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La Loi sur les douanes—La Loi sur le précontrôle (2016)

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Débat

28 avril 2022


L’honorable Gwen Boniface [ + ]

Propose que le projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016), soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorable sénateurs, je prends la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016), concernant l’examen des appareils numériques personnels à la frontière.

Le mandat de l’Agence des services frontaliers du Canada est d’abord et avant tout de protéger la sécurité nationale et la sécurité publique à la frontière canadienne et de faciliter le passage légitime des personnes et des marchandises. Ce mandat est mené dans le respect de la législation régissant l’agence.

L’examen des appareils numériques personnels est une pratique menée de façon sélective et parcimonieuse. Cependant, ce genre d’examen présente un taux de succès élevé — ou taux d’examen fructueux — pour ce qui est de révéler la violation des règlements.

En 2021, l’agence a traité un peu moins de 19 millions de voyageurs et mené environ 1 800 examens des appareils numériques personnels. Cela représente un taux d’examen de moins de 0,01 %, soit environ 1 voyageur sur 10 000.

Or, plus de 27 % des quelque 1 800 examens des appareils numériques personnels ont permis de découvrir une violation de la réglementation. Ces violations allaient de l’identification d’articles prohibés qui peuvent être une menace pour la sécurité publique, dont de la pornographie juvénile et d’autres obscénités, à des preuves quant à des marchandises sous-évaluées ou non déclarées.

Cette donnée est importante et elle montre qu’il s’agit d’un moyen très efficace pour cerner des indicateurs.

En ce qui concerne la pornographie juvénile, les appareils numériques personnels sont aujourd’hui le principal moyen d’importation de ce matériel prohibé. Nous le savons, honorables sénateurs, la pornographie juvénile n’est pas qu’une question de photos, elle concerne les victimes — des enfants victimes.

En 2019, la WeProtect Global Alliance rapportait que 18,4 millions de contenus d’abus sexuel contre des enfants ont été signalés au National Center for Missing and Exploited Children.

Europol rapportait détenir plus de 46 millions d’images et de vidéos différentes d’abus sexuel contre des enfants dans son référentiel.

Le filtrage et l’examen des personnes et des marchandises à la frontière, y compris l’examen des appareils numériques personnels, sont essentiels au maintien de l’intégrité de la frontière et à la protection de la santé et de la sécurité de tous les Canadiens.

Les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada, dont les activités quotidiennes seront touchées par les modifications proposées dans le projet de loi S-7, sont autorisés à examiner toutes les marchandises qui traversent la frontière canadienne, à exécuter le mandat de l’Agence et à intercepter les marchandises dangereuses avant qu’elles ne puissent entrer dans nos collectivités. L’Agence des services frontaliers du Canada tient ces pouvoirs de la Loi sur les douanes et assure également le respect d’autres lois, notamment la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur les mesures spéciales d’importation et de nombreuses autres lois définies comme des « législations frontalières » au titre de la Loi sur l’Agence des services frontaliers du Canada.

Ce mandat comprend l’évaluation de la valeur des marchandises, la perception de l’ensemble des droits et des taxes dus et l’interception de toute marchandise prohibée, contrôlée ou réglementée. Les tribunaux ont depuis longtemps confirmé ces pouvoirs, c’est-à-dire les droits d’un État souverain à contrôler ce qui pénètre ses frontières et à dégonfler les attentes en matière de vie privée à la frontière.

Cependant, les pouvoirs de longue date de l’Agence des services frontaliers du Canada qui lui permettent d’examiner les marchandises importées ont fait l’objet d’un examen minutieux ces dernières années. Cet examen est axé sur les appareils numériques personnels, comme les téléphones intelligents, les ordinateurs portables et autres objets semblables, compte tenu de la capacité de stockage exceptionnelle dont ils disposent de nos jours et du degré de renseignements personnels qu’ils contiennent par rapport aux sacs à main et aux bagages.

Honorables sénateurs, quel est le lien avec le projet de loi S-7?

En octobre 2020, la Cour d’appel de l’Alberta a statué, dans les arrêts R. c. Canfield et R. c. Townsend, que la vérification du contenu des appareils numériques personnels par les agents des services frontaliers du Canada en vertu de l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes était inconstitutionnel aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés, puisqu’aucune limite n’était fixée pour ce type de vérification. Dans les deux cas, il était question d’importation de pornographie juvénile au moyen des appareils numériques.

Le cas école en ce qui concerne les fouilles à la frontière remonte à 1988, dans l’arrêt R. c. Simmons de la Cour suprême, mais il fournit un contexte important pour bien comprendre où se situe l’Agence des services frontaliers du Canada aujourd’hui. À cette époque, la cour avait reconnu dans l’arrêt Simmons que le degré raisonnable de protection de la vie privée attendu par les individus est moindre à la frontière que dans d’autres situations. On a relevé trois types de fouilles à la frontière pour lesquels les individus s’attendent à un plus haut degré de protection de leur vie privée.

Le premier est l’interrogatoire de routine, ce à quoi tous les voyageurs doivent se soumettre à un point d’entrée. Il peut être complété par une fouille des bagages et d’une palpation par-dessus les vêtements. Je suis certaine que la majorité d’entre nous s’est pliée à cette procédure de routine. Le deuxième type est la fouille à nu, qui se déroule dans une pièce privée. Le troisième est la fouille des cavités corporelles, normalement exécutée dans le but de trouver de la drogue. Évidemment, c’est le type de fouille le plus intrusif et les individus s’attendent au plus haut degré de protection de leur vie privée. Bien entendu, plus approfondie est la fouille, plus il est nécessaire de fournir des justifications pour démontrer le caractère constitutionnel de la procédure.

Comme il est indiqué dans l’arrêt R. c. Simmons, le premier type de fouille, celui de l’interrogatoire de routine avec possiblement un examen des bagages ou une fouille par palpitation, est le type de fouille le moins intrusif et ne soulève pas de problème de constitutionnalité au regard de l’article 8 de la Charte, qui se lit comme suit : « Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. »

Cela s’explique par le fait que les attentes raisonnables en matière de vie privée sont moindres aux douanes, comme il est indiqué au paragraphe 52 de l’arrêt R. c. Simmons, qui se lit comme suit :

[...] les attentes raisonnables en matière de vie privée sont moindres aux douanes que dans la plupart des autres situations. En effet, les gens ne s’attendent pas à traverser les frontières internationales sans faire l’objet d’une vérification. Il est communément reconnu que les États souverains ont le droit de contrôler à la fois les personnes et les effets qui entrent dans leur territoire. On s’attend à ce que l’État joue ce rôle pour le bien-être général de la nation. Or, s’il était incapable d’établir que tous ceux qui cherchent à traverser ses frontières ainsi que leurs effets peuvent légalement pénétrer dans son territoire, l’État ne pourrait pas remplir cette fonction éminemment importante. Conséquemment, les voyageurs qui cherchent à traverser des frontières internationales s’attendent parfaitement à faire l’objet d’un processus d’examen.

Comme le note la cour, les fouilles à la frontière ont la particularité de devoir assurer un équilibre entre le droit à la vie privée et la sécurité publique, ce qui donne priorité à la sécurité publique par rapport à la vie privée, surtout pour le premier type de fouille défini dans l’arrêt R. c. Simmons.

Maintenant que nous savons que, selon la jurisprudence liée à l’arrêt Simmons, il existe trois niveaux de fouilles dans le contexte des douanes et que l’article 8 de la Charte n’intervient pas dans le premier niveau, quelle est la raison d’être du projet de loi à l’étude?

Sénateurs, ce qui pose problème, c’est le terme « marchandises » qui se trouve à l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes, où on lit ceci :

99 (1) L’agent peut

a) tant qu’il n’y a pas eu dédouanement, examiner toutes marchandises importées et en ouvrir ou faire ouvrir tous colis ou contenants, ainsi qu’en prélever des échantillons en quantités raisonnables;

Comme les sénateurs l’auront remarqué, cet alinéa autorise les agents des services frontaliers à examiner toutes les marchandises mais ne fixe pas de critères juridiques pour ces examens. À titre de comparaison, l’alinéa b) du même paragraphe dit qu’il faut des « motifs raisonnables » pour ouvrir des envois, c’est-à-dire du courrier.

Selon la définition du terme « marchandises » fournie au paragraphe 2(1) de la Loi sur les douanes, « sont assimilés [aux marchandises] [...] les moyens de transport et les animaux, ainsi que tout document, quel que soit son support ». Dans le contexte des douanes, on a interprété le terme « marchandises » d’une façon qui couvre les documents électroniques qui peuvent se trouver sur un appareil personnel tel qu’un ordinateur portatif, un téléphone cellulaire ou une tablette. Pour en apprendre davantage sur ces interprétations, on peut consulter l’affaire R. c. Bialski de la Cour d’appel de la Saskatchewan et l’affaire R. c. Moroz de la Cour supérieure de justice de l’Ontario.

Cette information nous amène à notre dilemme constitutionnel. Selon la définition de « marchandises » inscrite dans la Loi sur les douanes et son application à l’alinéa 99(1)a), les agents des services frontaliers peuvent fouiller les appareils numériques personnels sans que ces fouilles ne soient encadrées par des critères juridiques et sans qu’un recours constitutionnel puisse être exercé. La raison est que la première catégorie de fouille définie dans l’arrêt Simmons, qui comprend les « marchandises », ne relève pas de l’article 8 de la Charte.

Qui plus est, les avancées technologiques ont grandement évolué depuis l’arrêt Simmons en 1988. Les appareils numériques ont la capacité de contenir une quantité phénoménale de documents en format électronique, ce qui n’aurait pas pu être pris en considération l’année où la Cour suprême a rendu l’arrêtSimmons. En 1988, les types de documents qui pouvaient faire l’objet d’une fouille étaient des documents papier et la personne devait les avoir en sa possession au moment de franchir la frontière, par exemple dans un porte-documents, un sac à main ou toute autre forme de bagage. Il est facile de comprendre que ces types de documents pouvaient être vérifiés sans enfreindre l’article 8 de la Charte dans le cadre de ce qui était considéré comme une fouille normale.

Cependant, sénateurs, nous savons tous que les temps ont changé.

De nos jours, et en particulier depuis le début du nouveau millénaire, l’utilisation d’appareils électroniques est la norme. La plupart des Canadiens ont un appareil numérique, et la plupart des gens voyagent avec un appareil numérique. Ces outils renferment maintenant une foule de données, y compris des renseignements très personnels. On peut créer des albums de photos et des listes de lecture de musique ou déverrouiller sa porte principale à des milliers de kilomètres de distance simplement en appuyant sur un bouton. On peut effectuer des opérations bancaires à distance et payer l’épicerie sans jamais utiliser de carte de débit ou de crédit physique. Ces appareils renferment le contenu de nos calendriers et toute l’information sur ce qui nous a plu ou déplu et sur nos connexions. Ils donnent accès à nos renseignements les plus personnels et les plus confidentiels, et selon les lois actuelles, les agents des services frontaliers ont le droit d’y chercher de l’information sans devoir respecter de critères ni de protections garanties par la Charte.

Comme vous le savez tous, honorables sénateurs, la jurisprudence est un principe fondamental de notre système juridique. Comme c’est la Cour suprême du Canada qui a le dernier mot, lorsqu’elle rend une décision, comme elle l’a fait pour l’affaire Simmons, cette décision est maintenue. Cependant, cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas revoir les décisions de la Cour suprême. Comme on l’a dit dans la décision rendue en 2015 dans l’affaire Carter c. Canada (Procureur général), « [...] le principe du stare decisis ne constitue pas un carcan qui condamne le droit à l’inertie ».

Les tribunaux peuvent réexaminer des décisions des cours supérieures, y compris la Cour suprême, dans deux circonstances, la première étant lorsqu’une nouvelle question juridique se pose. La deuxième circonstance, qui est particulièrement importante dans le cas qui nous occupe, est lorsqu’une modification de la situation ou de la preuve change radicalement la donne.

Honorables sénateurs, entre la décision rendue en 1988 dans l’affaire Simmons et la décision rendue l’année dernière dans l’affaire Canfield, des progrès technologiques énormes ont été réalisés. La Cour d’appel de l’Alberta a reconnu que ces progrès « changent radicalement la donne », ce qui justifie la révision de la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Simmons.

C’est pour ces raisons que la Cour d’appel de l’Alberta a établi que l’alinéa 99(1)a) est inconstitutionnel, malgré la jurisprudence établie en 1988.

Le tribunal a refusé d’établir un critère acceptable permettant d’examiner des appareils numériques personnels. Il a plutôt reconnu que quelque chose d’inférieur à des motifs raisonnables de soupçonner pourrait s’avérer plus approprié dans le contexte frontalier.

Au paragraphe 75 de la décision Canfield, le tribunal affirme :

[...] le fait que le critère approprié soit un soupçon raisonnable ou quelque chose d’inférieur en ce qui a trait à la nature unique du contexte frontalier doit être établi par le Parlement et étoffé dans d’autres affaires.

Le tribunal poursuit au paragraphe 112 :

Nous sommes conscients que la protection de la confidentialité du contenu des appareils électroniques personnels d’un individu tout en reconnaissant la nécessité d’assurer une sécurité efficace à la frontière fait appel à un équilibre complexe et fragile. Il reviendra au Parlement de définir, s’il le choisit, une nouvelle approche imposant des limites raisonnables à la possibilité de réaliser de telles fouilles à la frontière.

La Cour d’appel de l’Alberta a statué qu’une déclaration d’invalidité constitutionnelle d’un an était appropriée pour permettre au gouvernement de trouver une solution à cette disposition inconstitutionnelle. Le gouvernement du Canada a déposé une requête en appel auprès de la Cour suprême du Canada à la suite de cette décision de l’Alberta, mais celle-ci a été rejetée.

Comme l’indique le paragraphe 112 de la décision, le gouvernement a choisi de mettre au point une approche nouvelle ou novatrice pour établir un équilibre entre le respect de la vie privée, les appareils numériques personnels et la sécurité à la frontière.

Le gouvernement du Canada propose un projet de loi qui renforcera la loi actuelle régissant l’examen des appareils numériques personnels par les agents de l’ASFC et par ceux du Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis qui effectuent un précontrôle ici au Canada. Ce projet de loi établira des normes à respecter avant que l’appareil d’un voyageur puisse être examiné. Il propose des changements législatifs qui incluent les trois mesures suivantes : premièrement, la création d’un nouveau critère pour justifier l’examen d’un appareil numérique personnel, c’est-à-dire des préoccupations générales raisonnables, dont je vais parler plus en détail dans un instant; deuxièmement, l’ajout, dans la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle, du pouvoir d’examiner les documents qui se trouvent sur les appareils numériques personnels, ce qui est nécessaire pour distinguer ces appareils des autres biens, y compris les appareils numériques importés et exportés; troisièmement, l’ajout de limites propres au contexte, pour exiger que l’examen des appareils numériques personnels puisse avoir lieu strictement dans le contexte des examens à la frontière.

La composante la plus importante de ce projet de loi est le nouveau pouvoir d’examen prévu à l’article 99.01 de la Loi sur les douanes. Cet article énonce qu’il doit y avoir des préoccupations générales raisonnables avant qu’un agent des services frontaliers désigné puisse examiner des documents sur l’appareil numérique personnel d’un voyageur afin de déterminer si l’appareil contient de la contrebande ou des preuves d’infraction aux lois frontalières concernant l’importation de biens. Certains agents des services frontaliers, ou une certaine catégorie d’entre eux, seraient désignés par le président de l’ASFC, en vertu du paragraphe 99.01(2) modifié par le projet de loi S-7, pour effectuer les examens en question.

De la même manière, la Loi sur le précontrôle autorise les contrôleurs américains à examiner sans limites des biens à destination des États-Unis. Le précontrôle renvoie à l’accord conclu entre deux pays permettant aux agents des douanes et de l’immigration du pays de désignation de se trouver dans le pays d’origine pour déterminer si les voyageurs ou les biens peuvent entrer dans le pays désigné. Nous savons tous que les États-Unis effectuent des précontrôles aux frontières canadiennes depuis 1952 conformément à divers accords. Ce programme est en place dans les huit principaux aéroports du Canada.

L’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique relatif au précontrôle dans les domaines du transport terrestre, ferroviaire, maritime et aérien est le traité de précontrôle en vigueur actuellement avec les États-Unis. La Loi sur le précontrôle incorpore dans les lois canadiennes les dispositions négociées dans le cadre de cet accord.

Au sens de la Loi sur le précontrôle, les « biens » englobent les espèces et les effets, les animaux, les plantes et leurs produits, les moyens de transport et tout document, quel que soit son support. Sur ordre du contrôleur, le voyageur doit présenter, ouvrir ou déballer tous les biens en sa possession.

En outre, le contrôleur américain doit exercer ses pouvoirs en vertu du droit canadien, notamment de la Charte canadienne des droits et libertés.

Étant donné que les pouvoirs d’examen de précontrôle existants sont semblables à ceux prévus dans la version actuelle de la Loi sur les douanes, les modifications proposées à la Loi sur le précontrôle continueraient d’harmoniser ces pouvoirs avec ceux qui s’appliquent aux agents de l’Agence des services frontaliers du Canada. Plus précisément, elles exigeraient également que l’examen d’un appareil numérique personnel pendant le précontrôle découle d’une préoccupation générale raisonnable. Les modifications à la Loi sur le précontrôle garantiraient que les contrôleurs américains qui travaillent en territoire canadien sont tenus de respecter les mêmes normes que les agents canadiens ainsi que la Charte.

Parmi les autres changements apportés au précontrôle, de nouveaux pouvoirs seraient accordés au gouverneur en conseil, qui pourrait prendre des règlements encadrant le déroulement des examens des appareils numériques personnels. De plus, le ministre de la Sécurité publique pourrait donner des directives.

De façon générale, les modifications établiront les procédures que les contrôleurs américains doivent suivre lorsqu’ils examinent un appareil numérique personnel d’un voyageur, ou cherchent des documents sur celui-ci, ainsi que les exigences relatives à la rétention ou au transfert de l’appareil, le cas échéant.

Le projet de loi proposé offrira un fondement juridique renouvelé selon lequel les contrôleurs de l’Agence des services frontaliers du Canada et les contrôleurs américains pourront faire de tels examens en toute légalité. L’Agence des services frontaliers du Canada et les contrôleurs pourront ainsi continuer à reconnaître efficacement les infractions à la législation frontalière et à intercepter la contrebande tout en offrant aux voyageurs des mesures de protection de la vie privée, conformément au droit canadien.

Pour clarifier les choses, en vertu de ces pouvoirs, l’examen des appareils numériques personnels doit être effectué conformément à la réglementation visant les formalités d’usage à la frontière. L’objectif de ces examens est d’assurer le respect des diverses dispositions réglementaires qui régissent l’importation et l’exportation des biens, conformément aux lois frontalières.

Comme c’est le cas pour les biens matériels, dans les rares cas où les agents procédant à des examens découvrent une éventuelle preuve d’une infraction criminelle, la preuve doit être remise aux autorités policières locales, qui peuvent ensuite mener leur propre enquête criminelle et décider s’il y a lieu de porter des accusations.

En ce qui concerne les changements proposés au pouvoir d’examen prévu par la loi, même si on a envisagé d’établir un critère plus élevé que le motif raisonnable de soupçonner, ce critère ne s’applique que dans des circonstances très restreintes de traitement à la frontière et il a été jugé inapproprié pour ce type d’examen.

En outre, le nouveau critère concernant les préoccupations générales raisonnables garantit que les agents n’ont pas besoin de soupçonner une infraction précise avant d’entreprendre un examen. Aux frontières, il peut s’avérer difficile de repérer des infractions particulières, étant donné la brièveté des échanges entre les agents de l’ASFC et les voyageurs, et l’accès limité à l’information.

Les agents frontaliers recueillent des renseignements supplémentaires lors de leurs interactions avec les voyageurs, notamment par l’entremise de l’inspection des bagages et des questions de routine. Grâce à ces interactions, les agents peuvent éprouver des préoccupations en raison d’éléments qui indiquent un éventuel non-respect des lois frontalières. Il peut s’agir d’un comportement qui ne reflète pas nécessairement une infraction réglementaire précise.

Ces types d’indicateurs sont bien connus des agents, qui sont formés pour les repérer. Le fait d’établir un critère plus élevé qu’un motif raisonnable de soupçonner a été jugé trop lourd pour les appareils personnels. En outre, comme il est difficile de répondre à ce critère pour ces appareils, il pourrait en résulter un affaiblissement des contrôles aux frontières en général et une diminution probable des saisies de matériel prohibé, comme la pornographie juvénile.

Après avoir effectué un examen approfondi et consulté des intervenants clés, de nouvelles exigences ont été établies qui répondent activement à la décision d’inconstitutionnalité rendue par les tribunaux tout en tenant compte de la protection des renseignements personnels des voyageurs et des priorités opérationnelles en matière d’application de la loi.

Comme je l’ai dit, des « motifs raisonnables de soupçonner » sont actuellement requis en vertu de la Loi sur les douanes afin d’initier des fouilles exceptionnelles comme la fouille personnelle dont j’ai parlé, soit une fouille corporelle ou une fouille à nu. Étant donné qu’il s’agit d’un examen plus invasif qui va au-delà de ce qui est considéré comme un examen de routine, il faudra satisfaire à des exigences plus strictes sur le plan des « motifs raisonnables de soupçonner ».

Ces nouvelles exigences relatives aux préoccupations générales raisonnables nécessitent que les préoccupations soient adaptées à l’appareil numérique personnel du voyageur au moment du passage à la frontière; toutefois, elles ne nécessitent pas la désignation d’une contravention présumée précise.

Les exigences ont été adaptées pour tenir compte du contexte frontalier particulier où les tribunaux ont depuis longtemps confirmé que les voyageurs ont une attente réduite de protection en matière de vie privée. Elles sont censées nécessiter un degré de préoccupation plus faible que celui des motifs raisonnables de soupçonner. Parallèlement, les exigences relatives aux préoccupations générales raisonnables nécessitent que les indicateurs soient objectifs et fondés sur des faits. Cela permettra que la conduite des agents de l’ASFC fasse l’objet d’un examen sérieux.

Il s’agit d’une approche nouvelle uniquement en ce sens que ce nouveau seuil législatif n’existe pas actuellement dans la législation canadienne. Pour la première fois, et après une délibération et une analyse minutieuses, un nouveau seuil pour les appareils numériques personnels a été établi pour répondre spécifiquement au contexte frontalier. Il s’agit d’un seuil unique pour les examens d’appareils numériques personnels exclusivement. Ce seuil exige que l’agent ait des doutes raisonnables et objectifs liés à un endroit précis — la frontière — et à une personne précise — le voyageur. Pour résumer, à l’heure actuelle, la Loi sur les douanes ne prévoit aucun seuil pour les fouilles d’appareils numériques personnels, mais le projet de loi S-7 vise à en instaurer un.

Honorables sénateurs, le fait qu’il n’y ait pas de seuil prévu par la loi pour les fouilles d’appareils numériques personnels ne signifie pas que nos agents des services frontaliers agissent de façon inconstitutionnelle. L’Agence des services frontaliers du Canada est très consciente des droits de la protection des renseignements personnels et des effets que les fouilles peuvent avoir sur ces droits. Depuis un certain temps déjà, l’agence utilise ses politiques internes pour orienter les fouilles d’appareils, dans la mesure où elles concernent des marchandises telles que les définit la Loi sur les douanes.

Le projet de loi S-7 vise à légiférer sur les pratiques et les politiques opérationnelles internes que l’Agence des services frontaliers du Canada utilise déjà, mais aux termes d’un nouvel article spécifiquement adapté aux documents contenus dans les appareils numériques personnels. Ce nouvel article n’enlève rien aux pouvoirs de l’agence de fouiller les appareils numériques personnels en vertu de ses propres politiques internes. Il ne fait que légiférer sur ce qu’elle fait déjà.

Par exemple, la version la plus à jour de cette politique, qui remonte à 2019, stipule ceci :

L’examen du dispositif numérique d’un voyageur peut seulement être mené s’il existe de multiples indicateurs laissant entendre que des éléments de preuve d’une infraction à la législation frontalière de l’ASFC pourraient se trouver sur le dispositif.

Aux termes de cette politique de l’ASFC, un « indicateur » est :

[...] un élément unique d’information, une tendance, une anomalie ou une incohérence qui, conjugué à d’autres informations ou données, attire l’attention d’un agent quant à la menace posée par un voyageur ou une expédition. Il est possible qu’au cours de son interaction avec un voyageur, un agent de l’ASFC observe un indicateur unique, considérable et précis qui peut à lui seul justifier la tenue de l’examen d’un dispositif numérique.

Ce sont de tels indicateurs qui permettent à un agent des services frontaliers d’avoir des motifs raisonnables de croire qu’il y a infraction à la réglementation. Je le répète, ces indicateurs sont de nature générale et il n’est pas nécessaire qu’ils renvoient à une infraction précise, mais il est clair que l’ASFC a agi d’une façon discutable sur le plan législatif. Elle effectue déjà des fouilles avec le même empressement que ce qui a été constaté dans le cadre du projet de loi S-7.

La politique de l’ASFC clarifie également le contexte dans lequel un dispositif numérique personnel peut faire l’objet d’un examen. Elle souligne que l’examen du dispositif ne devrait pas être considéré comme allant de soi, que les agents de l’ASFC n’ont pas le droit d’examiner les dispositifs numériques dans le seul but de chercher des preuves d’une infraction criminelle, et que les examens des dispositifs numériques doivent seulement être effectués lorsqu’il y a une justification claire liée à l’application et au respect de la législation qui touche le mandat de l’ASFC.

Pour faire en sorte que les actions des agents frontaliers qui ont pour but de trouver des indicateurs pour justifier l’examen d’un dispositif soient conformes à la loi, la politique énonce des exigences relatives à la prise de notes, même si l’examen ne donne pas de résultat. Ces exigences sont nécessaires pour aider les agents frontaliers à bien articuler les étapes de l’examen d’un dispositif numérique pour répondre à l’objectif de la loi, pour servir d’élément de preuve en cas de poursuites judiciaires, pour demander des comptes aux agents et à l’ASFC en cas d’allégations d’inconduite dans des plaintes et, enfin, pour servir de registre de l’utilisation des pouvoirs légaux des agents.

À propos des types de renseignements qui sont pris en note dans le processus de vérification, on retrouve, entre autres, les indicateurs observés par les agents des services frontaliers, la raison qui a justifié la vérification de l’appareil numérique personnel, le modèle de l’appareil et sa description, les étapes entreprises pour désactiver la connectivité de l’appareil, la date et l’heure telles qu’elles apparaissent sur l’appareil, la date et l’heure locales, la durée de la vérification, les parties et les éléments qui ont été vérifiés dans l’appareil, la raison qui justifie la vérification de chaque type de donnée — par exemple des photos ou des documents —, le comportement du voyageur et les échanges pertinents avec ce dernier en lien avec l’appareil et son contenu, les personnes qui ont participé à la vérification et la façon dont s’est déroulée la vérification.

Or, une question a été soulevée par rapport aux mots de passe. Au sujet des mots de passe des appareils, un processus en deux étapes a été instauré si des éléments de preuve ou du contenu prohibé sont trouvés. La première étape est d’écrire le mot de passe numérique ou alphanumérique sur une feuille. Les mots de passe activés par données biométriques, par exemple les empreintes digitales ou la numérisation faciale, devraient être évités, pour la simple raison que les appareils ont normalement aussi un mot de passe numérique ou alphanumérique. Si la vérification est non concluante, la feuille sur laquelle est inscrit le mot de passe est remise au voyageur qui veut entrer au Canada. Ce mot de passe n’est pas officiellement inscrit dans les notes des agents. Si des éléments de preuve ou du contenu prohibé sont trouvés, le mot de passe est officiellement inscrit dans les notes des agents pour les étapes subséquentes.

Comme on l’a mentionné, les agents ne peuvent examiner le contenu des appareils numériques personnels que lorsque la connectivité réseau est désactivée, ce qui veut dire que la fouille peut seulement porter sur ce qui se trouve dans l’appareil lui-même et exclut ce qui est stocké dans le nuage. Les agents des services frontaliers n’ont pas le droit d’accéder à des données stockées ailleurs.

Honorables sénateurs, c’est ainsi que procède actuellement l’Agence des services frontaliers du Canada, conformément à ses procédures internes. Les examens se limitent au contenu préoccupant lié au régime de la législation frontalière et aux sections des appareils et des données qui sont liées directement aux indicateurs ou aux préoccupations cernés par l’agent pendant son interaction avec le voyageur.

Les motifs de l’examen doivent être clairement expliqués, et il est essentiel de prendre de bonnes notes. Des rapports destinés à l’administration centrale de l’Agence des services frontaliers doivent aussi faire état de tous les examens portant sur des appareils numériques personnels, y compris le nombre d’examens, leur date et le point d’entrée où ils ont été faits.

L’établissement du nouveau seuil pour l’examen d’appareils numériques personnels prévu dans le projet de loi S-7 ne modifiera pas outre-mesure le travail des agents des services frontaliers. En effet, ils effectuent déjà leur travail en fonction de certaines restrictions bien qu’aucune loi ne l’exige.

L’Agence des services frontaliers a déjà pris l’initiative de mettre en place des mesures de protection afin de trouver un juste équilibre entre protéger la vie privée des personnes qui entrent au Canada et protéger la sécurité du Canada. La cour a d’ailleurs salué ces efforts dans l’arrêt R. c. Canfield. Je suis sûre que la mise en œuvre du régime législatif pourrait se faire facilement.

Bien que la décision de la cour ne s’appliquait qu’aux agents de l’Agence des services frontaliers du Canada de la province de l’Alberta, ces modifications législatives signifient que tous les agents de l’agence et les agents de prédédouanement américains opérant au Canada doivent avoir une préoccupation générale raisonnable pour entreprendre un examen d’appareils numériques personnels.

Le projet de loi S-7 est encore plus opportun, étant donné que, pas plus tard que la semaine dernière, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a aussi conclu à l’inconstitutionnalité de l’alinéa 99(1)a) dans deux affaires, R. c. Pike et R. c. Scott. Ces causes sont analogues à Canfield , en ce sens qu’il est question d’importation de pornographie juvénile dans les deux cas.

La cour de l’Ontario a décidé que son jugement serait coextensif à la décision rendue dans Canfield, en ce sens que sa suspension de la prise d’effet de la déclaration d’invalidité constitutionnelle prendrait fin le même jour que celle de l’Alberta.

Le pouvoir de procéder à un examen en cas de préoccupation générale raisonnable est assorti de limites précises, ce qui assure que l’examen est de nature réglementaire et est restreint au contenu présent dans l’appareil au moment du passage à la frontière.

Son Honneur la Présidente intérimaire

Honorables sénateurs, il est maintenant 18 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement et aux ordres adoptés le 25 novembre 2021 et le 31 mars 2022, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 19 heures, à moins que le Sénat ne consente à ce que la séance se poursuive. Si vous voulez suspendre la séance pendant une heure, veuillez dire « suspendre ».

J’ai entendu un « suspendre ». Nous reprendrons la séance à 19 heures.

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