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Projet de loi sur la Journée nationale de la jupe à rubans

Deuxième lecture

21 juin 2021


L’honorable Josée Forest-Niesing [ - ]

Honorables sénateurs, la semaine dernière dans cette enceinte, j’ai partagé avec vous une histoire très personnelle qui révélait ma découverte, il y a quelques années, de mon héritage métis. J’ai partagé aussi mon sentiment de confusion face à mon très grand désir d’honorer mon héritage métis et d’y appartenir, tout en respectant mon héritage franco-ontarien.

Je crois qu’il est très opportun à l’occasion de la Journée nationale des peuples autochtones de participer brièvement au débat sur le projet de loi S-227, qui vise essentiellement à désigner le 4 janvier de chaque année comme la Journée nationale de la jupe à rubans. Cette reconnaissance me tient à cœur puisqu’elle est l’expression même de la combinaison de mes deux héritages. La jupe à rubans est issue de la relation entre les tribus autochtones de la région des Grands Lacs et les nouveaux colons français du XVIIIe siècle qui échangeaient leurs rubans européens avec le peuple Menominee.

Selon le Leech Lake News, le premier cas enregistré de vêtement orné de rubans satinés est une robe de mariée menominee fabriquée en 1802. Bien entendu, il est question d’une jupe à rubans, car les jupes ornées d’appliqués purement autochtones sont apparues bien avant 1802.

Tandis que je réfléchissais au contenu de mon discours à l’appui de cette formidable initiative pour laquelle je remercie et salue mon amie et collègue, la sénatrice Mary Jane McCallum, j’ai pensé à ce qu’une jupe à rubans signifierait à mes yeux. Ceux qui me connaissent savent que je n’ai certainement pas besoin d’ajouter un autre vêtement à ma garde-robe déjà excessive, mais il s’agit tout de même d’un vêtement que j’ai l’intention de me procurer, peu importe le coût ou l’effort.

J’ai l’intention de fabriquer ma jupe à rubans, comme le font de nombreuses femmes autochtones, en sélectionnant avec beaucoup de soin le tissu, les couleurs et le nombre de rubans qui l’orneront. Je vais la fabriquer en suivant l’opinion de ceux dont l’avis compte pour moi et je m’assurerai de la terminer à temps pour le 4 janvier prochain, que le projet de loi soit adopté ou non. Je la porterai fièrement ce jour-là en tant que Canadienne d’origine métisse, fière et forte.

Après tout, c’est l’objectif de la jupe à rubans, n’est-ce pas? N’avons-nous pas tous des vêtements que nous voulons porter lors d’une journée particulièrement importante au travail ou d’une tâche particulièrement stressante à accomplir? Nous les portons parce qu’ils nous rappellent notre force et nous procurent la confiance requise pour la tâche à réaliser, la décision à prendre ou le résultat à obtenir.

La jupe à rubans refait surface après avoir été longtemps oubliée et supprimée par la honte de l’habillement traditionnel autochtone, honte entraînée par le colonialisme. La jupe à rubans est une longue jupe faite à la main qui a la même forme que le tipi. Traditionnellement, les femmes autochtones les fabriquaient à partir de peaux tannées et décorées de matériaux naturels cueillis à la main. Les matériaux utilisés pour créer les jupes à rubans ont évolué au fur et à mesure que les relations commerciales se sont formées entre les Autochtones et les colons. Les enseignements de la jupe à rubans se transmettent de génération en génération, alors que les femmes montrent aux jeunes filles comment concevoir et coudre leurs propres jupes.

À l’inverse de nombreuses cultures dans le monde, les Autochtones attribuent un sens sacré et honorifique à la femme, à sa force, à sa capacité de porter et de donner la vie. Les enseignements concernant le port de la jupe à rubans portent sur l’importance, le pouvoir et la résilience de la femme.

Dans un article du blogue thepolestarpost, l’éducatrice Erin Halolen, de la nation crie, nous explique le symbolisme et l’importance de la jupe à rubans. Elle dit ce qui suit, et je cite :

Les aînés nous enseignent que la jupe à rubans se porte pour nous rappeler le caractère sacré de la femme en tant que porteuse de vie, de même que pour honorer les valeurs inculquées sous le tipi ou au coin du feu. Cette jupe symbolise la nature cyclique de la vie. Nous portons nos jupes pour honorer les grands-mères [...] Ce sont ces femmes qui ont vécu avant nous et qui nous ont pavé la voie. Nos jupes nous unissent en tant que femmes qui parcourent ensemble le chemin de la vie, et elles nous rappellent que nos choix et nos actions du moment auront des répercussions sur de nombreuses générations à venir. Nous avons la responsabilité de porter les enseignements de nos ancêtres tout en pavant la voie à ceux qui nous suivent. [...]

Mme Halonen poursuit en nous disant qu’ils nous enseignent :

[...] qu’en portant nos jupes à rubans, l’ourlet est long et il frotte contre les herbes médicinales qui poussent sur la Terre. De cette manière, la mère originelle, la Terre mère, reconnaît qui foule son sol. Je porte mes jupes à rubans avec fierté, en l’honneur des femmes qui ont cheminé ici avant moi, par solidarité avec mes contemporaines, et pour me rappeler ma responsabilité envers les générations futures et envers la Terre.

Dans le discours qu’elle a prononcé lors d’un symposium de la nation anishinabe qui portait sur la guérison et l’honneur des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées, l’artiste et travailleuse sociale Tala Tootoosis disait ceci en parlant de l’importance d’être femme autochtone :

Nous nous réveillons. Nous nous levons. Nous prenons soin de nos enfants. Nous obtenons des diplômes. Nous devenons sobres. Nous apprenons à coudre, à maîtriser l’art du perlage et de la courtepointe et à peindre, à chanter, à danser. Nous réapprenons tout.

Nous apprenons à cicatriser. Nous sommes avocates, médecins, juges et, en même temps, nous sommes des femmes. Nous sommes capables de porter la vie, de créer la vie, avec ou sans homme. Or, il ne faut pas oublier l’équilibre. L’homme a une raison d’être et ensemble, nous sommes équilibre.

Elle poursuit en affirmant que la jupe à rubans, c’est presque la déclaration d’une femme qui a survécu à une tentative de génocide :

Ils ont essayé d’assassiner ma grand-mère. Ils lui ont coupé les cheveux. Ils ont essayé de détruire sa langue. Elle m’a quand même appris que c’était bien de porter une jupe. Elle m’a dit qu’elle était très fière de moi. Elle a été capable de le dire avec ses propres mots. Ça, c’est de la résilience. Ça, c’est le pouvoir.

En l’honneur du Mois national de l’histoire autochtone et de la Journée nationale des peuples autochtones, je vous encourage, honorables sénateurs, à vous prononcer en faveur de ce projet de loi qui représente un pas de plus vers la réconciliation, vers le partage ancestral et vers la reconnaissance du pouvoir des femmes autochtones de partout au pays. Je porterai avec fierté ma jupe le 4 janvier prochain. J’ai hâte de ressentir la confiance et le pouvoir de mes grands-mères, ancêtres de la nation abénakise, et de partager une forte connexion avec elles.

J’ai toujours un costume de ville qui dit qu’il faut compter avec moi, que je sors à l’occasion, mais tout en poursuivant mon cheminement personnel, j’ai hâte d’ajouter ma nouvelle jupe à rubans qui dit qu’il faut compter avec moi à ma vaste garde-robe.

Merci. Marsee.

Son Honneur la Présidente intérimaire

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

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