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Projet de loi sur la protection financière pour les producteurs de fruits et légumes frais

Projet de loi modificatif--Seizième rapport du Comité des banques, du commerce et de l'économie--Débat

3 décembre 2024


L’honorable Tony Loffreda [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape du rapport pour donner mon opinion sur le projet de loi C-280, qui vise à offrir aux producteurs de fruits et légumes des protections supplémentaires au titre de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

Aujourd’hui, je me prononce en faveur du rapport du Comité des banques sur le projet de loi C-280. Comme vous le savez, le projet de loi a été amendé en comité grâce à deux amendements du sénateur Varone, qui ont été adoptés par sept voix contre quatre.

Honorables collègues, permettez-moi d’abord de rétablir les faits. Malgré ce qui a été dit dans cette enceinte, le Comité des banques n’a pas essayé :

... une deuxième fois de faire adopter les mêmes amendements déjà rejetés par les personnes à qui nous devons renvoyer le projet de loi.

Ces amendements n’ont pas été officiellement présentés à l’autre endroit. Je crois comprendre, comme le sénateur MacDonald l’a souligné, que la Chambre a examiné la définition de « fournisseur » et la portée de l’application, et qu’elle a finalement choisi de ne pas proposer d’amendements.

Il est faux de prétendre que les sénateurs du Comité des banques ont adopté des amendements qui ont été rejetés à l’autre endroit. Nous n’avons rien fait de tel.

Lorsqu’il a comparu devant le Comité des banques, le parrain du projet de loi a fourni l’explication suivante au sujet du projet de loi C-280 :

Ce projet de loi vise à établir un mécanisme de protection financière, une fiducie réputée limitée, pour s’assurer que les producteurs de fruits et légumes frais sont payés en cas de faillite de l’acheteur.

Le soutien dont bénéficie ce projet de loi est apparu très clairement dans les propos de la présidente du comité lorsqu’elle a parlé de notre rapport le 19 novembre. J’ai relevé quatre références qui soulignaient le soutien accordé au projet de loi dans sa forme originale. Il n’a toutefois pas été question de points de vue opposés. C’est pourquoi je ressens le besoin de dire quelques mots en ma qualité de vice-président du comité.

Je crois aussi que les sénateurs ont pu être quelque peu induits en erreur quand la présidente du comité a présenté de nouveaux éléments de preuve lorsqu’elle parlait du rapport. En effet, le comité a bien reçu une lettre du président du Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes, comme la sénatrice l’a mentionné dans son discours. Il m’apparaît utile de préciser que nous avons procédé à l’étude article par article le 31 octobre. La lettre dans laquelle le comité de la Chambre des communes nous demande d’adopter le projet de loi sans amendements est datée du 5 novembre.

Je le mentionne simplement pour fournir quelques précisions sur les délibérations du comité. Nous n’avons pas tenu compte de la lettre en question parce qu’elle ne faisait pas partie des éléments de preuve que nous avions. Elle n’aurait probablement rien changé au résultat du vote, de toute façon. Je trouve un peu gênant que la présidente du comité ait présenté des renseignements que nous avons reçus après notre étude. Plusieurs personnes se sont aussi demandé si c’était acceptable.

Malgré ce qui a été dit, le projet de loi suscite une forte opposition. Des détracteurs et certains témoins entendus par le comité soutiennent que la mise en œuvre d’une fiducie réputée pourrait perturber l’ordre établi parmi les réclamations des créanciers, ce qui pourrait désavantager certains dans les procédures de faillite. Les nouvelles fiducies réputées peuvent avoir des répercussions sur l’ensemble du système d’insolvabilité. En outre, les complexités administratives et les coûts associés à l’exécution d’une telle fiducie suscitent des inquiétudes.

Je veux maintenant aborder deux points supplémentaires.

Tout d’abord, et c’est le plus important, il y a la question de la réciprocité avec les États-Unis. Plusieurs témoins ont exprimé une vive inquiétude à cet égard en comité.

Deuxièmement, au sujet de l’incidence sur les opérations et les conséquences involontaires du projet de loi C-280, plusieurs témoins ont exprimé des inquiétudes. On peut lire ce qui suit dans une lettre d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada :

Plus précisément, les super-priorités et les fiducies réputées ont modifié les règles des marchés des créanciers et ont entraîné des pertes accrues pour tous les autres créanciers.

Je ne répéterai pas ce que le sénateur Varone et d’autres ont dit au cours de leurs interventions la semaine dernière, mais je voudrais dire quelques mots sur la réciprocité.

Nous savons que le secteur réclame la réciprocité depuis 2014, lorsque le Canada a été exclu de la Perishable Agricultural Commodities Act, ou PACA, parce que, comme un témoin nous l’a dit, l’accès aux producteurs canadiens a été « [...] annulé en raison de l’absence d’un programme de garantie de paiement semblable ici au Canada. »

Le même témoin de l’organisme Ontario Greenhouse Vegetable Growers a ajouté :

L’adoption du projet de loi C-280, tel que présenté, rétablirait la réciprocité pour les Canadiens, garantirait leurs paiements, assurerait leur compétitivité et éviterait tout effet négatif sur la chaîne d’approvisionnement.

Cependant, à ma connaissance, on ne m’a toujours pas fourni de preuve concrète ou de garantie formelle que la réciprocité sera rétablie avec le projet de loi C-280.

Le 23 octobre, un représentant du gouvernement nous a dit ce qui suit au sujet des États-Unis :

Il y a eu des discussions informelles au sujet de ce projet de loi et de la question de savoir s’il pourrait être considéré comme étant réciproque relativement à la PACA, mais je sais qu’aucune garantie officielle n’a été demandée à cet égard.

Une semaine plus tard, lorsque nous avons procédé à l’étude article par article, la sénatrice Martin a demandé à Tom Rosser, sous-ministre adjoint à Agriculture et Agroalimentaire Canada, si le projet de loi rétablirait l’équivalent du mécanisme de règlement des différends de la Perishable Agricultural Commodities Act pour les producteurs canadiens.

M. Rosser a répondu :

[I]l reste à voir si le projet de loi initial serait reconnu comme étant équivalent par les autorités américaines. Nous ne leur avons pas officiellement demandé leur avis à ce sujet.

En réaction à l’amendement proposé par le sénateur Varone, M. Rosser a ajouté que, selon lui, « la probabilité que cela se produise pourrait être atténuée par les amendements proposés ». Il a ajouté ceci :

C’est une question de probabilité. Il n’y a aucune garantie que cela va se produire que le projet de loi soit amendé ou non.

Je pense que cette affirmation est tout à fait pertinente dans le cadre de notre débat.

Plus récemment, nous avons reçu une lettre de Bruce Summers, administrateur du programme des services de commercialisation agricole du département de l’Agriculture des États-Unis, qui soulève certaines préoccupations concernant les amendements au projet de loi C-280. Il soutient que les amendements « semblent limiter la portée des protections prévues par le projet de loi C-280 en révisant la définition d’une personne », ce qui est incompatible avec la définition contenue dans la Perishable Agricultural Commodities Act.

Je suis heureux d’avoir pu prendre connaissance de son point de vue, dont nous avons seulement été informés le 18 novembre par l’intermédiaire du sénateur Colin Deacon. La lettre de M. Summers est datée du 7 novembre, une semaine après notre étude article par article.

M. Summers avait été invité à comparaître devant notre comité, mais il a refusé, invoquant ses craintes d’ingérence par un Parlement étranger.

Soit dit en passant, nous avons aussi entendu la semaine dernière que certains hauts responsables de l’agriculture ont accueilli avec enthousiasme la perspective du projet de loi C-280. Pourtant, on nous a dit qu’il n’y avait aucune garantie concernant la réciprocité. Il est probable, mais pas garanti, que nous obtiendrons la réciprocité si le projet de loi reçoit la sanction royale.

Chers collègues, la question de la réciprocité est importante. Nous n’avons reçu aucune assurance formelle que le projet de loi — dans sa forme originale ou amendée — permettra d’atteindre cet objectif. Étant donné que ce projet de loi a été présenté en juin 2022, je me demande pourquoi nous n’avons pas encore demandé ou reçu de confirmation de la part de nos homologues américains concernant la réciprocité.

Je veux également parler des répercussions opérationnelles et des conséquences imprévues que pourrait avoir le projet de loi. Mes préoccupations sont de deux ordres.

Tout d’abord, je voudrais parler des difficultés liées au fait de donner la priorité aux agriculteurs par rapport aux autres créanciers. Si cette mesure protège les producteurs, elle pourrait susciter des inquiétudes chez tous les autres créanciers, qui risqueraient désormais davantage de ne pas recouvrer leurs fonds.

Le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes a produit un rapport en 2020 intitulé Faire face à l’imprévu : Renforcer les programmes de gestion des risques des entreprises agricoles et agroalimentaires.

Dans l’une des 15 recommandations du rapport, le comité recommande que le gouvernement :

[...] mette en œuvre une fiducie statutaire présumée pour offrir une protection financière aux producteurs et aux vendeurs de fruits et légumes si les acheteurs deviennent insolvables ou font faillite.

Dans sa réponse officielle au rapport, datée de mars 2021, le gouvernement fédéral a écrit :

Avec une fiducie présumée, un vendeur de fruits et légumes frais impayé bénéficierait d’avantages considérables par rapport à la majorité des autres créanciers d’un acheteur de fruits et légumes frais insolvable. Avec cette fiducie présumée qui est proposée, non seulement les vendeurs de fruits et légumes frais seraient payés avant les créanciers garantis, mais ils seraient également payés avant les superpriorités qui ont été mises en place pour le bien public, y compris les fiducies présumées pour les retenues à la source des employés et les superpriorités limitées pour les salaires impayés et les cotisations régulières au régime de retraite impayées.

Dans son mémoire à notre comité, l’Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation a résumé son point de vue comme suit :

[...] la mesure proposée visant à protéger les fournisseurs de fruits et légumes périssables entrerait en conflit avec les mécanismes de protection qui ont été mis en place jusqu’à maintenant par le législateur pour protéger les créanciers vulnérables ou faire avancer les préoccupations en matière de politique sociale, et pourrait même les contrecarrer.

Avec le projet de loi C-280, les producteurs auraient désormais la priorité sur les autres créanciers. Cela a été confirmé par de récentes affaires judiciaires, contrairement à ce que nous avons entendu la semaine dernière dans cette enceinte.

Cela aurait pour effet pervers de donner la préséance au dédommagement des producteurs plutôt qu’aux paiements au gouvernement du Canada, à la fiducie présumée pour les retenues à la source des employés, aux droits prioritaires pour les salaires impayés et aux droits prioritaires pour les cotisations au régime de retraite impayées — des droits que nous avons récemment affirmés avec l’adoption du projet de loi C-228, en avril 2023.

Je m’inquiète également de la création d’un précédent. Je comprends que les producteurs de fruits et de légumes périssables se trouvent dans une situation unique, mais je crains que d’autres secteurs ne cherchent à bénéficier des mêmes mesures de protection en invoquant des risques semblables de perte de produits en cas de non-paiement. Cette situation pourrait accroître les pressions pour que l’ordre des créanciers soit modifié, ce qui risquerait de complexifier le cadre régissant les faillites au Canada et de modifier davantage l’évaluation des risques par les prêteurs.

Ce qui m’amène à mon deuxième argument : l’accès au capital comporte des risques si nous accordons un statut de priorité absolue aux producteurs.

Dans sa réponse au rapport du comité de la Chambre, le gouvernement a déclaré ce qui suit :

Une fiducie présumée aurait des répercussions importantes sur le marché du crédit et les services de recouvrement par une tierce partie créancière. La fiducie présumée réduirait les garanties pour le prêteur à l’avantage des vendeurs de fruits et légumes frais, ce qui aurait de manière générale pour effet de réduire l’accès au crédit et/ou d’augmenter les frais de crédit dans le secteur des fruits et légumes frais. Les prêteurs réduiraient sans doute le crédit offert aux vendeurs de fruits et légumes frais pour satisfaire d’autres demandes de crédit, ce qui se traduirait probablement par des modalités et conditions plus onéreuses imposées par les prêteurs et les fournisseurs pour les futures transactions avec le secteur des fruits et légumes frais.

C’est ce qu’affirme le gouvernement.

Le point de vue du gouvernement a été partagé par d’autres témoins devant le comité, y compris le Bureau du surintendant des faillites, dont la représentante a déclaré :

Les politiques, comme la fiducie réputée du projet de loi C-280, qui feraient en sorte que certains créanciers seraient payés davantage, font par définition perdre davantage à d’autres créanciers. Cela peut avoir une incidence sur le crédit, car les prêteurs tiennent compte des attentes de remboursement en cas d’insolvabilité lorsqu’ils décident s’ils accorderont du crédit et à quelles conditions.

Voici ce qu’a répondu à une de mes questions Miranda Killam, surintendante associée :

Les mesures proposées dans le projet de loi augmentent le risque pour les prêteurs, parce qu’il est possible de trouver un autre créancier avec une fiducie réputée d’un montant inconnu qui sera payé en premier […]

Je suis d’accord avec l’évaluation de Mme Killam. C’est une réalité, et les témoignages que nous avons entendus en comité le confirment.

Dans le cas d’un prêt hypothécaire ou d’autres biens immobiliers — même un voilier —, il est correct que le premier à enregistrer la créance ait la priorité. Cependant, il existe des créances prioritaires et elles doivent être remboursées dans le cas de prêts garantis par un fonds de roulement, ce que l’on appelle communément des « charges flottantes », comme des comptes débiteurs et des stocks, comme des fruits et légumes, ainsi que des comptes débiteurs relatifs à ces fruits et légumes. Cela a également été confirmé récemment par les tribunaux : les fiducies réputées passent avant les créanciers garantis.

Chers collègues, en conclusion, permettez-moi de résumer et de répéter trois points :

Premièrement, le projet de loi C-280 ne garantit pas la réciprocité avec la Perishable Agriculture Commodities Act.

Deuxièmement, le projet de loi C-280 crée un nouveau précédent en établissant un statut prioritaire que l’on peut considérer comme injuste et qui a préséance sur celui des autres créanciers, comme les salaires des employés. Les travailleurs sont importants et ont préséance sur d’autres créanciers.

Troisièmement, permettez-moi de citer Innovation, Sciences et Développement économique Canada :

Le projet de loi C-280 propose un traitement exceptionnel pour un groupe industriel précis sans preuve de préjudices exceptionnels découlant de pertes dues à l’insolvabilité comparativement à des créanciers dans la même situation. Les pertes sont négligeables dans l’industrie. Cela mine les principes fondamentaux de l’insolvabilité, notamment le traitement équitable des créanciers dans la même situation et la reconnaissance que les droits des créanciers sont tout aussi prioritaires, que ce soit en situation d’insolvabilité ou non.

Honorables sénateurs, j’espère que vous tiendrez compte de mes observations dans votre réflexion sur l’adoption du 16e rapport du Comité des banques, qui porte sur le projet de loi C-280.

Merci, meegwetch.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ + ]

Sénateur Loffreda, dans votre discours, vous avez dit que nous n’avons reçu aucune assurance que nous bénéficierons d’une réciprocité grâce au projet de loi C-280. D’ailleurs vous l’avez répété à la fin de votre discours. En revanche, nous avons certainement reçu l’assurance que nous n’atteindrons pas la réciprocité si cet amendement est adopté. On nous l’a assuré. Est-ce important à vos yeux, sénateur Loffreda, ou tenez-vous uniquement à remporter le débat plutôt qu’à faire en sorte que les agriculteurs en ressortent gagnants?

Le sénateur Loffreda [ + ]

Je vous remercie de la question, sénateur Plett. Nous souhaitons tous que les agriculteurs en ressortent gagnants, mais nous voulons un projet de loi qui atteindra l’objectif visé et l’objectif qui s’impose.

Malheureusement, nous n’avons pas entendu que la réciprocité sera atteinte avec le projet de loi, ni dans sa forme initiale ni dans sa forme amendée. Toutefois, le projet de loi amendé est une bien meilleure...

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénateur Loffreda, deux autres sénateurs aimeraient poser une question. Demandez-vous du temps supplémentaire?

Le sénateur Loffreda [ + ]

Je pourrais rester ici toute la journée et toute la nuit, sans problème.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Son Honneur la Présidente [ + ]

J’ai entendu un non.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du rapport du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie sur le projet de loi C-280, amendé par les membres du comité.

Essentiellement, le projet de loi C-280 tente de faire entrer une cheville carrée dans un trou rond. Dans mon intervention, j’essaierai de clarifier ce que j’entends par là. C’est que nous parlons de deux systèmes complètement différents, celui du Canada et celui des États-Unis.

Au début des réunions du Comité sénatorial des banques sur le projet de loi C-280, la plupart des membres étaient prêts à recommander que ce projet de loi ne soit pas adopté par le Sénat. Ce projet de loi prétend créer une réciprocité pour les producteurs américains de fruits et légumes. Il ne s’agit pas d’un miroir, mais d’un miroir déformant qui brouille la question centrale.

Le but de ce projet de loi est de fournir, en cas de faillite, un statut prioritaire aux producteurs de fruits et légumes frais et surgelés et à toutes les entités de cette chaîne. D’emblée, il faut savoir que le projet de loi entend protéger bien d’autres intervenants en plus des agriculteurs.

Toutefois, je salue le sénateur Varone qui a présenté deux amendements visant, d’une part, à définir ce qu’est un fournisseur et, d’autre part, à élever la position des agriculteurs dans la hiérarchie de la protection contre la faillite.

D’emblée, en cas d’insolvabilité, il y a deux composantes dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. La première est la distribution juste et équitable des ressources entre les parties en cas de faillite. La deuxième est la promotion de la restructuration pour que les entreprises puissent essayer de poursuivre leurs activités.

Le projet de loi C-280 ne contient aucune disposition en cas de restructuration. C’est la première d’une série de failles que je vais exposer aujourd’hui.

Actuellement, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité prévoit des réclamations pour tous les agriculteurs, pêcheurs et aquiculteurs. Un statut prioritaire est accordé à ces réclamations par l’intermédiaire d’une sûreté légale, parce que ces demandeurs sont considérés comme étant plus vulnérables que d’autres catégories de fournisseurs. Notez que, dans ce groupe, il y a les pêcheurs. Le projet de loi C-280 n’élève le statut que pour les fruits et légumes périssables. La nature périssable du poisson n’est pas reconnue dans ce groupe.

Ce fait a des effets particulièrement négatifs sur les produits de la pêche du Canada atlantique, du Québec et de la Colombie-Britannique puisque le secteur se retrouve automatiquement plus bas dans l’ordre des réclamations. C’est une autre lacune du projet de loi C-280 dans le contexte canadien de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

J’en aurais long à dire : 15 minutes, c’est court.

Prétendre que le projet de loi C-280 permettra de créer une réciprocité pour les producteurs de fruits et légumes, c’est comme essayer de faire entrer une cheville carrée dans un trou rond, comme je le disais plus tôt. Comparer le système de la Perishable Agricultural Commodities Act du département américain de l’Agriculture aux dispositions du projet de loi C-280, c’est, en fait, comparer des pommes et des oranges.

Le projet de loi C-280 tente de réécrire la loi canadienne pour protéger les producteurs américains et d’écrire la loi américaine pour protéger les producteurs canadiens. Or, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité offrirait alors une meilleure protection, par rapport à toutes les autres réclamations, pour plus de 6 milliards de dollars de produits américains qui entrent aux pays contre le 1,5 milliard de dollars de fruits et légumes frais que les Canadiens exportent aux États-Unis.

La fiducie prévue par le système de la Perishable Agricultural Commodities Act du département américain de l’Agriculture est une véritable fiducie. Des fonds doivent être affectés en amont. Ces fonds sont ensuite utilisés dans le cadre des procédures de règlement des litiges. Il ne s’agit pas seulement de disposer de fonds pour les cas d’insolvabilité. Ce n’est qu’un des types de cas qui sont couverts.

Si des fonds ont été spécifiquement affectés à un compte en fiducie distinct, cela assure le paiement en cas d’insolvabilité. La Perishable Agricultural Commodities Act, ou PACA, prévoit aussi un processus de règlement des différends si, par exemple, on remet en question la qualité ou le grade d’un produit expédié. Il existe alors un processus afin de déterminer la nature de la réclamation contre la fiducie véritable et de la régler.

La protection aux termes de la PACA est une véritable fiducie. Elle oblige les acheteurs de fruits et de légumes à détenir le produit d’une vente dans un compte en fiducie. C’est ce compte qui est distribué. J’espère que vous comprenez la distinction fondamentale.

Le projet de loi C-280 ne prévoit pas de processus similaire. Il n’y a même pas de cheville. Des études menées à ce sujet au Canada indiquent que la majorité des problèmes de paiement dans le secteur des fruits et des légumes frais sont dus à la lenteur des paiements, à des paiements partiels ou à une absence de paiement de la part des acheteurs. La PACA prévoit aussi un système de permis pour tous les intervenants de la chaîne à l’exception du producteur. Cette chaîne ne concerne que les échanges entre États et les exportations. Elle ne s’applique pas à l’intérieur d’un même État.

La licence est également subordonnée au paiement de la facture dans un délai de 10 à 12 jours, faute de quoi des pénalités sont appliquées. Si un titulaire de licence reçoit plusieurs pénalités, on lui retire sa licence en vertu de la PACA. L’objectif est de retirer les entités indésirables du système de fiducie. Il s’agit d’un concept complètement différent de celui que nous avons. Nous n’avons pas de système de licence au Canada qui permet de retirer les éléments indésirables du système. Ces éléments indésirables se verraient accorder un statut plus élevé en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

À l’heure actuelle, notre Loi sur la faillite et l’insolvabilité ne prévoit aucune réclamation commerciale privée en tant que fiducie réputée prévue par législation. Notre fiducie réputée est destinée à l’État, pour les retenues à la source des employés, telles que l’impôt sur le revenu, les cotisations d’assurance-emploi et le Régime de pensions du Canada. La priorité est également accordée aux régimes de retraite des employés. Il n’y a pas si longtemps, nous avons approuvé à l’unanimité, dans cette enceinte, cette disposition particulière. Sommes-nous censés maintenant renoncer à cet engagement envers les travailleurs canadiens? Quelle insulte ce serait pour eux tous!

Honorables sénateurs, lorsque les entreprises de transformation alimentaires canadiennes exportent leurs produits, ceux-ci sont accompagnés d’un certificat délivré par l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Ce n’est pas le seul système. C’est le seul système dont nous disposons.

Au cours du week-end, j’ai discuté avec des producteurs de pommes de terre de ma région qui exportent leur produit vers les États-Unis. Ils font appel à un courtier américain qui assume la responsabilité des douanes, de la livraison à l’acheteur final et du paiement dans un délai de 20 à 60 jours. Ils ont également mentionné que les producteurs de fruits canadiens n’exigent qu’un paiement dans les 120 jours, ce qui augmente leur risque.

La commission demandée s’appelle la caution et est basée sur le poids par 100. Par exemple, pour un tracteur semi-remorque contenant des pommes de terre, la caution varie entre 50 et 100 $ US. La valeur de la cargaison varie, selon la saison et la disponibilité, entre 18 000 et 20 000 $ US. Donc, au maximum, la caution serait de 1 $ US pour une valeur d’expédition de 100 $ US; elle équivaut à 1 % de la valeur de l’expédition.

Les producteurs de ma région qui exportent leurs pommes de terre n’ont absolument aucun problème à payer ce 1 % pour l’ensemble des services qu’ils obtiennent du courtier.

Honorables sénateurs, on a mentionné à quelques reprises que ce qu’on appelle la réciprocité avait été promise depuis le premier accord commercial entre le Canada et les États-Unis, en 1986. Nous avons renouvelé les accords depuis lors. En toute justice, selon le témoignage du Bureau du surintendant des faillites lors des réunions de notre comité, dans de nombreux examens de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité depuis ce premier accord commercial, la question de la réciprocité a été abordée par les experts chargés d’examiner les parties.

Au bout du compte, les experts canadiens qui ont participé au processus d’examen ont établi qu’il était tout simplement impossible d’utiliser la Loi sur la faillite et l’insolvabilité pour tenter de créer un processus de réciprocité. D’ailleurs, lors de l’étude article par article du projet de loi C-280, M. Tom Rosser, sous-ministre adjoint, Direction générale des services à l’industrie et aux marchés, Agriculture et Agroalimentaire Canada, a dit ceci :

[...] il reste à voir si le projet de loi initial serait reconnu comme étant équivalent par les autorités américaines. Nous ne leur avons pas officiellement demandé leur avis à ce sujet.

Chers collègues, je crois fermement que, si le projet de loi C-280 était la solution, les autorités canadiennes auraient demandé l’avis du département de l’Agriculture des États-Unis sur ladite réciprocité depuis sa présentation à la Chambre en juin 2022, il y a donc plus de deux ans.

Je suis convaincue que ce n’est pas le cas. Je suis convaincue que le projet de loi C-280 n’est pas la solution. Il existe certainement une solution, mais ce n’est pas le projet de loi C-280.

Au mieux, l’amendement tente de mieux protéger les producteurs de fruits et légumes. Par conséquent, j’appuierai le rapport.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Acceptez-vous de répondre à une question, sénatrice Ringuette?

Oui.

L’honorable Hassan Yussuff [ + ]

Honorables sénateurs, je suis aux prises avec les mêmes difficultés que beaucoup d’entre vous. Il y a 18 mois, beaucoup d’entre nous, y compris mes collègues en face, ont voté pour l’adoption du projet de loi C-228, la Loi sur la protection des pensions. Cette loi visait à remédier à des décennies d’injustices à l’égard des travailleurs dont l’employeur fait faillite et dont les fonds de pension ne sont pas entièrement provisionnés. Nous avons parlé de Nortel et de Sears Canada. Je pourrais nommer beaucoup d’autres entreprises.

C’était là une réussite remarquable, non seulement dans cette enceinte, mais aussi à l’autre endroit. Enfin, pour en venir à la conclusion...

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénatrice Ringuette, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous à obtenir plus de temps?

Je peux répondre à cette question.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Honorables sénateurs, le consentement est-il accordé pour que le sénateur réponde à la question?

Le sénateur Yussuff [ + ]

Selon moi, nous, au Sénat et à la Chambre des communes, avons envoyé un message aux travailleurs et à leur famille leur indiquant qu’enfin, nous avons trouvé une solution en adoptant une mesure législative qui leur accordera la priorité absolue. Ainsi, ils passeront maintenant avant les banques. Nous estimons que les gens qui passent leur vie à travailler ne devraient pas être injustement privés d’une chose à laquelle ils ont contribué durant toute leur carrière.

Comment concilier cette mesure avec le projet de loi C-280 qui, si nous l’adoptons, privera les travailleurs et leurs régimes de pensions de la priorité absolue qui leur a été accordée?

Autrement dit, pouvons-nous accorder deux fois la même chose à deux groupes de gens différents à l’aide du même projet de loi? J’ai du mal à répondre à cette question parce que j’ai relu le projet de loi C-228 et que je suis en train de lire le projet de loi C-280. Ces deux projets de loi font exactement le contraire de ce dont nous avons convenu au Sénat et à l’autre endroit quand nous avons dit que nous allions redresser un tort historique.

Je signale à mes collègues d’en face qu’il s’agissait d’un projet de loi présenté par l’un de leurs députés. Je félicite la députée de ses efforts. J’ai travaillé pour nous tous afin que ce projet de loi soit adopté, et c’est ce que nous avons fait dans cette enceinte. J’ai de la difficulté à comprendre parce que les gens me demandent maintenant si ce projet de loi va à l’encontre de la mesure législative historique que le Sénat a adoptée il y a 18 mois.

Je vous remercie de la question. Sénateur Yussuff, vous avez raison; j’en ai parlé brièvement dans mon discours parce qu’il y avait tellement de choses à dire au sujet de notre étude et de mon étude personnelle sur cette question.

Oui, le marché des fruits et légumes frais au Canada vaut environ 7,6 milliards de dollars. Nous consommons pour 7,6 milliards de dollars de fruits et légumes frais. De ce montant, plus de 6 milliards de dollars de fruits et légumes proviennent des États-Unis. Ce que nous faisons ici, en réalité, c’est contourner l’engagement que nous avons pris à l’égard des régimes de pension dans le projet de loi C-228, et offrir des garanties aux Américains. Nos producteurs, qui ont expédié pour 1,1 milliard de dollars de produits aux États-Unis, peuvent faire comme mes producteurs de pommes de terre et trouver un courtier qui fera le travail douanier, livrera le produit et recevra le paiement pour 1 % de la valeur de l’expédition. Je crois que ce projet de loi est tout à fait inacceptable. Merci.

L’honorable Scott Tannas [ + ]

Honorables sénateurs, je serai bref. J’avais l’intention de poser une question, mais je ne ferai que quelques commentaires.

Premièrement, tout comme vous, sénateur Yussuff, j’essaie de comprendre. Je tiens à dire que je parviens difficilement à faire certains calculs. Premièrement, il y a les chiffres de la sénatrice Ringuette, avec ses 7,5 milliards de dollars de fruits et de légumes frais, 6 milliards de dollars provenant des Américains et 1,5 milliard de dollars allant au Canada. Si on fait le calcul, un groupe manque à l’appel. Cela suppose qu’absolument tous les légumes produits par les agriculteurs quittent le pays, mais ce n’est pas le cas. La quantité est beaucoup plus grande que ce que vous venez de dire.

Deuxièmement, il y a la protection des travailleurs, de leur pension et de leur salaire. Nous avons adopté ce projet de loi d’abord et avant tout pour les pensions, c’est exact. Mais selon cette loi, l’argent n’appartient pas à la compagnie. Il est censé être placé en fiducie. Il est réputé être dans une fiducie parce qu’on ne veut pas que tout le monde commence à ouvrir de tout petits comptes en fiducie. Le fait est que l’organisation a reçu des produits qu’elle n’a pas encore payés. C’est à la compagnie de veiller à mettre cet argent de côté.

C’est à leurs banquiers de s’assurer qu’ils mettent cet argent de côté ou qu’ils fournissent une garantie quelconque, ou elles devraient réduire leurs frais d’exploitation d’un montant équivalent et mettre cet argent de côté pour cette éventualité. Mais il ne s’agit pas d’enlever quelque chose aux travailleurs. Il s’agit simplement de protéger l’argent qui est dû et qui n’appartient ni aux travailleurs ni à l’entreprise. Il appartient à ceux qui leur ont vendu ces biens précieux.

Enfin, je sais que nous sommes ici pour mener un second examen objectif, mais on a beaucoup parlé du fait que l’on ne sait pas si les Américains accepteront ce projet de loi en tant que réciprocité. La seule chose que nous savons, c’est qu’il y a une lettre quelque part — je l’ai vue à un moment donné — qui dit qu’il est certain qu’ils n’accepteront pas ce projet de loi avec ces amendements pour la réciprocité.

Dans ce cas, je veux faire confiance à trois personnes qui devraient savoir de quoi il en retourne, qui disposent de toutes les ressources du gouvernement et qui sont spécifiquement, d’une manière ou d’une autre, responsables de ce dossier : le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, la ministre du Commerce international et le premier ministre du Canada. Ils ont tous les trois voté en faveur de ce projet de loi sans notre aide. Merci.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Honorables sénateurs, il est 19 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, de ne pas tenir compte de l’heure?

Des voix : D’accord.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : J’ai entendu un « non ».

Honorables sénateurs, le consentement n’a pas été accordé. Par conséquent, la séance est suspendue, et je quitterai le fauteuil jusqu’à 20 heures.

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