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Projet de loi sur l'unité de l'économie canadienne

Rejet de la motion d'amendement

26 juin 2025


L’honorable Paul (PJ) Prosper [ + ]

Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-5 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié, à l’article 4 :

a)à la page 10, par substitution, aux lignes 28 à 36, de ce qui suit :

« paragraphes (1) ou (4) relativement à un projet, il tient compte des facteurs suivants :

a) la mesure dans laquelle le projet peut :

(i) renforcer l’autonomie, la résilience et la sécurité du Canada,

(ii) procurer des avantages économiques ou autres au Canada,

(iii) avoir une forte probabilité de mise en œuvre réussie, »;

b)à la page 11 :

(i)par substitution, aux lignes 1 et 2, de ce qui suit :

« (iv) promouvoir les intérêts des peuples autochtones en respectant les engagements du gouvernement du Canada d’obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause,

(v) contribuer à la croissance propre et à l’atteinte des »,

(ii)par substitution, à la ligne 4, de ce qui suit :

« climatiques;

b) tout autre facteur qu’il estime pertinent. ».

Sénateur Prosper, je vous remercie infiniment de vos observations. Je vais parler de deux choses. Je suis ici depuis 22 ans et demi, et j’avais 45 événements en décembre et en juin.

Ce sont des considérations importantes, et il faut y réfléchir. Le sénateur Tannas a tenu les mêmes propos il y a un an et demi au sujet des projets de loi omnibus d’exécution du budget et de nos études préalables, entre autres. Pour ma part, j’ai essayé, petit peu par petit peu, de faire changer la culture, la façon dont nous percevons cette institution et la façon dont nous entendons la mettre au service des Canadiens.

Je vais vous donner un petit exemple. À moins que nous décidions collectivement d’ajourner le Sénat de la mi-juin à la mi-août, puis du début décembre au début janvier, nous continuerons de tenir les mêmes arguments sans jamais trancher. Il s’agit simplement d’organiser les modalités et le calendrier de nos séances, mais cela nécessite un changement de culture. Il faut la participation de tous les sénateurs.

Oui, j’ai une question à poser. Elle porte sur votre deuxième grand argument, à savoir la définition de consultation significative. Vous siégez à un comité sénatorial. Le comité sénatorial chargé des affaires autochtones va-t-il étudier ce qu’est une consultation significative et déposer un projet de loi afin de la définir pour toutes les lois fédérales, ce qui permettrait de régler ce problème très particulier? Comme je l’ai dit, c’est probablement ma 45e fois, si ce n’est pas davantage.

Le sénateur Prosper [ + ]

Je vous remercie de votre question, sénatrice.

Il est nécessaire, c’est indéniable, de définir les paramètres et les pratiques exemplaires qui caractérisent la consultation ainsi que l’expression « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause ». Le gouvernement a évoqué ce principe dans le contexte de ce projet de loi, mais sans l’y inscrire explicitement. Je suis donc tout à fait d’accord pour dire qu’il doit y avoir un effort concerté et ciblé pour définir et préciser en quoi consistent la consultation et le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Je vous remercie.

L’honorable Mary Coyle [ + ]

Je remercie mon collègue et voisin le sénateur PJ Prosper de tout le travail qu’il a fait au nom de nous tous au Sénat. Nous lui en sommes reconnaissants et il a notre respect.

J’ai une question concernant l’amendement. Elle porte davantage sur l’origine de l’amendement, car vous aimeriez que nous améliorions le projet de loi en adoptant cet amendement. Je veux en savoir plus sur le processus de consultation qui a conduit à la rédaction de cet amendement et sur les personnes qui l’appuient. Je sais que vous l’appuyez et vous avez parlé d’un certain nombre de personnes que vous avez rencontrées. Je sais que nous avons entendu certaines d’entre elles ici, au Sénat. Je veux savoir qui d’autre, mis à part vous, bien sûr, est à l’origine de cet amendement et dans quelle mesure nous pouvons être assurés que l’adoption du projet de loi avec cet amendement répondra aux préoccupations soulevées par les dirigeants autochtones.

Le sénateur Prosper [ + ]

Je vous remercie de votre question, sénatrice Coyle.

Je tiens d’abord à parler des témoignages que nous avons entendus au Sénat. Même si les témoignages étaient très limités, je pense que les témoins sont allés droit au but, qu’ils ont exprimé très clairement leur opinion et qu’ils ont souligné les lacunes du projet de loi. Pour répondre à votre question, mon bureau s’est entretenu avec divers groupes de tout le pays, comme les chefs de l’Ontario, le chef régional de l’Ontario et l’Assemblée des chefs mi’kmaqs de la Nouvelle-Écosse.

Je tiens à remercier les autres sénateurs qui ont publié des lettres ouvertes et ceux qui ont écrit directement aux sénateurs. Nous nous sommes également appuyés sur ces documents.

À mon avis, il ne s’agit pas d’une enquête exhaustive visant à déterminer si nous avons obtenu le consentement unanime de tous les détenteurs de droits du pays, mais je pense qu’il s’agit d’un échantillon plutôt représentatif qui montre qu’il faut mener un examen plus approfondi. Ce que nous avons tenté de faire avec cet amendement, c’est de modifier le projet de loi pour tenir compte de certains de ces intérêts. Il ne s’agit pas de tous les intérêts, mais il y a toujours moyen d’apporter des modifications importantes au projet de loi qui permettront de résoudre les problèmes, du moins en partie. Merci.

L’honorable Lucie Moncion [ + ]

Sénateur Prosper, savez-vous que les versions anglaise et française de votre amendement ne sont pas tout à fait identiques?

Le sénateur Prosper [ + ]

Je m’en excuse. Je n’en étais pas conscient. Je vous remercie de me l’avoir signalé.

Je vais m’efforcer de corriger cela, mais j’espère que la teneur générale et la substance des deux textes concordent malgré certaines incohérences. Merci.

L’honorable Lucie Moncion [ + ]

Bien que les mots soient tous là, la version anglaise et la version française ne correspondent pas. Si on lit la version en anglais et la version en français et qu’on essaie d’établir la concordance, ce n’est pas du tout la même chose. Il y a des parties du paragraphe qui sont au verso, par exemple. Lorsqu’on présente des documents de ce genre, surtout quand ils sont présentés séance tenante, il serait préférable qu’ils soient présentés correctement. Merci.

L’honorable Marty Klyne [ + ]

Je vais poser la même question que j’ai posée à Lisa Raitt et à mon éminent collègue, le sénateur Brian Francis.

Qu’est-ce qui empêche les Chefs tribaux et les Chefs des conseils de préparer le terrain, d’inviter le gouvernement à s’asseoir avec eux et de lui faire part de leurs attentes en matière de consultation et de participation pleines et entières? Je me pose la question : qu’est-ce qui empêche cela?

Lisa Raitt a déclaré que rien ne les en empêchait, mais que c’était une question de préséance. J’aimerais connaître votre réponse.

Le sénateur Prosper [ + ]

Je vous remercie de votre question, sénateur Klyne. Je crois que la personne que vous venez de citer a bien compris la raison qui empêche les Premières Nations d’engager un dialogue là-dessus.

Je crois comprendre que les Premières Nations souhaitent engager ce dialogue, mais il faut d’abord que le gouvernement soit prêt à s’asseoir à la table des négociations et à entreprendre ces discussions de manière proactive et respectueuse. Chers collègues, c’est entièrement une question de confiance. Comme l’a dit la Cheffe, la confiance est un véritable acte de courtoisie.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Demandez-vous plus de temps, sénateur Prosper? Je crois que le sénateur Klyne aurait une question complémentaire.

Le sénateur Prosper [ + ]

Oui.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Le sénateur Klyne [ + ]

En plus d’avoir des droits inhérents et des lois coutumières nous aidant à négocier ces droits, nous disposons de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. En outre, nous avons ce que désire le gouvernement : nos ressources et notre consentement.

La question est la suivante : avons-nous suffisamment d’importance?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénateur, veuillez répéter votre question.

Le sénateur Klyne [ + ]

Je vais résumer.

Nous avons des droits inhérents et des lois coutumières en matière de négociation. Nous disposons également des ressources et du consentement qu’ils souhaitent. Je pense que cela suffit pour les amener à la table des négociations afin qu’ils écoutent ce que nous avons à dire et négocient avec nous.

Le sénateur Prosper [ + ]

Je suis d’accord; pour avoir un véritable dialogue, il faut que deux partenaires se rencontrent de bonne foi.

Le gouvernement a fait de grands progrès vers la réconciliation, notamment avec les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et la common law en vigueur en ce qui concerne l’article 35 sur les droits des Autochtones et les droits issus de traités. Il faut un gouvernement prêt à respecter ses propres lois pour que cela se produise.

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) [ + ]

Honorables sénateurs, la fin de semaine dernière, j’ai célébré la Journée nationale des peuples autochtones en participant à la danse du soleil à la Première Nation d’Alexander, sur le territoire visé par le Traité no 6. Il s’agit d’une cérémonie sacrée marquée par le jeûne, le sacrifice et les prières ferventes pour les peuples. C’est quelque chose que je fais depuis que j’ai une vingtaine d’années. Je suis reconnaissante aux Aînés Fred et Melanie Campiou de nous avoir inclus, mon mari Allen et moi, dans leur famille cérémonielle, et je les remercie de la gentillesse et de l’humilité dont ils font preuve envers tous ceux qui les connaissent.

Vers la fin de la dernière journée de la cérémonie, le député Billy Morin et moi-même avons été invités à nous approcher de l’arbre situé au centre de la célébration. Des prières spéciales ont été dites et une chanson a été chantée pour le travail que nous accomplissons ici, au Parlement. Chers collègues, un Aîné m’a dit qu’ils chantaient pour nous tous et pour le travail que nous accomplissons ici aujourd’hui.

L’un des Aînés — un homme dont l’arrière-grand-père était signataire du Traité no 6 — m’a ensuite abordée au milieu de la cérémonie pour me parler du projet de loi C-5. Il m’a fait part de ses sérieuses réserves à l’égard de cette mesure législative. Il craignait que le projet de loi ne serve à lui enlever encore plus de terres, à lui et à son peuple. Il souhaitait venir à Ottawa pour nous parler de son attachement à ces terres et de sa connaissance approfondie de celles-ci.

À la fin de la cérémonie, dimanche soir, je suis repartie en réfléchissant à ses propos et à la période que traverse le Canada : notre besoin de sécurité énergétique et les changements géopolitiques majeurs que nous connaissons actuellement, le tout dans le contexte d’un pays qui s’efforce encore de rebâtir ses relations internes de nation à nation après plus d’un siècle d’injustice.

Je pensais au travail accompli dans cette enceinte au cours des dernières années et des dernières décennies, au chemin parcouru et à celui qui reste à parcourir.

Je pensais à une table. Permettez-moi une petite parenthèse, chers collègues : l’image qui me venait à l’esprit en quittant la danse du soleil et en rentrant chez moi dimanche soir était celle d’une table dans un champ près d’Edmonton. Chers collègues, imaginez avec moi une table qui représente le cadre législatif protégeant les droits des Premières Nations, des Métis et des Inuit.

La première patte de cette table est l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui affirme que « les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés ».

L’article 35 définit les « peuples autochtones » comme les Premières Nations, les Inuit et les Métis. Il précise que les droits issus de traités comprennent les droits existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux qui sont susceptibles d’être ainsi acquis. Ce libellé a été approuvé par nos prédécesseurs au Sénat en décembre 1981, dans le cadre d’un processus législatif qui s’est déroulé des deux côtés de l’Atlantique.

L’inclusion de l’article 35 a été un pas majeur d’une importance cruciale. Toutefois, ces quelques lignes manquaient beaucoup de précision. Les dirigeants autochtones ont passé les trois dernières décennies à les préciser, principalement en se battant contre le gouvernement devant les tribunaux. Le processus a été long et coûteux, et les affaires sont bien trop nombreuses pour être citées individuellement. Toutefois, aujourd’hui, nous disposons d’une jurisprudence considérable sur la signification de l’article 35.

Par exemple, en 1990, dans l’affaire R c. Sparrow, la Cour suprême a établi un ensemble de critères pour déterminer si un droit autochtone est violé et dans quelles circonstances la violation peut être justifiée. À l’époque, la Cour a déclaré que l’un des facteurs à prendre en compte était de savoir si la nation autochtone en question avait été consultée ou au moins informée.

En 2004, dans l’affaire Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), la Cour est allée plus loin, estimant que le gouvernement a l’obligation légale de consulter lorsqu’il « envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur [un droit autochtone] » et qu’« une consultation menée de bonne foi pourrait à son tour entraîner l’obligation de trouver des accommodements aux préoccupations des [Autochtones] ».

La Cour nous dit ceci : « Ce qu’il faut [...] c’est [...] un processus de mise en balance des intérêts, de concessions mutuelles. » C’est ce que nous avons constaté au cours des années qui ont suivi. Les progrès ont été imparfaits et inégaux, mais dans l’ensemble, il n’y a pas de comparaison possible avec la situation qui existait avant que l’« obligation de consulter » n’entre dans notre vocabulaire.

Les choses ont évolué pour inclure les principes de dialogue, d’atténuation et d’accommodement. Cette approche ne mène pas toujours à des résultats satisfaisants pour tous, mais c’est une évolution encourageante.

Bien sûr, l’article 35 ne règle pas tout; il ne représente qu’une des pattes de la table.

En 2018, dans l’affaire Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), la Cour suprême a conclu que l’obligation de consulter ne s’applique pas au processus législatif. Cette décision a profondément frustré de nombreux peuples autochtones, ce que je comprends tout à fait.

Qu’il s’agisse ou non d’une obligation constitutionnelle, je crois assurément que c’est une bonne idée pour le gouvernement de faire participer les peuples autochtones le plus tôt possible au cours du processus législatif.

Je félicite le gouvernement précédent pour plusieurs réussites qu’il a connues sur le plan législatif après avoir mené des consultations précoces et même une tentative d’élaboration conjointe. Je pense notamment à l’ancien projet de loi C-91 sur les langues autochtones, que mon collègue le sénateur Francis a parrainé, et au projet de loi C-92 sur les services à l’enfance et à la famille pour les Autochtones, que j’ai eu l’honneur de parrainer. Il y a aussi la deuxième patte de cette table que vous gardez à l’esprit : la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Cette loi exige que le gouvernement modernise les lois fédérales afin qu’elles tiennent compte des 46 articles de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et qu’il crée et mette en œuvre un plan d’action qui atteint l’objectif de cette déclaration. Ce plan d’action a été publié il y a deux ans. Les rapports d’étape annuels sont publiés en ligne pour que nous puissions tous les consulter.

L’article 32 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui est particulièrement pertinent dans le cadre de notre débat, invite les États à obtenir des peuples autochtones un consentement donné librement et en connaissance de cause avant qu’ils n’approuvent tout projet ayant une incidence sur leurs terres ou leurs ressources.

En conséquence, le Plan d’action de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones engage le gouvernement à collaborer avec les peuples autochtones afin d’élaborer des lignes directrices à l’intention du gouvernement et de l’industrie pour clarifier ce que l’on entend par obtenir le consentement préalable donné librement et en connaissance de cause.

Il y a l’article 35 de la Constitution en vertu duquel, selon la Cour suprême, le gouvernement a un devoir de consultation. C’est la première patte de la table.

Il y a la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, dans laquelle le Parlement indique au gouvernement d’en faire plus pour adopter comme deuxième patte le consentement préalable donné librement et en connaissance de cause.

La troisième patte de la table correspond à l’un des engagements spécifiques énoncés dans le Plan d’action de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, à savoir l’ajout d’une clause dérogatoire dans la Loi d’interprétation. Cet engagement a été réalisé grâce à l’ancien projet de loi S-13, que nous avons étudié au Sénat en 2023 et qui a été adopté par nos collègues de l’autre endroit en novembre dernier.

La Loi d’interprétation est une loi qui nous indique comment interpréter toutes les autres lois. L’ajout que nous avons fait l’année dernière était une mesure que les peuples autochtones réclamaient depuis plus d’un quart de siècle.

Voici ce que dit la disposition que nous avons ajoutée :

Tout texte maintient les droits — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982; il n’y porte pas atteinte.

Auparavant, avant l’adoption du projet de loi S-13, certaines lois contenaient ce type de garantie, mais beaucoup n’en comportaient pas. La formulation exacte variait d’une loi à l’autre, ce qui créait des incohérences potentiellement problématiques dans la manière dont les droits des Autochtones étaient compris dans différentes situations.

Le projet de loi S-13 visait à établir une norme unique et uniforme qui s’appliquerait à tous les cas, et c’est exactement ce qu’il a fait. Cette norme s’applique à toutes les lois existantes. Elle s’appliquera à toutes les mesures législatives que nous examinerons à l’avenir, y compris le projet de loi C-5.

Avant novembre dernier, nous aurions peut-être ressenti le besoin d’ajouter une disposition de non-dérogation à ce projet de loi afin de garantir que tout le monde comprenne que, quelle que soit l’importance d’un projet, il n’est pas possible de déroger aux droits des Autochtones ou de les contourner. Chers collègues, certaines personnes ont tenté de contourner nos droits garantis par l’article 35. La disposition de non-dérogation était une mesure de protection.

Cependant, grâce à une disposition de non-dérogation dans la Loi d’interprétation, le caractère primordial des droits des Autochtones, tels que protégés par l’article 35 de la Charte, est désormais un élément inhérent à toutes les lois, y compris celle-ci.

À ce stade, je vous remercie d’ailleurs de garder à l’esprit l’image de cette table, nous avons une table à trois pattes, toutes construites par le Parlement. Les législateurs ont approuvé le libellé de l’article 35, adopté la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et ajouté une disposition de non‑dérogation dans la Loi d’interprétation. Les peuples autochtones se sont battus pendant plus de 50 ans pour obtenir ces changements.

Par contre, ce n’est pas à nous, législateurs, de construire la quatrième et dernière patte, celle qui assure la stabilité de la table et l’empêche de basculer.

Dans le jugement Nation haïda c. Colombie-Britannique, que j’ai cité plus tôt, la Cour suprême a conclu que le gouvernement avait l’obligation légale de consulter le groupe intéressé, la Cour a également écrit :

Dans tous ses rapports avec les peuples autochtones, qu’il s’agisse de l’affirmation de sa souveraineté, du règlement de revendications ou de la mise en œuvre de traités, la Couronne doit agir honorablement.

Dans l’arrêt Mikisew Cree First Nation c. Canada, si la cour a conclu que l’obligation de consulter ne s’applique pas au processus législatif, la majorité a néanmoins estimé que l’honneur de la Couronne s’applique.

L’honneur de la Couronne est une notion qui remonte à très loin. Ce n’est pas quelque chose que nous pouvons inscrire dans la loi, mais c’est un élément essentiel du processus.

En fait, un de nos collègues s’est beaucoup exprimé sur le sujet. Je vais baser mon explication du concept sur un discours prononcé par le sénateur Arnot en 1997 — alors qu’il avait 12 ans, de toute évidence — lors de la 6e conférence commémorative annuelle de Poundmaker. Bien avant l’adoption de la Charte des droits et libertés, nous avions adopté le concept britannique selon lequel il fallait agir honorablement pour le bien du souverain. Tout au long de l’histoire, faire appel à l’honneur de la Couronne ne signifiait pas simplement :

[...] faire appel au souverain en tant que personne, mais aussi à un ensemble de principes traditionnels de justice fondamentale qui transcende les personnes et la politique [...]

C’est à partir de cette conception de l’honneur de la Couronne que la Cour suprême a tiré le concept de l’obligation fiduciaire de la Couronne dans le contexte de l’exécution des promesses contenues dans les traités et du respect des droits ancestraux.

Il y a une histoire que Fred Campiou m’a racontée et que je voudrais vous relater rapidement. Il y est question de la signature d’un traité. Mon interprétation est simpliste, mais j’espère que vous me suivrez. Au moment de signer un traité, la Couronne a entamé les négociations, le processus et la signature avec une feuille de papier, soit un document écrit à valeur juridique fondé sur le système juridique de la Couronne à l’époque. Les chefs autochtones sont venus à la signature du traité et ont demandé la tenue d’une cérémonie du calumet. Leur idée était de faire intervenir le Créateur dans cette relation. Ils voulaient développer une wahkohtowin, une relation sacrée avec les habitants de cette terre, afin qu’ils puissent participer à l’édification de la nation. Cette wahkohtowin était la conception que les dirigeants autochtones avaient de la signature des traités.

Je dirais qu’aucune des deux parties ne comprenait ce qu’elle signait à l’époque. Le gouvernement s’est saisi de ce traité et a commencé à adopter des lois qui ont eu des répercussions traumatisantes et durables sur les communautés autochtones, notamment l’enlèvement d’enfants à leur famille et la dévastation économique des communautés. Le gouvernement a adopté ces lois alors que les dirigeants autochtones pensaient encore avoir une wahkohtowin.

Lorsque j’entends des dirigeants comme le Grand Chef Greg Desjarlais, du territoire visé par le Traité no 6, qualifier le projet de loi C-5 de « grave menace pour nos droits issus de traités », ou lorsqu’un aîné me dit, lors d’une cérémonie, que le projet de loi C-5 lui enlèvera ses terres, ce que j’en déduis, c’est qu’ils ne font pas confiance à la Couronne pour agir de façon honorable, et qui peut les blâmer? Cette conduite déshonorante dure depuis plus de 150 ans.

Même les lettres que nous avons reçues et qui témoignent d’un optimisme prudent à l’égard du projet de loi, comme celles de la Première Nation de Fort McKay et du Ralliement national des Métis, sont remplies d’appels au gouvernement à agir honorablement si le projet de loi C-5 est adopté.

Je comprends la douleur causée par la conduite déshonorante de la Couronne par le passé. En toute franchise, j’éprouve aussi un certain scepticisme par rapport à l’honneur de la Couronne. Cependant, on ne peut pas adopter d’amendement pour changer cela. Il ne sera jamais possible d’adopter un projet de loi qui garantira l’honneur de la Couronne.

Les législateurs ont muni la table dont j’ai parlé de trois pattes solides : la Constitution, la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et la Loi d’interprétation.

Soit dit en passant, la table que j’ai imaginée après la danse du soleil ne flotte pas dans les airs. Elle repose fermement sur les terres visées par le Traité no 6. Les traités constituent le fondement essentiel de la relation de nation à nation. Ces traités nous rappellent que nous avons une relation wahkohtowin, une relation sacrée que nous pouvons encore revendiquer.

À un certain moment, nous avons mis par écrit tout ce qui pouvait être mis par écrit. C’est un peu comme le proverbe « on ne saurait faire boire un âne qui n’a pas soif », ou, comme dirait mon époux, « on ne saurait forcer un hippie à se laver ». Nous avons tout fait. Nous avons mené l’âne jusqu’à l’abreuvoir.

Nous avons inscrit les droits des Premières Nations, des Métis et des Inuit ainsi que les droits issus de traités dans la Constitution. Nous avons adopté la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui ajoute le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause parmi les principes d’un processus de consultation. Nous avons modifié la Loi d’interprétation. Le projet de loi dont nous sommes saisis parle de tous ces éléments. Je ne pense pas que nous puissions faire davantage dans le texte du projet de loi pour protéger les droits des Autochtones.

Sénateur Klyne, nous avons préparé le terrain.

À ce moment charnière et profondément incertain pour le Canada, le gouvernement a l’occasion de réaliser de grandes choses en agissant de manière honorable. C’est l’occasion pour tous les dirigeants de se rassembler, de mener à bien le difficile travail de consultation et de compromis, de trouver un terrain d’entente et de faire progresser notre pays.

Lors d’une conférence de presse, le premier ministre a déclaré vouloir placer « [...] le partenariat avec les peuples autochtones au cœur de cette croissance ». La ministre des Services aux Autochtones a évoqué « [...] l’importance des relations [...] » dans le contexte du projet de loi C-5.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Je regrette, sénatrice LaBoucane-Benson, mais je dois vous interrompre. Souhaitez-vous demander plus de temps?

La sénatrice LaBoucane-Benson [ + ]

Oui.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

La sénatrice LaBoucane-Benson [ + ]

Merci, chers collègues.

Elle affirme que les relations seront « [...] une priorité et [un] élément essentiel du travail à venir ».

Je suis d’accord sur l’importance de cette relation. La relation de nation à nation — notre wahkohtowin — a toujours consisté à partager le territoire pour notre avantage mutuel. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.

J’ai l’intention d’appuyer ce projet de loi, sans l’amender, avec toutes les garanties législatives déjà en place, et de me servir de mes fonctions de coordonnatrice législative pour exiger du gouvernement qu’il tienne son engagement à respecter cette relation et à se comporter avec honneur.

Je comprends l’impulsion de ralentir le processus, mais nous sommes confrontés à une crise potentielle. Comme l’a fait remarquer le président de la Fédération métisse du Manitoba, la menace d’« une guerre économique » plane sur nous, et le moteur économique du Canada risque de s’écrouler, et ce seraient les Canadiens à faible revenu et les Canadiens vulnérables qui en souffriraient le plus. Les projets devront faire l’objet de consultations. C’est là que la consultation doit se faire : à l’égard de chacun des projets, à mesure qu’ils sont proposés, car la loi l’exige déjà. Cela dit, nous devons aller de l’avant et amorcer des consultations à l’égard de véritables projets d’intérêt national.

Encore une fois, je vous remercie de votre indulgence et d’avoir accepté ma métaphore de la table. J’espère que ma table permettra aux gens de se réunir, de se consulter, de négocier et de s’écouter les uns les autres avec humilité et respect pour bâtir un avenir meilleur. Merci.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le temps réservé au débat est écoulé. Sénatrice LaBoucane-Benson, je vois deux sénateurs se lever. Demandez-vous plus de temps pour répondre aux questions?

La sénatrice LaBoucane-Benson [ + ]

Si le Sénat nous le permet, oui.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Le sénateur Prosper [ + ]

Merci beaucoup d’avoir raconté cette histoire. Mon frère participe chaque année à la danse du soleil, et je comprends tout à fait ce dont vous parlez.

L’idée maîtresse de votre discours était qu’il n’y a plus rien que nous puissions vraiment faire et que l’honneur de la Couronne doit prendre racine ici. C’est la responsabilité du gouvernement.

Pensez-vous qu’une référence positive dans le projet de loi au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause pourrait fournir des orientations utiles au gouvernement et aux Premières Nations pour l’avenir? Merci.

La sénatrice LaBoucane-Benson [ + ]

Merci, sénateur. En ce qui concerne la mention de ce point dans le préambule, mon opinion est que le préambule énonce l’intention. Si cette question est portée devant les tribunaux — parce que, si l’honneur de la Couronne fait défaut, cela pourrait finir là-bas —, le juge examinera le préambule et demandera quelle était l’intention. Nos droits garantis par l’article 35 se trouvent dans l’intention. Nous avons donc déjà rappelé à la Couronne qu’elle doit agir honorablement.

L’honorable Denise Batters [ + ]

Tout d’abord, il arrive parfois que le préambule soit malheureusement inopérant, mais c’est un bon vœu à faire.

Je tiens en fait à poser la question que le sénateur Brazeau a posée hier. Il voulait adresser cette question au parrain du projet de loi pour le gouvernement ou au gouvernement. Je veux savoir si nous pouvons obtenir une réponse pour lui. La question qu’il avait initialement adressée au sénateur Housakos, qui venait de prendre la parole, était la suivante :

Sénateur Housakos, je me préparais à aborder la rencontre avec les dirigeants autochtones en juillet, et j’avais l’intention de poser ma question au parrain du projet de loi tout à l’heure, mais je n’ai pas eu le temps.

Il a dit qu’il voulait faire preuve d’un peu de créativité pour pouvoir poser cette question. Il voulait savoir ce qui suit :

[...] quel est l’objectif exact de cette rencontre avec les organisations autochtones? Je pose cette question parce que j’ai été à la tête de l’une des cinq organisations nationales, lesquelles sont toutes financées par le gouvernement du Canada. Nombre de ces organisations sont financées pour coopérer avec le gouvernement.

Ne serait-il pas important d’obtenir des éclaircissements sur la raison pour laquelle la rencontre [se] fera avec elles, puisque ces cinq organisations autochtones canadiennes ne sont détentrices d’aucun droit et sont plutôt des organisations de lobbying politique? Hypothétiquement, que se passera-t-il si un projet du gouvernement du Canada touche le peuple algonquin? Eh bien, l’Assemblée des Premières Nations, le Ralliement national des Métis, le Congrès des peuples autochtones, l’Inuit Tapiriit Kanatami et l’Association des femmes autochtones du Canada ne représentent pas le peuple algonquin. Pensez-vous qu’il est important [...] [de] demande[r] des éclaircissements sur la nature exacte du processus de consultation qui aura lieu le 17 juillet? Est-ce que cela contribue réellement au processus pour les vraies Premières Nations du Canada?

C’était la question du sénateur Brazeau. Pouvez-vous nous donner la réponse du gouvernement. Merci.

La sénatrice LaBoucane-Benson [ + ]

Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. Le premier ministre a expressément déclaré qu’il consulterait les détenteurs de droits. Aussi importants que soient l’Assemblée des Premières Nations et le Ralliement national des Métis, ils ne sont pas des détenteurs des droits. J’ai entendu le premier ministre dire qu’il allait consulter les détenteurs de droits cet été. Puis, pour chaque projet national proposé, les détenteurs de droits touchés par ce dernier seront consultés.

Il ne faut pas croire que l’Assemblée des Premières Nations ne participera pas à ces rencontres, mais les détenteurs de droits y participeront assurément. J’espère que ma réponse conviendra au sénateur Brazeau.

L’honorable Leo Housakos (leader de l’opposition) [ + ]

Honorables sénateurs, je vais essayer d’être bref. Sénateur Prosper, merci de votre amendement et, plus précisément, merci d’avoir fait votre travail.

Chers collègues, trop souvent, nous sommes nommés à cette fonction et nous nous laissons emporter par les rouages du Parlement et de la politique. Parfois, nous nous laissons même séduire par l’influence que nous pensons avoir, mais que nous n’avons peut-être pas. Chaque fois que je vois une personne se présenter ici et faire ce qu’elle est censée faire, c’est-à-dire parler au nom de sa collectivité et la défendre, quelle que soit la région du pays dont elle est issue, je lui tire mon chapeau.

Comme vous le savez, sénateur Prosper, j’appuie le projet de loi C-5. Je l’appuie en principe parce que je pense que, depuis une décennie, notre pays aspire à exploiter ses ressources naturelles et à recommencer à créer de la richesse. Comme vous l’avez si bien dit dans votre discours, il faut créer de la richesse de manière équitable pour tous les Canadiens, qu’ils soient francophones, anglophones ou, bien sûr, autochtones, qu’ils vivent dans l’Est, dans l’Ouest ou ailleurs au pays.

J’ai toutefois des inquiétudes, comme vous et beaucoup d’autres sénateurs. Je les ai expliquées à l’étape de la deuxième lecture et je ne les répéterai pas ici. Je pense que ce projet de loi a été mal conçu. Quand j’ai pris la parole à l’étape de la deuxième lecture, je me disais que le projet de loi proposé était, en fait, un exercice politique, qui faisait suite à une campagne électorale pendant laquelle des millions de Canadiens, qu’ils aient voté pour le gouvernement ou pour l’opposition, avaient exprimé leur désir de changement après les dix dernières années. Ils estimaient que bon nombre de nos politiques étaient trop lourdes, trop bureaucratiques, et ils voulaient recommencer à mettre l’accent sur la prospérité.

Comme je l’ai déjà dit, je trouve préoccupante la présence continue des ministres Freeland, Champagne, Anand et Guilbeault, les pères et mères des projets de loi C-69 et C-48 et de toute la réglementation environnementale extrême qui a essentiellement provoqué l’inertie du secteur de l’énergie, un vecteur de richesse au pays. Cela m’inquiète grandement.

Le projet de loi sert surtout, je crois, à présenter des aspirations. J’y vois un cadre qui montre ce que le gouvernement cherche à accomplir plutôt qu’une mesure législative. Nous avons vu avec quelle rapidité il a été élaboré, sans véritable réflexion ni planification stratégique. Le gouvernement l’a déposé à la Chambre des communes, et quelques amendements intéressants y ont été apportés. La Chambre aurait pu en apporter beaucoup plus si elle avait eu davantage de temps pour examiner tous les détails. Je peux m’accommoder de la version qui nous est proposée, simplement parce que nous sommes dans une course contre la montre.

Cela dit, voici ce qui me préoccupe le plus. Ce n’est pas tant le fait que, une fois de plus, le gouvernement met un couteau sous la gorge des sénateurs en les exhortant à adopter cette mesure législative d’ici le 1er juillet, à défaut de quoi ce sera la fin du monde, selon lui. Nous savons bien que ce ne sera pas la fin du monde. Après tout, c’est le même gouvernement qui a utilisé un décret pour abolir la taxe sur le carbone qu’il défendait depuis neuf ans. Il a utilisé un décret pour éliminer la TPS sur les maisons neuves d’une valeur de 1 million de dollars.

Soit dit en passant, au Canada, on ne prend pas de décrets. C’est le genre de choses que fait Donald Trump. Au Canada, on prend des arrêtés, mais cela ne s’applique pas à ces projets de loi. Il s’agit là d’un tout autre débat pour une autre fois.

Ce qui me tracasse vraiment, c’est qu’en fin de compte, ils étaient prêts à reporter le budget à l’automne pour le perfectionner, alors qu’ils n’étaient pas prêts à reporter ce projet de loi en septembre ou en octobre pour le rendre encore meilleur. Pour votre projet de loi phare, vous n’êtes pas prêts à faire les choses correctement, à passer par toute la complexité des étapes législatives, à procéder à des examens et tout le reste. Alors, ma question est la suivante : dans quelle mesure s’agit-il d’une loi phare? Nous savons tous que la loi sera adoptée avant le 1er juillet. Nous savons qu’elle sera adoptée très rapidement. Nous savons que le gouvernement dispose d’un nombre suffisant de membres nommés ici pour que, même s’ils divisent leurs votes en trois, la loi sera adoptée, comme il se doit. La raison en est que la Chambre haute, et le sénateur Harder a tout à fait raison de le souligner, a le dernier mot. C’est la chambre élue du Parlement.

Mais c’est ici que nous tenons des débats concrets, grâce à des amendements comme le vôtre. Au cours des derniers jours, je suis devenu très préoccupé par le fait que les membres des Premières Nations ont l’impression qu’aucune consultation n’a été menée, et c’est une remarque que j’entends maintenant des divers partis représentés dans cette enceinte, mais aussi de la part de dirigeants des Premières Nations de partout au pays. Je me pose la question suivante : comment un gouvernement, qui sait à quel point ce projet de loi est essentiel pour l’avenir du pays, devant la crise économique existentielle à laquelle nous faisons face maintenant, a‑t-il pu ne pas prendre le temps de faire cela il y a un mois? Ce n’est pas nouveau. Tout au long de la campagne électorale, les libéraux ont parlé de bâtir plus d’infrastructures — de grandes infrastructures — et de réaliser des projets nationaux et des projets énergétiques. Ce n’est donc pas comme s’ils étaient allés réveiller le premier ministre il y a trois semaines en disant : « Oh, il me faut un projet de loi phare. D’ailleurs, je pense que le discours du Trône en a également fait mention. »

Nous avons donc un gouvernement qui prétend que les Premières Nations comptent pour lui, mais qui n’a pas pris le temps de mener de vastes consultations. C’est là un reproche que j’entends maintenant de toutes parts.

Bien sûr, je l’ai entendu dans votre discours. Vous nous avez rappelé certains des chapitres les plus sombres de notre histoire, la mauvaise façon dont les membres des Premières Nations ont été traités. Personne ne le nie. Notre pays ne fait pas de révisionnisme historique. Nous estimons qu’il faut tirer des leçons de l’histoire afin de ne pas répéter les erreurs du passé et d’avancer main dans la main vers la réconciliation. Je suis aussi le fils d’un immigrant qui n’est pas au Canada depuis 150 ou 100 ans; je ne suis ici que depuis 57 ans. Au cours des dernières décennies, j’ai observé une volonté chez les Français, les Anglais, les Autochtones et tous les autres citoyens du pays d’œuvrer ensemble à l’édification d’un meilleur avenir. J’ai constaté que, dans ma province, certains des meilleurs projets d’infrastructure et d’énergie avaient été réalisés en consultation et en négociation avec les Premières Nations du pays. Ces projets ont non seulement donné de bons résultats, mais ils ont aussi été avantageux pour toutes les parties concernées.

Je me demande comment un premier ministre nouvellement élu, doté d’un mandat clair et du soutien des deux Chambres du Parlement, car nous savons à quel point cette question est importante, n’a pas pris le temps de mener de vastes consultations. La leader adjointe du gouvernement a pris la parole à la Chambre et a prononcé un discours très convaincant. Elle a mis en lumière l’ensemble des projets de loi, des motions et des vérifications de dossiers que nous avons mis en place pour garantir le respect des Premières Nations. Pourtant, comme je l’ai appris au cours de mes 17 années dans cette enceinte, les lois n’ont pas beaucoup de poids. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones n’a pas beaucoup de poids, tout comme la Loi canadienne sur la protection de l’environnement. Ce ne sont que de belles motions destinées à apaiser les différentes parties prenantes et les différents groupes à divers moments d’un processus quelconque.

Elles n’ont de sens que lorsqu’un gouvernement est disposé à respecter ces lois et règles et lorsqu’il y a une volonté politique de les appuyer.

C’est un point de vue politique et philosophique, mais je suis prêt à alléger certaines formalités administratives en matière d’environnement afin de réaliser des projets, car je crois que notre pays en a besoin. Je pense que nous sommes au bord de la faillite et que ma prophétie se confirmera dans le prochain budget qui sera présenté à l’automne. Il faut donc agir. Il faut créer des emplois. Il faut augmenter les recettes. Il faut faire rentrer les fonds publics. Nous devons commencer à rembourser les dettes et les déficits qui ont gonflé au cours de la dernière décennie. En revanche, nous ne pouvons pas nous permettre de poursuivre la construction de ces énormes projets d’infrastructure sans traiter les Premières Nations comme des partenaires à part entière. Nous ne pouvons pas nous contenter de le dire dans la loi, dans des déclarations de vertu et dans de beaux discours publics. Quand l’argent est sur la table et que nous devons répartir les fonds et déterminer quand le marché sera conclu, nous devons commencer à négocier avec les Premières Nations comme des partenaires, comme des actionnaires.

L’opposition au Sénat et à la Chambre des communes continue de soutenir le projet de loi C-5, bien que nous soyons sceptiques — optimistes, mais sceptiques — quant à la volonté politique du gouvernement de parvenir à ses fins. Nous sommes encore plus sceptiques quant à la façon dont le gouvernement traite les Premières Nations, car il ne fait que reproduire les erreurs commises dans le passé. Merci, chers collègues.

L’honorable Bernadette Clement [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer l’amendement proposé par le sénateur Prosper. Je tiens à reconnaître et à déplorer le fait que votre personnel et vous ayez dû lire des propos racistes et virulents en ligne.

Je comprends l’urgence de cette mesure législative. Le Canada est dans l’incertitude, alors il faut agir. Cependant, nous ne devrions pas nous précipiter sans prêter l’oreille aux personnes qui subiront les conséquences les plus négatives de ce projet de loi. Ce ne sera ni nous ici présents, ni les décideurs politiques, ni les dirigeants des sociétés pétrolières et minières. Ce seront les collectivités et les travailleurs.

En tant qu’avocate de l’aide juridique spécialisée en matière de sécurité au travail, j’ai pu constater les conséquences d’une réglementation inefficace et laxiste. J’ai vu des clients souffrir de maladies professionnelles et de cancers causés par des lieux de travail pollués à une époque où la réglementation sur les matières dangereuses et la sécurité était moins stricte. Nous devons tirer les leçons de cette période pour ne pas répéter les mêmes erreurs.

Hier, j’ai donc déposé dix documents, dont neuf provenaient de communautés et d’organisations autochtones, ainsi que de titulaires de droits. J’aimerais raconter quelques-unes de leurs histoires, qui pourraient d’ailleurs répondre à la question que la sénatrice Coyle a posée au sénateur Prosper.

Okimaw Henry Lewis, Chef de la nation crie d’Onion Lake, a écrit :

Nos terres ancestrales sont déjà fortement frappées par les coupes à blanc de l’industrie forestière, et notre territoire se trouve dans une zone en plein développement industriel. Les méfaits de la dégradation environnementale et de la confusion entre les champs de compétence n’ont rien de nouveau pour nous. Nous vivons avec ces conséquences au quotidien.

Nous nous opposons à ce projet de loi dans son intégralité.

En tant que Chambre de second examen objectif, le Sénat a pour rôle de garantir le respect de la Constitution. Nous vous demandons de prendre en considération les répercussions considérables que le projet de loi, dans sa forme actuelle, aura sur notre peuple, nos terres et nos eaux.

Nous ne sommes pas des parties prenantes. Nous sommes des nations.

Le Chef Billy-Joe Tuccaro de la Première Nation crie Mikisew convient que les communautés souffriront. Il a écrit :

Le développement effréné de notre territoire a un coût humain. Chaque mois, parfois chaque semaine, nous enterrons des membres de notre communauté qui ont succombé à des cancers, y compris des formes rares de cancer. Nous sommes et nous avons toujours été des dommages collatéraux. Sur nos propres terres, nous avons été témoins des ravages causés par la décision de faire passer les profits avant les gens.

Gary Quisess, Chef de la Première Nation de Neskantaga, a décrit la situation de sa communauté : le coût élevé de la vie, une grave pénurie de logements et un manque d’accès aux services de base comme les soins de santé et les services de santé mentale. Les membres vulnérables de la communauté ont récemment été évacués après l’inondation du seul centre de santé du secteur. Neskantaga est visée par un avis de faire bouillir l’eau depuis 30 ans. C’est le plus long avis de faire bouillir l’eau au Canada.

Selon la description du Chef Quisess, sa communauté est depuis longtemps dans une situation d’urgence sociale. Il a écrit :

C’est pour cette raison que nous sommes aussi consternés par le fait que le Canada prétexte une « situation d’urgence » causée par la guerre tarifaire avec les États-Unis pour accéder à nos territoires et à nos ressources sans notre consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Notre message est très clair : la Constitution doit toujours être respectée au Canada, même lors de « situations d’urgence ».

Nous tenons tous à nous adapter au monde en rapide évolution où nous vivons. Nous désirons que le Canada prospère. Nous avons parfois l’impression de vivre une situation d’urgence, mais est-ce vraiment le cas? Tout le monde ici a traversé la pandémie de COVID-19. Certains d’entre nous ont perdu des êtres chers. Cela, c’était vraiment une situation d’urgence. Les populations qui n’ont pas accès à de l’eau potable ou qui souffrent de maladies liées à la pollution : cela, c’est une situation d’urgence. Est-ce que faire croître notre économie ou édifier notre pays est urgent? Oui, et c’est urgent. Cela nécessite une intervention rapide et efficace, c’est vrai, mais sans pour autant justifier la violation des droits des Autochtones et de nos protections environnementales.

L’amendement du sénateur Prosper transforme une possibilité en une obligation et il ajoute un élément réclamé par un très grand nombre de personnes : un engagement à obtenir le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause des peuples autochtones. Si vous avez écouté les témoignages et examiné les mémoires présentés, vous avez pu vous rendre compte de l’importance capitale de renforcer cet engagement. En adoptant l’amendement proposé, nous respecterions la volonté des personnes qui nous ont fait part de leur rétroaction. Cela cultiverait le lien de confiance dont le sénateur Prosper a parlé tout en resserrant nos relations.

Je suis convaincue que si nous avions plus de temps, en plus de cet amendement dans le but d’expliciter l’obligation d’obtenir le consentement des communautés autochtones, beaucoup d’entre nous souhaiteraient que le libellé soit plus contraignant afin de garantir le maintien de mesures de protection environnementale rigoureuses. Cela résume bien le problème du processus en cours : on le présente comme une urgence alors que ce n’en est pas une. Je crains que, dans quelques années, il y ait davantage de clients comme les miens qui souffrent de maladies professionnelles et de cancers. Il y aura davantage d’avis de faire bouillir l’eau, il y aura d’autres coupes à blanc, et là, ce seront véritablement des situations d’urgence.

Lorsqu’il interrogeait les témoins ici même, le sénateur Prosper a parlé d’inscrire tout cela explicitement dans le projet de loi, et je suis d’accord. Toutefois, je ne suis pas d’accord avec le sénateur Housakos, qui a déclaré que le libellé des dispositions législatives n’avait pas toujours d’importance. Les mots ont leur importance. C’est la nature même de notre travail ici. Nous inscrivons des mots dans les projets de loi et, oui, nous espérons toujours que la volonté politique sera au rendez-vous, bien sûr.

Il se pourrait fort bien que je vote en faveur du projet de loi C-5 en fin de compte, car quand je me promène dans ma collectivité, je constate que les Canadiens sont angoissés. Nous entendons le message de nos concitoyens : ils veulent des mesures concrètes et ils trouvent que ce projet de loi en est peut-être une. Je les comprends.

Je comprends que les Canadiens soient nerveux et inquiets. Je comprends qu’ils veuillent de l’action et qu’ils voient de l’action dans ce projet de loi.

En tant que sénatrice, je dois toutefois écouter, remettre des choses en question, examiner des projets de loi et proposer des amendements pour les améliorer. L’amendement proposé améliorera le projet de loi. Ce sera une amélioration pour les communautés autochtones, parce que nous devons adopter une vision à long terme quand nous légiférons, et parce qu’il favorise la confiance et l’établissement de relations, ce qui améliore le projet de loi pour nous tous.

Pour terminer, je citerai Pam Palmater, membre de la Première Nation Eel River Bar et titulaire de la chaire en gouvernance autochtone à l’Université métropolitaine de Toronto. Voici ce qu’elle a dit quand elle s’est entretenue avec Desmond Cole à l’émission The Breach Show :

Les mesures qui visent à protéger l’environnement ne sont pas des formalités administratives. Les droits des Autochtones ne sont pas des formalités administratives, et les droits et la protection des travailleurs n’en sont décidément pas non plus. Les formalités administratives, c’est lorsqu’il faut remplir 50 formulaires identiques et attendre que quelqu’un les tamponne et lorsque la bureaucratie cause des retards. Aucun de ces droits garantis par la loi au Canada n’est une formalité administrative.

Merci. Nia:wen.

L’honorable Colin Deacon [ + ]

Honorables sénateurs, j’ai le privilège d’être assis à côté d’un homme incroyablement inspirant et intègre, et cela me réjouit vraiment. J’aime l’idée d’étudier des projets de loi très ciblés et courts. Ce n’est pas le cas du projet de loi à l’étude aujourd’hui, et nous prenons connaissance de la complexité des problèmes à résoudre quand l’objectif est ambitieux et difficile à atteindre.

C’est pourquoi je désire mettre l’accent sur le sérieux de l’engagement du premier ministre à respecter les droits et à assumer les responsabilités qui ont été énoncées par la sénatrice LaBoucane-Benson.

Des projets de loi comme celui-ci exigent des compromis et de la confiance. Je ne pense pas que nous ayons déjà adopté un projet de loi méritant une note supérieure à B ou B+ depuis que nous sommes ici. Nous n’avons pas souvent l’occasion d’étudier des projets de loi qui méritent un A. Ils ont tous des défauts et des lacunes. Il faut prendre conscience que nous sommes tenus de faire mieux.

Le projet de loi C-5 est l’une de ces mesures législatives ébahissantes qui nous obligent à travailler main dans la main sur les changements climatiques, l’objectif global de carboneutralité, la production d’énergie, les protections environnementales, les droits des Autochtones, les préoccupations et les doléances des provinces, le tout dans un seul et même texte législatif. C’est un des projets de loi les plus difficiles que nous ayons jamais étudiés.

Dans la liste, je pense que les Autochtones du Canada se trouvent dans un contexte particulier, étant donné les pratiques passées du pays. Je fais partie d’un sous-groupe de l’espèce humaine qui a causé beaucoup de tort dans le passé. Je reconnais donc ce décalage en m’exprimant sur la question. De nombreux préjudices ont érodé la confiance que nous leur inspirons. Comme l’a dit le sénateur Francis, après des générations de préjudices et d’exclusion, les Autochtones canadiens ont plus à perdre qu’à peu près n’importe qui d’autre. Je pense qu’il y a beaucoup de vérité dans ce constat très simple et très direct.

Le premier ministre a défini très clairement une condition préalable à tout projet qu’il entend examiner en vertu de la partie 2, à savoir que celui-ci doit jouir de l’appui des Autochtones. Il l’a dit aux provinces avant leur rencontre : présentez des projets, mais ils doivent avoir l’appui des Autochtones.

Considérons aussi l’honneur de la Couronne : non seulement le roi Charles a dit en ses propres mots combien les paroles et les gestes sont importants dans les relations avec les peuples autochtones du Canada, mais il a aussi relayé les mots du premier ministre. Le premier ministre a donc fait faire des promesses au monarque. Il existe toutes sortes de relations et d’ententes — je les appelle « ententes » parce que je pense que c’est ainsi que les gens devraient considérer les traités. Ce sont des ententes. Au Canada, nous aimons honorer nos ententes; pourtant, nous n’avons pas honoré celles-là. L’engagement suivant a donc été pris :

Pour bâtir un Canada fort, le Gouvernement travaille de près avec les provinces, les territoires et les peuples autochtones afin de repérer et propulser des projets d’intérêt national.

Le gouvernement ajoute qu’il entend accélérer la réalisation de grands projets « dans le respect des normes environnementales du Canada, qui sont de calibre mondial, et de ses obligations constitutionnelles envers les peuples autochtones ».

On peut lire plus loin :

Le Gouvernement sera un partenaire fiable pour les peuples autochtones et respectera son engagement fondamental à faire progresser la réconciliation. La création d’une richesse et d’une prospérité durables en collaboration avec les peuples autochtones est ce qui caractérise cet engagement.

Ce sont là les engagements que le premier ministre a demandé au roi Charles III de prendre au nom du gouvernement.

Les droits, les terres et les processus ont été bafoués dans le passé. Le premier ministre Carney a promis de tracer une nouvelle voie et d’instaurer une nouvelle pratique. S’il ne le fait pas... et je me souviens d’avoir vu la séquence vidéo où vous étiez près de la Chambre des communes et vous disiez : « Si vous ne le faites pas maintenant, vous aurez à le faire plus tard devant les tribunaux. » Je pense que le premier ministre doit savoir que si on n’établit pas une nouvelle pratique dès maintenant, cela finira par tout ralentir à long terme. L’objectif même de ce projet de loi sera compromis.

Pour revenir à hier soir, la sénatrice Duncan a prononcé un discours très passionné sur le modèle de réussite qu’elle et bien d’autres ont travaillé fort à mettre en place au Yukon. Nous devons compter sur le premier ministre pour l’appliquer partout ailleurs. Ce n’est pas la pratique générale. Le fait que nous en parlions aussi longuement au Sénat et que cette question suscite autant d’inquiétudes dans cette enceinte renforce, selon moi, l’idée que si ce nouveau modèle n’est pas suivi, les recours judiciaires seront d’autant plus justifiés que nous aurons exprimé à ce sujet les vives préoccupations qui sont les nôtres actuellement dans cette enceinte.

J’espère donc que le premier ministre dirigera un processus de mise en œuvre pour ce projet de loi en s’inspirant des modèles de réussite comme celui dont la sénatrice Duncan a si bien parlé hier soir. C’est dans cette optique que j’évalue ce projet de loi.

Je respecte vraiment la passion et l’intégrité dont vous faites preuve, sénateur Prosper. Merci.

Le sénateur Prosper [ + ]

Merci.

L’honorable Pierre J. Dalphond [ + ]

Honorables sénateurs, j’aimerais vous expliquer pourquoi je vais m’opposer à cet amendement et appuyer l’adoption du projet de loi C-5 sans amendement.

Je parlerai particulièrement de la partie 2, qui édicte la Loi visant à bâtir le Canada, à la suite d’une réflexion approfondie que j’ai menée par rapport aux préoccupations qui ont été soulevées au Sénat en comité plénier et aux discours qu’ont prononcés certains collègues.

Cette loi vise à doter notre pays des outils nécessaires pour affronter les défis et les bouleversements causés par la guerre tarifaire en cours menée par l’administration américaine.

Mon intervention se divisera en trois parties : le contexte économique entourant le projet de loi C-5 et le besoin urgent d’outils spéciaux pour y répondre, les préoccupations soulevées par les groupes environnementaux et les préoccupations soulevées en relation avec les droits des peuples autochtones.

Chers collègues, le contexte économique entourant le projet de loi C-5 justifie son adoption rapide. Au cours des six mois qui ont suivi l’arrivée au pouvoir du président Trump, le Canada a fait face à une série de mesures tarifaires réelles ou projetées, notamment l’imposition récente de droits de douane de 50 % sur l’aluminium et l’acier. Nos relations commerciales avec notre voisin, qui demeure notre plus proche allié, subissent un changement fondamental marqué par une imprévisibilité croissante. En conséquence, nos exportations vers les États-Unis diminuent, des gens sont mis à pied et de grands projets sont annulés ou reportés.

Selon un récent rapport de Bloomberg, le Canada est déjà entré en récession. Dans de telles circonstances, le gouvernement doit prendre des mesures audacieuses pour favoriser la réalisation de projets susceptibles de renforcer l’économie canadienne et de créer des emplois. C’est précisément ce que la Loi visant à bâtir le Canada vise à faire en fournissant des moyens de favoriser la réalisation rapide de grands projets d’intérêt national qui soutiennent l’objectif ambitieux, mais tout à fait réalisable, selon moi, du gouvernement de faire du Canada l’économie la plus forte du G7.

Je passe maintenant à mon deuxième point, à savoir les diverses préoccupations soulevées par les groupes environnementaux. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que le fait de libérer le potentiel économique du Canada doit aller de pair avec la protection de l’environnement. Je crois aussi que le premier ministre Carney, qui était, jusqu’à récemment, l’envoyé spécial des Nations unies pour le financement de l’action climatique et qui est à l’origine de l’alliance bancaire Net Zéro des Nations unies, est la personne la mieux outillée pour libérer l’énorme potentiel économique du Canada tout en respectant l’environnement.

Je ne suis donc pas surpris de voir dans le préambule de la Loi visant à bâtir le Canada l’engagement du gouvernement à faire respecter des normes rigoureuses de protection de l’environnement, et à l’article 4a, une déclaration claire selon laquelle la protection de l’environnement est l’un des objectifs de la loi.

Le projet de loi prévoit également qu’au moment de décider s’il y a lieu d’ajouter le projet à l’annexe 1, le gouverneur en conseil peut tenir compte de la mesure dans laquelle le projet peut contribuer à la croissance propre et à l’atteinte des objectifs du Canada en matière de lutte contre les changements climatiques, comme nous le voyons au paragraphe 5(6).

De plus, certaines dispositions de la loi prévoient une plus grande transparence qui encouragera les questions à la Chambre, au Sénat et au sein du public sur les enjeux environnementaux et les mécanismes que le gouvernement utilise pour les gérer, comme les motifs des ordonnances prises au titre de la loi; un registre public; le contenu des autorisations délivrées aux promoteurs de projets, y compris toutes les exigences; et la divulgation publique de tous les documents et renseignements utilisés pour délivrer l’autorisation. Cette disposition permanente sur la transparence favorisera les questions, y compris en matière d’environnement.

De plus, la loi, telle qu’amendée, empêche le gouvernement d’ajouter des projets à la liste pendant que le Parlement est prorogé ou dissous. Cela signifie que le gouvernement ne peut exercer ses pouvoirs spéciaux que si le Parlement siège et qu’il est en mesure de remettre en question les décisions du gouvernement et de convoquer des réunions de comités parlementaires pour examiner ces décisions.

Enfin, l’article 24 prévoit que l’examen en continu de l’utilisation par le gouvernement des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi doit être guidé par l’intérêt général du Canada, y compris par la qualité de l’environnement. Cet examen en continu sera effectué par un comité mixte spécial composé de députés et de sénateurs dont fait état la Loi sur les mesures d’urgence. Le sénateur Harder était membre de la précédente mouture de ce comité. Ce dernier doit examiner l’exercice des pouvoirs conférés au gouvernement par la loi et faire rapport aux deux Chambres au moins une fois tous les 180 jours. Ledit processus d’examen portera sur toutes les décisions qui seront prises.

Et, bien sûr, toute décision du gouvernement peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire si elle enfreint les dispositions de la loi, si elle est contraire au but et aux objectifs de la loi, ou si elle va à l’encontre de la Charte des droits et libertés ou de toute autre loi applicable. Les groupes environnementaux ont déjà eu recours à de tels contrôles par le passé et ils ont obtenu gain de cause.

Je passe maintenant aux préoccupations soulevées par certains dirigeants autochtones, notamment en ce qui concerne la nécessité de consulter et d’obtenir un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Soit dit en passant, en examinant le libellé, j’ai compté au moins 10 mentions précises des droits et des intérêts des Autochtones. De plus, à la suite d’un amendement adopté vendredi dernier à la Chambre des communes, le paragraphe 21(2) interdit expressément de contourner la Loi sur les Indiens.

Il est également important de distinguer trois étapes importantes qui ont été confondues dans certains discours : premièrement, la phase de mise en œuvre de cette mesure législative; deuxièmement, la sélection des grands projets, qui mènerait à une approbation; et troisièmement, la réalisation des projets approuvés.

En ce qui concerne le premier point, soit la mise en œuvre de ce projet de loi, je crois comprendre que le premier ministre rencontrera séparément les Premières Nations, les Inuit et les Métis en juillet afin de discuter du cadre de mise en œuvre de la loi.

En ce qui a trait à la deuxième étape, lorsqu’elle a comparu devant nous, la ministre des Relations Couronne-Autochtones a déclaré que le nouveau bureau comprendra un conseil consultatif autochtone. Par conséquent, un point de vue autochtone sera intégré au processus de sélection des projets.

Au sujet de la troisième étape, la loi indique clairement qu’il est obligatoire de consulter les peuples autochtones dont les droits pourraient être affectés par tout projet explicitement approuvé.

Par ailleurs, chers collègues, avant que tout travail puisse être effectué sur le terrain, le gouvernement et les promoteurs doivent s’assurer que les droits inscrits dans notre Constitution, à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, sont pleinement respectés. La législation, y compris ce projet de loi, ne peut pas passer outre les protections constitutionnelles de l’article 35, qui prévoit l’obligation de consulter les peuples autochtones.

Pour citer le ministère de la Justice :

Lorsque la Couronne envisage de prendre une décision susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur les droits ancestraux ou issus de traités protégés par l’article 35, la Couronne a l’obligation de consulter le groupe titulaire des droits [...]

Il poursuit en disant : « La Couronne et les peuples autochtones doivent participer aux consultations de bonne foi [...] »

Ensuite :

L’étendue et le contenu de l’obligation varient selon les circonstances et dépendent de l’évaluation préliminaire de la solidité de la preuve et de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur le droit [...]

Cela découle des décisions de la Cour suprême dans les arrêts Haïda et Mikisew.

Par ailleurs, les consultations de bonne foi peuvent avoir pour effet de révéler une obligation d’accommodement, comme l’a affirmé la Cour suprême dans l’arrêt Haïda. Il convient également de souligner que l’article 35 ne peut être enfreint à la légère. En fait, la Cour suprême s’est largement inspirée de la jurisprudence relative à l’article 1 pour faire peser sur le gouvernement une lourde charge de la preuve en cas de non-respect de l’article 35. Comme le résume le ministère de la Justice :

[...] dans l’arrêt Sparrow, où la Cour suprême du Canada a élaboré un processus analytique en deux étapes, dont la première consiste à déterminer si la mesure avait un objectif législatif régulier. Dans l’affirmative, on passe à la deuxième étape, qui se fonde sur la relation de fiduciaire qu’entretient la Couronne avec les peuples autochtones et les objectifs de réconciliation. À cette étape de l’analyse, le critère doit être adapté au contexte juridique et factuel dans lequel il y a eu atteinte. Les questions à aborder varient selon les circonstances, mais il y a notamment la question de savoir si on a porté le moins possible atteinte à des droits, si une juste indemnisation a été versée et si le groupe a été consulté.

Autrement dit, l’article 35 offre aux peuples autochtones de solides protections constitutionnelles que le Canada doit respecter, y compris dans le cadre des mesures qu’il prendra en vertu de la Loi visant à bâtir le Canada.

Dans l’ensemble, je suis convaincu que l’exécutif exercera les pouvoirs conférés par la loi en toute bonne foi et dans le respect de ses obligations envers les peuples autochtones. Si l’exécutif outrepasse ses pouvoirs, mon expérience comme juge d’appel me dit que les tribunaux n’hésiteront pas à intervenir.

À ce sujet, j’aimerais vous faire part d’une décision historique. Bon nombre d’entre vous n’étaient pas encore nés lorsqu’elle a été rendue. Il s’agit de la décision Kanatewat, qui a été rendue dans ma province, le Québec, avant l’existence de la Loi constitutionnelle de 1982 et de l’article 35 que nous connaissons aujourd’hui. C’était au début des années 1970. J’étais encore adolescent.

En 1971, le Québec a annoncé un vaste projet hydroélectrique dans le Nord de la province. Le plan proposé prévoyait la création de grands réservoirs qui inonderaient de vastes territoires habités par les Cris et les Inuit, qui ont demandé une injonction devant la Cour supérieure du Québec.

Le 15 novembre 1973, la Cour supérieure du Québec a rendu une décision historique de 183 pages accordant une injonction interlocutoire qui a mis fin aux travaux ce jour-là.

Bien que cette décision ait été suspendue dans la semaine qui a suivi, puis cassée en appel, elle a donné lieu à des négociations qui ont abouti au premier accord et traité moderne portant sur des revendications territoriales autochtones : la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.

Chers collègues, nos cadres juridiques et sociaux ont beaucoup évolué au cours des 50 années qui se sont écoulées depuis ce jugement de la Cour supérieure du Québec. Les droits des peuples autochtones sont désormais reconnus plus explicitement et protégés plus fermement, à juste titre, notamment grâce à l’article 35 et à la jurisprudence connexe. Dans le Canada d’aujourd’hui, je suis convaincu que les tribunaux se montreront fermes et interviendront si le gouvernement manque à ses obligations envers les peuples autochtones.

En conclusion, honorables sénatrices et sénateurs, nous avons devant nous un projet de loi qui confère des pouvoirs importants à l’exécutif, mais qui établit aussi des exigences claires en matière de transparence et de contrôle démocratique et qui s’inscrit dans un cadre constitutionnel qui protège les droits ancestraux et les droits de tous les Canadiens en vertu de la Charte.

Pour moi, cela représente un juste équilibre entre nos principes et les priorités en jeu. C’est pourquoi je vous invite à faire comme moi et à voter contre cet amendement et en faveur du projet de loi.

Merci. Meegwetch.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Elle est rejetée. Je n’ai pas entendu de oui.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le vote aura lieu à 13 h 55.

Convoquez les sénateurs.

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