La Loi sur la santé et la sécurité dans la zone extracôtière
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture
8 décembre 2020
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur la santé et la sécurité dans la zone extracôtière. Je remercie notre collègue le sénateur Ravalia de son discours de jeudi dernier sur le projet de loi ainsi que de ses aimables paroles au sujet de la vie de mon père et de son dévouement à l’amélioration de la santé et de la sécurité dans la zone extracôtière du Canada.
Je le remercie également d’avoir mentionné que j’étais le parrain de la Loi sur la santé et la sécurité dans la zone extracôtière initiale en 2014. Comme vous le savez peut-être, chers collègues, je travaille depuis longtemps dans le domaine de la santé et de la sécurité au large des côtes. Il s’agit du prolongement de mes fonctions précédentes d’adjoint au chef de la direction et de membre du conseil d’administration de l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers, le principal organisme de réglementation des activités extracôtières au Canada.
Chers collègues, j’ai eu l’honneur de parrainer le projet de loi C-5 au Sénat en 2014. Ce projet de loi est devenu loi plus tard cette année-là. Il s’agissait de la Loi sur la santé et la sécurité dans la zone extracôtière. Cette loi a joué un rôle crucial dans le renforcement de la sécurité des travailleurs dans les zones extracôtières de l’Atlantique. Comme le sénateur Ravalia l’a également dit, elle avait une vaste portée et abordait un grand nombre des aspects complexes des questions en jeu, notamment en ce qui concerne la clarification des processus, des compétences et des responsabilités de toutes les parties concernées. Le projet de loi prévoyait une période de cinq ans pour sa mise en œuvre.
La question de la santé et de la sécurité dans les zones extracôtières est l’un des enjeux les plus importants qui exigent notre attention. Cet enjeu porte en outre sur le rôle fondamental du gouvernement, c’est-à-dire la protection des citoyens. Les travailleurs des zones extracôtières doivent pouvoir arriver au travail, jour après jour, sachant que nous avons mis en place la réglementation nécessaire pour assurer autant que possible leur sécurité et veiller à ce qu’ils retournent auprès de leur famille à la fin de chaque quart de travail. Pour bon nombre des résidants des provinces de l’Atlantique, il ne s’agit pas uniquement d’une question législative; il s’agit d’un enjeu personnel, qui a une incidence sur leur propre vie et sur celle de leurs proches.
Au cours des dernières décennies, ma province, Terre-Neuve-et-Labrador, a connu de terribles tragédies en zones extracôtières. Le sénateur Ravalia a parlé de la catastrophe de l’Ocean Ranger qui est survenue le jour de la Saint-Valentin, en 1982. L’Ocean Ranger était une plateforme de forage semi-submersible qu’on présentait comme « indestructible ».
Ce jour-là, une tempête s’est levée au large de Terre-Neuve. Elle a renversé la plateforme, ce qui a entraîné la mort tragique des 84 personnes se trouvant à bord. Il n’y a eu aucun survivant. Ce fut la pire tragédie en mer de l’histoire canadienne depuis la Seconde Guerre mondiale. L’un de mes bons amis, Darryl Reid, fait partie des 84 personnes qui ont perdu la vie. À Terre-Neuve-et-Labrador, ces tragédies nous touchent directement, parce que nous sommes une petite communauté tissée serrée et qu’il n’y a que deux ou trois degrés de séparation entre nous.
Près de 30 ans plus tard, le 12 mars 2009, l’hélicoptère Cougar qui assurait le vol 491 s’est écrasé dans l’Atlantique Nord après avoir éprouvé des ennuis mécaniques. L’appareil transportait 18 travailleurs vers diverses plateformes pétrolières situées au large de Terre-Neuve; 17 d’entre eux ont hélas perdu la vie et un seul a survécu, mon ami Robert Decker. Le secouriste qui, retenu à un autre hélicoptère par un câble, est venu à la rescousse de Robert et qui l’a extirpé des eaux de l’Atlantique Nord s’appelait Ian Wheeler, avec qui je suis allé à l’école secondaire.
Robert et moi vivions dans la même impasse. C’était notre camelot quand il était jeune. Avant qu’on sache s’il était tiré d’affaire ou pas, j’ai apporté un petit plat mijoté à sa famille. Je dirais qu’il m’a fallu à peu près 30 secondes, honorables sénateurs, pour me rendre de chez moi à chez lui. Vous comprenez donc mieux pourquoi c’est un Terre-Neuvien — votre humble serviteur — qui a parrainé la Loi sur la santé et la sécurité dans la zone extracôtière au Sénat en 2014 et pourquoi c’est aussi un Terre-Neuvien — notre ex-collègue l’honorable George Baker — qui était alors le porte-parole de l’opposition. Vous comprenez également pourquoi aujourd’hui, en 2020, c’est un Terre-Neuvien — le sénateur Ravalia — qui parraine le projet de loi S-3 et pourquoi je suis le porte-parole de l’opposition. Chers collègues, je trouve éminemment vexant que le ministre responsable de ce dossier, qui est aussi un Terre-Neuvien, n’y ait pas encore donné suite.
Ces catastrophes ont été dévastatrices pour ma province. Leur impact est profond. Elles marquent des points de référence dans le temps, et nous nous posons entre nous des questions comme « où étiez-vous lorsque vous avez appris la nouvelle? » Beaucoup de gens attachent une importance particulière aux lois et aux règlements en matière de santé et sécurité. Renforcer la santé et la sécurité dans la zone extracôtière fait en sorte que l’on diminue la probabilité que de telles catastrophes se produisent et que d’autres parents, conjoints et enfants passent leur vie à pleurer un proche.
En tant qu’adjoint du chef de la direction de l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers, j’ai toujours considéré comme prioritaires la santé et la sécurité des travailleurs. Notre équipe de direction s’est employée à apporter des changements de culture constructifs relativement à la sécurité dans la zone extracôtière du Canada. Nous avons entrepris de répandre une culture de la sécurité. Nous avons organisé des conférences sur la culture de la sécurité et travaillé sans relâche pour que les travailleurs extracôtiers soient en sécurité, se sentent en sécurité et se soucient de la sécurité.
Ces conférences sur la sécurité se poursuivent à ce jour. Et, chers collègues, afin de montrer qu’il ne s’agissait pas seulement de belles paroles venant de la direction, j’ai moi-même suivi la formation sur la sécurité. Il s’agissait d’accomplir une variété de tâches, comme éteindre un incendie, sortir d’un espace rempli de fumée et de gaz dangereux, sauter d’un navire dans les eaux glaciales de l’Atlantique Nord et y rester pendant plus de 30 minutes.
L’exercice le plus difficile était celui où nous étions attachés chacun à notre siège dans un hélicoptère que l’on descendait dans l’eau et que l’on tournait à l’envers comme cela se produit lorsqu’un hélicoptère s’écrase en mer. Nous sommes à l’envers, attachés à nos sièges, et le niveau de l’eau monte. Nous devons attendre que l’eau remplisse la cabine entière et que la pression s’égalise. Ensuite, nous devons détacher notre harnais cinq points et ouvrir la fenêtre d’un coup de coude ou de poing dans la vitre pour sortir par la petite ouverture, tout en retenant notre souffle, à l’envers, dans la noirceur.
Notre but était de nous assurer que tous les travailleurs extracôtiers avaient bien intégré la culture de la sécurité que nous encouragions et qu’ils étaient formés et prêts à affronter n’importe quel événement.
Chers collègues, nous savons que les offices des hydrocarbures extracôtiers, l’un à Terre-Neuve-et-Labrador et l’autre à Nouvelle-Écosse, jouent des rôles essentiels dans l’atteinte de nos objectifs en matière de santé et de sécurité. Cependant, les offices ne peuvent pas tout faire tous seuls. Ils ont besoin de la coopération du gouvernement pour donner la priorité à ces questions et faire adopter les projets de loi et les règlements nécessaires.
La Loi sur la santé et la sécurité dans la zone extracôtière de 2014 constituait une étape encourageante, mais dans le projet de loi S-3, le projet de loi dont nous sommes saisis, il n’y a aucune mesure encourageante. Le projet de loi prévoit simplement une prolongation de deux ans. Il est écrit dans le résumé législatif du gouvernement que cette prolongation est nécessaire en raison de la complexité des règlements et de la nécessité d’obtenir l’accord de la Terre-Neuve-et-Labrador et de la Nouvelle-Écosse.
La Loi sur la santé et la sécurité dans la zone extracôtière de 2014 a jeté les bases d’une réglementation permanente en matière de santé et de sécurité dans la zone extracôtière atlantique du Canada. Cependant, je sais qu’établir des règlements nécessite des études et de la coordination, et c’est la raison pour laquelle des règlements transitoires ont été édictés lors de l’adoption de la loi en 2014, ce qui donnait cinq ans au gouvernement pour effectuer l’analyse nécessaire et élaborer des règlements permanents. Ces règlements transitoires étaient nécessaires à l’époque, mais d’autres mesures cruciales, comme l’établissement d’un Conseil consultatif de santé et sécurité au travail, ont été reportées à la fin de cette période de cinq ans. Nous attendons toujours cela, car le projet de loi n’a pas encore été adopté. Ce que peu de gens savent, c’est qu’une prolongation avait été accordée dans le cadre de la deuxième mouture de la Loi d’exécution du budget de 2018. Il s’agissait d’une prolongation d’un an, insérée dans la loi d’exécution du budget, une loi omnibus de 884 pages. Maintenant, le gouvernement demande deux ans de plus.
Avant que ces réglementations transitoires ne soient adoptées, les offices des hydrocarbures extracôtiers devaient trouver des moyens de faire respecter les priorités en matière de santé et de sécurité. Des normes de santé et de sécurité ont donc été imposées comme conditions de délivrance des licences aux entreprises d’exploitation des ressources, qui savaient que toute négligence en matière de santé et de sécurité risquait d’entraîner la suspension ou la révocation de leur licence. C’était une solution temporaire avant l’élaboration d’une réglementation codifiée.
Aujourd’hui, même les règlements codifiés qui existent déjà sont transitoires, et ce n’est pas une question prioritaire pour le gouvernement. C’est encore plus évident lors qu’on voit le projet de loi actuel. Le gouvernement a toujours clairement indiqué que la santé et la sécurité relatives aux plateformes de forage extracôtières n’étaient pas importantes pour lui. Mais je pose la question — et elle n’est pas rhétorique —, étant donné notre historique de tragédies, qu’est-ce qui pourrait être plus important pour l’industrie extracôtière que la sécurité?
Chers collègues, la période de cinq ans s’est terminée en 2019, et la prolongation d’un an prendra fin bientôt. Les règlements transitoires doivent expirer dans quelques semaines, le 31 décembre 2020. Le projet de loi dont nous sommes saisis, le projet de loi S-3, vise à prolonger ces règlements transitoires de deux années supplémentaires, c’est-à-dire jusqu’au 31 décembre 2022.
C’est honteux que nous soyons saisis de ce projet de loi maintenant. Le gouvernement a eu cinq ans, en plus de la prolongation d’un an, pour élaborer des règlements protégeant les travailleurs extracôtiers qui risquent leur vie chaque jour. Honorables sénateurs, nous avons affaire ici à un travail bâclé. Le parrain du projet de loi a fait son discours jeudi, et le projet de loi pourrait passer à l’étape de la troisième lecture dès demain.
Nous sommes tellement à la dernière minute que le projet de loi prendra effet rétroactivement, car le gouvernement craint qu’il ne soit pas adopté avant que les règlements transitoires n’expirent. Si c’était le cas, si le projet de loi était adopté en février ou en mars 2021, les règlements transitoires seraient « rétablis le 1er janvier 2021 ».
Le gouvernement, le ministère des Ressources naturelles, le ministre de Terre-Neuve-et-Labrador et le député de la région où j’habite et où habitent de nombreux travailleurs extracôtiers ont complètement renoncé à prendre leurs responsabilités.
Le gouvernement a laissé tomber les travailleurs. Je pose la question de nouveau : qu’est-ce qui peut bien être plus important pour le gouvernement que de garantir la sécurité de travailleurs parmi les plus à risque? Au cours des cinq dernières années, le gouvernement n’a pas pris le temps de prendre des règlements permanents, des règlements simples, qui se fondent clairement sur des règlements provinciaux et fédéraux existants et sur les usages de l’office provincial des hydrocarbures extracôtiers, notamment les conditions de délivrance des licences. Pourquoi le gouvernement a‑t-il mis autant de temps à agir et pourquoi tentons-nous désespérément d’obtenir une prolongation à quelques semaines seulement de l’expiration des règlements transitoires et à quelques jours seulement de l’ajournement du Parlement jusqu’en 2021? La sécurité des citoyens est une responsabilité fondamentale du gouvernement.
Honorables sénateurs, la prolongation qui est en cours prendra fin automatiquement dans quelques semaines. Nous demandera-t-on de nous réunir de nouveau dans cette enceinte dans deux ans pour débattre d’une autre prolongation concernant les mêmes règlements? Merci.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
L’honorable sénateur Ravalia, avec l’appui de l’honorable sénatrice Pate, propose que le projet de loi soit lu pour la deuxième fois.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)