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Le lien entre la prospérité et l'immigration

Interpellation--Suite du débat

1 juin 2021


L’honorable Mohamed-Iqbal Ravalia

Honorables sénateurs, je suis heureux de répondre à l’interpellation du sénateur Omidvar attirant l’attention du Sénat sur le lien très étroit entre la prospérité passée, présente et future du Canada et l’immigration.

Honorables sénateurs, au cours des prochaines minutes, je vais vous raconter mon histoire et vous parler des répercussions de mon immigration au Canada sur ma vie en tant qu’immigrant.

Je suis né et j’ai grandi en Rhodésie, un pays en Afrique centrale. Mes parents étaient des migrants indiens. Nous vivions dans une petite communauté agricole du plateau de Manica, et 50 familles asiatiques, soit la majorité de la communauté, travaillaient dans le commerce de détail. J’ai vécu une enfance heureuse. J’allais à une école qui avait deux salles de classe et j’appartenais à une communauté merveilleuse et solidaire. Mes frères et sœurs et les autres membres de ma famille m’aimaient profondément.

Cependant, en toile de fond se cachait un système d’apartheid auquel j’ai commencé à penser seulement lorsque je suis entrée à l’école. En grandissant, j’ai commencé à réaliser que c’était mon ethnicité qui déterminait où j’allais à l’école, dans quel restaurant je pouvais m’asseoir, où mes parents pouvaient posséder des biens, où nous vivions et comment nous vivions toute notre vie. J’ai commencé à porter le fardeau de mon ethnicité d’une manière qui m’a conduite à des périodes de profonde mélancolie. Comme le vieux marin du beau poème de Samuel Taylor Coleridge, j’étais tourmentée. Mon origine ethnique est devenue l’albatros autour de mon cou. Elle influençait toutes les décisions que je prenais. Cependant, ma famille et mes amis n’ont cessé de me soutenir et de me dire que l’éducation était le moyen de m’en sortir, qu’un jour, l’apartheid allait finir et que la vie serait meilleure.

J’ai eu la chance d’être accepté en médecine après avoir terminé mes études secondaires dans un pensionnat réservé aux élèves asiatiques et de couleur, mais j’ai continué de réfléchir à ces trois catégories de personnes — blanc, brun et noir — ayant des vies parallèles avec très peu de possibilités d’intégration sociale.

Je me souvenais des cours d’histoire pendant lesquels nous avions appris que Périclès s’était adressé aux Athéniens, 2 500 ans plus tôt, pour leur parler d’un gouvernement, un système démocratique, un gouvernement du peuple pour le peuple et par le peuple. J’ai réfléchi à cet État équitable comme je n’en avais pas connu jusque-là. À bien des égards, cet objectif a pris la forme d’une quête personnelle pour moi. Sans que j’en sois trop conscient, c’est devenu une sorte d’obsession : j’espérais parvenir un jour à ce sommet.

L’année 1980 est arrivée, et la Rhodésie est devenue l’État noir indépendant du Zimbabwe. Les gens célébraient dans les rues et débordaient d’espoir. Mais l’apartheid avait laissé de profondes blessures, et la transition vers un nouveau gouvernement a ouvert la voie à la corruption, à une discrimination à rebours et au népotisme. Une fois de plus, la communauté asiatique s’est malheureusement retrouvée dans une position impossible.

C’est le cœur lourd que j’ai conclu, en 1984, que je devais prendre une décision difficile pour me débarrasser de cette vie mélancolique: je devais quitter le pays où j’étais né et la beauté immense et incroyable de l’Afrique australe, ses couleurs, ses animaux et des gens fantastiques, car ma vie devait prendre une nouvelle direction. Comme le savent les immigrants, c’est probablement l’une des décisions les plus difficiles qu’on puisse prendre dans sa vie, parce qu’on est conscient d’aller vers un endroit où on ne connaît personne. On connaît bien peu de choses de la nouvelle vie qui nous attend.

J’ai eu la très grande chance d’obtenir un poste de médecin de famille et d’anesthésiste généraliste dans la petite localité de Twillingate, sur la côte nord-est de Terre-Neuve. Je suis arrivé là-bas anxieux, appréhensif, mais aussi avec beaucoup d’attentes.

Je songe souvent aux choix que l’on fait dans la vie. Lorsque c’est le cas, je pense au professeur Albus Dumbledore, le directeur de l’école de sorcellerie de Poudlard dans la série Harry Potter. Lors de l’une des premières rencontres avec Harry, le professeur Dumbledore lui dit : « Harry, ce sont nos choix, bien plus que nos talents, qui révèlent notre véritable nature. » Cette phrase m’est restée pendant des années.

J’ai été frappé par la beauté sauvage du paysage qui m’entourait, subjugué par le charme de l’océan en furie, qui recèle des richesses faisant notre prospérité. Mais quel prix doit payer pour aller puiser ces richesses, sous forme de pertes de vie, d’absence d’un être cher et, souvent, de disparition d’un gagne-pain? J’ai été très touché par les gens qui m’ont accueilli dans leur cœur et dans leur foyer. Ils avaient une vision très claire de leur histoire. Les difficultés de la vie dans un climat aussi rude façonnent des personnalités tenaces et fières, qui s’incarnent dans les rythmes d’un folklore magnifique et dans une autosuffisance issue, selon moi, d’un bel esprit de survie.

J’étais un célibataire musulman venu d’un petit pays d’Afrique au milieu de nulle part, et j’étais entouré de 2 500 protestants et de 10 catholiques. Je me suis tourné naturellement vers les catholiques, mais j’ai fini par marier une protestante. C’est ici que j’ai rencontré ma femme, Dianne Collins, dont la famille vivait de la pêche sur l’île depuis le XVIIe siècle. Ils pouvaient retracer leurs ancêtres jusqu’à Devon, dans l’Est de l’Angleterre. Ils m’ont accueilli comme l’un des leurs, et j’ai été très touché par leur résilience, leur foi profonde et leur altruisme dans tous les aspects de leur vie.

Par la suite, je me suis soudainement senti soulagé d’un poids. On me jugeait maintenant non pas selon mon ethnicité, mais selon mes capacités, mon humanité et mon appartenance à mon nouveau lieu de résidence. L’albatros que je portais autour du cou depuis de nombreuses années semblait avoir soudainement disparu.

Tout en apprenant à découvrir l’île, je me suis donné pour mandat de promouvoir la justice sociale. Je partageais la souffrance de ceux qui sont marginalisés dans ma communauté : les mères seules, les travailleurs pauvres, ceux qui souffrent de problèmes de santé mentale, les personnes handicapées et mes frères de la communauté LGBTQ.

J’ai été ému par beaucoup d’histoires qu’on m’a racontées. J’ai été très touché par l’esprit communautaire, par le soutien incroyable que j’ai reçu de mes collègues de chaque discipline, parce que pour nous, pour survivre dans le milieu de la santé d’une petite collectivité, nous devions pouvoir compter les uns sur les autres. J’ai réalisé très tôt que cet esprit de survie attachant, façonné par l’adversité et les défis, s’était transformé en une culture d’une remarquable humanité.

Avec le temps, de nombreuses occasions se sont présentées à moi. On m’a offert un emploi à l’Université Memorial, où j’ai fini par contribuer à la conception de programmes ruraux offerts à l’échelle de la province. Ce fut l’occasion de participer au niveau national dans divers domaines, mais en particulier dans celui de l’éducation médicale régionalisée. Je me suis beaucoup impliqué dans les débats politiques relatifs au domaine médical et j’ai particulièrement aimé mon implication dans la collectivité : les visites à domicile, les histoires remarquables que m’ont racontées mes patients âgés, les gens qui avaient été chasseurs de phoques et ceux qui ont connu des personnes ayant gelé sur la glace. Malgré l’adversité, leur résilience ne faiblit pas et ils gardent la même étincelle dans le regard.

C’est la ruralité terre-neuvienne qui forme le noyau autour duquel j’ai développé mes points forts et appris à gérer mes faiblesses. J’ai rencontré des diplômés étrangers des quatre coins du monde et j’ai rapidement compris que je n’étais pas le seul immigrant à avoir vécu une telle expérience. Il y avait des médecins de tous les pays imaginables — on aurait parfois cru que nous formions une sorte d’Organisation des Nations unies. J’avais des collègues juifs, arabes, musulmans, bouddhistes, athées et catholiques de toutes les régions du monde. Le groupe solidaire que nous avons formé nous a rendus plus forts d’une façon tout à fait unique. Je n’aurais jamais imaginé que ce type de changement profond arriverait dans ma vie, sur la côte nord-est d’une petite île, au large d’un des pays les plus remarquables au monde.

Le soutien de mon épouse a grandement contribué à mes réussites, et l’amour que me portent mes deux fils a une valeur beaucoup plus grande que ce que j’aurais pu imaginer. En tant qu’enseignant en médecine, j’ai eu l’occasion de rencontrer un grand nombre de jeunes gens brillants et engagés, et je suis très reconnaissant d’avoir pu maintenir le contact avec beaucoup d’entre eux. Ils m’ont ému et influencé de multiples façons, et nos retrouvailles sont toujours remplies de rires, de réflexions et de souvenirs qui sont extrêmement touchants.

Chers collègues, ce merveilleux pays m’a procuré une vie et une carrière bien au-delà de mes attentes lorsque je songe aux humbles origines de mon patrimoine en Rhodésie. Le Canada me permet de continuer de pratiquer ma foi. Il me permet de maintenir, avec fierté, mon patrimoine sud-asiatique. Il me permet de maintenir le lien de mon esprit avec les sols rouges de l’Afrique, où tant de sang a coulé au cours de l’histoire.

Surtout, il me permet d’acquérir l’esprit attachant d’un fier Terre-Neuvien-et-Labradorien et, ce qui est encore plus important, d’un fier Canadien.

En terminant, j’aimerais citer l’ancien président Barack Obama :

Je crois que nous naissons en ce monde et héritons de toutes les rancunes, de toutes les rivalités, de toutes les haines et de tous les péchés du passé. Toutefois, nous héritons également de la beauté, de la joie et de la bonté de nos ancêtres. Notre passage sur cette planète est plutôt éphémère, alors nous ne pouvons refaire entièrement le monde dans le peu de temps dont nous disposons. [...] Cela dit, je crois que nos décisions sont importantes. [...] au bout du compte, nous faisons partie de la longue histoire de l’humanité. Nous devons simplement bien réussir notre paragraphe.

Je serai éternellement reconnaissant au Canada de m’avoir donné l’occasion de réussir mon paragraphe. Merci. Que Dieu vous bénisse.

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