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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

22 mars 2023


L’honorable Mohamed-Iqbal Ravalia

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-248, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), présenté par la sénatrice Wallin. J’aimerais remercier la sénatrice Wallin, dont les efforts constants pour élargir l’admissibilité aux demandes anticipées d’aide médicale à mourir sont fondés sur la recherche étayée par des données probantes, sont empreints de compassion, et mettent de l’avant une approche axée sur le patient.

Ce projet de loi a deux principaux objectifs. Premièrement, il vise à modifier le Code criminel afin de permettre à une personne dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible de conclure une entente par écrit en vue de recevoir l’aide médicale à mourir à une date déterminée si elle perd sa capacité à consentir à l’aide médicale à mourir avant cette date. Deuxièmement, le projet de loi vise à permettre à une personne atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap graves et incurables de faire une déclaration écrite pour renoncer à l’exigence du consentement final lorsqu’elle reçoit l’aide médicale à mourir si elle perd sa capacité à consentir à l’aide médicale à mourir, si elle est atteinte des symptômes énoncés dans la déclaration écrite et si toutes les autres mesures de sauvegarde pertinentes énoncées dans le Code criminel ont été respectées.

En fait, ce projet de loi permettrait aux personnes compétentes de faire une demande anticipée d’aide médicale à mourir. Concrètement, il élargirait l’éventail de possibilités qui s’offrent aux patients confrontés à des situations difficiles et, parfois, à des décisions douloureuses.

Honorables sénateurs, les sénatrices Wallin et Seidman, ainsi que le sénateur Kutcher, ont présenté des arguments clairs et bien documentés afin d’expliquer pourquoi le projet de loi doit être étudié plus attentivement en comité. La proposition de la sénatrice Wallin d’étendre le droit à l’aide médicale à mourir pour permettre les demandes anticipées n’a rien de nouveau. Comme l’a souligné la sénatrice Seidman, c’est une recommandation qui a été faite il y a plus de six ans par le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, auquel elle a siégé, par de nombreux témoins possédant des connaissances et une expertise dans les domaines du droit, de la santé et de l’éthique. La sénatrice Wallin a aussi proposé cet amendement l’année dernière, lorsque nous avons étudié le projet de loi C-7, que le Sénat a adopté, mais qui a ensuite été rejeté par le gouvernement en place, qui l’a renvoyé au Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir pour une étude plus approfondie.

Je tiens à souligner le travail du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, qui, nous le savons tous, a mené un examen parlementaire de certaines des principales questions liées au projet de loi C-7, notamment celle des demandes anticipées. Le comité, coprésidé par notre collègue, l’honorable sénatrice Martin, a récemment déposé son deuxième rapport intitulé L’aide médicale à mourir au Canada : les choix pour les Canadiens. Nos chers collègues le sénateur Dalphond, le sénateur Kutcher et la sénatrice Wallin, qui sont membres du comité, et la sénatrice Mégie, qui en est vice-présidente, ont participé à ce travail. Je tiens à souligner que, dans son rapport, le comité recommande que le gouvernement du Canada modifie le Code criminel pour permettre les demandes anticipées à la suite d’un diagnostic de problème de santé, de maladie ou de trouble grave et incurable menant à l’incapacité.

Honorables sénateurs, on peut souvent avoir l’impression que les projets de loi sont théoriques, distants et froids. Or, le projet de loi S-248 concerne des personnes réelles, des familles réelles et des choix déchirants qu’il faut faire dans une situation qui demeure incompréhensible à ceux qui ne l’ont pas vécue.

Je suis conscient que ce dossier évoque de vives émotions et des opinions profondément divisées, et je respecte le fait que beaucoup de sénateurs ont la conviction morale et spirituelle qu’il ne nous appartient pas de faciliter la mort d’êtres humains.

Mon point de vue à cet égard découle de 35 années de carrière à titre de médecin praticien où j’ai été témoin de la destruction lente et progressive de tout ce qui ressemble à la vie et à la jouissance de cette vie par des maladies incurables. J’ai observé les effets ravageurs de ces maladies sur les patients et leurs êtres chers. Ainsi, cette question évoque en moi des émotions constamment contradictoires. Le sujet est effectivement délicat et repose sur des bases fortement émotives et spirituelles, et je fonde mon opinion sur mon expérience en tant que fournisseur de soins auprès de personnes ayant un déficit cognitif, une maladie neurodégénérative, une tumeur cérébrale ou toute autre affection neurologique qui, lentement, mais sûrement, prive la personne de son essence.

Honorables sénateurs, j’ai toujours été émerveillé par la complexité du cerveau humain. Pesant seulement 1,4 kg, il façonne tant d’éléments qui font de nous des êtres humains. Sa dégénérescence entraîne de pénibles séquelles. Les progrès de la médecine nous permettent de vivre plus longtemps et de disposer d’une myriade d’options diagnostiques et thérapeutiques. Il est réellement merveilleux de voir l’évolution de la science médicale, ainsi que de sa compréhension. Pourtant, en ce qui concerne la compréhension du cerveau, nous demeurons dans une certaine ignorance.

Bon nombre d’entre nous ont observé les effets des pertes cognitives chez nos proches, nos amis et nos concitoyens. Le processus est rarement linéaire. Les plateaux et le déclin systématique s’entrelacent jusqu’à ce qu’il ne reste que l’ombre d’une vie qui était autrefois productive.

À l’école de médecine, j’ai eu l’occasion d’étudier la démence et les troubles neurocognitifs. Durant un cours à option à Édimbourg, en Écosse, j’ai pu — pour la première fois — travailler et étudier dans ce qu’on appelait une « unité de soins aux personnes atteintes de démence ». C’est là que j’ai constaté pour la première fois les effets de la perte des fonctions supérieures sur les patients et les soignants. Je me sentais si inutile et triste. Ce souvenir reviendrait me hanter et me rappeler à quel point cette maladie est cruelle, lorsque j’ai assumé la responsabilité de ma propre unité et que j’ai dû m’occuper de personnes à divers stades de déclin cognitif dans ma ville bien-aimée, Twillingate.

Honorables sénateurs, permettez-moi d’affirmer catégoriquement que je n’ai jamais proposé, suggéré, contraint ou conseillé l’aide médicale à mourir. C’est une décision qui doit et devrait toujours être laissée à la personne et à sa détermination quant aux raisons, à la manière et au moment de recourir à une telle option. Quand on me le demande, je présente toutes les options aux personnes et aux familles et j’inclus les principaux membres de mon équipe dans ce processus complexe et chargé d’émotions. J’ai souvent fait appel à des membres du clergé et à des psychologues pour mener une réflexion personnelle, voire pour trouver la rédemption, lorsque j’étais confronté à ces questions.

Mon expérience pratique m’a appris que même lorsque toutes les options thérapeutiques sont proposées aux personnes connaissant un déclin cognitif, certains individus atteignent un stade progressif qui entraîne une douleur et une souffrance irrémédiables, une douleur physique et émotionnelle, une dissociation déchirante qui se lit dans les yeux de la victime — obsédante, cruelle et ininterrompue.

Le sens moral de la vie s’oriente-t-il toujours vers la justice? Je ne connais pas la réponse à cette question. En revanche, le fait de voir des personnes que j’ai tant aimées traverser cette agonie m’a blessé et marqué. D’innombrables expériences tragiques et douloureuses : l’angoisse de la confusion, l’agitation, le délire, la combativité, les changements de personnalité, la perte de fonctions corporelles, les infections et souvent la détresse.

Un ami cher m’a dit un jour, « Ravs, tout ce dont je me souviens, c’est la douleur et la confusion dans les yeux de ma mère. Tous mes autres merveilleux souvenirs ont été étouffés par cette unique image. Qu’aurions-nous pu faire différemment? » Ma réponse est que je n’en suis pas certain. Moi aussi, je souffre. Elle m’a tricoté une paire de bas de laine, elle m’a fait des tartes et elle aimait bien m’inviter le samedi pour manger une bonne soupe aux pois. Elle était si sage. Elle me manque, à moi aussi.

En tant que fournisseurs de soins, nous nous sentons souvent les plus impuissants, alors que nous faisons de notre mieux pour fournir des soins éprouvés aux membres de notre collectivité, qui sont des gens que nous connaissons et que nous aimons beaucoup.

Ainsi, oui, j’ai été témoin de beaucoup de souffrance et de douleur, et je n’ai pas toutes les réponses. Cependant, les souvenirs persistent et refont surface. Il y a les cris à glacer le sang, l’agressivité et l’agitation, ainsi que les agressions verbales et cruelles contre les proches. Même si vous savez pourquoi cela se produit, vous vivez avec la situation, jour après jour, dans un état d’incrédulité et de découragement.

Voilà pourquoi les patients posent régulièrement des questions difficiles : « Et si je n’avais pas à subir cette situation? Et si les choses n’avaient pas à se passer ainsi? Puis-je prendre une telle décision? Et si je changeais d’avis? Irai-je quand même au paradis? J’ai peur. Je ne peux pas supporter l’idée de voir ma famille s’inquiéter pour moi si je perds complètement la tête. »

Honorables collègues, le projet de loi S-248 offre des options aux patients aptes à consentir. Il est de notre devoir d’évaluer l’applicabilité de ces options pour permettre aux Canadiens de choisir la manière dont ils souhaitent organiser leur vie lorsqu’ils sont confrontés à de telles situations insupportables. Il s’agit d’un projet de loi important qui nécessite notre attention, notre considération et notre étude lors de la prochaine étape législative en comité. Merci, wela’lin.

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