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Projet de loi sur le cadre national sur l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation fœtale

Deuxième lecture--Suite du débat

22 novembre 2022


Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi du sénateur Ravalia.

J’ai grandi dans une région où, il y a des années, les adolescents de 15 ans transportaient du bois sur leurs épaules jusqu’au chantier à l’automne et manquaient l’école pour travailler dans les cales de navires pour 1 $ l’heure. Même s’ils venaient de milieux très humbles, ils parvenaient à mener une vie décente, sans prendre un seul sou qui ne leur appartenait pas et sans commettre de crime. Je crois donc à l’autodétermination et à l’intégrité autant que quiconque au Sénat.

Cependant, des personnes subissent de tels dommages dans le ventre de la mère qu’ils font leur entrée dans le monde en ayant très peu de chances de développer un sens de l’intégrité et une bonne connaissance de soi.

Pendant de nombreuses années, ma belle-sœur a été famille d’accueil pour des enfants atteints du syndrome d’alcoolisation fœtale. Elle sentait qu’elle en avait le devoir parce qu’elle a eu un frère de famille d’accueil atteint de ce syndrome. Elle ne sait plus où il se trouve ou même dans quelle prison il s’est peut-être retrouvé. Aujourd’hui, il est à la fin de la quarantaine, mais elle n’est pas certaine qu’il est encore en vie. La dernière fois qu’elle l’a vu, il lui a demandé si elle savait pourquoi il était en prison parce qu’il l’ignorait ou ne s’en souvenait plus.

Il se peut que vous reconnaissiez les enfants atteints du trouble du spectre de l’alcoolisme fœtal; leurs traits sont très légèrement altérés. Ils ont souvent une surface plate à la place de l’arête du nez. Ils supportent rarement le bruit et, pis encore, en tant qu’enfants, beaucoup ne supportent pas d’être touchés par une autre personne, de sorte qu’il est presque impossible de tisser un lien avec quelqu’un comme le frère de famille d’accueil de ma belle-sœur.

Parfois, n’importe quoi peut déstabiliser un enfant atteint du trouble du spectre de l’alcoolisme fœtal et il se met à crier sans pouvoir s’arrêter. Ils sont donc dans leur propre monde et celui de personne d’autre dès la naissance. Cependant, ils sont également susceptibles d’être influencés, car ils ont souvent un besoin et un désir désespéré d’appartenance. Ils se présentent partout où quelqu’un peut s’occuper d’eux et font des choses dans l’espoir d’être aimés ou appréciés.

Ils sont également blâmés par leurs parents, qui ne peuvent pas gérer les personnes qu’ils sont ou ce que leur dépendance à l’alcool a créé lorsque l’enfant atteint du trouble du spectre de l’alcoolisme fœtal commence à semer la pagaille dans la maison. Dès l’âge de six ans, beaucoup d’enfants atteints du trouble du spectre de l’alcoolisme fœtal se font dire : « Si ce n’était de toi, je ne serais pas en train de boire. C’est ta faute. » Dans leur monde, ils commencent eux aussi à consommer de l’alcool et de la drogue et, bien souvent, les parents le permettent et s’en réjouissent. J’ai vu des garçons de 6 ans drogués et ivres et, rendus à l’âge de 8 ans, les parents ont disparu et ils sont eux aussi placés dans des familles d’accueil.

Ils sont envoyés dans des foyers d’accueil et, comme dans le cas du frère de ma belle-sœur, plus aucun foyer d’accueil ne peut les retenir, et ils se retrouvent dans la rue ou en prison, parfois pour des gestes qu’ils ne se souviennent même pas d’avoir commis. Ma belle-sœur craint qu’on lui téléphone pour lui annoncer la mort de son frère, et que les sacrifices qu’elle a faits pendant une bonne partie de sa vie par amour pour son frère et pour d’autres enfants, blancs et autochtones, n’aient rien donné.

D’ailleurs, aucun travailleur social n’est vraiment bien outillé pour composer avec une situation aussi horrible, et les juges ou les policiers ne sont certainement pas en mesure de remédier complètement au problème, et ce n’est pas par manque de volonté ou d’efforts de leur part.

Ma sœur, qui est juge au Nouveau-Brunswick, a demandé à nombre de jeunes hommes et femmes à peine sortis de l’enfance et atteints du syndrome d’alcoolisation fœtale pourquoi ils avaient fait telle ou telle chose. La plupart du temps, leur seule réponse est que quelqu’un leur a mis cela dans la tête et qu’ils trouvaient que c’était une bonne idée à ce moment-là. Par exemple, sur notre rue, quatre maisons ont été incendiées par un garçon autochtone atteint du syndrome d’alcoolisation fœtale. Cela aurait pu tout aussi bien arriver à un garçon blanc. Les occupants s’en sont sortis sains et saufs, mais ils ont perdu leurs animaux de compagnie; un homme est retourné dans sa maison pour tenter désespérément d’y retrouver ses trois chats. Le jeune garçon a choisi d’incendier les maisons qui étaient de l’autre côté de la rue. Il aurait tout aussi bien pu choisir celles qui se trouvaient de notre côté. Plus tard, lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait fait cela, il a répondu qu’il ne le savait pas vraiment.

Quelqu’un m’a dit que cela prouve que ces enfants n’auraient pas dû venir au monde, mais j’y vois la preuve d’une chose différente : que toute vie est sacrée et qu’à cause de notre bêtise et de nos égarements, nous avons perdu de vue, comme leurs parents, nos responsabilités envers eux. Il faut commencer à le reconnaître.

Aucune exigence ne réussira à éliminer les comportements imprudents ni même les comportements criminels. Beaucoup de femmes et leurs partenaires mènent une vie tourmentée; bon nombre d’entre eux ont eu très peu de chance, ou pas de chance du tout, dans la vie. Comme beaucoup de sénateurs, je viens d’une région où il est presque obligatoire de consommer de l’alcool pendant les occasions sociales. Cela dit, j’appuie le projet de loi proposé par le sénateur Ravalia. J’espère que ses suggestions seront examinées avec soin. Il faut faire tout ce qui est possible, même de petites choses.

Le sénateur Brazeau a parlé de l’étiquetage des bouteilles, une mesure qui a déjà trop tardé. On pourrait aussi voir, dans tous les bars du Canada, une affiche disant que la consommation d’alcool pendant la grossesse peut être extrêmement néfaste pour le fœtus, et qu’une consommation excessive entraînera un syndrome d’alcoolisation fœtale.

Étant donné la gravité de ce problème, il faudrait aussi une base de données nationale efficace et des programmes de sensibilisation d’un bout à l’autre du pays.

Si ces modestes mesures avaient été mises en place il y a plusieurs années, ma belle-sœur ne chercherait peut-être pas en vain son frère, égaré dans un réseau de prisons, et les maisons de ma rue n’auraient peut-être pas été incendiées au milieu de la nuit.

Pour ces raisons, je vous demande de soutenir le projet de loi du sénateur Ravalia. Merci.

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