Le Code criminel
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat
29 octobre 2025
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-231, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).
J’appuie la sénatrice Wallin et je la remercie de son engagement sans faille ainsi que de son discours très émouvant, qui a reflété son angoisse et sa douleur. Merci, Pamela.
À mon avis, il est raisonnable de permettre aux personnes atteintes de démence qui souhaitent faire connaître leurs intentions pendant qu’elles en sont encore capables de présenter une demande anticipée d’aide médicale à mourir. Cette opinion s’appuie également sur mon expérience dans la gestion des complexités de la démence sous toutes ses formes en tant que médecin de famille ayant dirigé une unité de soins de longue durée pendant plus de 30 ans.
Chers collègues, ce n’est pas un sujet facile. Il porte sur des questions fondamentales comme l’autonomie, la dignité et la compassion. Il nous invite à réfléchir à ce que c’est que de vivre et, oui, de mourir dans le respect et dans la liberté de choix.
Chers collègues, permettez-moi de souligner le profond respect que j’éprouve pour ceux d’entre vous qui pourraient avoir un avis contraire au mien.
Partout au pays, des milliers de Canadiens sont atteints de démence. C’est l’un des diagnostics les plus redoutés, non seulement à cause de ce qu’il enlève à la personne atteinte, mais aussi de ce qu’il enlève à ceux qui l’aiment : la mémoire, la faculté de reconnaissance et la personnalité. Les éléments qui font de nous ce que nous sommes peuvent disparaître lentement et douloureusement. Les familles décrivent souvent ce processus comme un long adieu.
Pourtant, pour plusieurs, l’aspect le plus affligeant n’est pas la maladie elle-même, mais la perte de contrôle qui l’accompagne. Les Canadiens qui appuient les demandes anticipées disent que, lorsqu’ils ne sauront plus qui ils sont, ils ne veulent pas être maintenus en vie. Cependant, selon la loi actuelle, ce souhait ne peut pas être respecté. Une fois qu’une personne atteinte de démence perd la capacité de donner son consentement, elle perd le droit légal de présenter une demande anticipée, même si elle a formulé à l’avance une demande claire et bien réfléchie.
Par conséquent, de nombreuses personnes sont confrontées à un choix impossible : soit elles doivent demander l’aide médicale à mourir plus tôt qu’elles ne le souhaiteraient, alors qu’elles en ont toujours la capacité, soit elles risquent de se la voir carrément refusée si elles attendent trop longtemps. À mon avis, ce n’est pas un choix qui relève de la compassion ou du bon sens.
Honorables collègues, cet enjeu ne date pas d’hier. Le Parlement l’examine depuis le tout début du débat sur l’aide médicale à mourir. Le Conseil des académies canadiennes a étudié en profondeur les demandes anticipées. Les sondages montrent constamment qu’une grande majorité de Canadiens — plus de 80 % — sont favorables à l’idée d’autoriser les demandes anticipées dans les cas de démence. Les voix qui réclament ce changement ne sont pas obscures. Ce sont les voix de nos voisins, de nos amis et de nos proches. Ce sont des médecins, des infirmières, des éthiciens et des familles qui ont vécu le déchirement de voir un être cher dépérir pendant des années, bien après que cette personne aimée leur ait dit : « S’il te plaît, ne me laisse pas dans un état pareil. »
Nous avons déjà pris des mesures importantes. En 2021, au moyen de la loi issue du projet de loi C-7, le Parlement a élargi l’accès à l’aide médicale à mourir et a supprimé l’exigence selon laquelle la mort naturelle d’une personne devait être raisonnablement prévisible. En vertu de cette loi, le gouvernement devait soumettre la question des demandes anticipées à un examen plus approfondi. Depuis lors, les progrès avancent toutefois à pas de tortue, et les Canadiens sont obligés de faire preuve de patience.
Il ne s’agit pas de prendre une décision précipitée, mais de respecter les souhaits profonds d’adultes capables de prendre une décision pour planifier leur avenir avec honnêteté et dans la dignité.
Le fondement éthique des demandes anticipées est clair : le principe d’autonomie, c’est-à-dire le droit de chaque personne à faire des choix éclairés à propos de son corps et de sa vie, ne disparaît pas avec le début du déclin cognitif. C’est le même principe qui encadre le consentement à une intervention chirurgicale, à un traitement et, en fin de compte, à l’aide médicale à mourir elle-même.
Les critiques craignent parfois que le fait d’autoriser les demandes anticipées puisse mettre en danger des personnes vulnérables. Cette inquiétude est légitime, et il faut y remédier en mettant en place de solides de mesures de sauvegarde. Les demandes anticipées doivent être faites de façon volontaire et éclairée, par écrit, attestées par des témoins et clairement liées à des conditions précisées à l’avance, par exemple de ne plus être en mesure de reconnaître ses proches, de communiquer ou de vivre sans une détresse constante.
Nous devons garder à l’esprit que les professionnels de la santé respectent déjà des normes rigoureuses en matière d’évaluation, d’éthique et de responsabilité. Nous pouvons et devons leur faire confiance, tout comme nous pouvons faire confiance aux Canadiens, pour ce qui est d’aborder les demandes anticipées avec la même attention.
Honorables collègues, d’autres pays nous montrent la voie. Les Pays-Bas, la Belgique et l’Espagne ont mis en place des cadres pour les demandes anticipées d’aide à mourir. L’expérience de ces pays montre qu’il est possible de protéger à la fois l’autonomie et la sécurité des gens grâce à des règles claires, à une surveillance professionnelle et à une communication ouverte.
Dans le cadre de ma pratique professionnelle, je pense à la personne qui s’assoit avec moi, qui suis son médecin, et avec son conjoint et ses enfants, et qui dit :
Quand je ne vous reconnaîtrai plus, quand je ne pourrai plus me nourrir, quand je ne serai plus la personne que vous aimez, laissez-moi partir en paix, comme je le souhaite.
Refuser à cette personne la possibilité de faire un tel choix revient à nier l’essence même de l’autodétermination, qui est un droit de la personne. Il ne s’agit pas d’imposer un choix à qui que ce soit. Il s’agit d’offrir des choix à ceux qui le souhaitent.
Personne ne devrait être contraint de faire une demande anticipée, mais, pour ceux qui souhaitent avoir l’assurance que leurs souffrances futures ne seront pas prolongées contre leur gré, la loi ne devrait pas faire obstacle.
Chers collègues, en tant que sénateurs, nous sommes appelés à faire preuve à la fois de sagesse et de compassion quand nous traitons de questions délicates. Allons de l’avant ensemble, guidés par l’empathie, le respect de la dignité humaine et les voix des Canadiens qui nous ont demandé de les écouter.
Honorables sénateurs, ce sont là des discussions que nous continuerons d’avoir même après que ce projet de loi aura été adopté par cette Chambre. Je vous invite tous à réfléchir à trois éléments alors que nous poursuivons cette discussion.
Le premier, que ce projet de loi aborde en partie, est une mesure législative explicite concernant les demandes anticipées d’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de démence et de troubles semblables, tant qu’elles sont encore en possession de leurs moyens. Laissons un testament biologique avoir force de loi, en renonçant au consentement final si des critères prédéfinis sont remplis, comme la perte de capacité ou des souffrances intolérables, sous la supervision de comités d’éthique et sous étroite surveillance.
Le deuxième élément est la prise en compte obligatoire des soins palliatifs et des soins propres à la démence dans les évaluations des demandes d’aide médicale à mourir. Personne ne devrait considérer la mort comme la seule option viable lorsque le logement, le répit ou la thérapie pourraient alléger le fardeau. Investissons dans l’appel lancé par la Société Alzheimer du Canada en faveur de stratégies nationales sur la démence, afin de garantir que l’aide médicale à mourir reste toujours un choix et non une voie inéluctable.
Le troisième élément, et peut-être le plus important, est la mise en œuvre de mesures de sauvegarde rigoureuses contre la coercition. Nous devons exiger que toutes les demandes en cas de démence soient examinées par des évaluateurs indépendants, en accordant la priorité aux « paroles et raisonnements » du patient, comme l’a recommandé la commission ontarienne. Refusons toute dérive vers des procurations non consensuelles. Agir sans tenir compte de la volonté du patient n’est pas un acte de compassion, mais un acte dangereux.
Chers collègues, la démence prive 76 000 Canadiens de plus chaque année de leurs souvenirs, de leur indépendance et de leur essence même. Nous leur devons un système qui honore la prévoyance et non le destin. Faisons cette promesse sans compromettre les protections de la vie. Débattons-en, modifions-la, faisons-la progresser, avant qu’une autre famille ne murmure : « Et si nous avions agi plus tôt? »
Les demandes anticipées en cas de démence ne visent pas à hâter la mort. Elles visent à garantir que le dernier chapitre de la vie soit rédigé avec la même autonomie, la même intégrité et le même soin que nous valorisons tous tout au long de notre vie.
Chers collègues, pour de nombreux Canadiens et leurs familles, cette question est profondément personnelle. Ils ne demandent pas le droit de mourir, mais le droit de décider. Ayons le courage de leur donner ce choix.
Merci. Meegwetch.