est contentée de lui balancer le projet de loi à la dernière minute.

Chers collègues, je ne suis pas contre l’idée que le Sénat autorise la tenue d’études préalables pour des raisons légitimes. Toutefois, ce n’est pas le cas ici.

La Chambre ne cherche pas à obtenir des amendements de façon préventive et proactive et elle n’a pas l’intention de demander l’avis du Sénat par déférence pour notre expertise; il n’y a pas non plus de projets de loi critiques et urgents à adopter. Le gouvernement veut seulement que nous nous dépêchions.

Le gouvernement et son représentant au Sénat veulent normaliser le recours aux études préalables parce que, d’après eux, elles permettent au Sénat d’« avoir suffisamment de temps pour bien étudier et débattre les projets de loi, peu importe qu’ils arrivent rapidement ou tardivement ».

Je vais, une fois de plus, citer le sénateur Gold :

[...] l’examen préalable de projets de loi est en notre pouvoir, et cela nous laisse le temps d’étudier minutieusement les mesures législatives sans les contraintes de temps [...]

Chers collègues, en tout respect, c’est absurde. Il n’est pas nécessaire que le Sénat effectue des études préalables pour que nous ayons assez de temps pour faire notre travail correctement. Nous sommes maîtres de notre échéancier; le gouvernement n’a pas à y mettre son nez.

L’argument absurde présenté par le sénateur Gold est qu’il faudrait précipiter l’étude des projets de loi maintenant afin de ne pas avoir à la précipiter plus tard. D’après moi, nous ne devrions jamais la précipiter.

La mesure législative dont parle le sénateur Gold ne fait pas partie d’une loi d’exécution du budget. Elle ne modifie pas la Loi de l’impôt sur le revenu. Elle ne met pas non plus en œuvre une politique déjà examinée et approuvée par l’autre endroit. En fait, il y a tout lieu de croire qu’avant que le Sénat ne reçoive l’un ou l’autre de ces projets de loi, ils auront été amendés à l’autre endroit, ce qui rendra possiblement notre travail inutile et se soldera par une perte de temps.

Le député Chris Bittle, qui est secrétaire parlementaire du ministre du Patrimoine canadien, a reconnu il y a quelques mois que le projet de loi C-11 pourrait fort bien faire l’objet d’amendements. Il avait en effet déclaré à ce moment-là :

Nous avons hâte que le projet de loi soit renvoyé au comité et que nous discutions des moyens de l’améliorer tout en veillant à ce que ses principes et ceux que nous et le ministre avons énoncés soient respectés. Il y a de la place pour les modifications et la discussion, et c’est au comité qu’il revient d’intervenir.

Le Sénat a pour tâche d’effectuer un second examen objectif, mais c’est plutôt difficile à faire s’il n’a même pas reçu la version définitive du projet de loi à examiner.

Ce problème n’est pas nouveau. Notre ancienne collègue, la sénatrice Joan Fraser, l’avait soulevé en 2014 dans les termes suivants :

Comme le leader de l’opposition vient de le demander, quel sera exactement l’objet de l’étude? Nous ne savons pas ce que va nous soumettre la Chambre des communes. Après avoir écouté en fin de semaine diverses entrevues avec le ministre responsable, M. Poilievre, j’ai cru comprendre que le comité de la Chambre des communes sera saisi du projet de loi pendant un mois. Est-ce que le projet de loi sera le même quand le comité aura complété son étude? Si la réponse est non, pourquoi faisons-nous cet examen préalable?

Le sénateur Mercer a formulé une observation semblable en 2017 :

J’ai une question fondamentale. Imaginons que nous ayons le temps d’effectuer l’étude préalable et qu’entre-temps, au bout du couloir, les députés apportent un changement au budget, parce qu’ils ont repéré et corrigé une erreur. Alors quoi? Nous serions en train de perdre notre temps à étudier un budget qui n’est pas le bon? Nous voulons étudier le budget qui nous sera présenté.

La semaine dernière, la ministre Petitpas Taylor a lancé des consultations pour préparer le plan d’action 2023-2028 pour les langues officielles. Cette série de consultations est d’une importance cruciale cette année, car elles serviront d’assises aux travaux des parlementaires sur le projet de loi C-13. Par conséquent, pourquoi le gouvernement est-il si pressé de voir le projet de loi C-13 franchir l’étape de l’étude en comité alors qu’il lance des consultations auprès de la population canadienne sur les améliorations à apporter à ces mesures législatives en vue de leur application? Chers collègues, ne serait-il pas plus logique que le Sénat attende le résultat des consultations avant d’examiner le projet de loi?

Chers collègues, la seule raison qui justifierait que le Sénat accélère son examen d’un projet de loi serait de faciliter la mise en œuvre du programme politique du gouvernement en prévision d’une motion d’adoption dans l’autre endroit. Cette tentative est un affront au rôle des sénateurs, surtout quand le premier ministre souhaite que le Sénat soit apolitique.

Voici ce qu’a dit le sénateur Gold :

En ma qualité de représentant du gouvernement, je vous dis que je ne sais pas quand ce projet de loi nous sera renvoyé. Il s’agit néanmoins d’une priorité absolue pour le gouvernement qui fait tout en son pouvoir pour qu’il franchisse la ligne d’arrivée.

Ainsi, parce que ce projet de loi est « une priorité absolue pour le gouvernement », nous devrions, semble-t-il, tout simplement rentrer dans le rang et accélérer son entrée en vigueur.

Je rappelle au sénateur Gold que la majorité suffisante que le gouvernement a réussi à négocier dans le cadre de l’entente de soutien et de confiance ne lui donne pas une véritable majorité aux yeux du public. Du point de vue politique, les libéraux ont obtenu une minorité au Parlement. Il est donc absurde de prétendre que ce qui est une priorité pour eux devient immédiatement une priorité pour tous les Canadiens, et que le Sénat devrait traiter le gouvernement comme s’il était majoritaire.

Si le gouvernement néo-démocrate—libéral souhaite accélérer les travaux, il dispose d’outils pour le faire. Il a la majorité des votes à l’autre endroit. Il n’a pas besoin de notre aide pour accomplir son travail.

Je constate que, bien que le gouvernement ait une majorité suffisante à la Chambre des communes, il n’arrive toujours pas à traiter les dossiers dans des délais raisonnables. Ce n’est toutefois pas à nous, chers collègues, de régler ce problème.

Chers collègues, il est légitime de procéder à des études préalables quand il existe de bonnes raisons de le faire. Le gouvernement actuel cherche toutefois à se servir de cet outil pour pallier sa propre incompétence. Je dirais aussi que lorsqu’un gouvernement s’empresse soudainement de faire adopter un projet de loi alors que ni les procédures ni les politiques ne justifient clairement cette hâte, nous avons tout intérêt à prendre le temps de regarder attentivement de quoi il retourne.

Contrairement à ce que le gouvernement aimerait nous faire croire, le temps est un ingrédient essentiel au processus démocratique, surtout quand il s’agit de mesures aussi controversées que les deux projets de loi dont il est question.

Avec du temps, on peut mieux informer le public, on peut débattre davantage et on peut rallier les Canadiens à sa cause. Chers collègues, il n’y a pas que les sénateurs qui doivent être convaincus du bien-fondé des mesures législatives, les Canadiens aussi; mais pour cela, il faut du temps.

C’est une bien mauvaise façon de créer des politiques publiques que de les faire étudier concurremment par la Chambre des communes et le Sénat, car tout le monde a alors l’impression qu’on les fait passer par le Parlement à toute vitesse, ce qui peut seulement alimenter le cynisme et la méfiance des Canadiens.

Dans le contexte actuel, j’estime que c’est la dernière chose dont nous ayons besoin. Nous devons rétablir la confiance du public dans nos institutions, et nous devons prendre le temps nécessaire pour y parvenir. Autrement, nous ne faisons que jeter de l’huile sur le feu de la désinformation et du conspirationnisme.

La sénatrice Dasko a résumé le sentiment de bon nombre d’entre nous lorsqu’elle a dit :

On doit aussi nous rassurer que le comité aura le temps nécessaire pour faire son travail. Quand j’entends parler de l’urgence d’adopter un projet de loi, je ne peux m’empêcher de me demander si nous aurons vraiment le temps de l’examiner. Si on ne cesse pas de nous répéter qu’il est urgent de l’adopter, cela nous amène certes à nous demander si nous aurons le temps voulu.

Il y a effectivement de quoi s’interroger, chers collègues. D’un côté, on nous répète que personne ne nous pousse dans le dos, mais de l’autre, la motion à l’étude demande que les comités puissent siéger en même temps que le Sénat, et même quand celui-ci est ajourné. « C’est urgent, mais prenez votre temps. Mais pas trop, quand même, parce qu’il s’agit d’un dossier prioritaire. »

Rien ne justifie ces études préalables, alors il est de notre devoir de rejeter les motions qui les proposent.

Honorables sénateurs, le second examen objectif que caractérise le Sénat est capital, car cela signifie que nous jetons un œil attentif et minutieux aux mesures législatives que l’autre endroit nous renvoie. Nous devons avoir recours aux études préalables avec parcimonie et ne les autoriser qu’en présence de motifs légitimes et clairement expliqués.

Encore une fois, en 2017, le sénateur Day a dit ceci :

Je me méfie généralement de l’étude préalable. Je sais qu’elle est prévue dans le Règlement. Je sais qu’elle peut être un outil utile de temps à autre. Cependant, j’estime qu’elle nous empêche de jouer notre rôle de Chambre de second examen objectif. Elle nous impose un rôle parallèle à celui de la Chambre des communes, ce qui m’a toujours préoccupé [...]

Les études préliminaires détournent notre attention de notre rôle traditionnel de second examen objectif.

C’est pourquoi, comme le dit le sénateur Harder, ces études doivent seulement être menées à l’occasion. Voici ce qu’a affirmé le sénateur Harder en mai 2018 :

[…] cette Chambre mène à l’occasion des études préalables lorsque les circonstances s’y prêtent. Évidemment, le Sénat l’a fait plus régulièrement à l’égard des questions budgétaires.

La sénatrice Raynell Andreychuk a fait la même remarque en 2011 — lorsque les conservateurs étaient au pouvoir, soit dit en passant — lorsqu’elle a dit que « l’étude préliminaire ne fait pas partie de la procédure normale de renvoi aux comités ».

Au lieu de nous permettre de mieux travailler, les études préalables — qui n’ont pas de fondement légitime — entravent nos travaux. Elles ne nous permettent pas d’examiner les mesures législatives en bonne et due forme et nous empêchent de jouer notre rôle de Chambre de second examen objectif.

Chers collègues, j’ai beaucoup de mal à comprendre la raison pour laquelle cette motion a été présentée. D’ici à ce que nous entamions les études préalables pour ces projets de loi, il ne nous restera que deux ou trois semaines avant la pause estivale. Je ne sais pas comment interpréter cela. Le gouvernement s’attend-il à ce que nous bouclions en deux ou trois semaines des études préliminaires sur des projets de loi extrêmement controversés? En général, les comités ne peuvent se réunir qu’une fois par semaine.

Que se passera-t-il si la Chambre des communes réussit à nous renvoyer les projets de loi avant le mois de juillet? Le gouvernement s’attend-il à ce que nous débattions de ces projets de loi avant l’ajournement d’été? Dans ce cas, le gouvernement prévoit-il de faire siéger la Chambre des communes durant l’été afin d’étudier nos amendements? C’est peu probable. Sénateurs, nous savons tous que le gouvernement ne le fera pas. Il serait bien content que nous adoptions ces projets de loi à toute vitesse au Sénat et même que nous siégions en juillet, mais en aucun cas il ne serait en mesure d’étudier les amendements avant fin septembre, au plus tôt. Le seul objectif de ces études préalables est de nous inciter à précipiter notre travail au lieu de prendre le temps nécessaire pour bien le faire.

À ce stade, je ne peux pas m’empêcher d’être en parfait accord avec les mots prononcés par mon amie la sénatrice Jane Cordy en avril 2014 :

Honorables sénateurs, si je pensais que la tenue d’une étude préalable pouvait changer quoi que ce soit, je serais la première à en réclamer une, mais je crois plutôt qu’elle ne changera absolument rien. Si je pensais que les Canadiens pourraient mieux se faire entendre si nous tenions une étude préalable, je serais la première à dire que c’est la voie à suivre, mais je ne crois pas que ce sera le cas. Si je pensais que la tenue d’une étude préalable donnerait le temps au comité de sillonner le pays pour donner la chance à tous les Canadiens d’exprimer leur point de vue, je serais la première à me déclarer en faveur d’une étude préalable mais [...] ce serait étonnant.

Chers collègues, l’étude préalable doit être utilisée lorsqu’il y a urgence, ce qui n’est le cas d’aucun des projets de loi concernés. Le gouvernement a attendu des années avant de les déposer et il a même retardé leur adoption en prorogeant le Parlement et en déclenchant des élections inutiles dont aucun Canadien ne voulait.

Le sénateur Gold essaie de justifier l’injustifiable. Nous devrions voter contre ces motions, chers collègues, et revenir aux bons et importants travaux du Sénat.

Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Aviez-vous une question?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) [ - ]

Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Certainement.

Le sénateur Gold [ - ]

Comme je ne participe pas au débat, je n’essaierai même pas de glisser des références et des contre-arguments à une grande partie de ce que vous avez dit. Je vous remercie de votre discours, sénateur, mais certaines de vos hypothèses, surtout en ce qui concerne les intentions du gouvernement à l’égard du projet de loi, sont tout simplement fausses. Je l’ai dit officiellement, mais je vais passer à ma question.

Vous avez très bien expliqué, sénateur, comment les études préalables des projets de loi C-91 et C-92 qui ont été menées par le Sénat étaient légitimes, dans votre taxonomie, parce qu’elles ont permis d’améliorer les projets de loi. Vous avez cité, à juste titre, l’expertise du Comité des peuples autochtones.

Ne convenez-vous pas que la même logique s’applique au projet de loi C-13 dont nous sommes saisis? Le Comité des langues officielles a une expertise particulière et une composition particulière — en fait, le Sénat est particulier parce que des membres des minorités linguistiques y sont nommés et les minorités linguistiques y sont très bien représentées.

Comme tout le monde au Sénat le sait ou devrait le savoir, le Comité des langues officielles a consacré des années, voire des décennies, à cette question et veut examiner ce projet de loi en profondeur, comme il l’a fait pour les projets de loi C-91 et C-92. Ne devrions-nous donc pas leur donner l’occasion de le faire, sénateur Plett?

Comme vous me posez la question, je vais vous répondre comme vous le faites parfois — mais pas toujours —, avec un seul mot : non.

Le sénateur Gold [ - ]

Le sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?

Certainement.

Le sénateur Gold [ - ]

Comme je l’ai déjà dit, nous apprécions tous, je crois, la façon dont vous avez présenté l’historique des études préalables menées au cours des législatures précédentes, ainsi que votre taxonomie sur le sujet. Toutefois, il m’est difficile, selon mon analyse de la 41e législature, où vous formiez le gouvernement, de déterminer ce qui motivait les études préalables de certains projets de loi amorcées par le gouvernement conservateur. Je pourrais en nommer quelques-uns, mais je vais me concentrer sur un seul : le projet de loi C-51, la Loi antiterroriste de 2015, une importante mesure législative qui a entraîné d’importants changements à notre système de sécurité nationale et de défense, changements qui ont eux-mêmes été modifiés dans le cadre de lois subséquentes. Vous vous souviendrez qu’une étude préalable avait été autorisée pour ce projet de loi. Pouvez-vous s’il vous plaît nous expliquer comment cela s’inscrit dans votre logique et votre taxonomie?

Pendant que vous y êtes, car je ne veux pas prendre trop de temps, vous pourriez peut-être en faire autant au sujet du projet de loi C-15, Loi sur le transfert des responsabilités aux Territoires du Nord-Ouest, et des modifications à la Loi sur la citoyenneté.

Non, sénateur Gold, je ne peux pas vous donner d’explication, car c’était il y a longtemps. De toute évidence, comme vous venez de le dire, vous ne vous êtes pas renseigné à ce sujet, et je ne l’ai pas fait non plus. Si je me rappelle bien, nous étions en situation de gouvernement minoritaire au moment où ces projets de loi ont été présentés. Voilà une explication.

Le gouvernement néo-démocrate—libéral n’est pas dans une situation minoritaire à l’autre endroit. Il peut nous renvoyer les projets de loi d’initiative ministérielle à sa convenance. Par conséquent, je dirais que ce n’est pas la même chose.

J’ai fait mention de certaines mesures législatives devant être renvoyées au Comité de la sécurité nationale et de la défense dont nous avions consenti à faire une étude préalable. Dans certains cas, de telles études sont nécessaires, mais dans le cas présent, sénateur Gold, vous nous demandez de faire une étude préalable de projets de loi que nous n’aurons même pas le temps d’examiner comme il se doit, car la session parlementaire tire à sa fin.

Prenons par exemple le projet C-11 — j’ai parlé davantage du projet de loi C-13 ou mon intervention portait sur cette mesure —, mais mon observation s’applique à ces deux projets de loi. Le Comité des transports et des communications se réunit généralement le mercredi; il est probablement trop tard pour qu’il tienne une séance pour demain. En fait, le Comité de l’énergie a pris sa place pour examiner un autre projet de loi d’initiative ministérielle. Bref, le Comité des transports ne siégera pas demain. Il pourrait, au plus tôt, se réunir mercredi prochain. Il ne pourrait vraisemblablement pas entendre des témoignages avant la semaine suivante.

Sénateur Gold, je vous ai posé la question : quand pensez-vous que nous partirons d’ici? Si vous vous attendez à ce que nous restions ici jusqu’à la fin août, dites-le-nous, et nous ajusterons notre calendrier. Sommes-nous censés rester ici jusqu’à la fin du mois de juin — la Chambre des communes ajourne le 21 juin? Vous nous demandez de faire quelque chose que nous ne pouvons en aucun cas raisonnablement accomplir, d’adopter à la hâte quelque chose qui n’a aucune raison de l’être, alors que le gouvernement a lui-même prorogé le Parlement et déclenché des élections lorsqu’il promettait ces projets de loi.

Les projets de loi sont actuellement bloqués à l’autre endroit et vous semblez être le seul à penser qu’il y a urgence. Ils ne semblent pas penser qu’il y a une urgence. Vous semblez penser qu’il y a urgence, mais vous nous dites de prendre tout le temps que nous vous voulons. Eh bien, si nous pouvons prendre tout le temps que nous voulons, alors quelle est l’urgence? Pourquoi mener une étude préalable? Si vous pensez qu’avec une étude préalable, nous aurons plus de créneaux en comité, vous avez tort. Il n’y a plus de créneaux disponibles. Si on avait fait ce que nous avions demandé au Sénat et au gouvernement de faire, c’est-à-dire revenir aux heures et aux séances normales du Sénat, nous n’aurions pas autant de problèmes.

Ces problèmes existent à cause de votre gouvernement, Sénateur Gold, pas à cause de nous. Vous privez le Sénat de son temps et voilà que vous nous demandez de faire adopter quelque chose de toute urgence parce que — ce sont les mots que vous utilisez toujours — c’est la priorité du gouvernement. S’il s’agit d’une priorité, où sont les projets de loi?

Le sénateur Gold [ - ]

Je vous remercie de la réponse, sénateur Plett, mais je me permets de dire respectueusement que j’ai fait les recherches nécessaires. Tous les projets de loi que j’ai mentionnés, y compris les projets de loi C-15, C-23, C-33, C-24, C-36 et C-51, ainsi que d’autres projets de loi, ont fait l’objet d’une étude préalable alors que votre parti était majoritaire à la Chambre et au Sénat.

Le fait est que le gouvernement est encore minoritaire à la Chambre des communes. Il y a de l’obstruction à toutes les étapes du processus, et les personnes concernées le savent bien. Il est aussi vrai que, à la Chambre des communes, le gouvernement a prévu 14 heures d’audiences sur le projet de loi C-11 cette semaine seulement. Si le comité sénatorial est prêt à travailler pendant plus d’une séance par semaine, il peut mettre à profit le temps mis à sa disposition dans le cadre de la motion sur le processus hybride modifié. Nous ne sommes pas d’accord pour dire que le Sénat a assez de temps pour faire des progrès sur le projet de loi C-13 et entreprendre une étude sur ce projet de loi. Il sera saisi de cette question lorsque le projet de loi lui sera renvoyé, et nous ferions notre devoir en nous penchant alors sur cette question. Ne convenez-vous pas que nous ferions bon usage du temps du Sénat et des ressources des contribuables en étudiant ces importantes questions de politique publique?

Non, je ne le pense pas, sénateur Gold. Plus ils tiennent des réunions de comité à l’autre endroit, moins nos comités peuvent se réunir ici. Comment pourraient-ils nous aider s’ils se réunissent encore plus? Vous dites que de nouveaux créneaux leur ont été offerts. À quels comités ont-ils été pris?

Si ce n’est pas ce que vous avez dit, je vous ai mal compris. Vous avez dit qu’on avait ouvert davantage de créneaux pour les réunions et que si les autres partis — encore une fois, on rejette le blâme sur les autres — voulaient bien collaborer avec le gouvernement néo‑démocrate—libéral majoritaire, ils seraient en mesure de tenir davantage de réunions de comités. Le gouvernement a tous les outils pour faire son travail. Le NPD lui a promis. Vous le savez comme tout le monde le sait dans cette enceinte. Le gouvernement est parfaitement habilité à nous renvoyer ses projets de loi.

Ainsi, non, sénateur Gold, nous n’avons aucun créneau disponible pour nous réunir au comité. On nous demande chaque jour s’il est possible pour un comité de se réunir ici ou là. Nous n’avons pas de place à leur donner. Bref, avant de nous demander de faire quelque chose d’impossible, commencez par nous trouver des places libres.

L’honorable René Cormier [ - ]

Honorables sénateurs, c’est en tant que sénateur acadien du Nouveau-Brunswick que je prends brièvement la parole aujourd’hui au sujet de la motion no 41, qui permettrait de réaliser une étude préalable du projet de loi C-13, un projet de loi visant à moderniser la Loi sur les langues officielles.

Depuis l’adoption de cette loi quasi constitutionnelle en 1969, et grâce aux modifications qui y ont été apportées depuis, le peuple acadien a grandement bénéficié de sa mise en œuvre, qui a contribué au développement et à l’épanouissement de nombreux secteurs de la société acadienne. La présence d’institutions économiques, éducatives, culturelles et sociales fortes en Acadie n’est pas étrangère à la mise en œuvre de cette loi.

Honorables sénateurs, je me permets de vous rappeler l’objet de la Loi sur les langues officielles, qui est :

[...] d’assurer le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l’égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment en ce qui touche les débats et travaux du Parlement, les actes législatifs et autres, l’administration de la justice, les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en œuvre des objectifs de ces institutions[...]

Elle vise aussi à soutenir le développement des minorités francophones et anglophones et, d’une façon générale, à favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais. Enfin, elle définit les pouvoirs et les obligations des institutions fédérales en matière de langues officielles.

La Cour suprême a réaffirmé sa nature quasi constitutionnelle, notamment dans le jugement Thibodeau c. Air Canada, comme suit :

[...] la LLO a un statut spécial : « . . . elle fait partie de cette catégorie privilégiée de lois dites quasi constitutionnelles qui expriment “certains objectifs fondamentaux de notre société” [...] »

De 2017 à 2019, le Comité sénatorial permanent des langues officielles a réalisé une importante étude portant sur la modernisation de cette loi, qui a mené à la publication de plusieurs rapports qui ont eu un impact majeur sur le projet de loi que la Chambre des communes examine en ce moment. Le comité a alors fait 20 recommandations visant à corriger les problèmes associés à la mise en œuvre de la loi sous quatre thèmes : le leadership, la collaboration, la conformité, les principes d’application et le bilinguisme judiciaire.

Cette étude, tout en alimentant la réflexion et les discussions sur les travaux à l’autre endroit, a manifestement mis en lumière l’ampleur et la complexité de la Loi sur les langues officielles, de même que la nécessité de se donner suffisamment de temps pour effectuer un examen approfondi et rigoureux d’un nouveau projet de loi visant à la modifier.

Chers collègues, une étude préalable nous donnerait le temps nécessaire et l’occasion de mieux cerner l’ensemble des dispositions du projet de loi C-13 et les enjeux y afférents recensés par divers experts et témoins.

Par ailleurs, elle permettrait indirectement d’atteindre un objectif pédagogique important, soit celui de permettre aux Canadiennes et Canadiens qui suivent nos travaux, ici au Sénat, de se familiariser et d’en saisir le contenu avant son dépôt dans cette Chambre.

À l’heure actuelle, et même s’il vient d’être renvoyé à un comité de l’autre endroit, nous ne connaissons guère le moment où le projet de loi C-13 sera présenté dans cette enceinte. Aussi, profitons donc de ce temps qui nous est offert pour amorcer notre travail de législateurs en réalisant une étude préalable.

D’ailleurs, comme je l’ai déjà précédemment souligné dans cette Chambre et comme on l’a indiqué aujourd’hui, le Règlement du Sénat nous permet d’examiner la teneur d’un projet de loi avant que ce texte ait été adopté par la Chambre des communes.

Honorables sénateurs, compte tenu de la fragilité grandissante de la langue française au Canada, compte tenu des défis auxquels sont confrontés toutes les minorités linguistiques et, enfin, compte tenu de l’implication extraordinaire de tous les intervenants dans le processus de modernisation de la Loi sur les langues officielles, ainsi que de son importance pour l’avenir de notre pays, je crois sincèrement qu’une étude préalable nous permettrait de faire un examen approfondi de certaines questions qui ont été posées et de nous préparer à l’importante étude de ce projet de loi lorsque le Sénat en sera saisi.

Chers collègues, mon plaidoyer en faveur d’une étude préalable est simple : profitons de tout le temps dont nous disposons pour pleinement exercer notre rôle de législateurs en amorçant, au moyen d’une étude préalable, un examen rigoureux du projet de loi C-13. La population canadienne mérite que la Loi sur les langues officielles soit adéquatement modifiée afin de répondre aux besoins et aux aspirations actuelles et futures de tous les Canadiennes et Canadiens. Amorçons donc le travail dès maintenant en adoptant cette motion.

Je vous remercie de votre attention.

Merci, sénateur Cormier. Vous affirmez qu’une étude préalable serait utile, mais vous n’avez pas expliqué pourquoi. Pourquoi n’arriverions-nous pas à faire tout ce que vous suggérez dans le cadre d’une étude régulière si la Chambre finit par s’organiser et par nous saisir du projet de loi? Les réunions du comité n’ont même pas encore commencé à la Chambre.

Je ne pense pas que qui que ce soit dans cette assemblée croie que le projet de loi sera renvoyé au Sénat sous sa forme actuelle. Nous serons donc saisis d’une mesure législative différente de ce qu’elle est aujourd’hui.

Nous sommes maintenant le 31 mai. Si le Comité des langues officielles se réunit les lundis, il disposerait d’un maximum de trois réunions pour mener cette étude, à condition qu’il puisse commencer à se réunir lundi prochain, ce qui n’est pas vraiment réaliste. Il y aurait donc deux réunions. Je ne sais pas ce que le comité peut accomplir en deux réunions quand il doit étudier un projet de loi dont il ne connaît même pas le contenu.

Mis à part le fait que vous souhaitez vraiment appuyer le gouvernement, ce que je peux comprendre, pourquoi croyez-vous qu’il serait préférable de réaliser une étude préalable plutôt que de mener une étude après avoir reçu le projet de loi? Pourquoi estimez-vous qu’une étude préalable est préférable?

Le sénateur Cormier [ - ]

Je vous remercie de la question, monsieur le sénateur. Je ne veux pas appuyer le gouvernement; je veux appuyer les Canadiens. Nous attendions ce projet de loi. Nous avons mené une importante étude sur ce sujet pendant deux ans. Elle a eu un impact, car le travail du Sénat a eu des répercussions sur la mesure législative à l’autre endroit.

Le fait de mener une étude préalable nous permettrait d’examiner plus en profondeur certaines questions qui sont vraiment importantes. Le projet de loi est complexe. Je ne crois pas qu’on puisse raisonnablement s’attendre à ce que nous fassions le travail en deux ou trois semaines, mais il est important de nous y mettre maintenant.

La raison d’être d’une étude préalable n’est pas de terminer le travail d’ici la fin de juin. Il s’agit plutôt de commencer le processus, ce qui est très important. De plus, la Chambre des communes peut entendre ce que nous avons à dire sur le sujet lorsque nous rencontrons des gens dans le cadre de l’étude préalable.

À mon avis, il n’est pas question d’accélérer l’adoption du projet de loi. Ce n’est pas mon objectif. Je souhaite plutôt entamer la conversation dès maintenant au lieu d’attendre à l’automne. Commençons dès maintenant. Il ne s’agit pas d’accélérer l’adoption du projet de loi, mais de veiller à ce que les Canadiens puissent entendre ce que le comité peut faire au moyen d’une étude préalable.

Voilà mon objectif, monsieur le sénateur.

Je le répète : je ne suis pas ici pour appuyer le gouvernement. Je suis ici pour appuyer les Canadiens, en particulier les minorités linguistiques du pays qui attendent ce projet de loi et qui y travaillent depuis très longtemps. À mon avis, ils le méritent. Ils méritent une étude préalable. Merci.

L’honorable Claude Carignan [ - ]

Le sénateur Cormier accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Cormier [ - ]

Absolument.

Le sénateur Carignan [ - ]

Sénateur Cormier, vous comprenez, bien sûr, l’importance de défendre les deux langues officielles. La Chambre des communes devrait adopter, d’une minute à l’autre, le renvoi du projet de loi à un comité à la suite de l’étape de la deuxième lecture.

Au cours des prochains jours, le comité de la Chambre des communes devrait commencer à étudier les dispositions du projet de loi visant à moderniser la Loi sur les langues officielles; le débat aura donc d’abord lieu à la Chambre des communes, pour ensuite se tenir au Sénat.

Le comité n’a-t-il pas d’autres sujets importants à étudier en matière de langues officielles, pour faire en sorte que le gouvernement respecte nos deux langues officielles?

Le sénateur Cormier [ - ]

Merci beaucoup de votre question. Effectivement, il y a d’autres sujets à étudier. D’ailleurs, le Comité sénatorial permanent des langues officielles mène actuellement une étude qui porte sur l’immigration francophone.

Le projet de loi C-13 aborde, par exemple, cette question de l’immigration et propose que le ministre de l’Immigration adopte une politique nationale en ce qui a trait à l’immigration francophone. Dans le contexte d’une étude préalable, il s’agirait d’une occasion d’approfondir certains aspects comme celui de l’immigration francophone, par exemple. Ce serait, bien sûr, utile pour ce qui est de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, mais il faut dire aussi — et je suis d’accord avec vous là-dessus — que la question de l’immigration francophone est un thème extrêmement important pour l’avenir des communautés de langue officielle en situation minoritaire, ainsi que pour tous les Canadiens.

Le sénateur Gold [ - ]

Sénateur Cormier, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Cormier [ - ]

Bien sûr.

Le sénateur Gold [ - ]

Je remarque qu’une motion est inscrite au Feuilleton à votre nom pour autoriser le comité à se réunir aux heures prévues chaque lundi qui précède une séance du mardi, conformément aux recommandations du comité de sélection. Cela ne permettrait-il pas de mieux gérer la charge de travail?

Aussi, ai-je raison de croire que vous espériez tenir une réunion du comité lundi dernier? Pouvez-vous expliquer pourquoi le comité n’a pas pu se réunir?

Le sénateur Cormier [ - ]

Le fait que le Comité sénatorial permanent des langues officielles n’ait pas été en mesure de siéger ce lundi ne dépendait pas du président du comité ni des membres du comité.

Je ne parlerai pas au nom des membres du comité, mais bien en mon nom personnel; le Comité sénatorial permanent des langues officielles a montré une réelle volonté et est déterminé à faire un travail rigoureux et sérieux sur le plan de la modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Nous espérons nous réunir le plus souvent possible pour faire ce travail et, effectivement, certaines décisions qui ont été prises ne nous ont pas permis de nous réunir aussi souvent que nous l’aurions voulu.

Personnellement, je crois qu’il faut entreprendre ce travail si important pour tous les Canadiens dès que possible.

L’honorable Leo Housakos [ - ]

Honorables sénateurs, je tiens à m’exprimer dans le cadre de cet important débat. Je ne souhaite pas parler des mérites des projets de loi C-13 et C-11, mais plutôt des deux motions inscrites au Feuilleton, celle dont nous débattons actuellement et la suivante.

Chers collègues, manifestement, aucune urgence n’exige la tenue d’une étude préalable. Je pense que quiconque tenterait d’affirmer que l’étude préalable a un caractère d’urgence ne ferait qu’aller dans le sens de ce qui pourrait être les intentions du gouvernement, pour des raisons politiques.

Le sénateur Plett a présenté des arguments très convaincants dans son discours en citant tous les exemples où des études préalables ont été menées. Il s’agit d’un outil que nous utilisons pour des questions urgentes d’intérêt public en vue de régler un problème. Il a été employé à maintes reprises. Toutefois, il arrive plus fréquemment qu’on nous demande d’y avoir recours vers la fin d’une session parlementaire, car le gouvernement souhaite qu’un projet de loi soit adopté avant la pause estivale ou celle de Noël. À ma connaissance, il n’est jamais arrivé qu’un gouvernement — quelle que soit sa couleur politique — demande qu’on fasse une étude préalable parce qu’il veut que le Parlement prenne tout le temps nécessaire pour étudier et analyser en profondeur un projet de loi qu’il considère comme extrêmement important.

C’est pourtant l’impression donnée par mon honorable collègue, le sénateur Cormier.

Ainsi, si les projets de loi C-13 et C-11 sont des dossiers si urgents et si pressants, pourquoi le gouvernement a-t-il traîné sept ans avant de les présenter? Manifestement, s’ils étaient si urgents, leur absence aurait soulevé tout un tollé.

De toute évidence, en ce qui concerne les projets de loi C-13 et C-11, l’objectif du gouvernement est de leur faire franchir les étapes à la Chambre et au Sénat aussi rapidement que possible avant la relâche estivale. Or, s’ils ne sont pas adoptés avant la fin juin, que se passera-t-il?

Nous avons fonctionné longtemps avec la version actuelle de la Loi sur les langues officielles avant qu’on nous présente un projet de loi pour la moderniser. Cela fait des décennies que les gouvernements négligent la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiodiffusion, et leur modernisation n’était pas une priorité pour le gouvernement actuel non plus puisqu’il a essayé de présenter un projet de loi en ce sens au Sénat à la même période l’an dernier, alors qu’il s’apprêtait à proroger le Parlement et à déclencher des élections.

J’en déduis que cette étude préalable est une tentative de faire ce que les gouvernements font depuis toujours pour traiter les dossiers publics non urgents : on essaie de les soumettre à une étude préalable, puis de leur faire franchir les étapes à toute vapeur au Parlement parce qu’ils sont controversés. Ils ne font pas l’objet d’un consensus. L’opinion à leur égard est divisée en deux camps impossibles à concilier. Par conséquent, les gouvernements n’aiment pas voir de tels projets de loi être étudiés trop longtemps, ni à la Chambre ni au Sénat.

Eh bien, je suis désolé pour l’organe exécutif du gouvernement, mais dans le cas du projet de loi C-11 — qui s’appelait C-10 à la législature précédente — nous avons tous compris ce que le gouvernement faisait à l’approche de la dernière prorogation et, en tant que parlementaires, nous étions tous unanimes pour dire que ce projet de loi devait faire l’objet d’un débat approfondi. J’étais content d’entendre le sénateur Cormier, qui soudainement approuve les études préalables, dire qu’un débat prolongé s’impose à l’égard de ce projet de loi.

Passons maintenant aux principes fondamentaux de la réalité, sénateur Gold. Considérons la durée de la présente session avant l’ajournement pour l’été, qui devrait normalement avoir lieu à la fin du mois de juin. Le sénateur Plett a correctement souligné les difficultés que les comités éprouvent actuellement à se réunir le temps nécessaire pour faire leur travail qui épuise déjà toutes nos ressources, sans parler d’ajouter l’exigence d’effectuer des études préalables au programme du gouvernement. Comme la Chambre ajoute plus de ressources, le Sénat est également touché par cette réalité.

Je me permets de rappeler aux gens une autre motion du gouvernement, et nous devrions d’ailleurs commencer à examiner ces motions avec un peu plus de diligence lorsqu’elles sont déposées. Lorsque nous avons accepté la dernière motion du gouvernement tendant à autoriser la tenue de séances hybrides jusqu’à la fin du mois de juin, on nous a promis que cela servirait de catalyseur et permettrait aux comités de recommencer à tenir deux réunions par semaine, car nous nous sommes tous rendu compte que nous ne produisons pas le travail que nous avions l’habitude de produire au Sénat.

On nous a promis que, si nous appuyions la motion du gouvernement, les comités pourraient se réunir deux fois par semaine et que nous pourrions recommencer à faire avancer les choses au Sénat et à faire notre travail.

Non seulement le gouvernement n’a pas tenu sa promesse, mais il veut que nous ajoutions une étude préalable à deux projets de loi qu’aucun d’entre nous ne voit l’urgence de faire adopter avant juin. Nous voyons tous qu’il s’agit de projets de loi controversés qui nécessitent une étude approfondie. Nous savons que de très nombreux témoins ont exprimé le désir de comparaître devant des comités afin d’aborder ces questions. Pourtant, le gouvernement continue d’insister sur la nécessité de procéder à une étude préalable.

En outre — et je ne veux pas répéter tout ce que le sénateur Plett a dit, car son discours était remarquable — la vérité est que ces deux enceintes sont indépendantes selon notre modèle de Westminster. Si les comités font leur travail de manière diligente, ils ont aussi le droit d’amender les projets de loi, n’est-ce pas?

Nous ne devrions pas tenir pour acquis que ces projets de loi seront étudiés rapidement par un comité de la Chambre, sans amendements, puis par le Sénat et un comité du Sénat, sans amendements, en particulier alors que nous savons qu’ils sont controversés et que de nombreux intervenants ont des préoccupations à leur égard.

Nous avons l’obligation d’entendre de manière indépendante les comités des deux Chambres. Nous avons l’obligation d’entendre le débat aux étapes de la deuxième et de la troisième lecture. Nous avons particulièrement l’obligation, au Sénat, d’évacuer la politique de tous les projets de loi, y compris ceux du gouvernement, alors que cela se produira par inadvertance à l’autre endroit. C’est pour cela qu’on l’appelle la Chambre des communes.

À mon avis, nous devrions autoriser la tenue d’études préalables dans des circonstances particulières, seulement lorsque c’est absolument nécessaire. Nous en avons par exemple réalisé beaucoup lorsqu’il y avait un besoin réel, ou lorsque le pays traversait une crise existentielle nécessitant des fonds d’urgence et que la question faisait l’objet d’un consensus généralisé, c’est‑à‑dire que nous savions alors que le public s’entendait pour dire que les projets de loi débloquant les fonds requis devaient être adoptés sans délai. Nous l’avons fait très souvent pendant la pandémie de COVID. Nous sommes conscients qu’en cas de crise ou d’urgence, il faut faire des exceptions et adapter les règles parlementaires traditionnelles dans l’intérêt du public.

Or, monsieur le leader du gouvernement, dans les deux cas qui nous intéressent, il n’y a pas d’urgence — nous le savons et vous le savez aussi bien que nous —, si ce n’est que le gouvernement ne veut surtout pas que des sujets aussi chauds traînent trop longtemps dans une Chambre ou dans l’autre, car comme n’importe quel gouvernement, il n’aime pas quand son programme fait les manchettes parce que d’aucuns le critiquent.

Je dois aussi dire, chers collègues, que le gouvernement Trudeau a de la difficulté à déterminer ce qui constitue une urgence. Vous vous souviendrez que la dernière fois qu’il a demandé au Sénat de débattre d’une situation d’urgence, il s’agissait de la Loi sur les mesures d’urgence. Alors même que certains d’entre nous remettaient en question la pertinence de cette urgence tandis que d’autres y croyaient dur comme fer, le premier ministre s’est précipité à la tribune de la presse pour dire « Désolé, j’annule tout. L’urgence n’est plus aussi importante qu’elle l’était hier. »

Monsieur le leader, votre gouvernement a déjà démontré qu’il a de la difficulté à déterminer ce qui constitue une urgence et à y faire face.

J’ai déjà posé la question la semaine dernière au moment du dépôt de cette motion, et je n’ai jamais reçu de réponse adéquate de la part du leader du gouvernement. Compte tenu des ressources limitées à la disposition du Sénat et du Parlement, et du fait que personne n’a réussi à démontrer que les projets de loi C-11 ou C-13 suscitent suffisamment de passion au sein de la population canadienne pour qu’on les adopte à toute vapeur sans procéder à des débats approfondis, le fait est que même si on accepte cette étude préalable, le gouvernement n’a toujours pas répondu à la question suivante : en quoi consisterait un échéancier convenable pour que ce projet de loi, monsieur le leader du gouvernement, soit adopté?

Compte tenu du programme des trois ou quatre prochaines semaines, tant à la Chambre qu’au Sénat, il est très irréaliste de penser que le projet de loi puisse être adopté. Même s’il y a une étude préalable, même si une majorité de sénateurs se lèvent pour appuyer la motion du gouvernement, j’ai encore du mal à croire que ce soit réaliste. À moins que le gouvernement pense qu’il y a une telle urgence qu’il est prêt à garder le Parlement ici au-delà du mois de juin, en juillet et en août, ce que, soit dit en passant, vous aviez le droit de faire l’an dernier également et avez choisi de ne pas faire, n’est-ce pas? Nous avons besoin de clarté sur toutes ces choses, monsieur le leader du gouvernement, et nous ne l’avons pas eue jusqu’à présent.

Pour toutes les raisons que j’ai énoncées et expliquées, je ne crois pas, chers collègues, qu’il s’agisse d’un cas convaincant pour une étude préalable, ni pour le projet de loi C-13, ni pour le projet de loi C-11. Bien sûr, nous laisserons au bon jugement du Sénat le soin de décider. Merci beaucoup.

L’honorable Lucie Moncion [ - ]

Je ne suis pas certaine que mes commentaires vont contribuer à la discussion, mais nous verrons.

Je prends la parole aujourd’hui pour appuyer la motion de la sénatrice Gagné, qui propose que le Comité sénatorial permanent des langues officielles soit autorisé à étudier la teneur du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

En tant que membre du Comité sénatorial permanent des langues officielles, y compris dans le cadre de l’étude portant sur la modernisation de cette loi, je suis persuadée qu’une telle étude permettra d’enrichir le débat à la Chambre des communes et au Sénat. Cette étude préalable n’empêchera pas le Sénat de mener une étude en bonne et due forme, une fois que le projet de loi arrivera dans cette enceinte. Croyez-moi, nous attendons ce projet de loi depuis trop longtemps pour vouloir l’adopter à la hâte.

Au cours des dernières séances, les sénateurs ont débattu de la pertinence de mener une étude préalable au sujet du projet de loi C-11. Cette discussion était également pertinente pour les fins du débat portant sur l’étude préalable du projet de loi C-13. Notamment, plusieurs sénateurs ont mis en évidence les bienfaits d’un dialogue entre les deux Chambres pour arriver à un produit final plus raffiné et représentatif de ce que recherchent les parties prenantes et les Canadiens. Je partage cet avis également.

Dans le contexte de la pandémie et des séances en mode hybride, il est difficile de suivre l’horaire habituel des réunions des comités. Qui plus est, l’incertitude concernant l’horaire des comités et la pénurie de personnel qui touche aussi le Sénat sont d’autres raisons qui justifient que le Comité des langues officielles entame l’étude préalable du projet de loi C-13. À mon avis, il serait déplorable de ne pas optimiser le précieux temps à notre disposition dans le cadre des réunions prévues au cours des prochaines semaines afin d’étudier la nature du projet de loi et de prendre un peu d’avance. Dans un contexte si incertain, notre priorité devrait être de nous donner du temps pour bien faire notre travail.

Comme la sénatrice Saint-Germain l’a souligné dans son discours sur l’étude préalable du projet de loi C-11, de nombreuses études préalables pour des projets de loi non budgétaires ont été menées lors des législatures précédentes, y compris quand un autre parti était au pouvoir. Par conséquent, nous ne ferions que poursuivre une pratique déjà bien établie. Je remercie la sénatrice d’avoir fait l’historique de la question au Sénat.

Par ailleurs, l’environnement politique actuel suggère qu’il y aura suffisamment de temps pour mener une étude adéquate de ce projet de loi, en plus de procéder à l’étude préalable. C’est un projet de loi que les communautés de langue officielle en situation minoritaire attendent depuis plus de 30 ans. J’estime qu’il est de notre devoir de prendre tout le temps nécessaire pour examiner de manière appropriée ces mesures législatives quasi constitutionnelles, car les enjeux qu’elles touchent sont au cœur du contrat social du Canada.

Je crois sincèrement qu’en proposant une étude préalable sans contraintes liées aux échanges et à la procédure dans le contexte de la fin de session actuelle, cette motion nous propose une avenue raisonnable et judicieuse pour entamer nos travaux.

Plusieurs des parties prenantes qui attendent depuis très longtemps ce moment ont déjà fait valoir leurs inquiétudes relativement à certains éléments du projet de loi. Ils sont prêts et nous sommes prêts, alors pourquoi attendre?

Notamment, une étude préalable nous permettrait d’être proactifs quant à l’étude des éléments suivants.

Les parties prenantes réclament que le Conseil du Trésor soit désigné comme une agence centrale chargée de mettre en œuvre l’intégralité de la loi. Pourtant, le projet de loi attribue le « rôle de premier plan » et de coordination de toute la loi à Patrimoine canadien. Nous devons nous pencher sur la question complexe de l’agence centrale.

Ensuite, la disposition portant sur la politique en matière d’immigration francophone ne précise pas de manière explicite que la politique devrait avoir pour effet d’augmenter le poids démographique du Canada français. Cette disposition devrait-elle être modifiée afin de clarifier son objet réparateur?

L’absence dans le projet de loi d’une disposition obligeant le gouvernement à inclure des dispositions linguistiques dans les ententes avec les provinces et les territoires pose problème pour plusieurs parties prenantes. Quels sont les enjeux juridictionnels qui empêchent le gouvernement d’inclure une disposition obligeant les clauses linguistiques? Y a-t-il des solutions de rechange viables qui pourraient satisfaire les parties prenantes?

Par ailleurs, le projet de loi ne contient aucune disposition sur la liquidation d’immeubles fédéraux, alors que les parties prenantes font depuis longtemps des demandes en ce sens afin que les commissions scolaires de langue française puissent facilement acheter ces immeubles si elles n’ont pas l’infrastructure requise pour répondre aux besoins de leur communauté.

Enfin, il faut aussi se demander quel sera l’effet du projet de loi sur la minorité anglophone du Québec. Soulignons que le Quebec Community Groups Network est préoccupé par divers enjeux qui méritent notre attention.

Le Comité des langues officielles détient une expertise en ce qui concerne la réforme de la Loi sur les langues officielles, puisqu’il a mené une étude approfondie à ce sujet pendant la 42e législature. Nous devrions mettre à profit cette expertise et lancer une étude préalable dès que possible, pendant que le Comité permanent des langues officielles de l’autre endroit étudie le projet de loi. L’autre endroit pourrait ainsi bénéficier de nos connaissances. L’existence d’un dialogue productif entre ces deux comités serait un atout pour les parties prenantes et pour les Canadiens.

Ce projet de loi s’est fait attendre, et nous devons lui rendre justice. Chers collègues, je vous encourage à appuyer cette motion afin que nous puissions commencer l’étude de la teneur du projet de loi C-13 le plus tôt possible.

Je vous remercie de votre attention.

L’honorable Pamela Wallin [ - ]

Sénatrice Moncion, je suis curieuse. Vous semblez dire que, si les deux comités s’assoyaient et examinaient ces projets de loi, la Chambre des communes serait réceptive. Avez-vous l’assurance que c’est bien le cas?

La sénatrice Moncion [ - ]

Je vous remercie de votre question. Non, nous n’avons pas de garantie à ce sujet. Au cours des dernières années, nous avons toutefois étudié la Loi sur les langues officielles et les réformes que nous aimerions y voir. Le gouvernement a pris note de l’ampleur du travail que nous avons consacré à ce dossier et du nombre de recommandations que nous lui avons faites. Pendant l’élaboration de la nouvelle mesure législative, il s’est inspiré du travail du Comité des langues officielles. Six rapports ont été fournis à la ministre des Langues officielles, Mme Joly, et le gouvernement en a pris note. Il est vrai que la ministre a mené de vastes consultations auprès des parties prenantes, mais un travail rigoureux a aussi été fait à l’intérieur même du Sénat.

La sénatrice Wallin [ - ]

Je comprends que les comités sénatoriaux étudient des enjeux et produisent des rapports pour le gouvernement en espérant que celui-ci en prendra acte et répondra. C’est parfois le cas et parfois non, comme nous l’avons vu dans le contexte de l’aide médicale à mourir.

Cependant, voulez-vous dire que, durant la brève période d’étude préalable qui pourrait avoir lieu — une journée entre maintenant et la fin de la session —, le gouvernement s’arrêtera et attendra que nous terminions notre étude avant de nous renvoyer le projet de loi adopté?

La sénatrice Moncion [ - ]

Je ne suis pas certaine de bien comprendre votre argument. En ce qui concerne l’étude préalable, nous savons qu’en proposant cette motion et en acceptant de réaliser une étude préalable maintenant, le travail se poursuivra jusqu’à l’automne et nous pourrons revenir et poursuivre notre étude préalable. Il n’y a aucun échéancier qui nous impose de terminer notre étude d’ici la fin de juin. Nous travaillerons avec nos collègues au Comité des langues officielles.

Je ne suis pas certaine de bien avoir répondu à votre question.

La sénatrice Wallin [ - ]

Je vais essayer de nouveau.

Si vous pensez que ces travaux sont terriblement importants, que le gouvernement nous écoutera et que les études se poursuivront à l’automne, vous tenez donc pour acquis que le gouvernement n’essaie pas de faire adopter cette mesure à toute vapeur. Si nous effectuons une étude préalable, comme par magie, nous recevrons les projets de loi et on nous demandera de les adopter avant la fin de la session actuelle.

La sénatrice Moncion [ - ]

En ce qui concerne le projet de loi C-13, je peux affirmer qu’il ne sera pas adopté d’ici le mois de juin. Cependant, nous pouvons faire beaucoup de travail dès maintenant.

L’honorable Jim Quinn [ - ]

La sénatrice accepterait-elle de répondre à une autre question? Merci.

Ce débat est très important pour moi. Je dirais que nous avons affaire à une situation non urgente qu’on présente comme une urgence. Je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick. La Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick m’a dit qu’elle préfère que nous ne fassions pas les choses à la hâte. On a dit qu’on n’allait pas précipiter les choses. Cependant, ces intervenants m’ont dit qu’ils préféreraient qu’on ne fasse pas d’étude préalable en raison de l’incidence du projet de loi C-13 sur les langues officielles et de la façon dont ce qui se passe au Québec peut avoir une incidence sur la situation des langues officielles au Nouveau-Brunswick. Ils veulent avoir du temps et une certaine marge de manœuvre pour laisser les choses évoluer sans précipitation.

Je suis dans la position délicate de devoir tenir compte de l’avis des intervenants en faveur d’une étude préalable tout en m’efforçant de défendre les intérêts d’une région où se trouve une association directement concernée qui m’a exhorté à ne pas appuyer la tenue d’une telle étude.

Que répondriez-vous à cela? Je me sens l’obligation de défendre les intérêts d’une partie importante de notre province — la seule province bilingue du Canada —, en collaboration avec d’autres collègues du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Moncion [ - ]

Merci de votre question, elle est importante. Je pense que les gens croient qu’une étude préalable serait menée séance tenante et qu’elle nous permettrait d’approuver le projet de loi avant la fin du mois de juin. Ce n’est pas l’objectif d’une étude préalable.

Que les gens de votre province se préoccupent des enjeux linguistiques est important et le fait que vous les écoutiez est également important. Je comprends la loyauté dont vous faites preuve envers les gens de votre province et je suis tout aussi loyale envers les gens de ma province.

Il est important de comprendre que cette étude préalable ne vise pas à forcer l’adoption du projet de loi d’ici la fin juin. Nous voulons commencer à étudier certaines questions précises qui sont très controversées présentement. Nous voulons travailler avec nos collègues francophones qui représentent les Canadiens d’un bout à l’autre du pays afin de trouver des solutions dans ce qui nous est présenté pour arriver au meilleur projet de loi possible pour les minorités linguistiques au Canada.

Ce projet de loi est le fruit de l’expérience des 50 dernières années. Le dernier projet de loi a été présenté il y a 50 ans. La loi a ensuite été modifiée, mais la situation actuelle ne convient pas aux minorités du pays, qu’elles soient au Québec ou ailleurs au pays.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Sénateur Quinn, je suis désolée, mais le temps imparti à la sénatrice Moncion est écoulé.

Le sénateur Carignan [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole dans le cadre du débat sur la motion no 41, une motion visant à autoriser l’étude préalable du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Encore une fois, le gouvernement nous demande de faire l’étude préalable d’un projet de loi qui n’a peut-être pas assez cheminé à la Chambre des communes.

Lors de nos derniers débats sur la motion du sénateur Gold, il a été beaucoup question du fait que le Sénat était maître de son temps. Effectivement, chers collègues, le Sénat est une Chambre législative indépendante qui administre ses affaires selon ses règles, ses usages, ses coutumes et ses traditions.

Bien que le Sénat, tel que l’ont conçu les Pères de la Confédération, soit une Chambre de second examen, de seconde réflexion, il a également le devoir de mener des enquêtes afin de tenir le gouvernement responsable de ses décisions. Ces enquêtes, nous les faisons grâce à notre libre arbitre et sous notre propre gouverne. De plus, comme vous le savez aussi bien que moi, le Sénat a lui-même le pouvoir de légiférer, sauf en ce qui a trait aux projets de loi de crédits.

Revenons au premier rôle du Sénat, qui est de procéder à un deuxième examen des projets de loi gouvernementaux et, plus généralement, de la Chambre des communes.

Cette fonction, nous devons l’accomplir en tenant en compte de notre spécificité, qui est de représenter les régions et de protéger les minorités. Le Sénat a été créé comme un contrepoids à une Chambre élue qui représente la population, mais où la majorité anglophone pouvait submerger la minorité francophone. Une représentation égale entre les régions devenait ainsi un ancrage et assurait une plus grande protection aux provinces les moins peuplées.

C’est d’ailleurs en raison de cet engagement envers un Sénat faisant contrepoids au gouvernement et s’appuyant de façon équitable sur la représentation des régions que le pacte confédératif de 1867 a pu être conclu.

Ainsi donc, le Sénat est l’une des trois parties fondamentales du système démocratique qu’est le Parlement du Canada. Il est un acteur pivot dans l’édification de notre corpus législatif, et son rôle ne peut être banalisé ou relégué à une simple instance consultative. Lorsque les lois sont adoptées à la Chambre des communes, elles nous sont renvoyées afin que nous procédions à un deuxième examen réfléchi et, idéalement, exempt des joutes partisanes.

Le Sénat est reconnu et réputé pour procéder de façon minutieuse et studieuse à l’examen des projets de loi. De la même manière, les études menées par le Sénat finissent régulièrement, en raison de leur qualité, à influencer l’adoption de projets de loi d’intérêt public.

L’ancêtre du projet de loi C-13 est le projet de loi C-32, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois. Il a été présenté à l’étape de la première lecture le 15 juin 2021, soit quelques jours avant la relâche d’été et quelques semaines avant la prorogation du Parlement, qui est survenue en août 2021, ce qui ne fut une surprise pour personne. Lorsqu’on regarde l’historique du projet de loi C-32, nous pouvons voir qu’il a suivi les étapes suivantes : la première lecture a eu lieu le 15 juin 2021; les étapes de la deuxième lecture, de l’examen au sein d’un comité et de la troisième lecture n’ont pas été complétées.

Le gouvernement de M. Trudeau a attendu cinq ans et huit mois pour déposer son projet de loi sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles, avec pour seul résultat que ledit projet de loi a été étudié à la Chambre des communes à l’étape de la première lecture, sans qu’aucun débat n’ait lieu par la suite.

Donc oui, lorsque j’ai constaté que nous étions saisis d’une motion visant à faire une étude préalable du projet de loi C-13, j’ai été assez surpris. Ce gouvernement s’est tellement traîné les pieds dans ce dossier qu’il y a comme un anachronisme à l’idée qu’il nous demande maintenant de faire une étude préalable du projet de loi.

Je le rappelle, il n’est pas d’usage que le Sénat se saisisse d’un projet de loi avant que la Chambre des communes en ait terminé l’étude. Le projet de loi C-13 est encore à l’étape de la deuxième lecture à la Chambre des communes en ce moment. Après quatre séances où la Chambre des communes a débattu de ce projet de loi, le gouvernement a fait adopter, le 20 mai dernier, une motion d’attribution de temps, ce qui signifie que le projet de loi sera renvoyé au Comité des langues officielles aujourd’hui même.

Outre le fait que le gouvernement, pour d’obscures raisons, semble soudainement vouloir accélérer le pas pour étudier ce projet de loi, rien, absolument rien ne vient justifier que le Sénat se subordonne à la volonté du gouvernement et mette de côté ses pratiques coutumières et constitutionnelles de procéder à un second examen du projet de loi, après que celui-ci a été adopté à l’autre endroit.

Lors des débats sur la motion no 41, le sénateur Gold et la sénatrice Saint-Germain ont cité certaines déclarations que j’ai faites quand j’étais leader du gouvernement et que j’ai appuyé l’étude préalable de certains projets de loi. Effectivement, comme je l’ai mentionné précédemment, je reconnais l’utilité des études préalables dans certains contextes particuliers. Toutefois, cela ne doit pas devenir pratique courante, car cela éloignerait le Sénat de son rôle fondamental de Chambre de second examen. Surtout, une deuxième étude effectuée au Sénat ne doit pas se substituer aux travaux des comités de la Chambre des communes.

En ce sens, il faut donc que le projet de loi pour lequel on demande une étude préalable ait, minimalement, cheminé à l’autre endroit, que l’étude du comité soit idéalement terminée et que les amendements aient été présentés. Il faut qu’il y ait une certaine urgence à faire progresser le projet de loi, soit en raison d’une fin de session imminente ou d’une obligation juridique ou encore, il faut qu’il soit tellement circonscrit dans son application, mais néanmoins important, qu’il importe d’en disposer dans les meilleurs délais. Ce sont là certains éléments qu’il faut considérer. Toutefois, le Sénat est maître de son emploi du temps et peut tenir compte de toute autre considération afin de juger de la pertinence d’une étude préalable pour un projet de loi. J’insiste : les études préalables ne doivent pas devenir la norme, mais bien l’exception.

En ce sens, le professeur Paul G. Thomas, dans l’ouvrage dirigé par notre ex-collègue le sénateur Joyal, intitulé Protéger la démocratie canadienne : le Sénat en vérité ... rappelle ce qui suit avec justesse, et je cite :

Le Sénat devait à l’origine compléter la Chambre des communes, qui était considérée comme le cœur de la vie politique du pays [...]

Outre les études préalables sur les projets de loi de crédits qu’il est d’usage de faire au Sénat, il y a eu six études préalables effectuées sous mon leadership, et ce, en deux ans, soit en 2013 et en 2014. Sauf pour deux exceptions, soit les études préalables sur les projets de loi C-15 et C-23, toutes ces études préalables se sont tenues après l’étape de la deuxième lecture à la Chambre des communes, et surtout après les audiences des comités chargés de les étudier.

Dans le cas du projet de loi C-15, il s’agissait d’un projet de loi visant à mettre en œuvre certaines dispositions de l’Entente sur le transfert des responsabilités liées aux terres et aux ressources des Territoires du Nord-Ouest, un projet de loi très spécifique et circonscrit à une région. En ce qui a trait au projet de loi C-23 sur la réforme de la Loi électorale, le comité de la Chambre des communes a commencé ses réunions avant celles du Sénat, mais nous avions convenu avec le gouvernement que nous ferions une étude en parallèle, afin de faire bénéficier le gouvernement de la longue expérience électorale de plusieurs sénateurs. Ce fut d’ailleurs concluant, car plusieurs amendements qui ont été apportés à la Chambre des communes émanaient du Sénat.

Si vous le voulez bien, examinons quelques exemples d’études préalables que nous avons faites au Sénat au moment où j’étais leader du gouvernement.

Le comité a terminé l’étude du projet de loi C-24 sur la citoyenneté le 3 juin 2014 et l’étude préalable effectuée par le Sénat a commencé le 10 juin 2014. L’étude du projet de loi C-36, visant à modifier le Code criminel afin de donner suite à une décision de la Cour suprême, a été complétée par le comité de la Chambre des communes le 15 juillet 2014 et l’étude préalable au Sénat a commencé le 9 septembre 2014.

Enfin, l’étude du projet de loi C-51, Loi édictant la Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada et la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, a pris fin au comité de la Chambre des communes le 31 mars 2015 et l’étude préalable au Sénat a commencé le 30 mars 2015.

Honorables sénateurs, je ne crois pas que l’on puisse m’accuser d’avoir utilisé à outrance et de façon inappropriée les études préalables au Sénat. Dans la quasi-totalité des cas, l’étude du comité du Sénat était subséquente à celle du comité de la Chambre des communes, qui avait préalablement entendu les témoins et effectué des amendements avant l’étude préalable au Sénat.

J’ai relu la déclaration que la sénatrice Gagné a faite quand elle a présenté sa motion, et honnêtement, je n’y pas vu le début du commencement d’une explication pour justifier la tenue d’une étude préalable sur le projet de loi C-13.

En fait, honorables sénateurs, des raisons militent davantage en faveur de refuser cette étude préalable que de l’autoriser. La première, et la plus importante des raisons est que cette étude préalable va directement à l’encontre de la raison d’être du Sénat. Nous sommes plusieurs à le souligner occasionnellement : nous sommes une Chambre de deuxième réflexion, et c’est à la base même de notre raison d’être. Il devient de plus en plus inquiétant de voir le gouvernement utiliser le Sénat pour faire avancer son programme législatif, soit en faisant des études préalables ou carrément en présentant des projets de loi gouvernementaux au Sénat. Ce faisant, le gouvernement alourdit le fardeau du Sénat et l’empêche de jouer son rôle quant à la seconde réflexion qu’il doit faire en s’appuyant sur la sagesse et la longue expérience de ses membres.

Puis, je l’ai amplement démontré précédemment, on ne nous a certainement pas fait la démonstration qu’il y a urgence en la demeure pour justifier une étude préalable, bien au contraire. Sans nier l’importance de moderniser la Loi sur les langues officielles, je crois justement que cette démarche doit se faire dans l’ordre, de façon minutieuse, en prenant le temps de bien faire les choses et sans mettre la charrue devant les bœufs.

En réponse à une question du sénateur Plett, la sénatrice Gagné a répondu ceci pour justifier l’étude préalable du projet de loi C-13 :

Je crois que c’est une raison de plus pour effectuer une étude préalable, justement dans le but de guider le gouvernement et de l’orienter dans son analyse.

Vous voyez, chers collègues, sauf le respect que j’ai pour la sénatrice Gagné, je crois que cette affirmation illustre bien le fait que les représentants du gouvernement au Sénat comprennent mal les fonctions de notre institution. Si nous voulons guider le gouvernement et l’orienter dans ses analyses, notre outil de prédilection est notre pouvoir d’enquête. C’est de cette manière que nous devons orienter, autant que faire se peut, l’action gouvernementale. Utiliser les études préalables pour guider et orienter le gouvernement, c’est travestir notre action, c’est nous transformer en comité consultatif, c’est nier le rôle que nous jouons dans la fédération depuis 1867.

À la décharge du sénateur Gold, ce dernier pouvait au moins prétendre à un historique un peu plus charnu de l’ancêtre du projet de loi C-11, soit le projet de loi C-10, pour tenter de justifier une étude préalable du projet de loi C-11. Il ne nous a certes pas convaincus, mais au moins, il pouvait s’accrocher à quelques arguments un tant soit peu substantiels.

Dans le cas du projet de loi C-13, outre le texte du projet de loi en tant que tel, nous sommes devant un vide en matière d’analyses, de débats, de témoignages et de réflexions le moindrement soutenues à l’autre endroit. Nous demander de procéder à l’étude préalable du projet de loi C-13, c’est carrément nous demander de nous substituer à la Chambre des communes, ce qui n’est assurément pas notre rôle. Je le répète et le répéterai ad nauseam, nous sommes une Chambre de deuxième réflexion qui a pour objectif d’enrichir le travail de la Chambre des communes et de bonifier les projets de loi, et non pas de faire le travail à sa place.

Si nous nous éloignons sans cesse de notre raison d’être et que nous nous laissons entraîner dans les coquetteries législatives du gouvernement, nous perdrons notre essence même et nous nous égarerons assurément dans une confusion des genres, pour ne pas dire dans la confusion des Chambres.

Comme je l’ai souligné rapidement plus tôt, en préparant cette allocution, j’ai parcouru rapidement l’ouvrage dirigé par notre ex‑collègue le sénateur Joyal, qui traite de l’histoire et des fonctions du Sénat. L’ouvrage s’intitule Protéger la démocratie canadienne : le Sénat en vérité ..., et je vous en recommande très chaleureusement la lecture.

Afin d’expliquer l’importance du second examen, j’ai retenu un passage du professeur C.E.S. Franks qui relatait une situation s’étant produite au Sénat, et je cite :

Le projet de loi dit du « Fils de Sam ». En octobre 1997, en l’espace d’une journée, avec consentement unanime et sans amendement, la Chambre des communes adoptait le projet de loi C-220 à l’étape de la deuxième et de la troisième lecture et du comité et le soumettait au Sénat. Cette mesure, un projet de loi privé portant amendement du Code criminel et de la Loi sur le droit d’auteur dans le but d’éviter que des personnes condamnées ne puissent tirer profit d’ouvrages relatant leurs crimes, était pratiquement identique à un projet de loi mort au feuilleton au cours de la législature précédente. Elle avait été sanctionnée en troisième lecture à la Chambre des communes malgré les graves réserves qu’avait exprimées le comité des Communes chargé de l’examiner : le comité craignait que cette mesure n’outrepasse les pouvoirs que confère le Code criminel, que ses conséquences ne s’étendent au-delà de la période d’incarcération, et qu’il ne se mette en travers de la solution intergouvernementale qui était en train d’être négociée.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Excusez-moi de vous interrompre, sénateur Carignan. Demandez-vous cinq minutes de plus?

Le sénateur Carignan [ - ]

Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Le consentement est-il accordé?

Le sénateur Carignan [ - ]

Je poursuis la lecture de la citation.

Lors du débat en deuxième lecture, plusieurs sénateurs se dirent inquiets du fait que le projet de loi, dans sa nouvelle mouture, ait reçu si peu d’attention aux Communes. Pour ses partisans, le projet de loi précédent avait déjà été étudié par un comité des Communes et, malgré les réserves qui avaient été exprimées, avait été adopté à l’unanimité. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles décida de tenir 13 séances, en fit un examen extrêmement approfondi et entendit près de 30 témoins, dont, entre autres, des représentants de l’Association du Barreau canadien, de la Writers’ Union of Canada, du ministère de la Justice et de la Société Elizabeth Fry.

À la suite de cette étude et face aux nombreuses inquiétudes présentées dans le cadre des audiences publiques :

[…] le comité recommanda l’abandon du projet de loi, recommandation que le Sénat avalisa sans la moindre dissidence en séance plénière.

La décision du Sénat relativement à ce projet de loi était fondée sur une analyse bien plus approfondie que celle des Communes […]

Que nous révèle cette anecdote? Elle nous révèle que si le Sénat assume pleinement et méticuleusement son rôle, il est, à n’en pas douter, un pivot essentiel pour notre démocratie. J’invite donc les honorables sénateurs à ne pas se laisser entraîner dans des chemins de traverse et à maintenir le cap sur le rôle fondamental que nous jouons, soit celui d’être une Chambre complémentaire à la Chambre des communes.

Je voterai donc contre la motion no 41. Merci.

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) [ - ]

Accepteriez-vous de répondre à une question, sénateur Carignan?

Le sénateur Carignan [ - ]

Bien sûr.

La sénatrice Gagné [ - ]

Voici ma question. Je note qu’en 2019, le Sénat a entamé des études préalables dans le cadre du projet de loi C-15, la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et du projet de loi C-91, la Loi sur les langues autochtones. Lorsqu’on regarde la séquence du dépôt des projets de loi et de leur renvoi en comité, si je comprends bien, le projet de loi C-91 a été renvoyé à un comité à l’autre endroit le 20 février 2019. Le comité a commencé à recevoir ou à entendre des témoins le 21 février 2019, tandis qu’au Sénat, on a accepté d’entamer une étude préalable environ une semaine plus tard. Alors, il y a là un bel exemple d’une décision prise par le Sénat sur une loi sur les langues autochtones qui était extrêmement importante pour le pays. Seriez-vous en mesure de commenter la raison pour laquelle on aurait décidé de mener une étude préalable sur cette loi, mais qu’aujourd’hui, ce ne soit pas une bonne raison de tenir une étude préalable sur les langues officielles?

Le sénateur Carignan [ - ]

Je ne voudrais pas répéter mon discours dans ma réponse, car je manquerais de temps. Ce qui est important, c’est d’éviter la dérive qui ferait en sorte que, graduellement, nous cessions de jouer notre rôle de Chambre de deuxième examen objectif. Ce matin, je faisais la réflexion suivante : au Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, on étudie un projet de loi pour lequel on propose environ 75 amendements. Je nous écoutais, et je me suis dit que nous sommes très compétents lorsqu’il s’agit de porter un second regard sur les projets de loi, mais peut-être pas aussi efficaces dans le cadre du premier examen.

Nous avons prévu sept ou huit rencontres et il y a plusieurs éléments techniques d’orientation gouvernementale à traiter également. Je me dis que j’aimerais pouvoir profiter des discussions des députés et des orientations qu’ils entendent prendre d’un point de vue politique à la Chambre des communes sur un projet de loi de cette nature, de façon à nous permettre de tirer parti de ces discussions et des témoins. Les sénateurs pourraient ainsi compléter leur étude grâce à des témoignages qu’ils n’auront pas entendus, y compris de la part de groupes de pression qui n’auront pas été entendus à l’autre endroit, et les examiner avec un certain recul. Je pense que c’est la règle au Sénat et celle que nous devrions maintenir, sauf dans le cas de situations exceptionnelles.

Comme je l’ai déjà mentionné, quand j’étais leader du gouvernement, pour la plupart des études préalables que nous avons faites, le travail avait déjà été fait de l’autre côté. Le comité avait terminé l’étude, les témoignages avaient été présentés et à peu près tous les amendements avaient été déposés, car comme vous le savez, à la Chambre des communes, les amendements sont surtout présentés au sein des comités.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

L’honorable sénatrice Gagné, avec l’appui de l’honorable sénateur Gold, propose... Puis-je me dispenser de lire la motion?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

L’honorable sénatrice Gagné, avec l’appui de l’honorable sénateur Gold, propose :

Que, conformément à l’article 10-11(1) du Règlement, le Comité sénatorial permanent des langues officielles soit autorisé à examiner la teneur du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois, déposé à la Chambre des communes le 1er mars 2022, avant que ce projet de loi ne soit présenté au Sénat;

Que, aux fins de cette étude, le comité soit autorisé à se réunir, même si le Sénat siège à ce moment-là ou est alors ajourné, l’application des articles 12-18(1) et 12-18(2) du Règlement étant suspendue à cet égard.

Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion et qui sont sur place veuillent bien dire oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Que les sénateurs qui sont contre la motion et qui sont sur place veuillent bien dire non.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

À mon avis, les oui l’emportent.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Convoquez les sénateurs pour un vote à 17 h 42.

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