L'apport commercial et économique des entreprises autochtones à l'économie du Canada
Interpellation--Suite du débat
13 février 2024
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui dans le cadre de la très importante interpellation du sénateur Klyne, qui cherche à souligner la contribution à notre économie des entreprises détenues et contrôlées par des Autochtones. Je crois qu’il s’agit d’une interpellation extrêmement importante, car nous parlons et débattons souvent de questions de réconciliation, mais nous oublions souvent l’importance de la contribution économique des Canadiennes et Canadiens autochtones.
Le développement de ces entreprises aide à renforcer les collectivités, à créer des emplois et à améliorer les économies locales, non seulement pour les Premières Nations, mais aussi pour la région environnante et même au-delà. Dans le cadre de cette interpellation, je crois qu’il est important de souligner l’innovation que nous constatons dans les approches que les Premières Nations adoptent pour développer et faire croître leurs entreprises.
Je tiens à remercier le sénateur Klyne, qui a lancé cette interpellation, ainsi que tous les sénateurs qui ont pris la parole. Tout cela enrichit nos connaissances. Bien sûr, au cours des trois dernières décennies, j’ai été témoin de la montée des entrepreneurs autochtones, mais si ce n’était de cette interpellation, je n’aurais pas fait les recherches nécessaires pour bien comprendre les répercussions économiques que ces entrepreneurs ont sur leurs collectivités, la génération à venir et notre région.
Je vais commencer par la région de l’Atlantique, puis je passerai plus précisément à mon coin de pays, comme on dit.
Les dernières données publiées par le Conseil économique de l’Atlantique pour 2020 indiquent ce qui suit à propos de l’apport des communautés et des entreprises autochtones dans la région : une contribution directe de 3,6 milliards de dollars au PIB avec des retombées indirectes de 5,6 milliards de dollars; plus de 3 % du PIB de l’Atlantique; 1,2 milliard de dollars en recettes fiscales directes, à la fois fédérales, provinciales et municipales; 800 entreprises détenues par des Autochtones qui emploient 56 000 Canadiens de la région, soit 5 % de tous les emplois.
Honorables sénateurs, comme vous pouvez le constater avec les données ci-dessus, les communautés et les entrepreneurs autochtones des provinces de l’Atlantique apportent d’énormes contributions à notre économie. Ces résultats ont été rendus possibles parce qu’on a supprimé les obstacles et les préjugés, qu’on a reconnu les erreurs du passé et qu’on y a fait face, et qu’on a offert aux Autochtones leurs propres parcours. Si on donne des ailes à quelqu’un, il prendra son envol.
Plus près de chez moi, les entreprises et les communautés autochtones du Nouveau-Brunswick font les contributions suivantes : un apport direct de 700 millions de dollars au PIB, ce qui représente des retombées de 1,2 milliard de dollars; 2 % du PIB du Nouveau-Brunswick; 300 entreprises appartenant à des Autochtones; 12 000 emplois directs; 200 millions de dollars en recettes fiscales directes, fédérales, provinciales et municipales; et 1 300 travailleurs autonomes autochtones.
Je suis consciente que pour certains, cela peut sembler négligeable, mais dans une petite province comme le Nouveau-Brunswick, c’est beaucoup.
Il y a 17 270 membres de Premières Nations au Nouveau-Brunswick, soit 10 014 dans les réserves et 7 256 hors réserve. Les Premières Nations du Nouveau-Brunswick ont très bien réussi à stimuler la croissance économique de leurs collectivités et de ceux qui habitent autour de celles-ci. Je ne pourrai pas énumérer toutes les entreprises autochtones de la province aujourd’hui, mais je crois qu’il y en a quelques-unes qui montrent comment l’innovation et le dynamisme mènent à la réussite économique.
Red Island Contractors Inc. est une entreprise autochtone prospère dans la Première Nation de Tobique. Tobique est l’une des six Premières Nations malécites. Elle est située sur la rive nord de la rivière Tobique, près de la frontière avec le Maine. Elle compte 2 640 habitants inscrits, dont environ 1 600 vivent dans les réserves. L’entreprise Red Island Contractors Inc. est dirigée par Dana Francis et Beaver Paul, qui sont membres de la Première Nation de Tobique.
Ils élaborent des projets de construction sur le territoire traditionnel de la Première Nation et fournissent des conseils en gestion de la conception à la mise en service. Ils visent à faire avancer des projets ayant pour objectif d’assurer le développement économique, le respect des collectivités et de l’environnement, ainsi que le mentorat, l’apprentissage et le développement des métiers dans les collectivités.
Voici quelques-uns des projets auxquels ils ont participé : le Tobique First Nation Health Centre; le Tin’wis Resort Laundry and Workers Dormitory à Tofino, en Colombie-Britannique; le Marina Resort à Sooke, en Colombie-Britannique; et le projet Turtle Dome sur le territoire de la Première Nation de Neqotkuk.
Red Island Contractors Inc. a bien réussi à intégrer les perspectives des Canadiens autochtones dans leurs projets, notamment l’importance de la communauté et de l’environnement.
L’Initiative conjointe de développement économique, ou ICDE, est une organisation autochtone du Nouveau-Brunswick qui collabore avec les communautés et les gouvernements provincial et fédéral. Son objectif est de soutenir et d’accroître la participation des Autochtones à l’économie néo-brunswickoise.
L’initiative aide des communautés et des entreprises en développant les capacités, en soutenant des projets et en offrant des possibilités de réseautage et d’apprentissage. Elle offre aux entrepreneurs de nombreux programmes pour les aider à lancer et à faire croître leur entreprise. Je pense notamment à l’Indigenous Business Incubator Program, qui aide de nouvelles entreprises à prendre de l’expansion et offre aux entrepreneurs un programme de formation en ligne de 10 semaines sur le marketing, la tenue des comptes et le commerce électronique. C’est très progressiste.
L’Initiative conjointe de développement économique offre également du financement et des subventions à plusieurs programmes d’investissement dans les entreprises. Le perfectionnement de la main-d’œuvre fait partie du mandat de l’initiative. Elle offre à cette fin des programmes de littératie, de mentorat, de stages, d’apprentissage et de coordination.
L’initiative s’est avérée être un outil inestimable pour les communautés autochtones en plein essor du Nouveau-Brunswick.
Rapprochons-nous maintenant de chez moi et de ce qui me tient plus à cœur, car je voudrais parler de la Première Nation malécite du Madawaska. Située le long de la rivière Saint-Jean, dans le Nord du Nouveau-Brunswick, la Première Nation malécite du Madawaska compte 378 membres, dont 155 qui vivent dans la réserve. Vous imaginez la taille de la réserve, mais attendez de voir ce qu’ils ont fait.
À l’époque où j’étais une jeune députée de la province du Nouveau-Brunswick, à la fin des années 1980, nous étions occupés à planifier — pour ensuite construire — la route transcanadienne à quatre voies. Comme cette route allait séparer la portion nord du territoire de la Première Nation malécite du Madawaska de la portion sud, les membres de la Première Nation ont demandé la construction d’un viaduc reliant les deux parties du territoire. Le viaduc a été construit. Cependant, pendant des années, aucune route et aucune bretelle n’étaient reliées au viaduc.
Entre en scène mon amie Joanna Bernard, la première femme à devenir cheffe de la Première Nation malécite du Madawaska en 2003. Son leadership a donné l’impulsion à un plan global de développement économique pour le nord du territoire de la Première Nation le long de la transcanadienne. Si vous vous y rendez, vous verrez ce qu’on appelle le Grey Rock Entertainment Centre.
Situé sur un terrain de 36 hectares, le site compte une station‑service où s’arrêtent chaque jour plus de 15 000 véhicules qui passent par la route transcanadienne. On y trouve également un centre commercial regroupant des boutiques, des restaurants, un casino, un concessionnaire Ford, un concessionnaire de véhicules tout-terrain et, depuis peu, un hôtel relié au casino. Je suis vraiment fière de ce que la Première Nation a fait là-bas.
Le Grey Rock Entertainment Centre emploie plus de 300 personnes de la région — je vous ai dit que 378 personnes vivent dans cette réserve — et stimule grandement l’économie locale, que ce soit celle de la Première Nation des Malécites du Madawaska ou celle de la région d’Edmundston. Cette collectivité malécite relativement petite de 378 habitants compte probablement le plus grand nombre d’entrepreneurs par habitant de tout le Canada. La plupart des entreprises sont détenues et exploitées par des personnes ayant des noms de famille comme Bernard, Wallace et Simon.
Je vais commencer par les Bernard. Oui, mon amie Joanna a été une cheffe exemplaire. Sa sœur Patricia, qui est la cheffe actuelle, lui a emboîté le pas. Patricia est propriétaire et exploitante de Greco Pizza, tandis que Joanna est actuellement cheffe régionale de l’Assemblée des Premières Nations et a été cheffe nationale intérimaire de l’Assemblée des Premières Nations jusqu’à la dernière élection. Leur grand frère, John Bernard, est propriétaire‑exploitant du casino et du concessionnaire de véhicules tout-terrain de Grey Rock. De plus, John Bernard est également propriétaire‑exploitant de l’entreprise de TI Donna Cona, ici à Ottawa, qui emploie plus de 2 000 personnes et qui fournit des services de TI partout au pays. John Bernard a reçu en 2021 un prix d’excellence pour l’ensemble de ses réalisations du Conseil canadien pour l’entreprise autochtone.
Parlons maintenant des Wallace, et plus particulièrement de Vicky Wallace. Vicky a un diplôme en droit, qui lui est très utile pour mener ses nombreux projets d’affaires. En compagnie de son mari, Marco Godbout, elle est propriétaire-exploitante du Burger King et de la station-service et dépanneur Shell de Grey Rock. Le couple est également propriétaire de la station de radio locale, Frontière FM, et d’autres entreprises de la région. De plus, Vicky et Mario font du bénévolat auprès de nombreux organismes communautaires.
Honorables sénateurs, j’espère que j’ai réussi à vous démontrer à quel point j’apprécie et je respecte les dirigeants et les entrepreneurs de la Première Nation malécite du Madawaska.
En conclusion, je souhaite m’exprimer de manière plus générale pour souligner certains aspects des entreprises autochtones qui sont au cœur de leur réussite, dont les Canadiens doivent absolument s’inspirer et qu’ils doivent appliquer dans leurs propres entreprises.
L’un des aspects importants d’une stratégie commerciale pour les Premières Nations est la place accordée à l’environnement et à la relation des gens avec la terre. Les Premières Nations sont les gardiennes de la terre, et cela se reflète dans leurs entreprises. Leurs réussites montrent que le développement économique et l’environnement ne sont pas forcément en opposition, mais qu’ils peuvent au contraire s’avérer mutuellement bénéfiques. La durabilité, la bonne gestion des ressources naturelles et l’intégration symbiotique des activités d’exploitation et de préservation de l’environnement sont des éléments qui ont toujours été importants pour les communautés autochtones.
Chers collègues, il reste environ une minute à mon discours. Puis-je disposer d’une minute supplémentaire?
Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Merci. Dans le cadre de cette interpellation, nous devrions également prendre le temps de mentionner les obstacles auxquels les entreprises autochtones peuvent se heurter, ainsi que d’examiner et d’aborder comment nous pouvons accroître davantage les débouchés. Nous avons notamment entendu dire que si le gouvernement fédéral fait beaucoup pour aider les gouvernements des Premières Nations, les possibilités d’aide aux entreprises autochtones privées sont beaucoup moins nombreuses. Je pense qu’il y a des efforts à faire dans ce domaine.
Nous avons aussi entendu qu’il est difficile d’obtenir des cautionnements en vue de soumissionner pour des contrats fédéraux et d’autres contrats privés, même quand les propriétaires possèdent des actifs considérables. Les sociétés de cautionnement n’émettent pas de cautionnements, car l’article 89 de la Loi sur les Indiens interdit la saisie des biens des propriétaires. Cette situation limite l’accès aux programmes et constitue un obstacle majeur à l’expansion de ces entreprises.
Dans le cadre de cette interpellation et de nos prochaines démarches, nous devrions également nous pencher sur ces questions et sur les moyens d’améliorer l’accès des entreprises autochtones privées aux capitaux, aux subventions et aux cautionnements.
Je crois aussi qu’une vaste campagne de communication doit être menée à l’échelle du pays pour renseigner tous les citoyens sur la fiscalité des particuliers et des entreprises autochtones. Trop souvent, j’entends des Canadiens critiquer sans connaître les faits. Il faut y mettre fin. Je pense que le Sénat peut faire son travail pour que les gens soient mieux informés sur cette question.
Je n’ai cité que quelques-unes des nombreuses entreprises autochtones prospères du Nouveau-Brunswick; il y en a beaucoup d’autres. Leur réussite profite à leur collectivité et aux autres collectivités de la région.
Encore une fois, je tiens à remercier le sénateur Klyne de cette interpellation et de m’avoir permis de parler de cette question. Merci.