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Projet de loi sur le Mois national de l'immigration

Deuxième lecture--Ajournement du débat

5 juin 2025


L’honorable Amina Gerba [ - ]

Propose que le projet de loi S-215, Loi instituant le Mois national de l’immigration, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je prends la parole depuis le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe. Cette reconnaissance territoriale est encore plus importante dans le contexte du projet de loi S-215, Loi instituant le Mois national de l’immigration. En effet, il est capital de rappeler, encore et toujours, la présence des peuples autochtones sur le territoire actuel du Canada depuis des temps immémoriaux.

C’est donc avec une émotion certaine que je m’exprime à nouveau devant vous aujourd’hui pour reprendre le processus entamé lors de la précédente législature avec le projet de loi S-286, qui est mort au Feuilleton.

Cette initiative fait référence au parcours de plusieurs d’entre nous ici présents et de millions de nos compatriotes venus de toutes les parties du monde afin d’enrichir notre pays de leur expérience et de contribuer à notre histoire.

Permettez-moi de commencer par une anecdote qui vous permettra de comprendre pourquoi cette loi est si importante, une petite scène de vie que plusieurs d’entre vous vivent certainement au quotidien, si vous n’êtes pas caucasiens.

Il y a quelques années, mon mari discutait avec une invitée durant le cocktail de réseautage qui précédait un gala de collecte de fonds à Montréal. Apparemment surprise d’entendre mon mari parler un excellent français, la dame lui a demandé d’où il venait.

Malicieux, mon mari a feint de ne pas comprendre le sens de la question. Il lui a répondu : « Je viens de Laval. » « Non, je veux comprendre d’où vous venez. » Il a dit : « Oui, je viens de Vimont, à Laval. »

Devant le regard perplexe de la dame qui ne semblait pas comprendre sa réponse ni en être satisfaite, il a finalement révélé ses origines camerounaises. Il a posé la même question à la dame en retour. Très confuse, la dame lui a demandé ce qu’il voulait dire. C’est alors que mon mari lui a gentiment rappelé qu’en dehors des peuples autochtones, à sa connaissance, nous venons tous d’ailleurs. Il lui a également suggéré d’aller poser des questions à ses parents et à ses grands-parents au sujet de la provenance de ses ancêtres.

Vous aurez compris, chers collègues, que cette question est toujours d’actualité aujourd’hui. Cette scène et cette interrogation sont très fréquentes et fort révélatrices. Ce sont ces interrogations qui m’ont incitée à formuler le rappel de notre commune situation de gens qui sont « venus d’ailleurs » et à le concrétiser par un projet de loi. Tenant en trois articles, le texte de ce projet de loi est fort simple et son objectif l’est tout autant. Il s’agit de célébrer annuellement, par un mois qui lui est consacré, le rôle essentiel de l’immigration dans la construction de notre pays.

Le Canada est un pays façonné par l’immigration. Ce sont des femmes et des hommes venus d’ailleurs qui, par leur travail, leur courage et leur résilience, ont contribué à bâtir la nation prospère et inclusive que nous connaissons aujourd’hui, un pays qui suscite l’admiration bien au-delà de ses frontières. Dans tous les domaines, qu’il s’agisse de l’économie, des sciences, de la culture, des sports ou de la vie communautaire, les immigrants ont joué un rôle essentiel dans les grandes réalisations qui font notre fierté collective.

Il suffit d’observer la diversité des parcours des personnes qui siègent dans cette Chambre pour constater la richesse de cet apport. Il suffit aussi de porter attention à ce qui se passe dans chacune de vos régions pour mesurer au quotidien l’empreinte positive et durable des communautés immigrantes. Ces contributions méritent d’être pleinement reconnues, célébrées et honorées. Il est temps de rendre justice à celles et ceux qui, par leur engagement, continuent de faire grandir le Canada.

Avant d’aborder en détail les motifs qui m’ont amenée à proposer que le Canada se dote d’un Mois national de l’immigration, j’aimerais tout d’abord faire une mise au point. En effet, il ne vous aura pas échappé que notre politique migratoire fait l’objet de nombreux débats qui résonnent quasi quotidiennement dans l’actualité. Certains de ces débats sont utiles, voire nécessaires. D’autres se rapprochent, quant à eux, dangereusement de théories de rejet et d’exclusion qui n’ont pas leur place dans notre pays.

En tant que fière Québécoise et Canadienne issue de l’immigration, je ne cacherai pas que je me sens interpellée et que je suis très inquiète face aux discours extrémistes et populistes actuels qui tendent vers un rejet total de toute forme d’immigration. Les partisans de cette ligne dure insinuent — à tort — que les immigrants sont en grande partie responsables des problèmes économiques et sociaux de notre pays.

Il est important de rappeler que notre pays s’est construit par des vagues successives d’immigration. C’est simplement une question de temps. Quand sont-ils arrivés? Il y a des siècles, il y a un mois, il y a un an. Nous sommes tous venus d’ailleurs, qu’il s’agisse de nous-mêmes ou de nos ancêtres.

Aujourd’hui encore, l’immigration demeure essentielle pour relever les défis démographiques et économiques qui se dressent devant nous. Le vieillissement de la population et la pénurie persistante de main-d’œuvre, notamment dans plusieurs secteurs clés, rendent l’accueil de nouveaux arrivants plus nécessaire que jamais. Il ne suffit toutefois pas de simplement accueillir ces nouveaux arrivants; il faut aussi savoir les intégrer. C’est important. C’est pourquoi l’immigration doit être réfléchie, planifiée et accompagnée.

Une intégration réussie ne repose pas uniquement sur les efforts des personnes immigrantes; elle exige un engagement collectif de la part de toute la société d’accueil. Il nous revient de créer les conditions qui permettent aux nouveaux arrivants de s’épanouir, notamment en facilitant leur accès aux services, à la formation linguistique, à l’emploi, et en leur offrant des repères pour comprendre les valeurs et les codes de leur nouveau milieu de vie, tout en respectant leur identité et leur culture d’origine. L’intégration est un processus qui prend du temps, mais lorsqu’elle est bien réalisée et accompagnée, elle devient un levier puissant de cohésion sociale, de prospérité partagée et de fidélisation des générations futures.

Chers collègues, il est impératif de mettre en garde contre les politiques xénophobes et populistes qui cherchent à diviser. Le Canada doit rester un exemple de tolérance et d’inclusion. D’ailleurs, ma collègue Julie m’a mentionné à plusieurs reprises de ne pas faire cela, mais j’ai continué de le faire, parce que c’est important que nous puissions comprendre pourquoi j’en suis arrivée à présenter ce projet de loi aujourd’hui. Pour réussir à faire cela, nous devons investir pour mieux accueillir, retenir et assurer la prospérité économique de nos nouveaux arrivants. De même, nous devons investir dans le processus de sélection des immigrants et punir sévèrement ceux qui sont impliqués dans leur trafic. Malheureusement, ils sont nombreux.

Honorables sénateurs, l’immigration n’est pas un fardeau à porter. Elle est notre histoire, notre richesse et notre avenir. Le projet de loi S-215 ne vise pas à appeler à accueillir plus ou moins d’immigrants au Canada, ou encore à prendre parti pour tel ou tel élément de la politique migratoire de notre pays. Ce projet de loi s’adresse plutôt aux générations successives d’immigrants de notre pays, celles qui l’ont façonné pour en faire une société multiculturelle, à l’image du monde. Ces générations se trouvent ici, dans cette Chambre; elles sont venues de partout, et nous nous devons de les célébrer.

Sans prétendre être une historienne, permettez-moi de revenir brièvement sur les grandes vagues migratoires qui ont façonné le Canada. Il ne s’agit que d’un survol, puisque j’ai déjà abordé cette dimension plus en détail à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-286, le prédécesseur de celui-ci, qui est malheureusement mort au Feuilleton durant la précédente législature.

Je vous invite d’ailleurs à consulter ce discours si vous souhaitez passer en revue cette perspective historique qui était assez détaillée. Il est essentiel de rappeler que le territoire que nous appelons aujourd’hui le Canada était habité bien avant l’arrivée des Européens. Les peuples autochtones y vivaient depuis des millénaires, et les Vikings auraient même atteint les côtes de Terre-Neuve dès l’an 1021.

L’histoire migratoire du Canada s’inscrit dans un long processus commencé dès le moment où se sont établis les premiers Européens, notamment lors de la fondation de la ville Québec en 1608. Après la Proclamation royale de 1763, le pays accueille successivement des loyalistes américains, puis des vagues d’immigration en provenance de l’Europe, notamment de l’Irlande.

Au moment de la Confédération en 1867, le Canada compte environ 3,6 millions d’habitants et estime que l’immigration est essentielle pour son développement, particulièrement pour coloniser l’Ouest. Cependant, ses politiques migratoires restent longtemps sélectives, voire discriminatoires, favorisant les Européens et excluant systématiquement les populations asiatiques, noires et autres.

Ce peuplement intensif crée des tensions avec les peuples autochtones, ce qui mène à des conflits comme la Résistance du Nord-Ouest en 1885. Après la Seconde Guerre mondiale, le Canada devient une terre d’accueil plus ouverte, mettant fin aux lois discriminatoires et accueillant des réfugiés et des personnes déplacées par la guerre. Le programme de parrainage privé permet notamment l’arrivée de milliers de réfugiés d’Asie du Sud-Est.

Dès les années 1960, un tiers des Canadiens sont d’origine autre que britannique ou française. Ces vagues migratoires ont façonné une société multiculturelle, faisant du Canada le pays du G7 avec la plus forte proportion d’immigrants.

En effet, en 2021, selon Statistique Canada, plus de 8,3 millions de personnes, soit près du quart la population, étaient ou avaient des origines immigrantes, étant soit des immigrants reçus ou des résidents permanents au Canada.

Face au vieillissement progressif de la population canadienne et à un taux de natalité inférieur au seuil de renouvellement, l’immigration est aujourd’hui le principal moteur démographique du pays. Selon les projections de Statistique Canada, d’ici 2041, les personnes immigrantes pourraient représenter entre 29,1 % et 34 % de la population canadienne. Ces chiffres soulignent l’importance cruciale d’une politique d’immigration réfléchie, inclusive et porteuse d’avenir.

Chers collègues, à travers ce petit rappel, ce retour sur l’histoire de notre population, je veux vous rappeler une vérité fondamentale. Comme je l’ai dit au début, à l’exception des peuples autochtones, nous sommes tous venus d’ailleurs. Certains sont venus il y a des siècles, d’autres, il y a des décennies, des mois, voire des jours. Nous sommes tous venus d’ailleurs pour bâtir et peupler ce pays qu’est le Canada.

Toutefois, nous ne devons jamais oublier que ce processus de peuplement du pays et d’occupation du territoire a bien souvent conduit à une dépossession des cultures, des langues, des traditions et des terres des peuples autochtones.

Ainsi, notre pays est à la fois le fruit des espoirs des uns et des autres, des rêves de millions d’immigrants venus d’ailleurs, des quatre coins du monde, pour construire une vie meilleure. Malheureusement, pour les peuples autochtones, il s’agit d’une entreprise d’effacement tragique de leurs droits et de leurs biens matériels et immatériels.

Ces deux réalités sont les deux faces d’une même pièce. Elles constituent notre histoire, et il ne faut jamais les nier. Elles nous imposent un devoir envers la justice, la réparation, les compensations et la mémoire qu’il nous faut transmettre aux générations futures.

Une autre raison a motivé le dépôt du projet de loi S-215 : c’est la multiplication des motions dans cette Chambre et à l’autre endroit et des lois concernant la célébration du patrimoine de différentes communautés qui vivent au Canada. Chers collègues, indéniablement, ces initiatives ont un but légitime et qui découle d’ailleurs du même constat que le mien : il faut mettre en valeur les contributions inestimables des immigrants dans notre pays.

Je vois le Mois national de l’immigration comme une prise de conscience collective utile, en ce sens où certains n’hésitent pas à blâmer les immigrants pour certaines situations sociales complexes et difficiles. Il pourrait agir comme une vitrine, une occasion pour tous les immigrants de faire valoir leurs contributions dans leurs communautés. En rassemblant les nouvelles célébrations, ce mois national, loin de diluer les mois nationaux existants, agira comme une tribune.

Ce sera une tribune où l’on pourra rassembler et célébrer toutes les communautés parce qu’elles doivent être célébrées, peu importe leur taille. De même, il s’agira d’un espace commun pour souligner la richesse des contributions, petites et grandes, de tous les immigrants, peu importe la taille de leur communauté.

Chers collègues, j’ai pu mesurer tout l’appui que la mise sur pied d’un Mois national de l’immigration recevait de très nombreux groupes auxquels j’ai eu la chance de présenter le projet de loi. Le 15 mai 2024, mon équipe et moi avons organisé une table ronde de concertation afin de recueillir les avis des organisations représentant les intérêts des immigrants. Nous avons ainsi réuni virtuellement une trentaine d’organismes pour recueillir leur avis sur l’initiative que je parraine.

Au cours de cette séance très fructueuse, nous avons reçu les commentaires des parties prenantes de partout au pays, qui représentaient les plus importantes communautés immigrantes au Canada. Le message que nous avons reçu est sans appel : toutes ces parties prenantes ont confirmé leur soutien à un projet de loi instituant un Mois national de l’immigration.

Bien sûr, cette consultation n’avait pas la prétention d’être exhaustive, mais elle a eu le mérite de réaliser un coup de sonde sérieux pour évaluer l’accueil qu’un tel mois recevrait de la part des organisations touchées par ce projet de loi.

Nous avons aussi poursuivi nos consultations tout l’été dernier, cette fois par téléphone. J’ai demandé quel serait le meilleur mois pour concrétiser cette initiative. Un certain consensus s’est dégagé autour du mois de novembre, car il s’avère pertinent à plusieurs égards. Tout d’abord, c’est au mois de novembre qu’a lieu la Semaine de l’immigration francophone. Ensuite, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui établit les principes fondamentaux en la matière, a reçu la sanction royale le 1er novembre 2001. Je tiens à rappeler le caractère central de cette loi qui encadre la politique migratoire moderne du Canada. Permettez-moi de faire un survol historique des étapes charnières qui ont mené à l’adoption de cette loi, pour vous montrer en quoi elle est si importante pour nous.

Pendant longtemps, la politique migratoire canadienne favorisait l’immigration blanche. Des lois explicitement racistes ont exclu de nombreux candidats. On se souviendra de la taxe imposée aux Chinois dès 1885, de l’interdiction quasi totale de l’immigration noire en 1911, des restrictions envers les Japonais et les Indiens et du refus d’accueillir les réfugiés juifs du MS St. Louis en 1939. Un tournant s’est amorcé après 1947 avec la levée de certaines interdictions, puis avec l’introduction en 1967 d’un système de points fondé sur les compétences, l’éducation et les liens familiaux, plutôt que sur les origines ethniques.

La Loi sur l’immigration de 1976 a modernisé le système. Elle affirmait les principes de diversité et de non-discrimination et reconnaissait les réfugiés comme une catégorie protégée. C’est ainsi que le programme de parrainage privé qui a été lancé en 1979 a permis d’accueillir plus de 327 000 réfugiés au Canada. Depuis 1980, cinq grandes voies d’immigration structurent donc l’accès au Canada : l’immigration indépendante, l’immigration humanitaire, l’immigration familiale, l’immigration assistée et l’immigration économique. Enfin, le 1er novembre 2001, la Loi sur l’immigration de 1976 a été remplacée par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La nouvelle loi maintenait une part substantielle des principes et des politiques de la précédente loi, notamment les différentes catégories d’immigrants. En outre, elle étendait la catégorie de l’immigration familiale pour inclure les couples homosexuels et les unions de fait. Cette loi est la pierre angulaire de la politique migratoire canadienne actuelle.

Le choix du mois de novembre pour célébrer le Mois national de l’immigration s’appuie sur un repère symbolique fort : l’adoption de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui est entrée en vigueur le 1er novembre 2001. Cette loi constitue l’un des piliers modernes de notre politique d’immigration. Elle nous permet aujourd’hui de voir notre politique consolidée avec une plus grande portée historique et civique. Elle est un pilier en matière d’immigration, et c’est pour cette raison que nous devons l’associer au projet de loi S-215, puisque la loi est toujours en vigueur aujourd’hui.

Par ailleurs, le mois de novembre est un moment particulier au Parlement. C’est un moment propice à l’organisation d’activités parlementaires. Il coïncide généralement avec une période active à la Chambre des communes et au Sénat, ce qui facilite l’engagement politique et institutionnel autour de cette commémoration. Mis à part le jour du Souvenir, le calendrier du mois de novembre est relativement dégagé et offre ainsi l’espace nécessaire pour donner toute sa visibilité à une célébration nationale de l’immigration.

Chers collègues, ce projet de loi nous renvoie aux générations successives qui ont développé notre pays. L’objectif est de rappeler que nous sommes tous — ou presque tous — venus d’ailleurs. En rassemblant les activités liées aux célébrations, ce mois renforcera l’appui à toutes les motions étudiées par le Parlement, qui visent à célébrer nos différentes communautés et à mettre en évidence qui nous sommes en tant que Canadiens issus de toutes les régions du monde.

Permettez-moi de vous parler un peu de moi. Je suis arrivée au Canada en 1986 avec mon mari. Nous avons immigré dans ce pays par choix pour poursuivre nos études. Mon mari avait alors obtenu une bourse d’études de la défunte Agence canadienne de développement international, l’ACDI, pour compléter son doctorat en communication. Nous devions retourner au Cameroun après ses études. Toutefois, nous avons décidé de rester au Canada pour offrir de meilleures conditions de vie à nos quatre enfants, dont trois sont nés ici.

Aujourd’hui, à travers les différentes initiatives de ma famille — dont les membres sont tous entrepreneurs, comme moi —, je puis affirmer que nous avons tous contribué à la prospérité de ce pays. Nous l’avons fait en créant des emplois et en accueillant des immigrants comme travailleurs étrangers. Je l’ai fait depuis quatre ans ici, à vos côtés. Pourtant, nous devons toujours répondre aux mêmes questions que celle que j’ai évoquée au début de mon discours : d’où venez-vous? À mes enfants nés ici, à Montréal-Nord, à Laval, à Saint-Lambert et à Lorraine, on pose la même question. À mes petits-enfants qui sont nés ici, on pose la même question. Le but de ce projet de loi est d’amener un changement, pour faire en sorte que l’on accepte que nous sommes tous venus d’ailleurs et que l’on ne pose plus cette question. La question est peut-être légitime et on n’arrêtera pas de la poser. Toutefois, il doit être enseigné, dit et répété qu’à part les peuples autochtones, nous sommes tous des Canadiens issus de l’immigration.

Chers collègues, vous avez pu constater que le Canada est fondamentalement une terre d’immigration. L’immigration a façonné le pays que nous chérissons aujourd’hui.

Le fait de consacrer un mois à l’immigration enverrait un message très fort à l’ensemble des Canadiens et à la communauté internationale. Honorables sénateurs, je vous invite donc à vous rallier à moi et à appuyer ce projet de loi.

Les immigrants ne sont pas des étrangers. Ils font partie de notre pays. Ils sont le passé, le présent et l’avenir du Canada.

C’est pourquoi je vous exhorte, honorables sénateurs, à renvoyer le plus tôt possible en comité le projet de loi S-215, Loi instituant le Mois national de l’immigration, afin qu’il y soit étudié et qu’il devienne une loi au Canada.

L’honorable Julie Miville-Dechêne [ - ]

Il est difficile de prendre la parole après le discours de ma collègue la sénatrice Gerba. C’était un discours senti, qui venait du cœur, qui venait de vous, madame la sénatrice.

Évidemment, cette fameuse question : « D’où venez-vous? », je l’ai entendue moi aussi. On aimerait ne pas la poser. Parfois, il y a de la curiosité, mais il y a aussi une idée de ressemblance. Pourtant, le Québec et le Canada sont maintenant multiculturels et comptent beaucoup de communautés diverses, mais il y a encore des ratés.

Mon intervention sera brève, madame la sénatrice Gerba, parce que je ne peux pas avoir votre verve sur cette question. Je n’ai pas connu l’immigration. Je suis née tout banalement ici, à Québec. J’appuie le projet de loi S-215, parce que je souhaite que cette célébration soit aussi une période de réflexion sur les enjeux cruciaux que pose l’immigration.

Ce n’est pas qu’une guerre de chiffres. À une autre époque, on ne parlait pas de réfugiés climatiques, ni de narco-États, ni de violences systémiques subies par les femmes dans de nombreux pays.

Chez nous, l’immigration s’est souvent faite par vagues, et vous en avez d’ailleurs parlé : vague britannique, chinoise ou japonaise, vague italienne. Cependant, ces vagues s’accompagnent souvent de marées hautes et basses. À marée haute, on acceptait beaucoup de Chinois parce qu’on avait besoin de main-d’œuvre. Même si l’on trouvait qu’ils étaient trop nombreux, on leur imposait des coûts d’immigration astronomiques. Les immigrants chinois ont fait l’objet d’une discrimination honteuse. Par contre, alors que les réfugiés de la mer vietnamiens étaient condamnés à l’enfer, nous leur avons ouvert les bras. Depuis deux ans, nous accueillons aussi des milliers d’Ukrainiens.

Depuis la création du Canada, il y a toujours eu des gens qui ont cru que les immigrants étaient trop ou pas assez nombreux. Au Québec, nous avons connu une histoire quelque peu différente. Entre 1840 et 1930, un million de francophones, issus du Québec en grande majorité, ont émigré aux États-Unis, surtout en Nouvelle-Angleterre. Au début, c’étaient des fermiers qui n’arrivaient plus à survivre. Cependant, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, ce sont les Américains qui sont venus chez nous recruter de la main-d’œuvre pour leur industrie textile. Ils avaient besoin de bras.

Cela n’a pas empêché le Ku Klux Klan de s’opposer à cette immigration catholique et francophone. Des milliers de membres du Ku Klux Klan sont allés jusqu’à manifester à Washington, cagoulés et portant des flambeaux, pour protester contre ceux qu’on appelait les « Chinois des États de l’Est ».

Revenons à aujourd’hui. Le gouvernement québécois actuel trouve qu’il y a trop d’immigrants, de demandeurs d’asile, d’étudiants internationaux et trop d’étrangers sur son territoire. Ces nouveaux venus sont, malheureusement, devenus les boucs émissaires de tout ce qui va mal au Québec. Le discours répété et martelé par le gouvernement du Québec et par le Parti québécois à propos des maux de l’immigration m’inquiète profondément.

Risque-t-on ainsi de diminuer l’ouverture des Québécois envers les nouveaux venus? Les immigrants sont-ils vraiment responsables de la crise du logement et du débordement des services sociaux et médicaux, comme on l’entend souvent dire? C’est sans doute un facteur parmi d’autres, mais sûrement pas le seul.

À mon avis, l’utilisation d’arguments identitaires est encore plus dommageable. Les demandeurs d’asile et les immigrants temporaires menaceraient, nous dit-on, la langue française au Québec. Vraiment? On ne peut pas dire que vous la menacez, madame la sénatrice Gerba, avec votre excellent français.

A-t-on des chiffres appuyant cette affirmation? Croit-on vraiment que les milliers de travailleurs temporaires répartis dans les fermes du Québec pour ramasser nos récoltes et qui font partie de la main-d’œuvre agricole menacent notre langue? Parmi les menaces bien plus évidentes chez les jeunes francophones, n’y aurait-il pas en premier lieu l’omniprésence d’Internet dans les médias sociaux et l’existence d’un monde virtuel très anglophone?

Ne vous méprenez pas; je crois qu’une promotion incessante et positive de notre langue s’impose, mais pas sur le dos des nouveaux arrivants, qui vivent déjà dans des conditions de précarité et de déracinement.

Le nationalisme québécois n’a pas toujours été porteur d’un discours clivant sur l’immigration. J’ai encore un souvenir marquant de la main tendue du député péquiste Gérald Godin aux communautés culturelles dans les années 1970. Il allait à leur rencontre; il était inclusif et attentif. Il a influencé la vision du Parti québécois à cette époque.

Soyons réalistes. Au Québec comme ailleurs au Canada, il est évident que nous avons besoin d’immigrants et de travailleurs temporaires. Dans plusieurs petites villes du Québec, ces derniers assurent la survie de certaines entreprises, lancent eux-mêmes de nouveaux commerces et participent à une relance démographique plus que nécessaire.

Ce débat délicat demande du doigté, de la mesure et de la bienveillance, et il en manque cruellement.

Je fais partie de ceux qui croient que le Canada doit demeurer un pays généreux. N’oublions jamais qu’il faut avant tout considérer une Iranienne, une Afghane, une Soudanaise, une Camerounaise ou un Colombien comme un être humain qui souhaite venir s’établir chez nous pour améliorer son sort ou celui de sa famille. Il faut nous poser cette question : que ferions-nous si nous avions une famille et qu’il n’y avait plus d’avenir dans notre pays, soit à cause de la pauvreté, de la désertification ou d’autres conditions intenables?

Cette question devrait être notre boussole dans tout ce débat. Merci encore, sénatrice Gerba. J’aimerais préciser que lorsque vous avez dit que nous avions eu un débat et que nous nous parlions souvent, ce n’était pas au sujet de l’immigration, car nous sommes assez d’accord sur ce point. C’était surtout au sujet de l’utilisation d’une tablette pour prononcer des discours. Parfois, cela joue des tours.

L’honorable Marie-Françoise Mégie [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-215, visant à instaurer le Mois national de l’immigration.

Étant moi-même issue de l’immigration, vous comprendrez que ce sujet me touche profondément. Je remercie la sénatrice Gerba d’avoir présenté ce projet de loi qui nous aidera à nous souvenir de notre histoire et de nos origines et à envisager l’avenir avec espoir.

Je vous fais grâce des différents propos véhiculés par les courants populistes actuels contre l’immigration. La sénatrice Gerba a été très éloquente à ce sujet et la sénatrice Miville-Dechêne a dit ce qu’il restait à dire.

Au Canada, les vagues migratoires ont commencé en l’an 1021, à l’endroit appelé aujourd’hui Terre-Neuve-et-Labrador, comme l’a si bien décrit la sénatrice Gerba dans son historique de l’immigration.

Plus près de nous, la vague migratoire des Haïtiens s’est déroulée au cours des années 1960 et 1970. Fuyant les crises politiques et économiques en Haïti sous la dictature de Duvalier, ces hommes et femmes sont venus chercher un avenir meilleur. Ils ont apporté une richesse culturelle et des compétences uniques dont le Canada francophone avait besoin à ce moment-là.

Bon nombre de ces réalisations sont documentées dans l’ouvrage publié en 2007, intitulé Ces Québécois venus d’Haïti. Parmi les réalisations notables présentées dans ce livre, nous trouvons entre autres les suivantes. Dans le secteur de la santé : en 1980, la Dre Yvette Bonny a réalisé la première greffe de moelle osseuse chez un enfant et a été une pionnière pour toutes les questions qui touchent la maladie falciforme au Québec. Dans le secteur de l’éducation : le professeur Patrick Paultre a établi le plus grand programme de recherche au Canada sur le comportement des éléments structuraux en béton haute performance sous charge sismique. Dans le secteur du sport : Bruny Surin a participé à de nombreuses compétitions internationales prestigieuses, dont les Jeux olympiques de Séoul en 1988, et a remporté la médaille d’or du 400 mètres en 1996. Il a été chef de mission de l’équipe canadienne pour les Jeux olympiques de 2024 à Paris. Dans le secteur de l’ingénierie : Maxime Dehoux a reçu le prix du mérite de l’Association des ingénieurs-conseils du Canada et de la revue Canadian Consulting Engineer pour sa contribution à la construction de l’Observatoire Canada-France-Hawaï.

Cette liste, bien que non exhaustive, illustre comment ces contributions exceptionnelles continuent d’enrichir notre tissu socioculturel.

Ce livre évoque également mon propre parcours. Arrivée au Canada le 26 novembre 1976, comme de nombreux professionnels immigrants, j’ai dû faire face à la non-reconnaissance de mon diplôme de médecine. Une fois cet obstacle franchi, et après avoir obtenu mon titre de compétence du Conseil médical du Canada en 1981, j’ai pu innover dans les activités de formation continue en développant un programme axé sur les soins médicaux à domicile. Cela a conduit à la rédaction d’un livre sur les soins médicaux à domicile, à la création d’une maison de soins palliatifs pour la communauté lavalloise et à mon engagement dans les activités d’associations médicales.

Aujourd’hui, pour encore moins d’un an, je poursuis mon engagement à servir en votre compagnie au Sénat du Canada.

Est-il nécessaire de consacrer un mois à l’immigration? C’est la question à laquelle nous allons répondre.

Avant d’expliquer pourquoi, permettez-moi de faire un bref rappel de certains termes clés du lexique de l’immigration : migration, immigration, émigration, réfugié et travailleurs temporaires.

Ce sont des termes souvent mal compris et mal interprétés. Selon Statistique Canada, la migration désigne le « déplacement des individus d’une population, accompagné d’un changement de résidence habituelle ». Cette migration peut être intraprovinciale, interprovinciale ou internationale.

L’« immigration » désigne l’entrée de personnes provenant d’un autre pays. De plus, toute personne immigrante a d’abord émigré d’un autre pays.

Un autre terme mérite une attention particulière : celui de « réfugié ». Au sens du droit international, la Convention de Genève de 1951 définit le terme « réfugié » comme une personne qui laisse son pays par crainte fondée d’être persécutée. Cette personne cherche refuge dans un autre pays et elle n’obtient pas la protection de son pays.

Lorsqu’une personne entame une procédure de demande d’asile, elle ne peut pas être qualifiée de « migrant illégal », un terme souvent utilisé à tort dans les débats sur les migrants empruntant le chemin Roxham. Le terme approprié est « migrants en situation irrégulière » ou « migrants irréguliers ».

Enfin, il y a également les « travailleurs étrangers temporaires », recrutés par des entreprises pour pallier la pénurie de main-d’œuvre dans divers secteurs au Canada.

Lors des séances publiques du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, qui étudiait la question de la main-d’œuvre temporaire et migrante au Canada, plusieurs employeurs ont parlé de la nécessité de recourir à ces travailleurs. Par exemple, dans son mémoire, la Nova Scotia Seafood Alliance a expliqué que, sans les travailleurs temporaires, le principal défi serait de trouver suffisamment de personnes des régions environnantes prêtes à occuper des emplois saisonniers. D’autres entreprises ont confirmé ces propos.

Pour conclure cette partie lexicale de mon discours, gardez bien à l’esprit ces définitions, car elles nous aident à comprendre les enjeux entourant ce projet de loi.

Réfléchissons à présent à l’importance des immigrants dans notre pays. Est-ce véritablement indispensable pour le Canada?

Le 31 juillet 2024, un article du magazine L’actualité, intitulé Population mondiale en déclin, examinait la diminution du taux de natalité à l’échelle mondiale.

L’article précisait que, pour assurer le renouvellement de la population, le seuil nécessaire était de 2,1 enfants par femme. À l’heure actuelle, 54 % des pays, dont le Canada, présentent un taux de fécondité inférieur à ce seuil. Selon les dernières données de 2022 provenant de Statistique Canada, l’indice de fécondité au Canada est de 1,33 enfant par femme.

Cette diminution affecte directement le renouvellement de la population active, c’est-à-dire le nombre d’individus en emploi. La solidité de l’économie canadienne repose en partie sur la taille de cette population active, dont les contributions fiscales sont essentielles pour financer nos services publics.

Par ailleurs, l’évolution de cette population active sera de plus en plus influencée par le vieillissement. D’ici 2030, les personnes âgées de 65 ans et plus représenteront 23 % de la population canadienne, environ le quart, soit plus de 9,5 millions d’individus.

Face à cet état de fait, l’immigration n’est pas seulement une solution, mais une nécessité vitale pour la pérennité de notre économie.

Cependant, il faut reconnaître que l’immigration ne doit pas être perçue uniquement comme un moyen de combler des pénuries de main-d’œuvre. C’est aussi un levier stratégique qui apporte innovation, dynamisme entrepreneurial et diversité culturelle, des éléments essentiels à notre prospérité. Sans l’immigration, notre économie risquerait de stagner, et notre compétitivité sur la scène internationale pourrait en souffrir.

Ce mouvement migratoire n’est pas une particularité canadienne, mais un phénomène mondial. De nombreux pays font face à des réalités démographiques semblables et accueillent de nouvelles populations pour soutenir leur économie.

Honorables sénateurs, pour répondre à la question centrale de savoir si un mois consacré à l’immigration est nécessaire, on peut dire que ce mois serait l’occasion pour chacun de nous de partager sa petite histoire, ses défis, ses triomphes personnels ou collectifs. Il faudrait des activités d’information qui pourraient favoriser la transmission des richesses culturelles, comme la littérature, la musique et même la gastronomie. Les générations futures ne pourront qu’en tirer profit.

Parlant de gastronomie, comme je vous l’ai déjà promis l’année dernière, ce sera pour moi un plaisir de partager avec vous la recette de la « soupe Joumou » un plat emblématique d’Haïti inscrit sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO.

Pourquoi novembre? Le choix du mois de novembre pour cette reconnaissance n’est pas anodin.

Comme l’a souligné la sénatrice Gerba, il coïncide avec deux événements importants liés à l’immigration : la Semaine nationale de l’immigration francophone et la date de la sanction royale de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Pour aller de l’avant ensemble, il est essentiel de valoriser les récits personnels et de célébrer la richesse que chacun apporte à notre communauté.

À la suite d’une petite discussion avec la sénatrice Gerba au sujet de ce projet de loi, j’ai retracé dans la Revue parlementaire canadienne le parcours migratoire des familles Riley et McArthur, de l’Alberta.

J’ai trouvé que cela ressemblait à des histoires connues. Si vous souhaitez lire cet article, il vous renseignera sur de petites histoires d’immigration réussies. Je trouve que c’est une bonne façon d’illustrer les fondements de ce projet de loi, qui montre que nous sommes tous des immigrants de première, deuxième ou troisième génération. J’espère donc que le projet de loi S-215 obtiendra votre appui et qu’il sera renvoyé en comité pour étude.

L’honorable Mohamed-Iqbal Ravalia

Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi S-215, Loi instituant le Mois national de l’immigration, que ma chère amie la sénatrice Amina Gerba a présenté de nouveau pour la présente législature. Je vous remercie d’ailleurs de cette initiative et de votre implication dans ce dossier.

Chers collègues, je vous remercie de l’occasion qui m’est donnée de vous parler de quelque chose qui m’est tout à fait personnel, mais aussi profondément canadien : la chance d’être immigrant dans le remarquable pays qui est le nôtre. Je ne prends pas seulement la parole aujourd’hui à titre de Canadien, mais aussi en tant que personne qui a choisi ce pays et qui s’est fait choisir par lui. Pour moi, ce choix mutuel a créé un lien solide qui repose sur l’espoir, la responsabilité et un but commun.

Le projet de loi dont nous sommes saisis permettrait de reconnaître officiellement l’immense contribution des immigrants à notre pays tout en faisant réfléchir aux complexités et aux obstacles qui ont façonné l’histoire de l’immigration canadienne. Il nous invite à prendre acte des obstacles que doivent encore surmonter de nombreux immigrants et à souligner la richesse indispensable qu’ils apportent au tissu social, culturel et économique du Canada.

Le projet de loi témoigne des valeurs qui définissent le Canada : la résilience, l’inclusivité et le fait que l’immigration a grandement façonné l’identité de notre pays et contribué à sa prospérité. En instituant le Mois national de l’immigration, nous réaffirmons que la force de notre pays réside dans la diversité et le dynamisme que les immigrants apportent à la collectivité.

Mon propre parcours vers le Canada en 1984, en provenance du Zimbabwe, anciennement la Rhodésie, a été marqué par les dures réalités de l’instabilité politique et des tensions raciales et tribales. Pour moi et pour beaucoup d’autres, l’immigration était la voie de l’espoir et d’un nouveau départ.

Cependant, le parcours des immigrants n’est pas toujours facile. Les immigrants doivent souvent accepter que leurs titres de compétences ne sont pas reconnus au Canada, attendre pour voir leurs rêves se réaliser et affronter les émotions qui viennent avec le fait d’avoir laissé derrière eux famille et amis. Ce sont des moments de solitude, de doute, où ils se demandent si leurs sacrifices en valaient la peine. Cependant, ces difficultés sont aussi une source de force. Elles enseignent aux immigrants la flexibilité et l’humilité. De nombreux immigrants, qui ont vécu sans sécurité, sans soins de santé, sans liberté ni débouchés, ne tiennent jamais ces choses pour acquises. À leur arrivée ici, ils se battent donc pour protéger ces éléments phares, ces fondements, de la société canadienne. Ils veulent absolument contribuer à cette société afin de lui exprimer leur reconnaissance.

Pour avoir exercé la médecine familiale dans un milieu rural — plus précisément à Twillingate, à Terre-Neuve-et-Labrador —, j’ai constaté personnellement à quel point les immigrants sont essentiels à la pérennité et à la transformation des villes et des villages. Quand je suis arrivé, cette localité généreuse et bienveillante a reçu favorablement mes compétences, et j’ai été accueilli avec chaleur et gratitude. C’est ce sentiment d’appartenance qui m’a amené à y faire ma vie. Je serai toujours reconnaissant à mes concitoyens d’avoir façonné mes idées et mes idéaux et d’avoir inscrit en moi les valeurs téneliennes d’altruisme et de bienveillance. Terre-Neuve-et-Labrador, avec ses vastes paysages isolés, a toujours connu son lot de difficultés économiques et démographiques. Pour surmonter celles-ci, les immigrants ont joué et continuent de jouer un rôle déterminant. Ils remplissent des fonctions essentielles, entre autres à titre de fournisseurs de soins de santé, d’universitaires, d’entrepreneurs et de travailleurs dans des secteurs primordiaux comme l’agriculture et les pêches.

Historiquement, la province a été bâtie par des vagues successives d’immigrants : les Scandinaves à L’Anse aux Meadows, sur la péninsule Great Northern, les colons irlandais, anglais et français qui ont bâti des hameaux de pêche prospères et la communauté morave, ont tous laissé leur marque au Labrador. Les immigrants d’aujourd’hui ont repris le flambeau; ils revitalisent les lieux en décroissance démographique et ils contribuent au dynamisme culturel et économique de ma province.

La courtepointe culturelle de ma province continue de s’étendre et de s’enrichir. Dernièrement, ma province a reconnu l’importance persistante de l’immigration en adoptant, en 2022, sa stratégie de croissance de la population, qui cherche à attirer des nouveaux venus dans le but de remédier aux pénuries de main-d’œuvre et de favoriser la croissance économique. Elle vise à attirer de façon durable 5 100 nouveaux arrivants par année d’ici 2026. Elle est surtout axée sur les travailleurs qualifiés, les étudiants étrangers et les entrepreneurs et mise sur le fait qu’ils s’établiront de façon permanente dans la province.

L’immigration est essentielle pour l’avenir du Canada, mais il ne faut pas pour autant reléguer aux oubliettes les aspects les plus épineux de l’histoire de l’immigration canadienne, notamment la taxe d’entrée imposée aux Chinois et l’exclusion des réfugiés juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces faits nous rappellent de façon douloureuse que le système d’immigration du Canada n’a pas toujours respecté l’idéal de l’inclusivité. Il ne faut surtout pas oublier ces exemples. Au contraire, ils doivent nous inciter à ne pas répéter les erreurs du passé.

Le projet de loi S-215 est important parce qu’il permet toujours de reconnaître que les immigrants ont beaucoup apporté au Canada et il invite l’ensemble de la population à réfléchir à l’importance historique et culturelle générale de l’immigration. Le Mois national de l’immigration nous donnera l’occasion de faire ressortir les aspects positifs et difficiles de l’immigration ainsi que les avantages qui en ont découlé au fil des ans.

J’appuie avec fierté ce projet de loi pour que l’on continue pendant longtemps de célébrer les récits et l’apport des immigrants.

Chers collègues, permettez-moi de conclure en citant Son Excellence l’ancienne gouverneure générale Adrienne Clarkson, dans son discours d’intronisation en 1999 :

Comme l’a écrit John Ralston Saul, « la qualité première de l’État canadien est sa complexité ». C’est une force, et non une faiblesse, que nous soyons une expérience toujours incomplète basée sur une fondation triangulaire autochtone, francophone et anglophone.

Elle poursuit ainsi :

C’est une expérience de longue date, certes, c’est complexe et, globalement, c’est en grande partie réussi. À travers vents et marées, nous avons poursuivi la création d’une civilisation canadienne.

Elle ajoute :

On dirait qu’il y a deux types de société dans le monde de nos jours. Peut-être qu’il n’y en a toujours eu que deux: les sociétés qui punissent et les sociétés qui pardonnent. Une société comme la canadienne, avec ses quatre siècles où chacun y met du sien, accepte le compromis et reconnaît l’erreur et sa correction, est fondamentalement une société qui pardonne. Nous tentons, nous devons tenter, de pardonner ce qui est passé.

Merci. Meegwetch.

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