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Projet de loi sur le cadre national sur l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation fœtale

Deuxième lecture--Ajournement du débat

1 novembre 2022


L’honorable Mohamed-Iqbal Ravalia

Propose que le projet de loi S-253, Loi concernant un cadre national sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui en tant que parrain du projet de loi S-253, Loi concernant un cadre national sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale.

C’est un sujet qui me tient particulièrement à cœur, comme c’est le cas pour beaucoup de mes collègues ici présents. C’est un sujet que j’ai bien connu lorsque j’étais médecin de famille en milieu rural.

J’aimerais exprimer ma gratitude à la sénatrice Pat Duncan, qui s’implique depuis des décennies dans la communauté touchée par ces troubles au Yukon, et qui a partagé son expérience et son expertise sur cette question. Merci, Pat.

Je veux aussi remercier la sénatrice Anderson et le sénateur Christmas de m’avoir fait part de leurs sages conseils tandis que je travaillais sur le projet de loi.

Chers collègues, le projet de loi S-253 a été élaboré à la suite de consultations approfondies avec le Réseau canadien de recherche sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale — dont l’acronyme anglais est CanFASD — qui est un réseau de recherche collaborative et interdisciplinaire comptant des partenaires dans tout le pays.

Le réseau réunit un groupe diversifié de professionnels : des universitaires, des spécialistes de la santé des femmes, des intervenants du système de justice pénale, des pédiatres du développement, des psychologues, des psychiatres, des travailleurs sociaux et des conseillers autochtones.

Ces professionnels travaillent avec le personnel et le conseil d’administration du CanFASD, ou en font partie, ainsi qu’avec son comité consultatif des familles, qui ont une expérience vécue en tant que soignants de personnes atteintes de ces troubles à travers le Canada.

J’aimerais d’abord donner un peu de contexte sur le sujet dont traite ce projet de loi. Les conséquences de l’exposition prénatale à l’alcool ont été décrites pour la première fois il y a plus de 40 ans. Le terme « syndrome d’alcoolisme fœtal », ou SAF, a d’abord été utilisé pour décrire le regroupement d’anomalies congénitales attribuable à l’exposition prénatale à l’alcool, dont la croissance limitée, les anomalies craniofaciales et les déficiences intellectuelles, toutes ayant des conséquences à vie.

Le terme « ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale », ou ETCAF, a depuis été adopté comme terme diagnostique pour décrire une gamme beaucoup plus élargie d’affections et de déficiences résultant de l’exposition à l’alcool avant la naissance. Les effets de l’alcool varient selon la quantité, le moment et la fréquence de la consommation et dépendent de plusieurs autres facteurs, comme la prédisposition génétique du fœtus et de la mère, l’état de santé général de la mère et d’autres éléments sociaux, économiques, physiques et environnementaux.

Les troubles peuvent se manifester par une grande variété de symptômes, mais les personnes qui en sont atteintes éprouvent souvent des difficultés qui touchent plusieurs sphères de leur vie, notamment les habiletés motrices, la santé physique, l’apprentissage, la mémoire, l’attention, l’impulsivité, la communication, la régulation des émotions et les habiletés sociales. Bien que chaque personne soit unique et possède ses propres forces et ses propres habiletés, composer avec ces difficultés peut poser tout un dilemme pour la personne atteinte d’un tel trouble et peut nécessiter un degré de soutien continu qui varie de la part de sa famille ou d’autres sources.

Il s’agit d’une question complexe qui comporte de multiples facettes et qui touche les Canadiens de tous les horizons et de toutes les régions du Canada. Pour mettre les choses en contexte, il s’agit du principal trouble neurodéveloppemental au pays et il touche 4 % de la population. Plus de Canadiens sont atteints de ce trouble que d’autisme, de paralysie cérébrale, de la trisomie 21 et du syndrome de la Tourette réunis.

Il y a toutefois deux distinctions essentielles en ce qui concerne ce trouble. Premièrement, il est beaucoup plus difficile à diagnostiquer que la plupart des autres troubles neurodéveloppementaux et, deuxièmement, il est évitable.

L’objectif fondamental de ce projet de loi est de promouvoir de meilleurs résultats en matière de prévention et de diagnostic, ainsi que d’améliorer le soutien aux personnes concernées et de veiller à ce qu’elles puissent vivre pleinement leur vie sans être stigmatisées.

Chers collègues, le problème que le projet de loi vise à résoudre est l’absence d’un cadre national coordonné et complet. Comme nous le savons, comme il y a 10 provinces et 3 territoires du Canada, nous avons parfois l’impression d’avoir 13 systèmes de santé distincts ou de vivre dans 13 fiefs. À l’heure actuelle, l’accès à la prévention, au diagnostic, aux interventions et au soutien relativement à l’ETCAF dans nos provinces et territoires est inégal et, malheureusement, non coordonné dans le meilleur des cas. L’établissement d’un diagnostic de l’ETCAF nécessite une équipe multidisciplinaire et des évaluations physiques et neurodéveloppementales complexes.

En 2005, le Journal de l’Association médicale canadienne a publié une ligne directrice internationale, élaborée en collaboration et fondée sur des données probantes concernant le diagnostic lié à l’exposition prénatale à l’alcool. Depuis lors, le domaine a évolué et a connu une croissance explosive, et de nouvelles données probantes, une nouvelle expertise et une nouvelle expérience ont émergé. Une ligne directrice actualisée a été publiée en 2016, dans laquelle on souligne l’importance du counselling et de la prévention avant la grossesse.

La ligne directrice comprend des mesures normalisées de dépistage et d’aiguillage ainsi que d’intervention précoce, et elle définit la composition de l’équipe de diagnostic. Cette équipe doit comprendre un psychologue du développement de l’enfant, un pédiatre, un orthophoniste, un psychiatre, un ergothérapeute et un médecin supervisant l’équipe, selon l’âge de la personne évaluée. Dans le contexte actuel de notre crise des soins de santé, vous ne pouvez qu’imaginer combien il serait difficile de composer de telles équipes.

Chers collègues, il existe 73 cliniques de diagnostic au Canada, et ces cliniques ne sont pas réparties uniformément. Il y a des provinces qui n’ont actuellement pas une seule clinique de diagnostic. Même si une province dispose de ces cliniques, la plupart ont de longues listes d’attente ou une capacité très limitée et ne sont presque jamais situées dans des régions rurales ou éloignées. Comme vous pouvez l’imaginer, il peut être particulièrement difficile dans ces régions de trouver tous les spécialistes nécessaires au bon fonctionnement d’une clinique. C’était d’ailleurs une grande partie du défi à relever au cours de ma vie de praticien.

Comme il n’existe aucun système de suivi pancanadien uniforme, CanFASD s’appuie sur des études provinciales de moindre portée et en extrapole les résultats. Moins de la moitié des cliniques de diagnostic contribuent à la base de données nationale, généralement à cause d’un manque de personnel et d’importantes contraintes de temps. Les chiffres de la base de données auxquelles nous nous fions ne peuvent donc pas refléter la prévalence ou la répartition de ce trouble dans les diverses régions du pays. Cela signifie qu’il existe un nombre important, mais indéterminé de Canadiens souffrant de l’ETCAF au sujet desquels il est impossible de poser un diagnostic. Le problème est particulièrement grave parmi les populations dont les déterminants sociaux de la santé sont compromis, ce qui inclut les personnes faisant partie des systèmes d’aide à l’enfance, de la justice et correctionnels, ainsi que nos communautés autochtones.

Chers collègues, nous sommes parfaitement conscients du rôle que nos estimés collègues à l’échelon provincial jouent au Canada. Certaines provinces et certains territoires, dont l’Alberta, le Manitoba et le Yukon, possèdent déjà une stratégie ou un cadre précis visant à promouvoir la prévention de l’ETCAF, à améliorer les mesures de diagnostic et à accroître les mesures de soutien pour les personnes affectées. Ces trois stratégies partagent de vastes objectifs fondamentaux, comme accroître la sensibilisation à l’égard des conséquences de la consommation d’alcool pendant la grossesse, promouvoir la prévention de la consommation d’alcool pendant la grossesse, étendre l’accès à des cliniques d’évaluation et de diagnostic, soutenir les nouvelles recherches visant à faire en sorte que les stratégies reposent sur des pratiques fondées sur des données probantes, et fournir d’autres mesures et services de soutien aux personnes atteintes de ce trouble, aux membres leur famille et à leurs aidants naturels.

D’autres provinces et territoires ont mis en place des stratégies, à l’heure actuelle ou par le passé, qui pourraient servir de point de départ au gouvernement fédéral afin de concevoir son propre cadre sur l’ETCAF. Par exemple, la Colombie-Britannique avait une stratégie de 2008 à 2018. La Saskatchewan a mis en place la stratégie sur l’incapacité cognitive, qui vise à offrir des services pour combler les besoins des personnes ayant une incapacité cognitive et à aider leur famille. En Ontario, le budget de 2017 prévoyait des fonds pour les mesures de soutien aux personnes atteintes de l’ETCAF, mais la stratégie n’a jamais été mise en œuvre. L’Île-du-Prince-Édouard a conçu la Stratégie relative à la santé mentale et à la toxicomanie 2016-2026. De son côté, la Nouvelle-Écosse a lancé la stratégie intitulée Changing the Culture of Alcohol Use in Nova Scotia — pour changer les mentalités à l’égard de la consommation d’alcool — en 2007, dans le but d’intégrer l’ETCAF à d’autres stratégies provinciales sur la sensibilisation et la prévention en matière de consommation d’alcool. Présentement, le Nouveau-Brunswick prend appui sur l’expérience des autres provinces et territoires afin d’élaborer une stratégie provinciale interdisciplinaire. Dans ma province, Terre‑Neuve-et-Labrador, on reconnaît que le soutien accordé au réseau provincial en matière d’ETCAF dans le cadre du plan d’action relatif à l’alcool a produit des résultats positifs. Le but est de réduire les méfaits et les coûts dans la province. Le rapport a été diffusé en juillet 2022. Le Nunavut prépare un plan stratégique sur l’invalidité.

Honorables sénateurs, ce projet de loi n’est pas conçu pour réinventer la roue, mais pour renforcer le travail accompli à ce jour. Il peut grandement contribuer à nous fournir de l’information pour réaliser des progrès.

Depuis le début des années 1980, un ensemble disparate de campagnes de sensibilisation s’est établi pour soutenir les femmes qui sont à risque de consommer de l’alcool pendant la grossesse et pour répondre aux besoins des gens et des collectivités touchés par le syndrome. Éclairé par la recherche, on a mis l’accent sur la déstigmatisation des mères qui ont consommé de l’alcool pendant la grossesse. Je me permets de le répéter parce que, malheureusement, beaucoup de femmes portent ce fardeau et sont stigmatisées toute leur vie. On a mis l’accent sur la déstigmatisation et on fait des efforts pour garantir que des mesures d’intervention précoce sont facilement accessibles. Plus le diagnostic est précoce, meilleurs sont les résultats à long terme.

De plus, la recherche, la surveillance et l’évaluation des différentes initiatives se sont accrues progressivement.

Vu la nature complexe de ce syndrome, il ne s’agit pas uniquement d’une question de soins de santé. En effet, il y a des répercussions sur d’autres domaines qui sont en fait la responsabilité du gouvernement fédéral, notamment la justice pénale et l’économie. Par conséquent, les gouvernements fédéraux successifs ont fait quelques efforts pour soutenir des projets ou des programmes spécifiques.

Par exemple, en 2003, le gouvernement du Canada a publié le document intitulé Ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale (ETCAF) : Un cadre d’action. Le cadre d’action est un outil destiné à guider les actions futures en matière d’ETCAF au Canada et il est le fruit de consultations nationales qui ont eu lieu en 1999, puis en 2002 et 2003. Il représente la vision de la collaboration entre les gouvernements pour améliorer la vie des personnes touchées par l’ETCAF et, surtout, pour prévenir les cas de troubles causés par l’alcoolisation fœtale.

Le cadre définit cinq objectifs principaux : accroître la sensibilisation à ces troubles et aux conséquences de la consommation d’alcool pendant la grossesse; augmenter les moyens d’action et la formation pour faire face à l’ETCAF; créer des outils pour améliorer le dépistage, le diagnostic et la collecte de données; élargir les connaissances et la collecte de renseignements; et soutenir les actions essentielles concernant ces troubles.

Le cadre décrit aussi précisément le rôle du gouvernement fédéral et indique qu’il continuera à se concentrer sur le développement et le renforcement des fonctions de coordination qui permettent d’assurer l’accès aux outils, à l’expertise et aux ressources nécessaires dans tout le pays.

En plus de servir de fondement à des plans d’action fédéraux, le guide a été conçu pour guider les travaux interministériels qui visent à régler les lacunes et les problèmes dont aucun autre secteur ne s’occupe actuellement. Il s’agit notamment d’élaborer une ligne directrice nationale — chose qu’un pays riche comme le nôtre devrait être en mesure de faire; d’accroître les connaissances qui proviennent des sciences dures et des sciences sociales et ont un lien avec la prévention et les façons efficaces d’aider les personnes touchées; de recueillir des données probantes et d’établir des mécanismes pour l’échange de connaissances entre administrations; et finalement un point essentiel, de faire mieux connaître l’ETCAF parmi les professionnels de tous les secteurs qui travaillent avec les gens, les familles, les collectivités et ceux qui sont touchés par l’ETCAF.

Par ailleurs, le gouvernement fédéral a publié un document d’accompagnement intitulé Ça prend une communauté après avoir mené, en 2000, des discussions avec des experts et des représentants des provinces, des territoires, des Premières Nations et de la communauté inuite. Le cadre est fondé sur les valeurs, les principes, les objectifs et les besoins cernés par les communautés des Premières Nations et inuites de partout au pays. Il reconnaît les conséquences du trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale et cherche la meilleure façon d’améliorer la situation.

Honorables collègues, cela se passait il y a 20 ans. Les militants, les experts et les personnes qui ont une expérience personnelle de l’ETCAF demandent encore au gouvernement fédéral de faire preuve de leadership dans ce domaine.

L’amélioration de la prévention et du diagnostic de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale, ainsi que d’autres mesures de soutien au sujet de celui-ci, a fait l’objet d’études approfondies dans les deux Chambres du Parlement. Par exemple, en septembre 2006 à l’autre endroit, le Comité permanent de la santé a déposé un rapport intitulé Un seul, c’est déjà trop : Demande d’un plan d’action global pour l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale.

L’essentiel des recommandations formulées peut être résumé comme un appel au gouvernement fédéral en général et au portefeuille de la santé en particulier pour qu’ils élaborent un plan d’action complet avec des buts, des objectifs et des échéances définis. Le comité a indiqué qu’il y avait :

[...] peu d’indications selon lesquelles des progrès ont été faits depuis la production en 2003 du Cadre d’action national pour l’ETCAF. Malgré les efforts répétés pour faire établir un plan d’action global [...]

Dans sa réponse, le gouvernement a convenu qu’un plan d’action pancanadien complet, élaboré en collaboration avec les provinces, les territoires et les intervenants, est essentiel pour s’attaquer à ce trouble.

Au Sénat, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a inclus dans son rapport des recommandations visant à améliorer les soutiens à la prévention, au diagnostic et au traitement, notamment dans le rapport de 2006 intitulé De l’ombre à la lumière : La transformation des services concernant la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie au Canada.

Comme la sénatrice Pate et le sénateur Cotter me l’ont fait remarquer — et j’espère qu’ils pourront en dire plus long sur ce point —, une grande partie de ce que nous savons sur les personnes atteintes de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale provient de leurs démêlés avec le système de justice pénale.

Nos collègues qui siègent au Comité sénatorial permanent des droits de la personne se souviendront du rapport de 2019 intitulé Rapport provisoire — Étude concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel fédéral : Le premier des droits fondamentaux est celui d’être traité comme un être humain. Nancy Lockwood, gestionnaire de programme de Citizen Advocacy Ottawa, a évoqué certains des problèmes éprouvés dans les pénitenciers par les personnes souffrant de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale. Cela nous donne une bonne idée de la situation. Elle a dit ceci :

Ces personnes risquent de devenir victimes de prédateurs. Elles peuvent éprouver une surcharge sensorielle, qui les rend sujettes à des accès émotionnels et aux comportements négatifs. Elles ne tirent généralement pas de leçon de leurs erreurs et ont du mal à comprendre les règles de l’interaction sociale. Les personnes atteintes de l’ETCAF ont également de la difficulté à s’organiser et à gérer le temps, de sorte qu’elles n’arrivent souvent pas à l’heure pour des rendez-vous concernant la probation ou ne s’y présentent pas du tout.

Elle a ajouté qu’il faudrait trouver « des solutions de rechange à l’incarcération, telles que des milieux résidentiels ou de travail supervisés » et « des modèles qui visent à modifier l’environnement et non la personne ». Ces observations trouvent écho dans le quatrième rapport, publié en 2021, et intitulé Droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral.

Honorables collègues, comme la Commission de vérité et réconciliation l’a reconnu, l’incapacité du système de justice pénale de s’adapter adéquatement aux personnes atteintes de ce trouble est un problème qui touche de façon démesurée les Autochtones, qui sont incarcérés dans une proportion toujours croissante, se voient imposer de plus longues peines de prison et des sanctions en milieu carcéral plus sévères comparativement à d’autres personnes au pays.

L’appel à l’action no 34 de la Commission de vérité et réconciliation dit ceci :

Nous demandons aux gouvernements du Canada, des provinces et des territoires d’entreprendre des réformes du système de justice pénale afin de mieux répondre aux besoins des délinquants atteints de l’ETCAF, plus particulièrement, nous demandons la prise des mesures suivantes :

i. fournir des ressources communautaires et accroître les pouvoirs des tribunaux afin de s’assurer que l’ETCAF est diagnostiqué correctement et que des mesures de soutien communautaires sont en place pour les personnes atteintes de ce trouble;

ii. permettre des dérogations aux peines minimales obligatoires d’emprisonnement pour les délinquants atteints de l’ETCAF;

iii. mettre à la disposition de la communauté de même que des responsables des services correctionnels et des libérations conditionnelles les ressources qui leur permettront de maximiser les possibilités de vivre dans la communauté pour les personnes atteintes de l’ETCAF;

iv. adopter des mécanismes d’évaluation appropriés pour mesurer l’efficacité des programmes en cause et garantir la sécurité de la communauté.

J’ai eu le privilège de demander au ministre Lametti, lorsqu’il a comparu au Sénat pendant la période des questions il y a quelques semaines, quelles étaient les méthodes de dépistage de l’ETCAF disponibles pour les délinquants dans le système de justice pénale. Il n’a pas été en mesure de me donner une réponse claire sur les options offertes. Cette question nécessite un examen plus approfondi, et nous continuons à collaborer avec son Bureau à cet égard.

En dehors du contexte de la justice pénale, la Commission de vérité et réconciliation a reconnu la nécessité de la prévention et du traitement de l’ETCAF, en particulier dans les communautés autochtones. Plus précisément, l’appel à l’action no 33 énonce ce qui suit :

Nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de reconnaître comme priorité de premier plan la nécessité d’aborder la question du trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale (TSAF) et de prévenir ce trouble, en plus d’élaborer, en collaboration avec les Autochtones, des programmes de prévention du TSAF qui sont adaptés à la culture autochtone.

Le gouvernement fédéral a effectivement fait plusieurs investissements dans des programmes visant à soutenir les communautés des Premières Nations et les communautés inuites dans la prévention du TSAF et le traitement des bébés touchés par le TSAF. Par exemple, avec le soutien financier de la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits, qu’on appelle aujourd’hui Affaires autochtones et du Nord Canada, l’organisation Pauktuutit Inuit Women of Canada — l’organisation nationale qui représente les Inuites au Canada — a publié un plan stratégique quinquennal sur le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale chez les Inuits intitulé Inuit Five-Year Strategic Plan for Fetal Alcohol Spectrum Disorder 2010-2015. Ce plan comprend un énoncé de vision, un mandat, des priorités et des orientations stratégiques servant à guider la communauté dans sa collaboration avec les gouvernements et avec d’autres intervenants locaux et régionaux sur cinq ans pour lutter contre le problème du TSAF dans les communautés inuites de l’ensemble du pays.

Depuis 2014-2015, le gouvernement fédéral a mis en place le Fonds national d’aide aux projets stratégiques sur le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale, qui alloue 1,5 million de dollars chaque année, pour un total de 12 millions de dollars sur huit ans, pour financer des projets nationaux soutenant la prévention, l’éducation et l’échange des connaissances et la coordination des activités sur le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale. Une liste des projets financés se trouve dans le site Web du programme.

Depuis, l’organisation Pauktuutit Inuit Women of Canada a poursuivi ses efforts extraordinaires en lançant une campagne de sensibilisation communautaire pour promouvoir la prévention de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale. J’ai eu le privilège de demander au ministre Miller, quand il a comparu dans cette enceinte il y a quelques semaines, comment les récents programmes sont évalués. Encore une fois, je n’ai pas pu obtenir de réponse claire. C’est un autre sujet dont nous devons continuer de discuter avec le gouvernement fédéral.

Malgré ces recommandations de rapports, ces études et ces initiatives du gouvernement, beaucoup de gens souffrant de ces troubles ne reçoivent pas de soutien ni de services adéquats et constants. Faute d’une stratégie nationale intégrée, d’outils de diagnostic et de dépistage normalisés et d’études épidémiologiques exhaustives, la progression vers une prévention et un soutien cohérents et efficaces est lente.

Honorables sénateurs, je crois que le moment est venu d’agir. Nous savons tous que les changements importants se font petit à petit. Sur la Colline, les choses avancent parfois extrêmement lentement, au lieu de se transformer rapidement. Toutefois, cette lenteur à agir nous coûte cher. En tenant compte de l’inflation, des recherches fiables ont récemment montré que les troubles causés par l’alcoolisation fœtale coûtent plus de 10,5 milliards de dollars annuellement au Canada, ce qui est énorme. C’est sans compter la pandémie mondiale actuelle, qui pourrait modifier ces coûts. Ces derniers sont répartis de la façon suivante : les coûts liés à la justice pénale, aux soins de santé, aux services d’éducation et aux services sociaux ainsi que les autres pertes financières indirectes, y compris la perte de productivité.

Le projet de loi que je propose est très simple. Son adoption obligerait le ministre de la Santé, en consultation avec d’autres ministres et intervenants, à élaborer un cadre national conçu pour soutenir les Canadiens atteints de la maladie, leur famille et leurs aidants. Ce cadre comprendrait des mesures visant, entre autres, à normaliser les lignes directrices, à améliorer les outils de diagnostic et de communication des données, à élargir les bases de connaissances, à faciliter le partage de l’information et à sensibiliser davantage le public et les professionnels. Ces mesures seraient mises en œuvre dans un délai précis, avec l’intention expresse de travailler avec les provinces, les territoires et les parties prenantes, y compris les personnes qui défendent leurs propres intérêts, ainsi qu’avec les communautés autochtones et les organisations essentiellement dirigées par des Autochtones. En plus d’un échéancier précis, le cadre serait soumis à une supervision parlementaire.

Même s’il prévoit des jalons, notamment des échéances, le projet de loi S-253, de par sa conception, n’est pas trop prescriptif sur la teneur du cadre lui-même. Le gouvernement doit avoir la latitude nécessaire pour respecter le processus consultatif. Ce projet de loi permettrait de créer un cadre national coordonné visant à soutenir — et c’est crucial — les Canadiens atteints de la maladie, leur famille et leurs aidants.

Honorables sénateurs, un cadre national sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale s’impose depuis longtemps. Vu la complexité de ces troubles et l’étendue de leurs effets, les approches provinciales et territoriales disparates ne suffisent tout simplement pas, comme nous le constatons. Depuis 2020, le gouvernement du Canada reconnaît septembre comme étant le Mois de sensibilisation au trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale, et je suis fier de dire que dans ma province, Terre-Neuve-et-Labrador, Son Honneur le maire de St. John’s, Danny Breen, a également fait cette déclaration en septembre dernier. Vous avez peut-être également remarqué sur votre fil de gazouillis que de nombreuses collectivités commencent à reconnaître l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale. Nous pouvons faire en sorte que le gouvernement fédéral continue de prendre les mesures appropriées à l’égard de ce problème de santé urgent et multidimensionnel qui touche des millions de Canadiens; nous devons le faire.

Honorables sénateurs, nous savons tous qu’il ne s’agit pas d’une question partisane. Nos collègues élus et nous avons entendu des personnes touchées par ce trouble, leur famille, leurs soignants, ainsi que des experts et des groupes de revendications nous dire qu’un cadre national améliorerait leur situation. Grâce à ce projet de loi, nous serions un peu plus près d’un accès élargi et équitable aux services d’évaluation et de soutien dans l’ensemble du pays de façon à ce que les Canadiens atteints de ce trouble puissent atteindre leur potentiel maximal, peu importe où ils habitent. Nous serions un peu plus près d’avoir des effectifs formés au sujet du TSAF dans le système de santé, dans les services sociaux, dans le système de justice et dans le système d’éducation. Nous serions un peu plus près d’un soutien financier et de l’inclusion sociale de ce groupe vulnérable et de la réduction de la stigmatisation qu’il vit.

Honorables sénateurs, ce projet de loi est un pas dans la bonne direction. Merci, meegwetch.

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