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Projet de loi sur la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public

Projet de loi modificatif--Motion tendant à autoriser le Comité de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants à étudier la teneur du projet de loi--Débat

23 mai 2024


L’honorable Peter Harder [ + ]

Honorables sénateurs, je veux simplement dire quelques mots sur la motion dont nous sommes saisis et qui concerne l’étude préalable.

Au Sénat, on a recours à l’étude préalable de manière appropriée, à mon avis, et je ne m’opposerais pas instinctivement à ce projet de loi. Cependant, je pense qu’il vaut la peine de réfléchir à la nature de notre relation avec l’autre endroit en ce qui concerne l’étude des projets de loi. Pour ma part, j’estime que nous devrions souligner l’importance de notre examen à l’étape de la deuxième lecture des projets de loi qui nous arrivent de l’autre Chambre. Je crois que la meilleure façon de faire cet examen, dans la plupart des cas, est d’attendre que le projet de loi nous parvienne en entier.

Je crois qu’une étude préalable est tout à fait appropriée pour les crédits, les budgets et les projets de loi assujettis à un délai judiciaire à l’intérieur duquel le Parlement doit agir. Ces projets de loi entretiennent un lien unique avec l’autre endroit, mais aussi avec les tribunaux quand il y a des délais judiciaires.

Je favorise la retenue dans l’élargissement de l’étude préalable aux projets de loi qui sont, dans le cours normal des choses, étudiés à l’autre endroit ou qui nous sont renvoyés afin qu’on réfléchisse à ceux-ci.

Soyons réalistes : le projet de loi dont nous sommes saisis traîne depuis cinq ans. Il a été renvoyé ici il y a cinq ans presque jour pour jour, il est resté coincé au Sénat, puis il n’a pas été examiné parce que, à ce stade, il n’était plus une priorité pour le gouvernement. Il a été présenté de nouveau au cours de deux législatures et il se trouve toujours à l’autre endroit. Je nous encourage à faire preuve de retenue, à favoriser le dialogue avec l’autre Chambre en ce qui concerne les mesures législatives que nous recevons et à recourir aux études préalables uniquement lorsque nécessaire. Si nous allons trop loin, je crains que nous affaiblissions notre capacité à effectuer des études préalables lorsqu’elles sont nécessaires.

Dans le même ordre d’idées, comme j’ai la parole, je saisis l’occasion pour inciter également à la retenue en ce qui concerne les projets de loi du Sénat. Les projets de loi du Sénat sont un outil utile pour présenter des mesures législatives qui sont en quelque sorte non controversées, et il peut être utile d’utiliser le temps du Sénat pour faire progresser un projet de loi appelé à être examiné dans le contexte d’un parlement bicaméral. Toutefois, je ne recommande pas les projets de loi sénatoriaux qui sont plutôt controversés, car nous renoncerions à la possibilité de fournir un second examen objectif, étant donné que nous aurions en quelque sorte fait part de nos réflexions en premier.

Cela dit, je vous exhorte à réfléchir à ce contexte plus large et à en tenir compte pour déterminer si vous devez adopter la motion ou non.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition)

Sénateur Harder, je vous remercie de vos observations. Je m’associe certainement à certaines d’entre elles.

J’aimerais également dire quelques mots au sujet de la motion du sénateur Gold concernant l’étude préalable du projet de loi C-20.

J’aimerais d’abord citer l’article de 2017 de la regrettée sénatrice Elaine McCoy :

La lenteur du Sénat — une autre légende urbaine

Au lieu de répandre la légende voulant que le Sénat retarde l’adoption des projets de loi, nous ferions mieux de voir comment il s’acquitte de ses tâches.

Elle poursuit en disant :

Autrement dit, le Sénat ne retarde pas l’adoption des projets de loi du gouvernement. C’est plutôt l’inverse : jouissant, la plupart du temps, d’un contrôle presque total sur la Chambre des communes, le gouvernement délibère sur les projets de loi pendant des mois dans sa propre Chambre et retarde leur adoption [...]

De surcroît, il se trouve que le gouvernement véhicule cette légende urbaine depuis la création du Sénat. Lors de la première séance du Parlement, il y a 150 ans, les sénateurs se plaignaient du fait que les ministres les incitaient à adopter les projets de loi à la vitesse de la lumière vers la fin de la session parlementaire. Les sénateurs étaient censés « recevoir des projets de loi par une porte et les faire ressortir aussitôt par une autre », avait alors déploré un sénateur. Un comité sénatorial s’était penché sur cette allégation de lenteur en 1868 et était parvenu à la conclusion qu’elle était infondée. En fait, le coupable était le gouvernement lui-même, qui retardait la progression des projets de loi.

Après toutes ces années, le discours demeure le même. Il s’agit d’un prétexte commode pour le gouvernement qui lui permet de détourner l’attention de sa propre paresse dans de nombreux dossiers.

L’étude du projet de loi C-20 est l’exemple parfait de ce que la sénatrice McCoy a avancé. Le sénateur Harder a déjà parlé de cette situation. Ce projet de loi a été présenté à la Chambre des communes il y a deux ans, le 19 mai 2022. Il est resté à l’étape de la deuxième lecture pendant six mois. Il a ensuite été renvoyé au comité, où il a traîné pendant sept mois avant que le comité commence son étude.

Le comité a tenu 13 réunions. Ensuite, le gouvernement a attendu sept mois avant de mettre le rapport à l’étude, et nous ne savons pas du tout quand on débattra du rapport à la Chambre des communes, et encore moins quand on débattra du projet de loi à l’étape de la troisième lecture. Le débat à l’étape du rapport n’a toujours pas eu lieu.

En toute honnêteté, le sénateur Gold ne sait pas non plus quand ce projet de loi nous sera renvoyé. Ce pourrait être la semaine prochaine. Ce pourrait être l’automne prochain. On nous dit pourtant qu’il est urgent de l’adopter et que le comité sénatorial devra donc l’étudier rapidement.

Le gouvernement libéral nous prend-il pour des imbéciles? Ne sait-il pas que tous les sénateurs ont accès à LEGISinfo et qu’ils sont donc à même de constater la lenteur avec laquelle l’étude de ce projet de loi avance à la Chambre des communes?

Nous pouvons également constater que 35 projets de loi d’initiative ministérielle ont reçu la sanction royale avant le projet de loi C-20. Le gouvernement a jugé que 35 autres projets de loi étaient plus importants que le projet de loi C-20, et on voudrait soudainement nous faire croire qu’il est urgent d’adopter ces mesures et qu’il nous faut donc adopter le projet de loi le plus tôt possible.

Quoi qu’en dise le sénateur Gold, le projet de loi C-20 n’est manifestement pas urgent pour le gouvernement. Les comités sénatoriaux ne font pas d’études préalables sur des projets de loi qui ne sont pas urgents. En fait, presque toutes les études préalables sont réservées aux projets de loi d’exécution du budget parce que nous savons que nous disposerons de très peu de temps lorsqu’ils nous seront renvoyés. Ce sont de gros projets de loi que le Sénat est généralement peu enclin à amender.

L’autre catégorie de projets de loi faisant l’objet d’études préalables concerne les mesures législatives qui doivent respecter une échéance imposée par les tribunaux. Le Sénat n’a alors pas la latitude nécessaire pour fixer le calendrier des travaux.

Vous remarquerez que le sénateur Gold n’a pas inclus de date limite à laquelle le comité doit présenter son rapport sur le projet de loi C-20. Voici ce que la sénatrice Fraser, une autre bonne sénatrice libérale, a dit en 2014 :

Quelle sera la date limite pour cet examen préalable? Aucun délai n’est prévu dans la motion principale à cet égard. Nous devons précipiter l’adoption de la motion afin de mener l’examen préalable, mais nous ne savons pas combien de temps durera l’examen lui-même.

Toutefois, je remarque que la motion d’amendement du sénateur Runciman laisse entendre qu’on procédera rapidement à l’examen préalable, puisqu’elle suppose que le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles siégera même si le Sénat siège ou s’il est ajourné. Cela se produit habituellement seulement quand des pressions sont exercées sur le comité pour qu’il prenne une décision rapidement.

Maintenant, comme vous le savez, je cite souvent les fantômes du passé des libéraux au Sénat, mais voici ce qu’une sénatrice a déclaré, en 2014, quand elle était dans l’opposition. Je fais référence à notre chère sénatrice Jane Cordy. Je la cite :

Honorables sénateurs, si je pensais que la tenue d’une étude préalable pouvait changer quoi que ce soit, je serais la première à en réclamer une, mais je crois plutôt qu’elle ne changera absolument rien. Si je pensais que les Canadiens pourraient mieux se faire entendre si nous tenions une étude préalable, je serais la première à dire que c’est la voie à suivre, mais je ne crois pas que ce sera le cas. Si je pensais que la tenue d’une étude préalable donnerait le temps au comité de sillonner le pays pour donner la chance à tous les Canadiens d’exprimer leur point de vue, je serais la première à me déclarer en faveur d’une étude préalable, mais, à en croire ce que me disait le sénateur Carignan jeudi dernier, ce serait étonnant.

Le sénateur Grant Mitchell, qui était membre du bureau du représentant du gouvernement au Sénat, a fait la déclaration suivant alors qu’il était dans l’opposition :

Le gouvernement se sert de ces études préalables pour ménager les apparences et pour tenter de cacher le fait qu’il ruine les fondements mêmes de notre démocratie parlementaire.

Le sénateur Joe Day, ancien leader libéral au Sénat, n’était pas partisan des études préalables pour les projets de loi autres que les projets de loi budgétaires. Voici ce qu’il a dit le 23 novembre 2017 :

Je me méfie généralement de l’étude préalable. Je sais qu’elle est prévue dans le Règlement. Je sais qu’elle peut être un outil utile de temps à autre. Cependant, j’estime qu’elle nous empêche de jouer notre rôle de Chambre de second examen objectif. Elle nous impose un rôle parallèle à celui de la Chambre des communes, ce qui m’a toujours préoccupé. J’en ai déjà parlé.

De plus, comme il l’a souligné le 10 décembre 2014, « [l]es études préalables [...] détournent notre attention de notre rôle traditionnel de second examen objectif [...] ».

En novembre 2017, le sénateur Day a aussi dit ceci :

La Chambre des communes ne devrait pas tenir pour acquis que nous allons contourner nos pratiques habituelles et traditionnelles afin de pallier sa difficulté à gérer son programme.

Voici une dernière citation du sénateur Day, tirée des débats du 8 mai 2017 :

Les gouvernements qui se sont succédé ont présenté des mesures législatives complexes sur différents sujets en nous disant qu’elles étaient urgentes et qu’une étude préliminaire du Sénat faciliterait le processus. Je dois vous dire, chers collègues, que ce n’est pas le rôle du Sénat. Le rôle du Sénat consiste à étudier des projets de loi après que ceux-ci aient été étudiés et adoptés par l’autre endroit. Nous sommes une Chambre de second examen objectif. Les études préalables vont à l’encontre du rôle que le Sénat est censé remplir dans notre démocratie parlementaire. De plus, le gouvernement utilise trop souvent l’étude préalable pour justifier les pressions qu’il exerce sur nous pour précipiter notre véritable travail, qui consiste à étudier le projet de loi lorsqu’il arrive au Sénat, tel que modifié ou autrement.

Je vais laisser la dernière citation à mon très bon ami, Terry Mercer. Terry Mercer avait l’habitude de répondre doucement lorsqu’on voulait que quelque chose soit fait. Il répondait « non » d’une voix feutrée. Le Président l’entendait toujours lorsqu’il disait cela. Il était de nature calme. Notre Présidente a plus de difficulté à m’entendre et je parle beaucoup plus fort, mais il disait simplement « non » lorsqu’on demandait quelque chose. Je suis désolé, Votre Honneur, vous m’entendez.

Terry Mercer a dit :

Honorables sénateurs, le sénateur Harder a précisé aujourd’hui ce qu’une étude préalable nous permettrait d’accomplir. Or, le Sénat fera ce travail lorsqu’on lui soumettra le projet de loi proprement dit. Pour ce faire, il faut que la Chambre des communes se dépêche un peu, qu’elle adopte le projet de loi et qu’elle nous le renvoie.

Je cite toujours le sénateur Mercer :

Le sénateur Harder nous a ensuite dit que nous avions du travail à faire. Il a tout à fait raison. Cependant, cela est tout aussi vrai pour la Chambre des communes.

[...] Cette étude préalable continuera de permettre aux députés à la Chambre des communes de traiter les sénateurs avec peu ou pas de respect. Elle continuera de leur permettre d’être trop paresseux pour faire leur travail avec diligence. Les Canadiens s’attendent à mieux. Les électeurs s’attendent à mieux.

[...] J’ai un message pour les députés : arrêtez de nous faire perdre notre temps, relevez-vous les manches et faites votre travail. La population s’attend à ce que les députés fassent leur travail. Nous nous attendons à la même chose, parce que tout le monde sait que nous sommes prêts à faire le nôtre et que nous n’appuierons pas une étude préalable.

Selon moi, si le sénateur Mercer était présent aujourd’hui, il appellerait cela une perte de temps colossale.

Je voudrais également rappeler le mantra bien connu selon lequel les comités sont maîtres de leurs travaux. Par conséquent, si le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants souhaite étudier la teneur du projet de loi C-20 comme une question distincte, il peut certainement le faire, et cette étude pourrait l’aider dans sa future étude du projet de loi C-20. Même si ce projet de loi justifiait une étude préalable, cela ne justifie pas qu’il soit adopté à la hâte par le comité et que celui-ci soit forcé de siéger pendant les séances du Sénat.

Il ne nous reste que quelques semaines de séances. Le sénateur Gold nous a remis la liste des projets de loi que le gouvernement voudrait que nous adoptions d’ici la fin du mois de juin. Tous ces projets de loi doivent faire l’objet d’un débat approfondi en deuxième et en troisième lectures dans cette enceinte, et on doit permettre à tous les sénateurs de participer pleinement à ces débats. Ils doivent être présents dans la salle.

Il est absurde d’éloigner les sénateurs des séances du Sénat pour étudier en comité un projet de loi qui a déjà deux ans. Ce projet de loi doit faire l’objet d’une étude complète et approfondie, comme le justifie son sujet. On doit permettre au comité de prendre son temps et de mener ses travaux selon son calendrier habituel. Cela permettrait aux membres du comité de participer à l’étude et de venir participer aux séances du Sénat.

Nous avons déjà une étude préalable sur le projet de loi d’exécution du budget qui exigera que les comités se réunissent pendant que le Sénat siège. Cela signifie que des sénateurs manqueront déjà certaines séances. Nous ne pouvons pas accepter cela, chers collègues. Il n’y a tout simplement aucune raison pour qu’une étude préalable ait lieu pendant que le Sénat siège.

Honorables collègues, je ne suis pas favorable à une étude préalable. Si, en fin de compte, une telle étude est nécessaire, elle doit être menée d’une façon qui ne nous empêche pas d’être présents dans cette enceinte. Comme je l’ai dit, si le président et le comité directeur du Comité de la défense le jugent bon, ils peuvent simplement commencer à étudier la teneur du projet de loi, car ils sont effectivement maîtres de leur destin. Cependant, ils doivent le faire durant leurs heures normales de séance.

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