Recours au Règlement--Débat
Report de la décision de la présidence
19 avril 2023
Votre Honneur, je sollicite votre indulgence aujourd’hui pour faire quelques remarques concernant un rappel au Règlement que le sénateur Downe a soulevé le 30 mars. Il a invoqué le Règlement au sujet d’un langage incendiaire utilisé au Sénat. La raison pour laquelle j’interviens aujourd’hui est qu’il a fait référence — ou du moins il a suggéré plus tard qu’il faisait référence — à des commentaires que le sénateur Housakos et moi-même avions faits pendant la période des questions. Nous étions, bien sûr, les deux premiers à prendre la parole pendant la période des questions, et lorsque la période des questions s’est terminée et que le sénateur Downe a présenté la motion, nous ne sommes pas intervenus pour en débattre.
Je sollicite donc aujourd’hui votre indulgence pour moi et peut‑être d’autres sénateurs qui souhaiteraient faire quelques commentaires sur cette question.
Merci pour votre intervention, sénateur Plett. Il est inhabituel de rouvrir le débat une fois qu’un rappel au Règlement a été soulevé et que j’ai demandé aux autres sénateurs s’ils voulaient faire des commentaires. Cependant, je l’ai déjà fait par le passé et je suis prêt à le refaire. Toutefois, je rappelle à tous ceux qui veulent participer que nous nous référons à l’article 6-13(1) du Règlement, qui concerne les « propos injurieux ou offensants » considérés comme non parlementaires, et je vous demanderais de limiter vos commentaires à cet article particulier. Je vous demande également d’être aussi bref que possible.
Merci, Votre Honneur. J’aime bien la formule « aussi bref que possible » et je vais essayer de l’être. Par contre, pour parler de cette question et faire référence aux déclarations concernant le premier ministre, pour pouvoir le faire correctement, je dois au moins donner quelques exemples pour défendre ma position. J’essaierai cependant de le faire rapidement, Votre Honneur.
Les déclarations que nous avons faites et sur lesquelles on vous a demandé de vous pencher afin d’examiner les termes employés faisaient référence au fait que Justin Trudeau avait menti aux Canadiens. Je dois souligner que, lorsque le premier ministre adopte un comportement non parlementaire, il est impossible d’en parler correctement sans employer ce qui serait perçu comme du langage non parlementaire dans d’autres contextes. À mon avis, dans un tel contexte, on ne peut pas parler de langage non parlementaire. Il ne s’agissait pas de propos incendiaires ni de déclarations visant à prêter des intentions. Il ne s’agissait que de faits. Il n’y avait pas d’accusation, c’étaient seulement des observations, et c’est le nœud de l’affaire.
Quand l’empereur se promène partout au pays et qu’il est visiblement nu, il n’est pas non parlementaire de le dire. Je dirais au contraire qu’il serait non parlementaire de ne pas le dire ou d’empêcher les autres de dire la simple vérité. Si d’autres sénateurs ou moi sommes contraints de décrire le comportement non parlementaire du premier ministre d’une façon qui ne reflète pas précisément ce comportement, alors, concrètement, nous sommes contraints de mentir. En tant qu’opposition officielle, on nous empêche d’exiger du gouvernement qu’il rende des comptes. Je ne crois pas que ce soit l’intention du Sénat, mais c’est tout de même le résultat auquel cela nous mène.
La question dont nous sommes saisis aujourd’hui consiste à déterminer si les termes utilisés décrivent correctement les actions du premier ministre. Je pense que c’est le cas. Le premier ministre a démontré à maintes reprises qu’il a tendance à dire des choses qui s’avèrent inexactes, et j’aimerais prendre quelques instants pour fournir des preuves incontestables à l’appui de cette position.
Permettez-moi de commencer par la définition du mot « mensonge » donnée par le dictionnaire Merriam-Webster : « faire une déclaration fausse avec l’intention de tromper » ou « créer une impression fausse ou trompeuse ». Pour plus de clarté, permettez-moi d’utiliser la définition de Dictionary.com : « parler faussement ou proférer une fausseté en connaissance de cause, comme avec l’intention de tromper » ou « exprimer ce qui est faux; donner une fausse impression ».
Lorsque le sénateur Housakos a dit que le premier ministre avait menti, il parlait clairement de l’engagement que le premier ministre lui-même avait pris envers les Canadiens. Permettez-moi de tous vous rafraîchir la mémoire quant aux propos exacts du sénateur Housakos :
En 2015, le premier ministre actuel s’est engagé auprès de la population canadienne à limiter la dette à deux exercices financiers et à rétablir l’équilibre budgétaire au plus tard en 2019. C’est ce qu’il a promis.
La question est simple : pourquoi a-t-il menti au peuple canadien?
Plus tard, mon collègue a dit :
Et oui, le premier ministre a menti : il a induit les Canadiens en erreur en s’engageant à équilibrer le budget au plus tard en 2019. Dans les sphères du pouvoir à Ottawa, il faut commencer à comprendre que lorsqu’on trompe les contribuables, il faut rendre des comptes et ne pas renchérir.
Les commentaires de mon collègue le sénateur Housakos portent directement sur une promesse du premier ministre et, malheureusement, une promesse non tenue.
Lorsqu’un premier ministre, un ministre et un membre du gouvernement font une promesse aux Canadiens, je crois que les Canadiens ont le droit de s’attendre à ce que l’engagement soit respecté. S’il ne l’est pas, je crois aussi que les Canadiens ont le droit de s’attendre à ce qu’une opposition sérieuse à la Chambre des communes et au Sénat assume la responsabilité d’interpeller le parti au pouvoir sur son inaction et ses échecs.
La promesse non tenue mentionnée par le sénateur Housakos n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de les énumérer toutes, mais j’encourage toute personne intéressée à faire le suivi des engagements du premier ministre à consulter le Polimètre. Au cours de son mandat de plus de 2 500 jours, le gouvernement du premier ministre Trudeau a affiché un taux médiocre de 37 % de promesses tenues et réalisées.
Revenons à mes remarques du 30 mars. Même si elles ont été formulées d’une manière semblable à celles de mon collègue, je souhaitais aborder un tout autre angle. Dans mes questions et observations, je faisais référence à la tendance constante et intentionnelle du gouvernement Trudeau à ne pas s’exprimer avec précision ou à ne pas décrire fidèlement les choses.
L’automne dernier, de nombreux autres membres de l’opposition conservatrice et moi avons demandé à maintes reprises qui avait séjourné dans la chambre d’hôtel à 6 000 $ la nuitée à Londres, aux frais des contribuables. À l’époque, le premier ministre avait refusé de dire la vérité aux Canadiens sur cette dépense. Il n’a donné aucune réponse claire. Il a éludé la question. Il a fourni une réponse soigneusement rédigée et vague afin de tenter d’éviter d’avoir des comptes à rendre.
Le premier ministre Trudeau a initialement fait campagne en promettant des voies ensoleillées, ainsi qu’un gouvernement plus transparent et responsable. Malheureusement, nous avons rapidement appris que les promesses du premier ministre ne servaient qu’à duper les Canadiens. Une fois que le premier ministre a été au pouvoir, sa priorité est rapidement devenue de ne ménager aucun effort pour empêcher les Canadiens d’apprendre la vérité, surtout à propos de décisions qui pourraient ternir son image publique.
Revenons à la question que j’ai posée le 30 mars et qu’il vous a été demandé, monsieur le Président, d’examiner. Qui a séjourné dans la luxueuse suite d’hôtel de 6 000 $ la nuitée pour un séjour de cinq nuits qui a coûté 30 000 $ aux contribuables canadiens? Le Cabinet du premier ministre a finalement été contraint de s’expliquer et personne ne sera surpris d’apprendre que c’est le premier ministre Justin Trudeau qui n’a pas tenu compte du coût élevé de la suite luxueuse à Londres. Ce scandale de la suite à 6 000 $ la nuitée est une gifle au visage des Canadiens qui travaillent dur et qui font face à la pire crise d’abordabilité de toute une génération.
Comment avons-nous appris que c’est le premier ministre qui s’est offert ce luxe? Aucune excuse n’a été présentée aux contribuables pour cette dépense scandaleuse. On n’a pas mis cartes sur table ni pris conscience de l’erreur. Le Cabinet du premier ministre a piteusement fourni les renseignements à un comité de la Chambre des communes, le jour de la visite du président américain Biden sur la Colline du Parlement. De toute évidence, on tentait délibérément d’éviter tout examen public de cette dépense scandaleuse du premier ministre.
Avec le recul, on constate qu’il y avait du vrai dans les paroles que le premier ministre Trudeau a chantées au cours de son séjour à Londres :
Je suis sur une pente glissante,
Impossible de fuir de la réalité,
Ouvrez les yeux
Levez la tête et voyez,
J’suis qu’un pauvre enfant, pas besoin de pitié,
Parce que je vais et je viens.
Un peu haut, un peu bas,
La façon dont souffle le vent n’a pas vraiment d’importance pour moi, pour moi,
Rien ne compte vraiment.
Tout le monde s’en rend compte
Rien ne compte vraiment, rien ne compte vraiment pour moi.
Il semble qu’il faille rappeler au premier ministre Trudeau que oui, ses gestes comptent. Ils comptent parce qu’il est actuellement à la tête du pays et que ses paroles et ses gestes ont une incidence sur les Canadiens. Ils comptent parce que la suite luxueuse qu’il a occupée à Londres est payée avec l’argent durement gagné par les travailleurs canadiens. Ils comptent parce que, dans un contexte d’incertitude économique, les Canadiens veulent voir leur premier ministre donner l’exemple; ils ne s’attendent donc pas à ce genre de geste, et ils méritent mieux.
C’est le journaliste Brian Lilley, du Toronto Sun, qui a été le premier à parler de la suite d’hôtel à 6 000 $. Voici un extrait de son article du 30 mars:
Le gouvernement Trudeau ne voulait vraiment pas que ces renseignements soient publiés et il s’est démené fort pour empêcher leur publication. Ils n’ont été révélés que la semaine dernière. Le président des États-Unis, Joe Biden, venait au Canada. Un comité de la Chambre des communes insistait pour avoir ces renseignements et le Cabinet du premier ministre avait épuisé toutes les manœuvres légales visant à empêcher leur divulgation.
Voilà maintenant qu’ils cherchent à blâmer la GRC en affirmant qu’on avait besoin de cette chambre coûteuse pour les agents de la GRC qui protégeaient M. Trudeau.
Brian Lilley conclut son article comme suit :
Soit les libéraux perdent vraiment la main et n’arrivent pas, depuis des mois, à gérer efficacement cette histoire très médiatisée, soit ils nous mentent pour tenter d’étouffer l’affaire.
Sénateur Plett, je suis bien au fait du contexte historique et des observations sur l’actualité dont vous parlez, et j’y ai facilement accès dans le cadre de mes recherches.
Je tiens à ce que vous vous en teniez à la disposition du Règlement en ce qui concerne les « propos injurieux ou offensants » qui ont été tenus ici. Je pense que les propos que vous tenez en ce moment n’ont pas trait à l’interprétation de cette règle. Bien que je fasse preuve d’une certaine souplesse quant aux propos qui peuvent être tenus ici, je vous demanderai de dire si, oui ou non, cette règle a été enfreinte, ce qui me serait d’une plus grande utilité.
Votre Honneur, je vais tenter de l’être. Toutefois, permettez-moi au moins de dire ceci : j’ai fait des remarques que l’on a qualifiées de non parlementaires et d’inopportunes. Je ne les ai pas faites sous le coup de la colère ou par méchanceté; je les ai faites parce que j’ai constaté que le premier ministre a du mal à dire la vérité. Pour moi, lorsqu’une personne ne dit pas la vérité, elle ment.
Pour pouvoir plaider ma cause, Votre Honneur, je dois au moins exposer quelques-unes des faussetés — des mensonges, à mon avis — que le premier ministre a dites.
Je vais essayer de les parcourir très rapidement, Votre Honneur, et de conclure dans les deux prochaines minutes.
Permettez-moi de revenir sur ce que j’ai dit le 30 mars :
Comment peut-on avoir confiance dans cette explication, alors que le premier ministre a menti à plusieurs occasions? Comment peut-on avoir confiance dans cette explication, alors que le premier ministre aurait pu la fournir depuis le début, mais il a choisi de ne pas le faire? N’est-ce pas là de la mésinformation?
Enfin, monsieur le leader, comme je l’ai dit hier, quand Justin Trudeau réalisera-t-il qu’il a perdu la confiance des Canadiens [...]?
Votre Honneur, il est important que je partage le contexte avec tout le monde dans cette enceinte.
J’aimerais conclure brièvement en citant l’ancienne ministre de la Justice et procureure générale, Jody Wilson-Raybould, et je saute bien des passages. Dans son livre intitulé Une Indienne au gouvernement, elle a dit qu’elle s’en voulait d’avoir cru que le premier ministre :
[...] était un homme bon et honnête [...] quand en réalité, il mentait tout bonnement au public en croyant pouvoir le faire en toute impunité.
La semaine dernière, le premier ministre Trudeau a encore été pris à mentir au sujet de la Fondation Pierre-Elliott-Trudeau lorsqu’il a dit :
C’est une fondation qui porte le nom de mon père et avec laquelle je ne collabore pas de façon directe ou indirecte.
Nous avons appris hier que la famille nomme deux personnes au sein de la fondation, que le frère et la demi-sœur du premier ministre sont membres de la fondation, et que, pendant un an et demi, la fondation a inclus le nom de Justin Trudeau dans des documents publicitaires.
Votre Honneur, les exemples de faussetés sont nombreux, et je pourrais continuer de les énumérer, mais je ne le ferai pas.
Je vais simplement conclure, Votre Honneur, en disant que même le NPD a dénoncé les mensonges du premier ministre Trudeau, mais ils continuent de l’appuyer ainsi que son gouvernement. Voici ce que le NPD propose sur son site Web :
Signez si vous en avez assez des mensonges de Trudeau sur l’assurance-médicaments
Ajoutez votre nom pour dire à Justin Trudeau que vous en avez assez de ses mensonges.
Votre Honneur, j’ai dit ce que j’avais à dire. Toutefois, j’aimerais conclure avec les observations suivantes : si ça ressemble à un canard, si ça nage comme un canard et si ça cancane comme un canard, c’est probablement un canard. La seule chose que l’on peut nous accuser, le sénateur Housakos et moi, c’est de dire la vérité dans nos observations qui, comme je l’ai mentionné précédemment, prennent appui sur des faits. À mon humble avis, ce ne sont pas des propos non parlementaires.
Merci, Votre Honneur.
Sénateur Downe, je vous donnerai la parole dans un instant. Toutefois, chers collègues, je vous rappelle que si vous voulez m’aider de quelque façon à rendre ma décision, je vous prie de vous en tenir à l’interprétation de l’article 6-13 du Règlement. Je n’ai besoin d’aucune leçon historique pour savoir ce qui a été diffusé dans les médias au cours des derniers mois ou des 5 ou 10 dernières années. Je veux entendre votre opinion, à savoir si certains commentaires énoncés relèvent du langage non parlementaire, avec une justification, mais sans que vous prêtiez d’intentions à autrui.
Je vous remercie de cette précision, Votre Honneur. Lorsque je suis arrivé au Sénat aujourd’hui, j’ai cru que nous organisions un concours de dissertation fictive en entendant le discours du sénateur Plett, car son intervention était exempte de faits concrets concernant le recours au Règlement.
Lorsque j’ai invoqué le Règlement à l’origine, je l’ai fait de manière intentionnellement vague afin de ne pas offenser les sénateurs conservateurs. De toute évidence, cela n’a pas fonctionné, alors permettez-moi d’être plus direct aujourd’hui.
Pour répondre à votre question, Votre Honneur, le problème n’est pas ce que le premier ministre a dit ou n’a pas dit, mais le langage inapproprié utilisé au Sénat du Canada. Voilà pourquoi j’ai invoqué le Règlement : le langage de nos collègues était inapproprié.
Soit dit en passant, je comprends la frustration que certains ressentent. J’ai siégé dans cette enceinte dans l’opposition au gouvernement. Bien souvent, j’intervenais en me demandant pourquoi le premier ministre Harper agissait comme il le faisait. Je ne me souviens pas que quiconque l’ait traité de « menteur » à l’époque. En fait, je me souviens que les sénateurs conservateurs de l’époque qui représentaient le gouvernement se sont opposés à ce que certains disent seulement « Harper » au lieu de « premier ministre Harper ». C’est dire à quel point notre attitude était scandaleuse à l’époque. Nous sommes dans une situation différente aujourd’hui. Je ne pense pas que cela soit très utile.
Cela ne nous vient pas des États-Unis. Ce type de comportement existe depuis longtemps au Canada, mais nous avons toujours été en mesure de le contrôler, et il est important que le Sénat se montre à la hauteur.
En ce qui concerne le rappel au Règlement, je répète, comme Votre Honneur l’a indiqué, que l’article 6-13(1) du Règlement dit :
Les propos injurieux ou offensants sont non parlementaires et contraires au Règlement.
L’article 6-13(2) du Règlement est libellé comme suit :
Lorsqu’un sénateur est rappelé à l’ordre parce qu’il a tenu des propos non parlementaires, tout sénateur peut exiger que ces paroles soient consignées par le greffier.
L’article 6-13(3) du Règlement précise ceci :
Le Sénat prend les mesures disciplinaires qu’il estime indiquées à l’égard du sénateur qui a tenu des propos non parlementaires sans se justifier, se rétracter ou présenter des excuses jugées satisfaisantes par le Sénat.
Je reviendrai sur ce dernier point à la fin de mon intervention.
L’objet de ce Règlement est de « [...] préserver l’ordre et le décorum lors des débats et travaux du Sénat ». Telle est la question qui se pose à nous : comment voulons-nous préserver le décorum dans les débats au Sénat?
Dans la Jurisprudence parlementaire de Beauchesne, la majorité des décisions du Président de la Chambre des communes portent sur les mots « mentir », « mensonges », ou une expression semblable. Il est généralement accepté que l’utilisation du mot « mentir » constitue une conduite non parlementaire, car il ne peut servir qu’à remettre en question les motifs des gestes d’un député. En 2000, le Président du Sénat a fait la déclaration suivante sur l’utilisation de propos non parlementaires au sujet des députés de la Chambre des communes :
Pour en revenir à ce que j’ai dit tout à l’heure, il est important de préserver le respect mutuel au Sénat. Il est tout aussi important, lorsque nous parlons de personnes qui ne se trouvent pas parmi nous et qui ne peuvent répliquer, que nous leur accordions le même respect.
Autrement dit, si la personne qui est accusée n’est pas au Sénat pour se défendre.
Chers collègues, comme nous le savons tous, contrairement à son homologue de la Chambre des communes, le Président du Sénat a un rôle très limité. C’est au Sénat qu’il revient de gérer ses propres affaires. Contrairement à ce qui se fait à la Chambre, le Président ne peut pas nommer un sénateur et il ne peut pas exiger d’excuses. Dans la même décision de 2000 que celle mentionnée plus tôt, le Président a émis le commentaire suivant au sujet de son autorité :
Je rappelle aux sénateurs que le rôle du Président du Sénat est très différent de celui du Président de la Chambre. De longue date, la pratique et la coutume veulent que les sénateurs se policent eux-mêmes et que le Président n’ait qu’un pouvoir limité pour intervenir. Je dois admettre que le Règlement prévoit, dans les cas de situations graves, que le Président peut intervenir, mais normalement cette règle n’est pas appliquée [...]
Cela dit, honorables sénateurs, le Règlement stipule que la présidence n’a pas compétence en cette matière. Contrairement à la Chambre des communes, je n’ai pas le pouvoir de nommer un sénateur. Si je décidais d’exercer ce pouvoir, rien ne me permettrait de le faire. Cela revient à la Chambre.
Ainsi, la question qui s’impose est : que devons-nous faire? Par le passé, la décision à savoir quelles mesures doivent être prises revenait au groupe le plus nombreux au Sénat. En l’occurrence, il s’agirait du Groupe des sénateurs indépendants. Il serait inapproprié que j’intervienne à titre individuel, car, traditionnellement, c’est le groupe le plus nombreux au Sénat qui se penche sur la conduite au Sénat. Ce groupe pourrait, par exemple, présenter une motion ou citer un sénateur à comparaître à la barre. Ce sont des mécanismes qui méritent d’être envisagés si le groupe estime que le langage qui a été employé est dégradant pour le Sénat du Canada. Ce n’est pas le genre de langage parlementaire que nous devrions utiliser pour faire passer notre message, et cela ne rend aucunement service à la politique canadienne.
En dernier lieu, je dois dire en toute franchise que je ne comprends pas pourquoi les conservateurs se comportent ainsi. Leur base porte foi à ces discours de toute façon. Et les électeurs indécis — qui, à cause de leur opinion en matière de justice ou d’économie, pourraient voter pour le Parti conservateur — sont rebutés par ce comportement. Je ne vois pas l’intérêt politique d’agir ainsi, mais c’est une considération secondaire.
Je vous remercie, chers collègues.
Merci de votre intervention, sénateur Downe. Je précise néanmoins que ce n’est pas par opportunisme politique que les conservateurs interviennent dans cette enceinte, et que les propos qu’ils utilisent ne visent pas à plaire à leur base ou aux électeurs modérés. Notre objectif est de faire entendre la voix des Canadiens à l’égard de divers enjeux et d’exprimer notre point de vue sur les questions de l’heure, et c’est ce que nous faisons.
Votre Honneur, ce matin, j’ai passé un certain temps — pas énormément de temps parce que j’ai été informé un peu avant que nous aurions l’occasion de nous pencher sur la question — à examiner des décisions de la présidence. Le déroulement des travaux du Sénat se fait selon des règles de procédure, notamment le Règlement écrit et, bien sûr, dans une large mesure, selon les précédents qui ont été établis. J’ai cherché des cas dans l’histoire de notre auguste assemblée où la présidence avait remis en question l’utilisation de termes non parlementaires. Je dois dire que je n’en ai pas trouvé beaucoup. Les Présidents Molgat, Kinsella et Furey ont rendu des décisions à ce sujet.
Je reviens au 1er mars 2000 et je fais lecture de quelques extraits de décisions, qui touchent évidemment à ce dont parlait le sénateur Downe. Le Président Molgat a dit :
Je rappelle aux sénateurs que le rôle du Président du Sénat est très différent de celui du Président de la Chambre. De longue date, la pratique et la coutume veulent que les sénateurs se policent eux-mêmes et que le Président n’ait qu’un pouvoir limité pour intervenir.
En outre, vers la fin de la décision, on peut lire ceci :
Cela dit, honorables sénateurs, le Règlement stipule que la présidence n’a pas compétence en cette matière. Contrairement à la Chambre des communes, je n’ai pas le pouvoir de nommer un sénateur. Si je décidais d’exercer ce pouvoir, rien ne me permettrait de le faire. Cela revient à la Chambre.
C’est ce que le sénateur Downe a aussi souligné.
Honorables sénateurs, en ce qui concerne les propos non parlementaires, le Règlement du Sénat ne prévoit aucune liste de mots à éviter. Une telle liste existe à la Chambre des communes et à d’autres assemblées législatives. Bien sûr, la beauté du Sénat, c’est qu’il a toute la latitude voulue. Contrairement à son homologue de la Chambre des communes, le Président du Sénat n’est pas un arbitre; il agit plutôt comme un baromètre.
Plus important encore, chers collègues, je tiens à souligner que si nous prenons l’habitude d’invoquer le Règlement chaque fois qu’un mot nous semble offensant ou inacceptable — le tout dépendant de notre position sur une question politique —, nous serons submergés de rappels au Règlement, et le Président consacrera plus de temps à rendre des décisions qu’à mettre aux voix des projets de loi du gouvernement.
J’ai été offusqué pendant la période des questions aujourd’hui et je pense que le leader du gouvernement a été offusqué lorsqu’il a entendu le mot « manœuvre » dans ma question. J’ai vu son comportement : il s’est senti offusqué. Étant donné le sujet sur lequel je posais une question à ce moment, j’estimais qu’il s’agissait d’une manœuvre, et il ne croit clairement pas que ce soit le cas.
Il a ensuite pris la parole et donné une réponse dans laquelle il m’a accusé de « diffamation », ce qui est plutôt offensant, si l’on vérifie la définition du mot. Il a possiblement heurté ma sensibilité, et j’aurais pu invoquer le Règlement, mais pas pendant la période des questions parce que, comme ceux qui connaissent la procédure le savent, chers collègues, il est interdit d’invoquer le Règlement pendant la période des questions et la période réservée aux affaires courantes. C’est la tradition au Sénat.
Le Règlement présente à lui seul deux problèmes : premièrement, il n’y a pas au Sénat de liste normative des mots non parlementaires, et, deuxièmement, le Président n’a jamais eu l’autorité de remédier à ce que la présidence pourrait juger inacceptable. Cela dit, je sais, puisque j’ai eu le privilège d’occuper cette fonction, que la présidence a une certaine latitude pour veiller à ce que l’ordre et le décorum règnent au Sénat, et, bien entendu, notre Président a fait un excellent travail à cet égard.
En toute honnêteté, le langage qui fait l’objet de ce rappel au Règlement est un langage que j’utilise régulièrement pendant la période des questions depuis quelques mois déjà. Je crois qu’il est pertinent et qu’il s’applique au gouvernement et au premier ministre actuels. Je crois que c’est très injuste, compte tenu de la latitude et de la bienveillance dont le Président a fait preuve en me permettant d’utiliser ce langage pendant une si courte période si, soudainement, il le juge offensant parce la sensibilité de quelqu’un a été froissée plus que d’habitude. Voilà certains des points dont je souhaitais faire part au Sénat.
Je répète que nous devons tous comprendre que nous sommes dans une des Chambres du Parlement et que nous débattons parfois de sujets très controversés et litigieux. Dans le feu de l’action, qu’il s’agisse d’un débat sur une mesure législative, de la période des questions ou d’une séance d’un comité — parfois même avec nos meilleurs amis —, il peut arriver que quelqu’un dépasse les bornes en parlant d’une personne ou d’un sujet qui lui tient à cœur.
Je suis persuadé que Son Honneur va prendre la question en délibéré et qu’il nous reviendra avec une décision éclairée à laquelle je me conformerai, bien entendu. Merci.
Chers collègues, je vais donner la parole à une dernière personne. La sénatrice Moncion a demandé la parole plus tôt. Je crois que j’aurai entendu tout ce qui m’est utile après son intervention, mais dans le cas contraire, je vous céderai la parole, sénateur Carignan.
Au risque de me répéter, sénatrice Moncion, je vous demande de vous en tenir à l’interprétation de l’article 6-13.
Sénateur Downe, je vous remercie d’avoir invoqué le Règlement pour ce jour-là, car nous nous interrogions sur certains des propos entendus durant l’après-midi en question. Je tiens à dire que si le sénateur Downe n’avait pas invoqué le Règlement à ce sujet, je l’aurais fait moi-même. Je vais répéter mot pour mot ce qui a été dit, Votre Honneur, car je ne voudrais pas créer de la confusion avec un autre échange et risquer d’aboutir à deux rappels au Règlement pour la même journée. Je comprends les règles : quand il y a un rappel au Règlement, on ne peut pas invoquer à nouveau le Règlement. Toutefois, je vais fournir l’information pertinente.
Le sénateur Plett a déclaré ceci :
Monsieur le leader, le gouvernement Trudeau s’est vendu corps et âme au NPD et il ne prétend même plus vouloir faire preuve de rigueur budgétaire. Il y a des mots pour désigner les personnes qui se vendent ainsi. Je ne suis pas sûr qu’ils conviennent dans un contexte parlementaire, alors je m’abstiendrai de les employer.
Monsieur le leader, le gouvernement NPD-Trudeau se démarque par le fait qu’il n’a pas de limite, pas de garde-fou, pas de cible. Que reste-t-il?
Voilà le commentaire que j’ai trouvé offensant et troublant.
Deux choses ont été dites jusqu’ici. Il faut comprendre qu’une certaine prudence est de mise quand des susceptibilités sont en jeu, car nous avons tous des susceptibilités qui nous sont propres. Quand certains commentaires nous déplaisent, nous ne le mentionnons généralement pas. L’autre élément est toutefois le respect. Je crois qu’on manque parfois de respect aux personnes qui travaillent pour notre pays, et il m’apparaît important de respecter le travail que font les gens — que nous partagions leurs points de vue ou non.
Il faut maintenir un certain décorum au Sénat. Cela m’apparaît crucial. Pour ce qui est de mon rappel au Règlement, je vous invite à prendre connaissance des formulations exactes consignées dans le hansard. Je vous remercie, Votre Honneur, de m’avoir donné le temps de parler.
Sénateur Carignan, je sais que vous avez hâte de faire un commentaire, mais nous avons consacré une grande partie du temps du Sénat à cette question. Je vous accorde quelques minutes pour faire d’autres commentaires, mais je vous prie de vous en tenir à cela.
J’aimerais apporter une précision. La sénatrice Moncion vient de soulever un autre point. Selon ce que j’ai compris, le rappel au Règlement soulevé par le sénateur Downe concernait réellement les propos du premier ministre Justin Trudeau de façon plus directe. Il semble y avoir une confusion. Cela dit, évidemment...
Je tiens à préciser que la sénatrice Moncion traitait de ce qui aurait été son recours au Règlement, mais nous ne traitons que du recours au Règlement du sénateur Downe.
Pour l’anecdote, quand on m’a dit que le leader avait traité le premier ministre de « liar », j’avais compris le mot « lawyer ». J’étais un peu surpris, sachant qu’il est professeur de théâtre.
Cela dit, comme vous le savez, Votre Honneur, il n’y a pas de liste de propos non parlementaires au Sénat. Il n’y a pas de liste de propos non parlementaires dans nos ouvrages traitant de procédure, et le mot « mensonge » ne figure pas non plus dans une liste de propos non parlementaire.
Je vous signale notamment les décisions que le Président Kinsella a rendues le 16 décembre 2011, qui ont été consignées dans les Journaux du Sénat aux pages 798 et 799, où l’on peut lire ce qui suit :
De manière plus générale, l’article 51 du Règlement interdit les propos « vifs, offensants ou accusateurs » qui sont considérés comme non parlementaires. Il n’y a pas de liste fixe de ces mots ou expressions au Sénat. Il incombe au Président et au Sénat de juger de ce qui constitue un langage non parlementaire.
J’attire votre attention sur les mots suivants : « [l]es circonstances et le ton du débat en question jouent un rôle important à cet égard. »
J’attire votre attention là-dessus, parce que c’est ce que le sénateur Plett a voulu souligner en remettant en contexte les mots qu’il a utilisés.
Vous devez également tenir compte de l’article 6-13(1) du Règlement dans une décision de la présidence datée du 2 octobre 2012, qui est consignée dans les Journaux du Sénat à la page 1586. C’était une discussion à laquelle avaient participé notamment les sénateurs Comeau, Cowan, Downe et Duffy au sujet des propos tenus par la sénatrice Wallin lors d’un débat sur le harcèlement à la Gendarmerie royale du Canada. Le Président Kinsella a dit ce qui suit :
La liberté d’expression est un droit fondamental dont nous avons besoin pour nous acquitter de nos fonctions parlementaires. Comme on peut le lire aux pages 89 et 90 de la deuxième édition de l’ouvrage intitulé La procédure et les usages de la Chambre des communes, ce droit permet aux parlementaires « d’intervenir sans crainte dans les débats de la Chambre, de traiter des sujets qu’ils jugent pertinents et de dire tout ce qui, à leur avis, doit être dit pour sauvegarder l’intérêt du pays ». Or, ce droit n’est pas absolu. Il est assujetti [...]
Toutefois, comme il n’existe pas de liste fixe d’expressions et que nous avons droit à la liberté d’expression en tant que parlementaires, nous devrions être en mesure de soulever ces questions et d’utiliser les mots que nous jugeons opportuns pour ce faire.
Je m’arrête ici. J’aurais pu citer plusieurs autres éléments, dont 2 568 décisions des cours de justice au Québec dans lesquelles le mot « menteur » a été utilisé, mais je pense que cela ne sera pas nécessaire.
Merci, honorables sénateurs. J’en ai suffisamment entendu. J’aimerais vous donner plus de temps, monsieur le sénateur, mais tout ce que j’entends maintenant est répétitif. Je pense en avoir entendu assez pour prendre une décision. Je m’excuse, monsieur le sénateur, de vous arrêter ici, mais le Sénat a consacré un temps considérable à cette question. Je suis prêt à la prendre en délibéré. Je remercie ceux qui ont formulé des remarques et je remercie le sénateur Downe d’avoir soulevé cette question.