Projet de loi sur l'apprentissage et la garde des jeunes enfants au Canada
Motion d'amendement
5 décembre 2023
Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :
Que le projet de loi C-35 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à l’article 8, à la page 6, par substitution, aux lignes 14 à 22, de ce qui suit :
« 8 (1) Le gouvernement du Canada s’engage à maintenir le financement à long terme des programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, notamment ceux destinés aux peuples autochtones et aux communautés de langue officielle en situation minoritaire.
(2) Ce financement doit être accordé principalement dans le cadre d’accords avec les gouvernements provinciaux et les corps dirigeants autochtones et autres entités autochtones qui représentent les intérêts d’un groupe autochtone et de ses membres. ».
En amendement, l’honorable sénateur Cormier propose, avec l’appui de l’honorable sénatrice Miville-Dechêne, que le projet de loi C-35 ne soit pas maintenant lu pour la troisième fois, mais qu’il soit modifié à l’article 8...
J’aimerais poser une question au sénateur Cormier.
Il reste très peu de temps. Sénateur Cormier, accepteriez-vous de répondre à une question?
Bien sûr.
Si je comprends bien, l’amendement propose une demande précise d’investissement de la part du gouvernement fédéral. Toutefois, est-ce que le projet de loi prévoit un mécanisme pour s’assurer que les francophones du Nouveau‑Brunswick ou les anglophones du Québec recevront ces sommes destinées spécifiquement aux communautés de langue officielle en situation minoritaire?
Je vous remercie de votre question. En fait, l’objectif principal de mon amendement à l’article 8 est de s’assurer que si un cas est porté devant le tribunal — puisque, historiquement, c’est de cette façon que les droits des minorités linguistiques ont avancé —, l’amendement vient protéger la question de l’interprétation si un cas devait être présenté en cour, étant donné qu’il y a une cohérence d’interprétation entre les articles 7 et 8. De plus, bien sûr, cela engage un financement à long terme pour le gouvernement fédéral. Merci.
Le temps alloué au débat est écoulé.
Honorables sénateurs, je crois fermement que tous les Canadiens doivent avoir accès à des services de garde pour leurs enfants dans la langue de leur choix, et que tous les gouvernements et toutes les administrations doivent avoir pour ambition d’offrir un jour un véritable accès à ces services aux communautés de langue officielle en situation minoritaire. Je suis persuadée que personne dans cette enceinte ne s’oppose à cette ambition.
Je tiens à vous remercier, sénateur Cormier, pour votre leadership sur ces questions et pour la passion avec laquelle vous défendez cet amendement. Même si je vais passer les prochaines minutes à exprimer mon profond désaccord avec vous, je vous respecte et je vous admire.
Comme je l’ai indiqué dans mes récentes observations, je ne suis pas d’accord avec les préoccupations que vous avez exprimées, sénateur Cormier, mais je les reconnais. Je suis d’avis que l’intention de ce projet de loi est d’inclure les communautés de langue officielle en situation minoritaire à long terme.
Chers collègues, je tiens également à vous rappeler que le projet de loi C-35 a été adopté avec l’appui de tous les partis à l’autre endroit. En outre, le projet de loi C-35 contient de nombreuses dispositions qui soulignent que le financement des services de garde d’enfants doit inclure des investissements pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire. L’alinéa 7(1)c) stipule que le financement doit appuyer :
[...] la prestation [...] de programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants [...] issus des minorités linguistiques francophones et anglophones, qui respectent et valorisent la diversité de tous les enfants et de toutes les familles et qui répondent à leurs besoins variés;
Selon le paragraphe 7(3), les investissements fédéraux concernant les programmes de garde des jeunes enfants doivent être guidés par la Loi sur les langues officielles. Le paragraphe 11(1) stipule que le ministre doit tenir compte de l’importance de former un Conseil comprenant des membres issus de communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Vous vous souviendrez que j’ai longuement parlé de l’article 7 lors de mon discours il y a quelques semaines. Cet article présente les règles d’engagement, autrement dit les modalités. À mon avis, c’est ce qui compte le plus.
À cet égard, je ne crois pas que l’amendement à l’article 8 serait utile — non seulement en raison du libellé existant de l’article 7, mais aussi parce que, de concert avec le libellé des ententes et les pressions politiques que tous les Canadiens peuvent exercer, ces facteurs offrent une protection adéquate aux communautés de langue officielle en situation minoritaire et une garantie de financement à long terme pour ces communautés.
Chers collègues, l’amendement à l’article 8 n’améliore pas cette réalité. En fait, l’assertion, en l’occurrence, est qu’il n’est pas garanti que les entités qui ne sont pas incluses dans l’article 8 vont bénéficier d’un financement malgré l’article 7. Si c’est le cas, est-ce que cela signifie que le financement destiné aux enfants handicapés ne serait pas garanti s’ils ne sont pas nommés dans l’article 8? Qu’en est-il des familles des collectivités rurales? Ce paragraphe de l’article 7 est-il insuffisant pour elles également? Si on suit ce raisonnement jusqu’au bout, cela signifie que les dispositions de l’article 7 sont inutiles et dénuées de sens.
Je crois qu’il est plus raisonnable de supposer que les principes directeurs pour le financement sont suffisants et que l’article 7 vise à assurer un financement continu pour les partenaires en fonction de l’orientation prévue dans cet article.
Permettez-moi de donner un exemple parallèle. Prenons la Loi canadienne sur la santé. Nous connaissons tous cette loi, qui énonce aux articles 7 à 12 les critères d’un transfert de fonds du gouvernement fédéral aux provinces. Je me souviens que l’article 5 se lit comme suit :
Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le Canada verse à chaque province, pour chaque exercice, une pleine contribution pécuniaire à titre d’élément du Transfert canadien en matière de santé [...]
Tout ce que cet article nous indique, c’est que des fonds seront versés. La manière dont ils seront versés figure dans d’autres parties du projet de loi. Veuillez noter que personne ne pense que certains types de financement ou que les fonds destinés à certains groupes ne sont pas garantis parce qu’ils ne figurent pas à l’article 5 de la Loi canadienne sur la santé, car nous savons que cet élément est traité dans d’autres articles, à savoir les articles 7 à 12.
Voilà l’objet de l’article 8 du projet de loi C-35. Il fait état de l’argent qui sera transféré. Les conditions, les règles d’engagement et les destinataires sont énoncés à l’article 7.
J’ai deux autres choses à mentionner, chers collègues. J’ai parlé des ententes. Vous vous souviendrez que, dans toutes les ententes — sauf pour le Québec, qui a une entente asymétrique —, il est indiqué que les communautés de langues officielle en situation minoritaire doivent avoir un nombre de places proportionnellement égal ou supérieur à leur proportion de la population.
De plus, je veux mentionner l’enveloppe de plus de 60 millions de dollars sur cinq ans qui est prévue pour l’éducation préscolaire et la garde des jeunes enfants dans les communautés francophones et minoritaires, et qui comprend en outre des montants pour former la main-d’œuvre par le truchement du plan d’action pour les langues officielles 2023-2028.
Je ne vais pas répéter tout ce que j’ai dit il y a quelques semaines, mais je tiens à souligner pour notre gouverne à tous que le projet de loi, dans sa forme actuelle, accomplit ce que cherchent à faire ceux qui souhaitent y apporter cet amendement. L’amendement est redondant et n’apporte aucune précision supplémentaire, à mon avis.
Je tiens à être claire : aujourd’hui, à peine deux ans après le lancement de ce régime pancanadien d’éducation préscolaire et de garde des jeunes enfants, bon nombre de familles ont encore beaucoup de difficulté à obtenir des services. Nous savons tous qu’un projet d’une telle ampleur mettra certainement une dizaine d’années à régler les problèmes d’accès.
Chers collègues, je suis convaincue que, dans sa forme actuelle, le projet de loi C-35 permettra à des générations de communautés de langue officielle en situation minoritaire d’avoir accès à des services de garde, pour dire les choses simplement. Nous ne le voyons peut-être pas encore. Cependant, si nous ressentons un sentiment d’urgence, comme je crois que nous le ressentons tous, alors amender ce projet de loi pour faire ce qu’il fait déjà et retarder sa sanction n’est pas la bonne décision.
Chers collègues, il est également important de souligner que cette question a déjà été étudiée. À la Chambre des communes, des intervenants ont présenté ces amendements. Bien que des modifications aient été apportées aux articles 7 et 11, cet amendement n’a jamais été déposé. Lorsqu’il a été présenté au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, il a été rejeté par 7 voix contre 4, avec 1 abstention.
Votre comité a entendu des heures de témoignages de personnes provenant de partout au pays — des experts, des universitaires, des exploitants de garderies, des dirigeants autochtones et d’autres personnes. Après avoir pris connaissance de ces renseignements et les avoir examinés pendant de nombreuses semaines, votre comité a voté contre cet amendement. Lorsque vous déciderez comment vous voterez sur cet amendement, veuillez tenir compte de la décision que votre comité a prise.
En ce qui concerne le caractère urgent de ce dossier, chers collègues, j’ai expliqué, il y a quelques semaines, ma réflexion pour décider si je voterai pour ou contre des amendements. Compte tenu de la situation politique à la Chambre des communes, la question est de savoir si l’adoption de cet amendement justifierait le fait de retarder l’adoption du projet de loi. Ces délais peuvent avoir des conséquences importantes.
Les délais créent de l’incertitude. Les provinces, les administrations autochtones, les communautés, les municipalités, les organismes sans but lucratif, les travailleurs en garderie, les parents et d’autres suivent nos travaux aujourd’hui. Les provinces et les territoires sont en train d’évaluer la fiabilité de leur partenaire fédéral. Les municipalités et les organismes sans but lucratif planifient la création de nouvelles places et le perfectionnement de leur main-d’œuvre. Les travailleurs se demandent s’ils vont avoir du soutien continu et si ce secteur mérite qu’ils y restent. Les parents se demandent s’ils doivent renoncer à leur rêve ou si les services de garde abordables deviendront bientôt réalité. Retarder ce projet de loi nuira considérablement au développement des services d’éducation préscolaire et de garde des jeunes enfants au Canada. Je considère que ce délai n’est pas nécessaire.
J’aimerais terminer en lisant la lettre à laquelle j’ai fait référence plus tôt, dans ma question. Plusieurs d’entre vous ont déjà vu cette lettre, car elle a été envoyée à tous les sénateurs au cours de la dernière semaine. Cette lettre est signée par plus de 20 défenseurs des services de garde, notamment des experts, des chercheurs, des administrateurs et des travailleurs dans le secteur de l’éducation préscolaire et de la garde des jeunes enfants de partout au pays :
Le mouvement des services de garde au Canada est composé d’un vaste ensemble d’organisations diversifiées. Toutes les parties exhortent les sénateurs à adopter le projet de loi C-35 à l’étape de la troisième lecture, sans autre amendement. Il y a plus de 50 ans déjà que la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme a recommandé que le gouvernement fédéral prenne immédiatement des mesures pour adopter une « loi sur les garderies et les crèches » afin de rendre des fonds fédéraux disponibles pour la mise sur pied et le fonctionnement des programmes de garde d’enfants. Nous avons assurément attendu assez longtemps pour l’adoption d’un tel projet de loi.
Nous sommes conscients que de nombreux organismes, dont certains du milieu des services de garde, ont proposé des amendements au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. La plupart tiennent compte d’importantes préoccupations liées à l’éducation préscolaire et à la garde d’enfants. Nous croyons qu’il faudrait s’attaquer à ces préoccupations non pas en amendant le projet de loi C-35, mais en renvoyant la question à un comité permanent. Nous jugeons qu’à cette étape, le projet de loi C-35 est assez solide pour assurer un accès équitable à des services de garde pour des générations à venir.
Chers collègues, je vous demande de ne pas retarder l’adoption du projet de loi C-35. Ne laissez pas une autre année commencer sans loi fédérale sur la garde des enfants.
Merci.
Sénatrice Moodie, merci de défendre le projet de loi. Cette mesure législative est une aspiration nationale depuis des décennies. Elle est maintenant à deux doigts de se concrétiser, et je vous félicite, vous et d’autres collègues, de l’avoir présentée ici. Nous devons toutefois bien faire les choses. Je pense que nous sommes tous d’accord là-dessus.
Vous dites que les principes directeurs énoncés à l’article 7 vous rassurent suffisamment. Le sénateur Cormier veut faire en sorte que les articles 7 et 8 soient dépourvus de toute ambiguïté juridique. Il s’agit de deux articles distincts qui suscitent une certaine confusion. J’ai remarqué que vous avez invoqué la Loi canadienne sur la santé, qui est probablement la référence par excellence en matière de loi embrouillée, et les querelles entourant la Loi canadienne sur la santé ne me rassurent pas beaucoup.
Je pense au projet de loi C-48, dont il a été question la semaine dernière ou l’autre d’avant. Nous avons approuvé un amendement, et il a été envoyé à l’autre endroit. D’après ce que je comprends, il est maintenant revenu. On a procédé assez rapidement. Disons que l’amendement est adopté. Ma question est la suivante : pourquoi devrions-nous craindre de torpiller le projet de loi si nous apportons cette amélioration?
Je ne crois pas que cela torpillerait le projet de loi. Je n’ai jamais affirmé cela. Je suis d’avis que les retards entrainent de l’incertitude. J’estime toutefois que le Sénat a pour tâche d’apporter toutes les améliorations possibles. Le sénateur Cormier a présenté ses arguments en comité et au Sénat.
Je vais conclure ainsi : il appartiendra à l’ensemble du Sénat, dans sa sagesse, d’en juger.