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La Loi sur les Indiens

Projet de loi modificatif--Présentation du premier rapport du Comité des peuples autochtones--Ajournement du débat

27 novembre 2025


L’honorable Margo Greenwood [ - ]

Propose que le rapport soit adopté.

 — Honorables sénateurs, je veux tout d’abord reconnaître que je m’exprime depuis les territoires traditionnels non cédés du peuple algonquin anishinaabe.

En ma qualité de vice-présidente du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, j’ai l’honneur de prendre la parole au sujet du projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits d’inscription). Comme la sénatrice Audette est à la fois présidente du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et marraine du projet de loi, elle s’est récusée de son rôle de présidente pour la durée de l’étude afin de préserver la neutralité de la présidence. En tant que vice-présidente du comité, j’ai assumé le rôle de présidente au cours de l’étude du projet de loi S-2 par le comité.

Le projet de loi S-2 modifie la Loi sur les Indiens afin de remédier aux répercussions héritées de l’émancipation en accordant de nouveaux droits à ceux qui ont été émancipés ou dont les ancêtres ont été émancipés. Ceux qui ne sont pas admissibles à ces droits sont autorisés à faire consigner leur nom sur une liste de bande tenue par Services aux Autochtones du Canada. Cette mesure fait suite à la décision rendue par la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l’affaire Nicholas c. Canada (Procureur général), qui a conclu que l’alinéa 6(1)a.1) et l’ensemble de l’alinéa 6(1)d) de la Loi sur les Indiens enfreignaient de manière injustifiée l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Le projet de loi S-2 va au-delà de l’arrêt Nicholas et comprend d’autres modifications à la Loi sur les Indiens. Il modifie la loi afin de permettre aux personnes d’éliminer leur inscription au registre. Ainsi, une personne peut demander que son nom soit retiré du registre des Indiens tout en conservant son droit à être inscrite, et cela n’a pas d’incidence sur les générations suivantes.

Le projet de loi modifie également la Loi sur les Indiens afin que les femmes qui se sont mariées avant 1985 et qui ont alors été transférées automatiquement à la bande de leur mari aient le droit d’être membres de la bande dans laquelle elles sont nées.

Enfin, le projet de loi S-2 modifie la Loi sur les Indiens afin de remplacer des termes désuets et offensants. Il remplace l’expression « Indien mentalement incapable » par « adulte dépendant ».

Dans le cadre de son examen du projet de loi S-2, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a tenu 12 réunions et entendu 62 témoins différents. Cela comprend deux comparutions distinctes de la ministre Gull-Masty. De plus, le comité a reçu et publié 49 mémoires provenant d’organisations et de particuliers de partout au Canada. Bien que tous les témoins se soient montrés favorables aux modifications à la Loi sur les Indiens dont je viens de parler, ils ont presque tous convenu que ces modifications n’allaient pas assez loin pour éliminer la discrimination dont sont encore victimes les Premières Nations à ce jour.

Sénateurs, l’exclusion après la deuxième génération est l’aspect discriminatoire soulevé par presque tous les témoins. De manière plus précise, les modifications adoptées par le Parlement en 1985 ont créé deux catégories de statut d’Indien, c’est-à-dire les statuts des paragraphes 6(1) et 6(2). Le statut d’Indien en général est le statut juridique d’une personne inscrite en vertu de la Loi sur les Indiens, et il s’accompagne d’un ensemble de droits légaux, de restrictions et de droits reconnus définis dans la Loi sur les Indiens.

Une personne inscrite en vertu du paragraphe 6(1) peut transmettre ce statut à ses enfants, peu importe si elle épouse une personne sans statut. Si elle épouse une personne sans statut, ses enfants pourront être inscrits en vertu du paragraphe 6(2). Toutefois, les enfants issus de l’union entre une personne inscrite en vertu du paragraphe 6(2) et une personne sans statut ne seront pas admissibles à l’inscription. Ces enfants ne seront plus reconnus comme Indiens inscrits par le gouvernement et ils perdront leurs droits ancestraux, leurs droits issus de traités et leur identité.

La cheffe nationale Cindy Woodhouse Nepinak a déclaré au comité que, bien que l’Assemblée des Premières Nations « appuie la lutte à la discrimination que le projet de loi S-2 est censé éliminer », elle estime également que ce projet de loi constitue une nouvelle « [...] approche fragmentaire pour lutter contre la discrimination alors que cette approche n’a jamais fonctionné, ne rétablira jamais la justice et n’offrira jamais de solutions durables. »

Elle a ajouté :

[L]’Assemblée des Premières Nations entérine les modifications à la Loi sur les Indiens qui abrogent la règle de l’exclusion après la deuxième génération et introduisent un régime d’octroi du statut d’Indien aux descendants directs d’un Indien inscrit ou d’une personne ayant le droit à l’inscription ou qui pourrait être admissible à ce droit.

Pam Palmater a dit au comité que, même si elle appuie le projet de loi S-2, elle croit que le Sénat :

[...] doit amender le projet de loi afin d’abolir l’exclusion après la deuxième génération. On ne peut tout simplement pas adopter un autre projet de loi [...] où on avance à pas de tortue tout en tenant mordicus à l’extinction législative des droits ancestraux des peuples autochtones.

Zoë Craig-Sparrow, de Justice for Girls, a dit au comité :

Je rejette totalement toute suggestion selon laquelle les peuples autochtones s’entendent à dire qu’il vaut mieux aller de l’avant avec le projet de loi S-2 dans sa forme actuelle et régler la question du seuil de la deuxième génération plus tard. On ne peut pas mettre fin à la discrimination de façon graduelle. Nous ne pouvons pas assurer l’égalité pour quelques personnes, puis attendre des années, voire jamais, avant qu’un autre projet de loi ne soit adopté avec des modifications fragmentaires et que l’égalité réelle demeure un rêve chimérique, surtout si nous avons la possibilité de faire les deux.

Cora McGuire-Cyrette, directrice générale de l’Ontario Native Women’s Association, nous a dit ceci :

Si la règle de l’exclusion après la deuxième génération est maintenue, le nombre d’Indiens inscrits diminuera avec le temps, ce qui finira par mener à l’extinction des Indiens inscrits et de communautés entières. La règle du parent unique s’attaque non seulement au problème urgent de l’extinction, mais aussi à celui de la discrimination sexuelle.

Elle a demandé à notre comité de « [...] remédier pleinement à la discrimination sexuelle qui subsiste dans la Loi sur les Indiens [...] »

De nombreux témoins ont également fait allusion au rapport de 2022 du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, intitulé C’est assez! Finissons-en avec la discrimination quant à l’inscription au registre des Indiens. Ce rapport recommandait que le gouvernement du Canada présente un projet de loi abrogeant le paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens. Le comité a répondu aux appels lancés par la grande majorité de ses témoins en vue de remédier à cet élément discriminatoire préjudiciable dans la Loi sur les Indiens.

En réponse, quatre amendements ont été apportés au projet de loi et approuvés par le comité. Le premier amendement au projet de loi S-2 comporte quatre volets. Premièrement, il modifie l’alinéa 6(1)a.3) de la Loi sur les Indiens afin de supprimer la règle d’exclusion de 1985.

Deuxièmement, il a modifié l’alinéa 6(1)f) de cette loi afin d’adopter la règle du parent unique.

Troisièmement, il a abrogé les paragraphes 6(2) et 6(2.1) de la loi afin de supprimer la règle d’exclusion après la deuxième génération.

Quatrièmement, il a modifié l’alinéa 6(3)b) de cette loi afin d’assurer que les générations futures puissent toujours être inscrites même si leur parent est décédé, si ce parent avait le droit d’être inscrit en vertu des nouvelles règles, et il a supprimé la référence au paragraphe 6(2) afin d’assurer la cohérence.

Le deuxième amendement modifie l’alinéa 11(1)d) de la Loi sur les Indiens, abroge l’alinéa 11(2)a) et modifie l’alinéa 11(2)b). Ce deuxième amendement fait en sorte que les personnes nouvellement admissibles à l’inscription — en raison de la suppression de la règle d’exclusion après la deuxième génération — seront ajoutées à la liste de bande prévue à l’article 11.

Le troisième amendement a ajouté deux dispositions de type « il est entendu que » au projet de loi afin d’assurer qu’il n’y ait pas de conséquences imprévues liées à la suppression du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens, en précisant que le registraire doit reconnaître tous les droits à l’inscription qui existaient en vertu du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens immédiatement avant la date d’entrée en vigueur des amendements apportés au projet de loi S-2.

Le quatrième amendement concerne le report de la date d’entrée en vigueur des trois amendements précédents. L’amendement initial prévoyait un délai de six mois, mais le comité a approuvé un sous-amendement qui porte ce délai à 12 mois. Cela donnerait plus de temps à la ministre pour terminer ses consultations et présenter un projet de loi distinct qui pourrait répondre à d’autres préoccupations et déterminer comment accueillir les nouvelles personnes ayant droit à l’inscription.

En outre, le comité a également rejeté les articles 10 et 11 du projet de loi S-2 sur l’« absence de responsabilité », qui empêchaient les demandes de redressement pour les préjudices subis en raison d’inégalités dans les dispositions discriminatoires concernant l’inscription dans la Loi sur les Indiens.

Le retrait des articles 10 et 11 répond à la demande faite par pratiquement tous les témoins en raison des obstacles à la justice créés par les dispositions d’« absence de responsabilité ».

Comme l’a souligné Mme Buffalo :

Nous nous opposons aux dispositions de non-responsabilité à l’égard des personnes qui ont été lésées et le sont toujours à cause de modifications apportées à la Loi sur les Indiens concernant l’appartenance. Il faut respecter l’esprit de la réconciliation et prévoir des recours.

Sharon McIvor, membre du Groupe de travail sur la discrimination sexuelle dans la Loi sur les Indiens, a dit ceci :

Nous n’avons trouvé aucune autre loi canadienne qui fasse obstacle à l’indemnisation pour discrimination. Les obstacles violent la Charte et les traités internationaux ratifiés par le Canada. Après tout le reste, les femmes des Premières Nations ne devraient pas avoir à se pourvoir en justice pour éliminer cet obstacle.

De plus, le rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones intitulé C’est assez! Finissons-en avec la discrimination quant à l’inscription au registre des Indiens avait également abordé la question des obstacles à l’indemnisation entraînés par les dispositions d’absence de responsabilité. Dans le rapport, on peut lire ceci :

Le comité convient avec les témoins que des mesures de réparation, notamment une indemnisation et des excuses officielles, sont essentielles pour reconnaître les préjudices subis par les femmes des Premières Nations et leurs descendants et engendrés par les dispositions discriminatoires de la Loi sur les Indiens en matière d’inscription […] En outre, le comité estime que les dispositions d’absence de responsabilité doivent être abrogées pour permettre aux femmes des Premières Nations et à leurs descendants de réclamer une indemnisation […]

À ce titre, la suppression de ces deux articles est conforme aux témoignages actuels et aux études antérieures du comité sur la discrimination dans les pratiques d’inscription.

Le comité a également formulé de nombreuses observations dans son rapport sur le projet de loi S-2.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Sénatrice, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous plus de temps pour terminer vos remarques et répondre peut-être à des questions? Demandez-vous cinq minutes de plus?

La sénatrice Greenwood [ - ]

Oui, s’il vous plaît.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

La sénatrice Greenwood [ - ]

Merci, Votre Honneur.

J’ai plusieurs observations à citer, donc je les lirai très rapidement.

Premièrement, le comité voit favorablement les dispositions du projet de loi qui corrigent l’injustice historique de l’émancipation, et qui rétablissent le droit à l’inscription des personnes et de leurs descendants.

Deuxièmement, le comité a pris connaissance de nombreux cas de discrimination causée par la Loi sur les Indiens et fondée sur la race, le sexe et l’état civil.

Troisièmement, le comité reconnaît qu’il est important que les Premières Nations exercent l’autodétermination et affirme qu’il doit appartenir aux Premières Nations de décider qui est citoyen de la nation et que le pouvoir décisionnaire final à cet égard doit résider dans la nation elle-même.

Quatrièmement, des témoins ont dit au comité que les obstacles à l’indemnisation qu’on trouve dans la Loi sur les Indiens sont contraires à la Charte et aux traités internationaux ratifiés par le Canada. Le comité est d’accord avec ces témoins pour dire que les femmes des Premières Nations ne devraient pas avoir à se tourner vers les tribunaux.

Cinquièmement, le comité estime qu’un engagement clair et prévu par la loi est nécessaire afin de fournir un financement suffisant, durable et prévisible aux Premières Nations pour qu’elles puissent administrer les nouvelles règles sur le statut et l’appartenance.

Sixièmement, le comité a observé une certaine confusion dans la signification des termes « statut d’Indien », « appartenance à une bande » et « citoyenneté ». En effet, ces termes ont parfois été utilisés de manière interchangeable au cours de l’étude.

Septièmement, le comité est d’avis que la question de savoir qui sont les « détenteurs de droits » manque de clarté, ce qui revêt une importance particulière pour les besoins de la consultation fédérale concernant la discrimination fondée sur le sexe et la race dans la Loi sur les Indiens.

Huitièmement, le projet de loi S-2 permet aux personnes qui récupèrent leur statut et à celles qui avaient été automatiquement transférées à la bande de leur mari de retourner à leur bande natale; or, cette possibilité concerne uniquement les Premières Nations dont la liste des membres de la bande est gérée par le gouvernement du Canada conformément à l’article 11 de la Loi sur les Indiens. Les Premières Nations qui gèrent leur liste de membres conformément à l’article 10 ne devraient pas avoir la possibilité de refuser l’appartenance à la bande aux personnes nouvellement rendues admissibles.

Neuvièmement, le comité a également appris que la perte du statut et du lien communautaire prive aussi les personnes concernées de leurs droits inhérents issus des traités signés avec le Canada. Il est impératif que toute restauration du statut soit accompagnée de la reconnaissance des droits issus des traités. Le comité demande donc au Canada de restaurer entièrement les droits et les avantages découlant des traités pour les personnes qui récupèrent leur statut.

Je tiens à conclure en remerciant tous les sénateurs, les greffiers, les analystes et les membres du personnel qui ont travaillé sur ce rapport.

Avant tout, je tiens à remercier les témoins qui ont comparu devant le comité. Merci pour votre ténacité et votre persévérance, merci d’avoir fait part de vos expériences personnelles et merci de vous élever contre la discrimination. Le comité vous a entendu et a agi au mieux de ses capacités pour régler les problèmes soulevés dans vos témoignages.

Merci, honorables sénateurs. Hiy hiy.

L’honorable Pierre Moreau (représentant du gouvernement au Sénat) [ - ]

Honorables sénateurs, je tiens à souligner que nous sommes réunis sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe et à exprimer mon engagement à promouvoir la vérité et la réconciliation avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

Je prends la parole au sujet du rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur le projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription).

De prime abord, je souhaite remercier le comité et exprimer tout le respect que j’ai pour son travail. Je tiens à souligner l’excellence du travail de la sénatrice Greenwood, qui a présidé ses travaux. Je m’engage personnellement, tout comme le gouvernement, à appuyer avec sincérité et humilité les efforts en vue d’éliminer les iniquités toujours présentes dans la Loi sur les Indiens. Nous partageons tous et toutes cet objectif, et nous devons travailler ensemble. Le rapport du comité étant achevé depuis quelques jours déjà, je souhaitais profiter de la première occasion pour me prononcer sur les importants enjeux qu’il soulève. Nous devons tous garder à l’esprit qu’il y a une échéance judiciaire à respecter, et surtout, que l’avenir d’environ 3 500 personnes dépend de l’adoption de ce projet de loi.

Honorables collègues, comme la plupart d’entre vous dans cette enceinte, je ne suis pas d’origine autochtone et, comme la plupart d’entre vous, je suis appelé à me prononcer sur les modifications à apporter à la Loi sur les Indiens, une loi qui a profondément perturbé et bouleversé la vie de générations d’Autochtones.

Non seulement nous sommes appelés à délibérer sur des questions fondamentales pour les Autochtones, mais on nous demande aussi, chers collègues, de le faire en sachant très bien que les peuples autochtones de ce pays ont souffert pendant plus d’un siècle d’une forme de discrimination et d’oppression autorisée par l’État ou, autrement dit, de l’histoire du colonialisme.

Bien que le Canada ait pris des mesures importantes et procédé à des réformes pour reconnaître les graves injustices du passé, celles-ci persistent toujours. Elles découlent d’un passé colonial honteux qui s’est prolongé à travers des pratiques discriminatoires au sein de gouvernements successifs. Nous devons y faire face avec vérité et honnêteté dans la poursuite de notre objectif ultime de réconciliation.

Dans la poursuite de cet objectif ultime, le Canada s’est imposé des obligations constitutionnelles afin de prouver aux peuples autochtones sa sincérité et sa détermination à tourner le dos à ce passé colonialiste et sa volonté de voir l’avenir dans une perspective de relation de nation à nation et, ce faisant, de permettre aux communautés autochtones de choisir leur propre destinée.

Notre responsabilité comme sénateurs est de nous assurer que le gouvernement respecte ses obligations telles qu’elles ont été précisées par la Cour suprême du Canada, et non pas de nous employer à les contourner.

Lorsque le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a examiné les amendements qui nous sont présentés dans son rapport, j’ai déclaré, et je le répète aujourd’hui, que nous sommes tous d’accord sur les problèmes posés par l’exclusion après la deuxième génération, et que nous sommes unis dans notre désir d’éradiquer la discrimination dans la Loi sur les Indiens. La ministre convient, et je suis tout à fait solidaire de son point de vue, que la question de l’exclusion après la deuxième génération doit être résolue. Notre obstacle ne porte donc pas sur le fond des choses, mais bien sur la façon d’y parvenir.

Honorables sénateurs, rappelons-nous la teneur du projet de loi S-2.

Le projet de loi S-2 vise principalement à donner suite à la décision rendue dans l’affaire Nicholas. Dans le cadre de l’affaire Nicholas, le gouvernement s’est engagé à présenter un projet de loi visant à corriger les inégalités causées par les dispositions relatives à l’émancipation.

Le précédent projet de loi C-38, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription), qui est présenté de nouveau sous le numéro S-2, a été déposé le 14 décembre 2022. Il proposait quatre modifications visant à répondre aux questions soulevées et aux recommandations formulées au cours du processus collaboratif de 2018-2019, notamment en matière d’émancipation et de désinscription.

Comme l’a déclaré la ministre, le projet de loi S-2 propose de rétablir le droit à l’inscription des personnes et de leurs descendants qui l’ont perdu à la suite d’une émancipation, souvent involontaire.

De plus, après avoir reçu la sanction royale, le projet de loi S-2 donnerait aux membres des Premières Nations le pouvoir de se retirer du registre des Indiens et de reprendre le contrôle de leur identité. Il éliminerait les termes désuets et offensants de la loi concernant les personnes dépendantes. Il faciliterait le retour des personnes dans la bande des Premières Nations où elles sont nées.

Chers collègues, la ministre a reconnu que le projet de loi S-2 ne répondait pas à toutes les préoccupations soulevées par la Loi sur les Indiens. Il a été rédigé pour répondre à des préoccupations précises, principalement en réaction à l’affaire Nicholas.

En août dernier, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a statué que le gouvernement avait jusqu’au 30 avril 2026 pour répondre aux préoccupations soulevées dans l’affaire Nicholas.

Si nous respectons l’intention du projet de loi tel qu’il a été initialement rédigé, les deux Chambres peuvent faciliter l’achèvement des travaux et l’adoption de cet important texte législatif avant la date limite fixée par le tribunal.

L’adoption de ce projet de loi aurait un effet immédiat et concret sur environ 3 500 membres des Premières Nations. Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a entendu directement le témoignage de certains des membres qui seraient directement touchés, comme la Michel Callihoo Nation Society, qui, dans son mémoire, a déclaré que, même si certaines iniquités subsisteraient :

Le projet de loi, s’il est adopté, représente une étape importante vers la réconciliation des relations douloureuses entre le Canada, la bande Michel no 472, qui a été dissoute, et les descendants modernes de la bande historique du Traité no 6 [...]

Certains pourraient penser que cela n’est pas suffisant. Il s’agit néanmoins d’un progrès positif, d’une avancée concrète qui a un effet direct sur la vie de milliers de personnes. Pourquoi devrions-nous retarder les choses?

Il convient de rappeler que la ministre reconnaît qu’il subsiste des inégalités dans la Loi sur les Indiens. Elle a également souligné que l’article 10 de la loi rend difficile pour les Premières Nations de reprendre le contrôle de leurs listes d’adhésion en raison des seuils de vote élevés qui continuent de devenir de plus en plus inaccessibles et, bien sûr, du problème des exclusions de deuxième génération, qui a occupé la majeure partie de l’étude du comité.

Je souhaite à nouveau, avec tout le respect que je vous dois, faire connaître la position du gouvernement et réitérer l’engagement pris par la ministre envers les sénateurs, les Premières Nations et les Canadiens. À la fin septembre, lors de sa première intervention devant le Comité des peuples autochtones, la ministre Gull-Masty a reconnu que la règle d’exclusion après la deuxième génération continuait d’éroder les droits au fil des générations. Elle a expliqué, et je cite :

Selon cette règle, si une personne admissible épouse une personne n’y ayant pas droit, leurs enfants de la deuxième génération seront admissibles, mais pas leurs petits-enfants.

Voilà, en quelques mots, ce qu’est la règle d’exclusion de la deuxième génération.

En septembre, la ministre a également expliqué qu’elle était à l’écoute et que des consultations sur la règle de la deuxième génération étaient en cours. Elle a réitéré son message aux sénateurs lors d’une deuxième comparution devant le Comité des peuples autochtones au début de novembre, ainsi que dans un mémoire qu’elle a soumis à au comité le 7 novembre. J’invite les sénateurs à prendre connaissance de cet important document.

Je souhaite revenir sur le mémoire que la ministre a présenté le 7 novembre au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. La ministre a écrit : « Pour moi, la question n’est pas de savoir si nous allons régler la question d’inadmissibilité après la deuxième génération, mais comment nous allons le faire. »

Honorables sénateurs, tel est le dilemme auquel nous sommes confrontés. Quels moyens prendrons-nous? Comment procéderons-nous? Comment sortirons-nous de cette impasse? La question des moyens à employer est cruciale. Il est certain que la fin ne justifie pas les moyens. En ce qui concerne l’obligation de consulter, ce sont les moyens qui, en fin de compte, définissent la fin. Il appartient aux communautés autochtones de déterminer la voie à suivre. Elles doivent élaborer et proposer leurs propres solutions.

La ministre explique ensuite qu’elle est à l’écoute, comme il se doit, dans le cadre de consultations avec les communautés et les détenteurs de droits.

Je reviens à son mémoire :

[...] [le gouvernement a] lancé un processus de consultation élaboré conjointement en novembre 2023. Ce processus vise à corriger les inégalités persistantes dans la Loi sur les Indiens que nous nous sommes engagés à régler, y compris la règle d’inadmissibilité après la deuxième génération [...]

La ministre poursuit son explication :

À l’heure actuelle, nous consultons de nombreuses Premières Nations détentrices de droits et organisations des Premières Nations sur les solutions proposées pour la voie à suivre et sur la manière de régler efficacement la question de l’inadmissibilité après la deuxième génération [...]

Dans le cadre de ce processus, nous voulons nous assurer de proposer une solution aux inégalités persistantes qui repose sur un consensus des Premières Nations détentrices de droits, tout en évitant des conséquences imprévues qui pourraient créer de nouveaux obstacles ou de nouvelles inadmissibilités et reproduire le type de discrimination même que nous cherchons à éliminer. L’objectif doit être d’avancer de manière à renforcer l’équité et à rétablir les droits, plutôt que d’ouvrir la porte à de nouveaux préjudices.

Chers collègues, certains rappellent que le gouvernement mène des consultations depuis plus de 40 ans. J’en conviens. Personne ne nie que différents types de consultations, plus ou moins complexes, ont eu lieu au cours des dernières décennies. L’héritage du colonialisme au Canada rend toutefois le processus de réconciliation difficile et compliqué. Les consultations doivent être spécifiques, menées par la Couronne et ancrées dans les communautés, et non rattachées à un comité parlementaire.

Comme la ministre l’a déclaré lors de sa deuxième comparution, « Le devoir de consulter n’est pas qu’une simple case à cocher. »

Son ministère est actuellement en train de conclure le processus de consultation des organisations des Premières Nations et des titulaires de droits sur la règle d’inadmissibilité. La ministre a dit :

Ces engagements sont la fondation d’un dialogue direct et approfondi avec les Premières Nations sur la façon d’aborder les modifications à la Loi. Présenter un amendement au projet de loi S-2 sans respecter notre obligation juridique fondamentale de consulter ne ferait que répéter des méthodes dépassées, à savoir l’imposition unilatérale de solutions législatives.

La ministre poursuit en soulignant l’importance du processus qu’elle a entrepris. Je la cite à nouveau dans son intégralité :

Je tiens à être très claire à ce sujet : le Canada doit respecter son obligation de consultation prévue à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. C’est la responsabilité du gouvernement du Canada, et je prends cela très au sérieux. En tant qu’ancienne grande cheffe de ma nation, en tant que cheffe adjointe de ma communauté, je réaffirme que nous avons l’obligation de veiller à ce que le gouvernement respecte son obligation de consultation, et je continuerai de faire valoir ce message dans mon rôle de ministre. Le message restera le même.

Honorables sénateurs, nous avons, dans cette enceinte, une longue tradition qui consiste à demander des comptes au gouvernement quant à son obligation constitutionnelle de consulter les peuples autochtones. Lors de la 42e législature, dans ses observations sur le fait que les projets de loi d’initiative parlementaire rédigés au Sénat et à l’autre endroit n’étaient pas assujettis à la moindre application de cette obligation et que cela posait problème, l’ancien sénateur Dan Christmas a déclaré ceci :

Je tiens à préciser que, alors que nous nous efforçons de comprendre et de déterminer comment le Sénat favorisera la réconciliation avec les Autochtones, il faut absolument que l’ensemble du Parlement et du gouvernement accepte volontiers l’obligation de consulter les Autochtones.

Lors de la troisième lecture, toujours au cours de la 42e législature, alors qu’elle parlait du projet de loi S-3, qui apportait des modifications importantes à la Loi sur les Indiens afin d’éliminer les inégalités fondées sur le sexe relativement à l’inscription au registre des Indiens, l’ancienne sénatrice Lillian Dyck a dit ceci :

Au cours de l’étude initiale du projet de loi par le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, de très nombreux témoins nous ont dit que le processus de consultation concernant ce projet de loi avait été très expéditif et qu’il ne respectait pas le devoir de consultation.

Chers collègues, le processus de consultation est défini. Il ne doit pas être mené de manière précipitée ni être un faux-semblant. En toute humilité, comment pouvons-nous ne pas accorder le même sérieux au devoir de consultation que ne le fait la ministre? Le devoir de consultation n’est pas abstrait, symbolique ou une simple formalité administrative à reléguer au second plan. Il s’agit d’un droit constitutionnel acquis de haute lutte par les peuples autochtones. Il s’agit d’une obligation constitutionnelle que nous devons respecter en tant que sénateurs. En outre, comme l’ont fait la sénatrice Dyck et le sénateur Christmas, nous avons le devoir de veiller à ce que le gouvernement respecte cette obligation.

Dans l’état actuel des choses, j’ai le regret de vous dire qu’appuyer un tel amendement signifierait que le Sénat approuve le fait de passer outre à cette obligation acquise de haute lutte par les peuples autochtones — une obligation que la Couronne est tenue de respecter.

Dans le cadre de notre travail, nous devons démontrer notre engagement à affirmer le droit inhérent des peuples autochtones au « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause », au Plan d’action de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et aux engagements pris dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones elle-même.

Chers collègues, alors que nous continuons de corriger les injustices de la Loi sur les Indiens, nos actions doivent refléter ces engagements.

Honorables sénateurs, compte tenu de l’orientation prise par l’examen de ce projet de loi, les médias s’y sont montrés attentifs. Ils ont rapidement rendu compte des résultats de la réunion consacrée à l’examen article par article au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Le lecteur qui ne connaît pas bien notre système bicaméral pourrait facilement avoir l’impression, à la lecture de ces nouvelles, que la Loi sur les Indiens a effectivement été modifiée pour remédier au problème de l’exclusion après la deuxième génération. Mis à part le mérite de la couverture médiatique lorsqu’un projet de loi en est à cette étape du processus législatif, l’attention suscitée par le projet de loi S-2 a contraint la ministre à faire connaître son point de vue par des voies extraparlementaires.

Avant de conclure, je pense qu’il est utile d’intégrer à nos délibérations ce que la ministre a déclaré à La Presse canadienne. Son message reflète la position de l’autre endroit et la fermeté avec laquelle le gouvernement s’oppose aux modifications proposées.

La ministre Gull-Masty explique :

Au vu des propositions du Sénat, il s’agit du travail qu’ils ont choisi d’entreprendre. Mais pour moi, il est bien plus important de retourner consulter la communauté et de lui demander: quels sont les critères (que vous voulez pour le statut de membre des Premières Nations)?

Elle poursuit :

Le statut d’Indien inscrit est une construction de la Loi sur les Indiens. Le statut de membre des Premières Nations, quant à lui, est, à mon avis, un travail de définition que la communauté doit entreprendre. Cela fait partie du processus de collaboration. C’est là, je crois, que les membres de la communauté doivent saisir l’occasion de dire à leurs chefs et à leurs conseils : « Voici ce que je pense, voici comment nous voulons le définir. »

Chers collègues, en termes simples, la ministre explique son obligation envers les détenteurs de droits et les communautés et son obligation de les consulter. Ce qui me laisse perplexe, franchement, c’est que nous débattons d’amendements à un projet de loi qui, s’il était adopté, ne survivrait pas à une contestation judiciaire des groupes touchés par ce projet de loi.

Honorables sénateurs, deux options s’offrent à nous : adopter ce rapport et attendre l’étape de l’étude du message pour que le projet de loi soit rétabli dans sa forme initiale et risquer de retarder son adoption avant la date butoir fixée par la Cour, qui est en avril. Ou nous pouvons remplir notre obligation constitutionnelle, respecter notre longue tradition qui consiste à demander des comptes au gouvernement quant à son obligation constitutionnelle de consulter, ne pas adopter ce rapport, laisser la ministre mener à bien le processus de consultation, qui est censé s’achever dans les prochaines semaines, et attendre un projet de loi distinct sur la question que l’amendement tente de régler.

Au nom des 3 500 personnes et de leurs descendants qui retrouveront leurs droits, je vous prie respectueusement de rejeter ce rapport afin que nous puissions continuer à travailler avec la ministre et le gouvernement pour remédier à la règle d’exclusion après la deuxième génération.

Merci. Meegwetch.

L’honorable Michèle Audette [ - ]

Le représentant du gouvernement accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Moreau [ - ]

Oui, bien sûr.

La sénatrice Audette [ - ]

Sénateur Moreau, étiez-vous au courant de la décision Mikisew Cree First nation c. Canada de 2018 qui dit clairement :

« l’obligation de consulter ne s’applique pas au processus législatif ».

Je comprends que c’est ce que nous faisons, c’est ce que nous avons fait et c’est ce que nous devons faire.

Ensuite, on peut certainement ajouter une troisième option, celle d’adopter un projet avec des amendements mûrement réfléchis. Cette option devrait être ajoutée. Nous devrions aussi avoir un débat démocratique.

Sénateur Moreau, je suis une Innue concernée par la Loi sur les Indiens. Je suis aussi la première femme innue à être sénatrice. La ministre — que j’apprécie beaucoup — et moi rêvons d’avoir la même chose qu’eux, c’est-à-dire la règle d’un parent depuis la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. Pourquoi mes droits, en tant que femme indienne — si on parle de la Loi sur les Indiens — doit passer par une obligation de consulter, alors que dans cette enceinte, il n’y a pas très longtemps, le projet de loi C-5 n’a pas eu ce même discours, cette même réalité et ces mêmes actions? Je n’ai pas senti qu’il y avait une obligation de consulter. Pourquoi les droits de la personne et des femmes, en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, doivent se soumettre à un long processus qui n’est pas exigé par la cour? Parce qu’on débat sur un projet de loi, mais on ne semble pas utiliser cette même obligation pour le même gouvernement qui est au pouvoir en ce moment.

Merci.

Le sénateur Moreau [ - ]

Merci pour les questions, sénatrice Audette.

Vous savez que dans une autre vie, j’ai eu le privilège de travailler en étroite collaboration avec les communautés autochtones, notamment les communautés innues du Québec. J’ai le plus grand respect pour eux. Je comprends de votre question que vous ne souhaitez pas un débat juridique sur l’application des dispositions constitutionnelles ou encore sur l’interprétation que je pourrais donner aux décisions de la Cour suprême du Canada.

Je connais bien la décision à laquelle vous référez. L’obligation de consulter a aussi été définie dans d’autres décisions de la Cour suprême du Canada. Je suis convaincu que le sénateur Prosper est au courant de ces décisions également.

Cette obligation de consulter est encadrée par un mécanisme extrêmement précis. C’est une obligation qui est faite à la Couronne. Elle a été instaurée non seulement dans la Loi constitutionnelle qui est la loi suprême du Canada, mais également dans l’interprétation qu’en a donnée la Cour suprême en encadrant tout le processus lié à la consultation. La raison pour laquelle la Cour suprême a encadré le processus de consultation est que des communautés autochtones ont saisi la cour de cette question et ont demandé dans quelle mesure les obligations de consulter s’appliquaient au gouvernement et à la Couronne. L’obligation qui est faite à la Couronne de consulter les Premières Nations a été un gain que les Premières Nations elles-mêmes ont obtenu dans l’interprétation qu’a donnée la Cour suprême de l’article 35 de la Constitution.

Ce qui me frappe aujourd’hui n’est pas le fond du débat, parce qu’en général, lorsqu’on s’oppose à une question législative, c’est parce que le gouvernement a une prétention et que l’opposition en a une autre. Ici, il n’y a pas de mésentente sur le fond du débat. La ministre est venue dire deux fois en comité ministériel qu’elle partageait tout à fait l’opinion des gens qui ont été entendus sur les effets discriminatoires de la Loi sur les Indiens et sur l’obligation d’y mettre fin et de remédier à cette situation.

Cependant, la façon de le faire, contrairement aux droits de la personne que vous avez évoqués et aux autres droits qui sont enchâssés dans la Constitution, le droit pour la Couronne de venir modifier une disposition qui concerne les dispositions des Premières Nations est assujetti à l’obligation de consultation.

On a eu plusieurs conversations ensemble, vous me l’avez dit parfois et avec justesse, et je le disais dans mon discours que cela fait 40 ans qu’on consulte. Ce n’est pas en exprimant que cela fait 40 ans que l’on consulte que cette consultation répond aux critères imposés par la Cour suprême et l’article 35 de la Loi constitutionnelle.

La ministre est venue dire que sur le point précis de l’exclusion après la deuxième génération, des consultations encadrées selon les obligations qui sont faites par la Couronne sont en cours depuis 2023 et prendront fin en décembre 2025. C’est à la suite de ces consultations que les dispositions pourront validement être intégrées dans un projet de loi et atteindre l’objectif ultime que vous et moi partageons : corriger les iniquités qui se trouvent dans la Loi sur les Indiens.

La ministre est venue ajouter sa vision personnelle d’une consultation : ce n’est pas au gouvernement de dessiner un plan, de le présenter aux Premières Nations et de leur demander leur accord. Pour la ministre, la consultation va beaucoup plus loin que cela. Pour la ministre, la consultation est un processus qui permet aux Premières Nations elles-mêmes de définir et de dessiner les motifs qui seront éventuellement inclus dans un projet de loi pour déterminer leur avenir.

Selon moi, c’est la meilleure définition que l’on puisse donner d’une relation de nation à nation. Une nation ne doit pas dicter à l’autre comment les choses devront faites. Il s’agit plutôt de s’entendre sur comment on souhaite que les choses soient faites. C’est cela le principe de consultation.

J’ai le plus grand respect pour les travaux qui ont été faits par le comité. Je ne suis pas de descendance autochtone. J’ai lu et entendu les témoignages poignants de gens qui disent vivre de la discrimination. Personne ne peut sortir sans être ému de ce genre d’exercice.

Pour régler le problème de ces gens, la position du gouvernement ainsi que la mienne est que nous avons une obligation et un mode d’emploi — ce qui m’apparaît très réducteur — à suivre pour pouvoir y arriver et pour nous assurer que la loi qui sera mise en vigueur pourra résister à toute attaque faite devant les tribunaux.

J’espère avoir répondu à votre question par cette trop longue intervention. En résumé, nous n’avons pas à déterminer ce qui est bien pour eux. On doit plutôt travailler ensemble afin de déterminer ce qu’ils estiment être bien pour eux.

Nous ne demandons pas aujourd’hui de renoncer à des correctifs qui amèneraient l’élimination de la discrimination contenue dans la Loi sur les Indiens. Cependant, nous demandons plutôt de travailler ensemble pour y arriver et de la bonne manière.

Je sais qu’il n’y a aucune mauvaise intention derrière le rapport du comité qui s’est penché sur cette question. Je pense que la seule divergence que nous ayons est sur la manière d’y arriver. Nous sommes tous convaincus que nous devons mettre tous les efforts pour y arriver.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Avant de poursuivre, je demanderais aux honorables sénateurs, lorsqu’ils prennent la parole, de ne pas garder leur oreillette dans leurs mains; il est préférable qu’elle soit placée sur leur bureau ou leur oreille.

Sénateur Moreau, accepteriez-vous de répondre à une autre question?

Le sénateur Moreau [ - ]

Oui.

L’honorable Bernadette Clement [ - ]

Sénateur Moreau, je suis d’accord avec vous pour dire que la sénatrice Greenwood a fait un travail remarquable à la présidence de ce comité. La tâche était très difficile, et nous avons entendu des témoignages très difficiles. Je voudrais revenir au sujet de la consultation, qui était au cœur de votre argumentaire. J’aimerais que vous nous donniez votre avis concernant quelques citations.

Je vais citer Mme Pam Palmater. Chaque fois que je peux la citer, je m’en réjouis. Elle s’est exprimée au moment où nous examinions le projet de loi S-3. Le projet de loi S-3 a été l’un de derniers employés par le gouvernement pour apporter des modifications à la Loi sur les Indiens. Mme Palmater a dit certaines choses en 2017, et elle les a répétées en 2025. Je vais citer ses propos :

Il y a certaines choses sur lesquelles le gouvernement fédéral ne peut pas consulter : s’il faut ou non pratiquer la discrimination fondée sur la race ou le sexe, s’il faut ou non maintenir une formule d’extinction législative des droits et contribuer à un acte de génocide [...]

Ce qu’elle nous dit, en gros, c’est qu’on ne peut pas consulter sur la question de savoir s’il faut continuer à pratiquer la discrimination. Elle disait qu’on peut consulter, et qu’on devrait consulter, de manière continue et constante, dans le cadre de l’établissement de cette relation, mais pas sur la question de savoir si on peut pratiquer la discrimination. J’aimerais avoir votre réaction à ce sujet.

J’ai une deuxième citation, celle du sénateur Joyal, qui était présent et qui a débattu de la question du projet de loi S-3. Il a déclaré ceci en novembre 2017 :

Nous sommes ici à débattre de ces questions parce que nous avons insisté, parce que le Sénat a fait son devoir constitutionnel et pris la défense d’une minorité qui est maltraitée depuis 140 ans. De son côté, le gouvernement voudrait que nous nous fiions à sa parole et que nous le croyions quand il dit qu’un jour — mais ça peut être loin, un jour —, après avoir mené des consultations, tout finira par aller pour le mieux dans le beau pays d’abondance qu’est le nôtre. Que nous dit l’histoire? Devrions-nous croire le gouvernement?

Que pensez-vous des propos de la professeure Pam Palmeter et de l’ancien sénateur Joyal que j’ai cités?

Le sénateur Moreau [ - ]

Je comprends très bien les citations que vous venez de nous présenter.

Effectivement, la consultation ne porte pas sur la discrimination ou la non-discrimination. La Charte des droits et libertés et la Constitution prévoient qu’il ne doit pas y avoir de discrimination, et c’est dans ce sens que ces citations se dirigent. On ne consulte pas pour savoir si l’on doit ou non perpétuer une situation qui va à l’encontre de la Constitution. C’est la raison pour laquelle, fondamentalement — et c’est ce que je répondais à la sénatrice Audette —, le gouvernement et les membres de la commission sont sur la même longueur d’onde. La discrimination doit cesser. On ne fait pas de consultation sur la discrimination; on constate qu’elle existe et qu’on doit changer les choses.

Pour aller dans le même sens que la citation du sénateur Joyal, ce que la Cour suprême et la Constitution nous imposent, c’est de mener des consultations lorsqu’on modifie la situation juridique par rapport à ce qui s’applique aux nations autochtones. Quelle est cette obligation? Ce que la ministre est venue préciser davantage, au-delà de la façon dont cela doit être fait, c’est que cela doit se faire dans un contexte encadré. Sur ce contexte encadré, la ministre est venue dire, comme l’indique le rapport qu’elle a soumis, auquel j’ai fait référence dans mon discours, que les consultations ont commencé en 2023. Ces consultations n’ont pas été menées dans le but de déterminer si l’on estimait que la Loi sur les Indiens était discriminatoire; je crois bien que tout le monde a fait ce constat.

Les consultations ont commencé en 2023 pour déterminer comment on pouvait en arriver à une solution qui s’appliquerait pour régler la question liée à la deuxième génération.

Ce n’est pas une consultation visant à déterminer si la situation actuelle est discriminatoire; à l’évidence, elle l’est. La consultation sert plutôt à déterminer, selon vous, quelles seraient les solutions qui devraient être apportées pour régler la question de la deuxième génération.

La ministre a été plus loin encore dans son témoignage. Vous et moi étions présents lorsqu’elle a témoigné. Elle a mentionné que la question de la discrimination de la deuxième génération est très complexe dans la mesure où les solutions à apporter sont différentes ou pourraient être différentes d’une communauté à une autre. C’est précisément l’un des objectifs de la consultation. La ministre estime que la consultation ne vise pas à brosser un portrait et à le soumettre en disant : « Voici ce que je crois qui est bon », mais plutôt de dire : « Expliquez-moi ce qui, pour vous, constitue un problème et quelle est la meilleure façon pour vous de le corriger. »

C’est une consultation menée en vue d’arriver à une réconciliation. Comment se réconcilie-t-on lorsqu’on veut négocier de nation à nation? Ce n’est certainement pas à une nation de dire à l’autre ce qu’on croit qui est bon pour elle.

Sur le fond des choses — je le répète —, je ne vois ni malice ni mauvaise intention — au contraire — dans les recommandations faites au comité. Je ne vois là que des témoignages qui viennent s’ajouter à ce qui est le processus précis de consultation que nous impose l’article 35 de la Loi constitutionnelle et les dispositions et les précisions qui ont été apportées par la Cour suprême afin d’arriver à la meilleure solution possible.

Il y a une solution — je sais que vous êtes avocate, donc je me permets de pousser cet argument — qui, si elle est intégrée à un texte législatif, résisterait à toute tentative d’agression par voie judiciaire, qui résisterait à une contestation judiciaire parce que, justement, le processus n’aurait pas été correctement suivi.

On a deux situations avec le projet de loi S-2. Il y a 3 500 personnes qui pourraient voir leur situation corrigée. Je pense que vous avez entendu comme moi, et je l’ai déjà lu dans certains des témoignages, que la plupart des gens ont dit que ce qui était suggéré pour ce qui est du contenu du projet de loi S-2 permettrait de régler la situation et qu’il faut aller de l’avant.

La question importante que vous soulevez, et qui est une question plus politique que juridique, est la suivante : comment peut-on faire confiance au fait qu’on donnera suite à tout ce processus et qu’un projet de loi sera déposé pour corriger la question de la deuxième génération? Il s’agit d’une question politique qui engage non seulement la crédibilité de la ministre, qui est venue en plus le dire devant un comité sénatorial, mais la crédibilité du gouvernement, qui soutient sa ministre dans l’intention de déposer un projet de loi.

Je suis représentant du gouvernement au Sénat et je n’ai pas l’autorité qu’il faut pour prendre moi-même l’engagement de déposer un projet de loi. La meilleure réponse à votre question, c’est la crédibilité du gouvernement qui s’engage à répondre à cette question.

Au plan juridique, la seule façon d’y répondre, c’est en adoptant une loi qui aura suivi les procédures requises par la Constitution, une loi encadrée par la Cour suprême qui pourra véritablement remédier à cette situation.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Sénatrice Clement, avez-vous une courte question complémentaire?

La sénatrice Clement [ - ]

Seulement si l’on revient à la question juridique, parce que je ne suis pas vraiment d’accord pour dire qu’il s’agit seulement d’un argument politique.

Le sénateur Moreau [ - ]

Ce n’est pas ce que j’ai dit.

La sénatrice Clement [ - ]

Sur le plan juridique, on sait que le projet de loi S-2 est la réaction à l’affaire Nicholas, mais le projet de loi S-3, c’est la réaction à la décision Descheneaux.

Dans le projet de loi S-3, on a décidé d’aller plus loin que ce que la cour a recommandé de faire, sans consultation. Le comité est allé un peu plus loin que ce que l’arrêt Descheneaux nous disait de faire. On a donc cette capacité d’aller au-delà de ce que la cour a recommandé.

J’aimerais ajouter autre chose : je ne sais pas comment vous répondrez à cette question, mais la Couronne n’agit pas tant qu’elle n’est pas forcée de le faire à cause d’un litige impliquant une communauté d’une Première Nation.

Le sénateur Moreau [ - ]

Je réagirai à la dernière partie de votre question; je n’ai pas voulu sous-entendre que votre argument était strictement politique, je le précise. Quant à la dernière partie de votre question, il est vrai que les gouvernements ont tendance à réagir lorsque des obligations leur sont imposées par les tribunaux. D’ailleurs, le projet de loi S-2 en est un exemple. Il y a eu une décision d’un tribunal et une date est imposée.

Je vous dirais — et je le disais dans l’introduction de mon intervention —, que j’ai beaucoup de respect pour le travail qui a été fait par le comité. J’ai l’impression que le gouvernement a très bien entendu tout ce qui entoure le projet de loi S-2 et qui va même au-delà de ce dernier pour corriger la question liée au problème de la deuxième génération. Il y a eu des articles dans les journaux et de nombreux témoignages. Il y a eu un rapport d’un comité sénatorial indiquant que nous devons absolument aller de l’avant.

La ministre est venue deux fois prendre un engagement devant le comité ministériel et a réitéré cet engagement dans une déclaration publique qui a été rapportée par les journaux. Sans vouloir minimiser l’importance des tribunaux, je vous dirais que le tribunal de l’opinion publique est probablement déjà saisi de la question. De plus, je répète ce que je vous ai dit plus tôt : il y a une question de crédibilité, autant pour la ministre que pour le gouvernement, de résoudre cet enjeu, et à cet égard, comme représentant du gouvernement, j’ai bon espoir qu’on donnera suite aux choses.

Le sénateur Tannas [ - ]

Sénateur Moreau, je vous remercie de vos observations. J’aimerais poser quelques questions.

En tout respect, ce projet de loi n’est pas une initiative du gouvernement. Il ne s’agit pas d’une démarche que le gouvernement aurait entreprise par bonté d’âme. Nous en sommes tous conscients. Il a rédigé ce projet de loi après avoir perdu une longue et amère bataille judiciaire, la cour ayant déterminé que ces gens ont été victimes de discrimination.

Cela m’amène à parler de crédibilité. Le gouvernement fait des pieds et des mains pour ne pas accorder ces choses et ne le fait que sur l’ordonnance de la cour. En quoi est-ce crédible aux yeux de ceux d’entre nous qui étaient ici lorsque la même situation s’est produite en 2017 et que, en réponse à une ordonnance de la cour, le gouvernement nous a promis qu’il réglerait le problème?

Comment osez-vous parler de crédibilité dans cette situation alors que la même situation s’est déjà produite? C’était ma première question.

Voici ma deuxième. Nous avons apporté un autre amendement, cette fois pour supprimer un article qui empêchait quiconque de réclamer ou de recevoir une compensation en lien avec cela. Vous ne l’avez pas mentionné. Est-ce que cela signifie que le gouvernement accepte cette suppression? Serait-ce plutôt qu’il l’ignore en espérant que l’article pourra être rétabli? Merci.

Le sénateur Moreau [ - ]

Je vais répondre à votre question en français. D’abord, sur la première partie de votre intervention, il n’y a pas d’arguments nécessaires pour contrer le doute qui peut s’installer dans le contexte où, effectivement, le projet de loi vise à répondre à un jugement qui a été rendu, alors que la décision a fait l’objet d’un débat où le gouvernement était opposé au remède qui était recherché.

Je soulèverais l’argument suivant, sénateur Tannas, parce que vous avez soulevé la question de la crédibilité. Je me souviens d’avoir eu cette conversation avec vous immédiatement après le témoignage de la ministre. À ma connaissance — et je n’ai pas fait de recherche historique —, c’est la première fois qu’une ministre du gouvernement, responsable de Services aux Autochtones Canada est elle-même issue du milieu autochtone. J’ai été extrêmement touché par le témoignage qu’elle a fait devant le comité sénatorial lorsqu’elle a dit ce qui suit :

La question de la discrimination sur la base de la deuxième génération me touche intimement. Elle vient me chercher dans mon propre sang parce que ma propre famille a été discriminée sur cette question-là.

Vous avez fait allusion au passé, la ministre fait allusion à l’avenir et elle dit : « Je ne suis [...] pas une ministre ordinaire ».

Je suis une ministre qui a l’opportunité de mettre en place des dispositions qui vont corriger une discrimination à laquelle j’ai moi-même été soumise.

En ce qui me concerne, la crédibilité de la ministre est énorme. Son intention est sincère, et on en est convaincu quand on écoute son témoignage. De plus, je crois qu’il y a là un élément de réponse à l’inquiétude très légitime que vous soulevez en disant : « Par le passé, voici ce que le gouvernement a fait ». Le premier ministre — et je ne veux pas faire de cela un argument de crédibilité politique — a confié des responsabilités à une personne issue des communautés autochtones, qui s’est assise aux côtés de Chefs autochtones, de sénateurs qui siègent aujourd’hui dans cette Chambre et qui sont d’anciens Chefs autochtones, lorsqu’elle dit ce qui suit :

Vous et moi, lorsque nous étions des leaders autochtones dans nos communautés respectives, nous nous sommes battus bec et ongles pour obtenir que la Couronne soit soumise à une obligation de consultation.

Les dirigeants autochtones de tout le pays, anciens et actuels, se battent tous les jours pour conserver leur droit d’être consultés.

Je ne peux concevoir qu’une personne qui s’est battue de la sorte, et qui, pour reprendre l’expression que vous avez utilisée, était une opposante, mais qui est devenue ensuite une ministre de la Couronne, ne mette pas en œuvre les éléments qui ont tracé et tissé ce qu’elle est devenue aujourd’hui, l’une des grandes leaders autochtones.

Sur la question de la crédibilité, sénateur Tannas, l’avenir nous le dira. Je n’ai pas d’autres arguments à vous soumettre, mais je crois cependant que les conditions dans lesquelles nous nous trouvons aujourd’hui me semblent extrêmement différentes de celles dans lesquelles le Sénat se trouvait en 2017, parce que nous avons aux commandes de cet important dossier une personne qui a été elle-même victime de discrimination et qui a en main aujourd’hui une partie des outils pour corriger la situation.

Sur votre deuxième question, ma compréhension est qu’il y a une ouverture de la part du gouvernement. Je ne voudrais pas tomber dans les formalités, mais le fait que la disposition soit ou non intégrée au projet de loi aurait factuellement peu d’impact sur l’avenir des choses. C’est ce que je comprends des conversations que j’ai pu avoir avec des juristes sur le sujet. Je n’ai pas l’impression non plus que, dans un contexte où il y aurait un argument direct quant à cette question, le gouvernement adopterait une position de fermeture totale.

La sénatrice Audette [ - ]

Je reviens encore sur la question de l’obligation de consulter. Les témoignages que nous avons entendus, dont certains ont été recommandés par le cabinet de la ministre et son gouvernement, ont exprimé clairement qu’ils étaient prêts à aller de l’avant sur les enjeux qui touchent la coupure après la deuxième génération. Ce sont des gens qui ont été élus par leur communauté et qui sont là depuis longtemps. Certains ont dit qu’ils n’étaient pas là il y a 20 ans, mais ils sont là aujourd’hui.

Que faisons-nous de ces élus, de ces leaders qui sont prêts? D’un côté, on a un discours d’une personne qui est une ancienne Cheffe, et parmi ceux et celles qui sont élus aujourd’hui, certains sont prêts. Je crois qu’il arrive parfois qu’on utilise des discours.

Sénateur Moreau, je vous le demande : je suis une Innue, une sénatrice et je suis touchée par la Loi sur les Indiens. Bien des Chefs sont venus nous voir, alors pourquoi ne considérons-nous pas notre crédibilité, notre expertise et notre savoir pour régler cette discrimination qui perdure depuis 1985?

Le sénateur Moreau [ - ]

La crédibilité des gens qui sont venus s’exprimer n’est remise en question d’aucune façon. Sénatrice Audette, personne ne remet en question la sincérité des gens qui sont venus s’exprimer devant le comité. La ministre non plus. D’ailleurs, vous l’avez évoqué : certaines de ces personnes ont été recommandées par le cabinet de la ministre pour venir s’exprimer comme témoins devant le comité.

Toutefois, il y a une différence entre accepter les paroles qui sont prononcées par les gens qui viennent s’exprimer devant un comité et respecter par ailleurs l’obligation de suivre une procédure — qui peut paraître lourde, j’en conviens — que la Couronne elle-même s’est imposée par la Loi constitutionnelle et que la Cour suprême est venue encadrer.

Soyons clairs. Lorsque les Chefs innus qui ont été entendus viennent dire qu’ils sont prêts, pour moi, c’est une bonne nouvelle. Toutefois, aussi prêts soient-ils, on ne peut soustraire la Couronne à son obligation de s’adresser à ceux qui sont directement visés par les mesures que l’on veut mettre en œuvre et de suivre le processus constitutionnel de consultation. C’est fondamental. La consultation ne sera que plus facile dans leur cas. Il en va de la validité même de la disposition législative qui serait adoptée. On ne peut pas dire que l’on ira plus rapidement, car il y a un risque que la loi de laquelle on accoucherait soit une loi qui n’aurait aucune valeur autre que celle du papier sur laquelle elle est écrite.

L’honorable Denise Batters [ - ]

Sénateur Moreau, vous avez parlé tout à l’heure de crédibilité politique, en particulier de la crédibilité politique de la ministre. Cependant, quand je regarde qui a voté pour ces amendements au sein du comité, je vois de nombreux sénateurs autochtones qui possèdent une grande crédibilité politique. Voici des extraits de leurs biographies au Sénat : le sénateur Francis, ancien chef autochtone; la sénatrice Greenwood, universitaire autochtone d’origine crie et figure de proue dans le domaine médical; la sénatrice Audette, leader autochtone reconnue d’origine innue; la sénatrice McCallum, femme des Premières Nations d’origine crie et figure de proue en médecine; le sénateur Prosper, ancien Chef mi’kmaq.

À la lumière de tout cela, ne diriez-vous pas qu’on peut parler d’une grande crédibilité politique, surtout quand ces amendements ont été approuvés par 10 voix contre 1, y compris tous les sénateurs en question?

Le sénateur Moreau [ - ]

Je n’avais certainement pas l’intention de minimiser la crédibilité des sénateurs, et encore moins celle des sénateurs d’origine autochtone qui sont membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Ce n’est pas là le problème; le problème, c’est que nous avons une obligation constitutionnelle. Peu importe notre crédibilité, en tant que Chambre de second examen objectif, nous ne pouvons pas adopter une loi qui sera contraignante si, pour adopter cette loi, la Couronne ne respecte pas son obligation de mener des consultations.

Ce n’est pas une question de crédibilité politique. Je ne mets pas en doute la crédibilité des sénateurs. Au contraire, c’est un honneur de siéger aux côtés de gens qui sont tous aussi crédibles, sans exception. Là n’est pas la question. La question est de savoir si nous voulons honorer les obligations de la Couronne et respecter nos obligations constitutionnelles. Voilà l’important.

L’honorable Mary Jane McCallum [ - ]

Sénateur Moreau, il semble y avoir de la mésinformation. On dit que des amendements pourraient empêcher le respect de l’échéance fixée par la cour dans l’affaire Nicholas. Or, rien dans l’affaire Nicholas n’empêche le Canada d’apporter des amendements au projet de loi S-2. La cour a imposé une échéance initiale, comme elle le fait régulièrement.

Revenons maintenant à l’affaire Nicholas. La demande a été déposée en 2021. En mars 2022, les demandeurs et le Canada avaient convenu de suspendre le litige, le Canada s’étant engagé à adopter une loi pour respecter les droits des demandeurs. Le projet de loi C-38 n’a été présenté que 10 mois plus tard, en décembre 2022. La deuxième lecture n’a commencé que 10 mois plus tard, en octobre 2023. Elle n’a repris que 5 mois plus tard, en mars 2024, mais elle n’a jamais été menée à terme. En mai 2024, les demandeurs ont été contraints de mettre fin à l’accord de suspension et de reprendre le procès. En août 2025, le jugement a été rendu en faveur des demandeurs.

Le gouvernement s’est-il préoccupé de l’échéance imposée par la cour? Les échéances imposées par les tribunaux sont régulièrement repoussées si le tribunal constate que le Canada s’emploie à donner effet à la décision, par exemple en adoptant de nouvelles mesures législatives ou en modifiant des lois. C’est ce que nous faisons en ce moment.

Le Canada a obtenu plusieurs prolongations dans l’affaire Descheneaux. Dans l’affaire Bjorkquist, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu à l’existence d’une discrimination dans les règles canadiennes en matière de citoyenneté, et le gouvernement a obtenu au moins quatre prolongations de la cour pour pouvoir adopter la mesure législative, ce qu’il a fait. Aucune loi ni aucun ordre juridique n’empêche le Canada de demander une prolongation au tribunal s’il en a besoin pour y arriver. La ministre a déjà indiqué que tous les dossiers de l’affaire Nicholas ont été retirés et qu’ils sont prêts à être approuvés. Ainsi, une fois le projet de loi adopté, il sera possible de s’en occuper dans les plus brefs délais.

Les parties au litige Nicholas n’ont cependant pas à attendre. Le Canada pourrait exercer son pouvoir discrétionnaire et les inscrire à l’avance dès maintenant. Rien n’empêche jamais le Canada d’agir en vertu des droits garantis par la Charte.

Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez?

Le sénateur Moreau [ - ]

Oui. Je vais essayer de répondre à vos questions une par une.

Premièrement, est-ce que nous nous soucions des délais fixés par la cour? Bien sûr que oui. Le gouvernement s’en soucie. C’est pour cela que nous voulons que le projet de loi S-2 soit adopté, car c’est la réponse à l’affaire Nicholas. Cela me ramène à mon argument de base. Le gouvernement n’est pas contre l’objectif des amendements proposés par le comité, qui est de résoudre la question de l’exclusion de la deuxième génération, mais le gouvernement doit assumer certaines obligations que lui imposent la Constitution, les règles et les précisions fournies par la Cour suprême du Canada dans de nombreuses décisions.

C’est pourquoi le gouvernement a demandé à ce que le projet de loi S-2 soit adopté dans sa forme initiale, et à ce qu’on adopte par la suite un projet de loi distinct visant à modifier la Loi sur les Indiens. C’est l’engagement que la ministre a pris. Vous étiez là; je me souviens très bien que vous étiez là et que vous avez posé une question. Je sais à quel point cette question vous tient à cœur. Je le comprends et je respecte tout à fait cela.

Cependant, c’est la réponse du gouvernement, et c’est l’engagement que la ministre a pris envers vous et envers tous les membres du comité.

L’honorable Flordeliz (Gigi) Osler [ - ]

Sénateur Moreau, vous parlez aujourd’hui de la bonne façon de parvenir à mettre fin à la règle d’inadmissibilité et de l’obligation de consulter qu’a le gouvernement fédéral. Ce sont des propos que j’ai entendus à maintes reprises. Je sais qu’en juin 2025, le projet de loi C-5 a été adopté rapidement malgré les vives préoccupations des dirigeants autochtones concernant le manque de consultation. Nous avons pu lire et entendre, que ce soit au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, dans le rapport du comité ou de la part des sénateurs présents aujourd’hui, que depuis 40 ans, le gouvernement mène des consultations et des discussions avec la communauté au sujet de la fin de la règle d’inadmissibilité de la seconde génération. Pourriez-vous m’aider à comprendre pourquoi l’obligation de consulter semble essentielle pour certaines mesures législatives, mais pas pour d’autres?

Le sénateur Moreau [ - ]

Merci pour la question. Si vous me le permettez, je vais y répondre en français.

Vous avez fait référence au projet de loi C-5. Je m’excuse auprès de la sénatrice Audette, j’aurais dû répondre à cette question, parce que la sénatrice Audette a demandé pourquoi le projet de loi C-5 n’avait pas été soumis au processus de consultation.

La principale raison, c’est que le projet de loi C-5 ne touche pas directement aux droits des communautés autochtones. Au contraire, le projet de loi C-5 dit qu’on établit un processus additionnel de consultation, et même un comité particulier auquel on a contribué à fournir des recommandations au gouvernement sur sa composition. Il s’agit d’un comité de leaders autochtones qui, à l’intérieur du processus prévu dans le projet de loi C-5, va faire en sorte que les droits des communautés autochtones seront respectés quand des projets seront mis en œuvre.

Le projet de loi C-5 encadre la réalisation de grands projets, donc c’est un projet de loi à large déploiement qui n’a pas un impact immédiat et direct sur les droits applicables aux nations autochtones.

Le projet de loi S-2 est tout à fait différent. Celui-ci touche directement à ces droits et vise à remédier à une situation qui a été établie par le tribunal dans l’affaire Nicholas.

Dans le cas du projet de loi C-5, la consultation n’était pas requise en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle, alors que pour le projet de loi S-2, cette consultation était nécessaire. De plus, si l’on prend en compte les amendements proposés par les membres du Comité des peuples autochtones, ces dispositions touchent directement la question des peuples autochtones.

Je vais être très candide avec vous. Le gouvernement aurait pu soulever une question de droit devant le Sénat et affirmer que les amendements prévus par le projet de loi S-2 sortent du cadre et de la base même du projet de loi S-2. Le gouvernement a choisi de ne pas aller dans cette direction pour une raison très précise : il ne souhaite pas aller dans cette direction parce qu’il ne veut pas avoir l’air d’un technocrate froid qui n’a aucunement l’intention de corriger la situation.

Au contraire, la ministre est elle-même émotivement impliquée. D’ailleurs, la sénatrice y faisait référence un peu plus tôt dans une question qui a été posée pendant la période des questions, en disant que des mots assez durs ont été échangés. Pourquoi? Parce qu’on est très conscient du fait que les enjeux soulevés par les amendements proposés par le comité impliquent énormément d’émotions en raison des iniquités subies par les peuples autochtones, ce que je reconnais et que le gouvernement a reconnu aussi dans l’ensemble des remarques qu’il a faites.

Ce qu’on a choisi de faire aujourd’hui, c’est de dire très rapidement : pourquoi faire cela à l’étape de la prise en considération du rapport du comité? C’est pour que tous les sénateurs puissent avoir l’occasion de connaître la position du gouvernement. Ce que je fais aujourd’hui, c’est non seulement de réitérer les engagements qui ont été pris par la ministre elle-même très publiquement devant le comité, mais je dis aussi que le projet de loi S-2 ne règle pas ces éléments et que le problème devra être réglé autrement.

La procédure pour y arriver est déjà entamée, dans la mesure où des consultations spécifiques répondant aux critères de l’article 35 et aux décisions de la Cour suprême du Canada sont engagées depuis 2023 et devraient être terminées au mois de décembre 2025, donc dans deux semaines.

Je pense donc répondre aux deux éléments de votre intervention. Si ce n’est pas le cas, je le ferai en répondant à une question complémentaire.

La sénatrice Osler [ - ]

Je sais que d’autres sénateurs souhaitent poser des questions. Je vous remercie, mais je ne poserai pas de question complémentaire.

L’honorable Kim Pate [ - ]

Sénateur Moreau, je vous remercie de votre intervention. En ce qui concerne votre dernier point, je pense que beaucoup de Premières Nations ont des opinions très divergentes quant à savoir si le projet de loi C-5 aura une incidence directe, mais ce n’est pas le sujet dont nous discutons aujourd’hui.

Vous avez évoqué les propos de la ministre, et je veux revenir là-dessus. Elle a dit qu’elle était sérieuse dans son engagement à cet égard. Comme je l’ai dit au comité et comme je le lui ai dit en privé — comme beaucoup d’autres —, je ne doute pas de sa sincérité et de sa conviction de vouloir résoudre ce problème. Cependant, la ministre a affirmé à un certain moment que les consultations avaient commencé, puis elle a dit à un autre moment que nous disposions de preuves supplémentaires indiquant qu'elles n'avaient pas commencé. Elle a dit qu’un projet de loi distinct serait présenté dans les mois à venir, mais sans donner de date précise.

J’étais ici en 2017. Sharon McIvor, qui a témoigné devant le comité, a dit avoir entendu ce genre de promesse de la part de 18 ministres successifs responsables de ce dossier.

J’étais également présente quand nous avons adopté la prestation pour les personnes handicapées, et nous avons entendu la première personne handicapée à être ministre responsable de cette prestation s’engager fermement à mener le projet à terme. Elle a ensuite été démise de ses fonctions au Cabinet. Nous avons récemment constaté à quel point la position du gouvernement est précaire. Nous savons que si on veut élaborer un projet de loi après consultation, il est probablement irréaliste de s’attendre à voir quelque chose avant deux ou trois ans. À moins que vous ne puissiez nous le dire aujourd’hui, existe-t-il actuellement un décret du Cabinet pour la préparation d’un projet de loi distinct?

Le sénateur Moreau [ - ]

J’étais présent lorsque vous avez soulevé cette question au comité, sénatrice Pate, et lors de certaines discussions que vous avez eues avec la ministre.

Je ne peux pas donner d’information qui relève du Cabinet, vous le comprenez très bien. Il y a une prérogative à laquelle je suis moi-même tenu lorsque j’assiste aux réunions des comités du Cabinet.

Quant à la question que vous avez posée, je souligne de façon très agréable le fait que vous ne remettez aucunement l’intention, la bonne volonté et la crédibilité de la ministre en question lorsqu’elle dit vouloir s’attaquer à ce problème.

En ce qui concerne le fait que vous faites une distinction entre la ministre et le gouvernement — ce qui est tout à fait correct —, je vais vous référer aux réponses que j’ai pu donner, par exemple, au sénateur Tannas et à d’autres sénateurs qui se sont exprimés : que les enjeux liés à l’importance de régler la question de la discrimination basée sur la deuxième génération ont dépassé largement l’écho des murs du Sénat, que le gouvernement a pris des engagements, que les médias — et je parlais du tribunal populaire, même si c’est peut-être exagéré — et l’opinion publique sont au fait de cette situation. Il s’agit d’une question de crédibilité et d’honneur pour le gouvernement de donner suite à l’engagement qui a été pris.

Sur la question de fond du projet de loi — et je crois que vous êtes de ceux et celles qui accepteront cette vision des choses —, le projet de loi S-2 règle effectivement les problèmes soulevés par les enjeux qui ont été débattus devant le tribunal dans l’affaire Nicholas. Le fait d’adopter le projet de loi S-2 tel qu’il a été déposé aurait un effet bénéfique sur au moins 3 500 personnes qui attendent aujourd’hui que leur situation soit régularisée.

Je réitère donc la position du gouvernement, et cela conclura la réponse à votre question : réglons immédiatement ce qui peut être réglé en nous assurant que la loi sera valide une fois adoptée.

Puisque vous êtes juriste, je vous soumettrai la réflexion suivante : quelle est l’utilité pour le Sénat d’appuyer des dispositions législatives qui amenderaient un projet de loi, qui seraient rejetées par la Chambre des communes et qui nous obligerait plus tard à revenir et à risquer de dépasser le délai que la cour a donné au gouvernement pour adopter les dispositions qui régleraient la question soulevée dans l’affaire Nicholas? Quel serait l’intérêt pour le Sénat d’appuyer une disposition qui, si elle était adoptée à l’encontre des obligations constitutionnelles prévues par l’article 35, aurait toutes les chances d’être contestée de manière valide devant les tribunaux et de conduire à l’invalidité de la loi?

Je crois que le mieux est l’ennemi du bien et que dans ce contexte, ce que je propose aux sénateurs, c’est de suivre le chemin du bien, bien que le mieux eût été de pouvoir le faire plus rapidement.

La sénatrice Pate [ - ]

Comme on m’a posé une question, j’aimerais poser une question complémentaire. Merci.

Sénateur Moreau, l’obligation de consulter concerne la façon de mettre fin à la discrimination, et c’est l’occasion qui se présente à nous. L’obligation prévue par la Charte vise à mettre fin à la discrimination.

L’absence des amendements adoptés par le comité entraîne deux conséquences. Je tiens à résumer ce qu’on nous a déjà dit. La première chose, c’est qu’il faut éliminer la discrimination. Le gouvernement affirme vouloir le faire, alors pourquoi refuserait-il les amendements du Sénat? De toute évidence, la question s’impose.

Ensuite, s’il y avait une limite à continuer les poursuites, si le gouvernement est bel et bien sincère — je ne parle pas de la ministre ni de vous, mais bien du gouvernement —, le Cabinet aurait probablement déjà donné la consigne de rédiger un projet de loi distinct, auquel cas le gouvernement voudrait sans doute que nous soyons au courant, et il n’y aurait plus de restrictions à l’égard des poursuites.

Je pense qu’il faut tous être conscients qu’adopter le projet de loi dans sa version actuelle, c’est laisser le soin à d’autres personnes comme Sharon McIvor, aux nombreux témoins, à Dawn Lavell-Harvard et à ses enfants, à beaucoup de sénateurs et à leurs petits-enfants de faire adopter les dispositions législatives nécessaires. Pourquoi ne pas régler le tout dès maintenant? Pourquoi le gouvernement ne le ferait-il pas?

Le sénateur Moreau [ - ]

Si le gouvernement ne le fait pas, c’est parce qu’il n’y a pas eu de consultation préalable sur les dispositions introduites par les amendements proposés par le comité. Par conséquent, celles-ci pourraient être contestées avec succès devant les tribunaux. Voilà la réponse à la question.

Quant à savoir si le Cabinet a donné une consigne à ce stade-ci, je maintiens la réponse que je vous ai donnée précédemment, et je sais que vous comprenez parfaitement pourquoi.

L’honorable Mary Coyle [ - ]

Je n’avais pas l’intention de prendre la parole, mais je me dois de le faire et de participer à ce débat très utile.

Je vous remercie, sénateur Moreau. Je remercie aussi tous mes collègues pour leur participation à ce débat absolument crucial.

Ce débat est crucial pour ceux qui attendent depuis si longtemps que leurs droits soient rétablis, ou au moins qu’ils leur soient accordés, qui attendent d’être reconnus et qui veulent éviter toute nouvelle forme de discrimination et d’extinction, comme ce qui a été porté à notre attention.

J’ai été membre du Comité des peuples autochtones pendant près de sept ans et j’ai participé à la rédaction du rapport C’est assez! En toute conscience, j’ai beaucoup de mal à accepter le statu quo, à faire confiance et à croire que la suite des choses sera positive.

On nous demande sans cesse de faire confiance, mais c’est vraiment difficile quand, la plupart des occasions où nous l’avons fait — nombre de ces occasions ont été mentionnées ici aujourd’hui —, nous avons échoué. Ce qui était promis ne s’est pas concrétisé.

À mon avis, l’un des enjeux les plus sérieux, bien franchement, est notre crédibilité en tant que Chambre de second examen objectif du Canada.

J’ai entendu ce que vous avez dit, et je vous crois — à savoir que, si nous adoptons ce projet de loi avec ces amendements, tel qu’il a été adopté par le comité, il y a de fortes chances qu’il soit rejeté par l’autre endroit. Par contre, il est aussi possible — je ne suis pas certaine que ce sera nécessairement le cas — que nous n’arrivions pas à respecter l’échéance. C’est un point discutable.

Je m’inquiète pour notre crédibilité en tant que chambre. N’avons-nous pas écouté lorsque nous avons produit le rapport C’est assez!? N’avons-nous pas écouté les nombreux témoins très crédibles qui seront directement touchés par l’issue de cette affaire?

Sénateur Moreau, je veux vous poser une question que je sais que la sénatrice Pate a tenté d’aborder : si nous adoptons ce projet de loi sans amendement et que nous accomplissons cette tâche importante, avons-nous des preuves ou des garanties qu’un plan est en place pour que les autres personnes et les générations futures qui attendent ce projet de loi soient servies rapidement? J’aimerais que vous parliez de notre réputation en tant que chambre et de notre travail en tant que sénateurs, qui consiste non seulement à écouter, mais aussi à agir en fonction de ce que nous entendons. De plus, que dit le gouvernement pour ce qui est de garantir que des mesures seront prises pour résoudre ces problèmes?

Le sénateur Moreau [ - ]

Sur la première partie de votre question, soit : « Quelle est la crédibilité, et qu’est-ce qu’on doit faire en tant que sénateurs? », je ne voudrais, sous aucun prétexte, que la réponse que je vais vous donner soit vue comme un argument brutal.

Je vous dirais qu’une des obligations que nous avons comme sénateurs — et c’est intégré au serment que l’on prête lorsqu’on devient membre de cette Chambre —, c’est de nous assurer du respect de la Constitution du Canada. C’est la première obligation qui doit échoir à un membre du Sénat, s’assurer du respect de la Constitution canadienne.

J’entends des sénateurs dire : « Oui, mais la Constitution dit qu’on ne doit pas faire de discrimination. » Je suis d’accord, on est toujours d’accord là-dessus, et on est d’accord pour dire que la Loi sur les Indiens est discriminatoire. J’ai même utilisé les mots « un passé colonial honteux » dans mes remarques comme membre du gouvernement. Ces mots sont extrêmement forts.

Notre obligation et notre serment d’office comme sénateurs de respecter la Constitution du Canada s’appliquent à l’ensemble des dispositions de la Constitution, et notamment à l’article 35, qui est une obligation de consultation. Je sais que, lorsqu’on se trouve face à la négation de certains droits qui entraînent, avec la plus grande compréhension, une énorme émotion puisque ces gens ont subi de la discrimination, que cette vision peut sembler légaliste, mais c’est notre obligation. Cette obligation n’est pas suspendue dans les airs; elle est liée à la validité des gestes que nous allons poser et au fait que les gestes que nous allons poser subiront avec succès le test des tribunaux.

Quelle serait la crédibilité du Sénat du Canada si nous avions la possibilité de faire adopter une loi, tout en sachant très bien qu’elle ne respecte pas les obligations constitutionnelles? Je pense que notre crédibilité est liée au fait que ce qui doit être fait n’est pas nécessairement facile, mais que ce qui est fait doit obéir à une disposition que nous avons intégrée dans une société où nous croyons à la règle de droit. La règle de droit nous impose ici une obligation qui a été réclamée à juste titre par les représentants des Premières Nations, et nous ne respecterions pas cette obligation en adoptant des amendements qui n’ont pas été soumis à cette consultation.

Sur votre deuxième question, pourquoi devrions-nous attendre alors qu’il y a des gens qui attendent? Je vous dirais sans aucune mesquinerie qu’il y a 3 500 personnes qui attendent et qui ont à portée de main la possibilité d’avoir une loi qui, si elle est adoptée avant le 30 avril 2026, réglerait définitivement leur situation.

Le mieux est l’ennemi du bien. Le bien veut que nous nous assurions de régler ce que nous pouvons régler de façon correcte et conforme à nos obligations constitutionnelles, afin que 3 500 personnes voient leur statut régularisé. Le mieux est de faire en sorte de continuer nos travaux en vue d’éliminer la discrimination que comporte la Loi sur les Indiens — une discrimination que nous condamnons tous unanimement —, mais de façon à ce que la solution définitive puisse véritablement être mise en œuvre correctement, justement et incontestablement.

La sénatrice Coyle [ - ]

Merci beaucoup, sénateur Moreau. Je n’ai pas entendu de garanties, mais vous me les donnerez peut-être dans une minute.

On parle beaucoup d’émotion. Bien sûr, c’est une question chargée d’émotion, car nous parlons des droits des gens. Maintenant, je vous répondrais franchement que, d’un point de vue rationnel, je ne pense pas qu’il soit justifiable de s’obstiner à faire une chose qui ne fonctionne pas. Soyons honnêtes : nous ne sommes pas guidés par nos émotions quand nous tentons de faire pression, par tous les moyens possibles et en utilisant tous les mécanismes dont nous disposons au Sénat, pour qu’enfin, une fois pour toutes, nous allions de l’avant et que nous répondions aux demandes non seulement des gens, mais aussi des nations, des groupes et des communautés — à leurs appels insistants — pour que nous fassions ce qui s’impose et que nous obtenions des résultats. Je félicite les membres de notre comité du travail très courageux et très important qu’ils ont accompli.

Je tiens à être claire : mes paroles et celles d’autres personnes sont rationnelles, et non purement émotives. Elles sont les deux, parce qu’il est question de personnes qui veulent faire ce qui s’impose et trouver enfin des moyens d’y parvenir.

Le sénateur Moreau [ - ]

Je ne résumais pas votre argument à un argument d’émotion. Je suis tout à fait conscient que votre intervention est également basée sur des critères rationnels, et je la salue. Ce que je dis, toutefois, c’est que le Sénat a fait entendre sa voix à travers les travaux du comité de façon très claire. La ministre l’a entendue. Elle confirme et réitère qu’elle est d’accord avec l’objectif poursuivi, mais elle dit que nous avons des obligations sur la façon de le faire pour y arriver. Pourquoi faire des choses qui ne donnent rien? Je vous dis cela, parce que cela ne donnerait rien d’adopter une disposition qui touche les droits des peuples autochtones sans que les obligations préalables aient été respectées.

Sur la question de l’assurance, je suis désolé, je ne voulais pas esquiver la question. La ministre a fait sa déclaration. Sur le plan de mes obligations et des serments que j’ai prêtés comme membre du Conseil privé, je ne suis pas à même de dévoiler des discussions qui auraient lieu à l’autre endroit sur cette question. Je réitère mes réponses précédentes : le gouvernement, par l’intermédiaire de sa ministre, s’est engagé publiquement à trouver une solution à la discrimination qui perdure dans la Loi sur les Indiens et aux enjeux qui ne sont pas touchés par le projet de loi S-2.

L’honorable Margo Greenwood [ - ]

Je veux me faire le porte-voix des Premières Nations de la Colombie-Britannique, sénateur Moreau. La cheffe Barbara Cote a dit ce qui suit au comité sénatorial :

Saisissez l’occasion d’éliminer dès maintenant l’exclusion après la deuxième génération. Vous ne pouvez pas continuer à consulter sur les violations des droits. Vous ne pouvez pas consulter sur l’extinction législative, qui équivaut à un génocide.

Cela fait 40 ans que l’exclusion après la deuxième génération est en vigueur, et selon les Premières Nations de la Colombie-Britannique, il est temps d’arrêter les consultations, de s’attaquer à ces violations des droits et de mettre fin à la discrimination fondée sur le sexe et la race qui sévit depuis 1985.

J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

Ensuite, 40 ans se sont écoulés. Le gouvernement tiendra-t-il compte des différentes discussions et consultations qui ont eu lieu sur le sujet au cours des 40 dernières années? Dans l’affirmative, comment s’y prendra-t-il?

Le sénateur Moreau [ - ]

Le gouvernement prend en compte l’ensemble de ce qui a pu être communiqué sur la question de la discrimination sur la seconde génération. Je disais dans mes remarques introductives que cela fait 40 ans que le gouvernement consulte sur cette question, mais l’expression « cela fait 40 ans que le gouvernement consulte » n’indique pas que la nature des consultations et les obligations constitutionnelles relatives à ces consultations, qui ont été précisées davantage dans les décisions récentes de la Cour suprême, ont été suivies.

Les débats que nous tenons aujourd’hui dans cette Chambre, si sérieux soient-ils, n’entrent pas dans la définition de consultation en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle. Les conversations qui ont pu avoir lieu entre les représentants des Premières Nations et des gouvernements précédents n’entrent pas dans la définition de ce qu’est la consultation en vertu des dispositions de la Loi constitutionnelle. La consultation prévue fait référence à une obligation strictement encadrée par la Constitution et par les tribunaux.

Je remercie la sénatrice Pate, qui a précisé dans son intervention qu’au début, la ministre a dit que les consultations n’avaient pas été amorcées pour ensuite préciser que les consultations sur les éléments qui visent à corriger la discrimination basée sur la deuxième génération ont été entreprises en 2023 et qu’elles prendront fin en décembre prochain, donc le mois prochain. Ce sont des consultations. En décembre, les 40 années précédentes ne devraient plus être un argument pour le gouvernement, puisque la consultation aura été faite. En décembre, en janvier et en février, on pourra poser la question au représentant du gouvernement au Sénat, à la ministre et au premier ministre : « Vous avez terminé les consultations; qu’est-ce que vous entendez faire à partir de ce moment? »

J’ai entendu dans plusieurs interventions la question suivante : « Pourquoi devrions-nous y croire encore? » Après les plaidoyers d’aujourd’hui, lorsque les consultations seront terminées en décembre, compte tenu des déclarations et des engagements pris par la ministre, il sera beaucoup plus difficile pour le gouvernement de dire qu’il y a encore une obligation de consulter, parce que ces consultations seront terminées. Théoriquement, les solutions auront été proposées par les communautés autochtones visées par les droits en question, et le gouvernement aura l’obligation d’y répondre.

Je ne veux pas essayer de nier que, par le passé, les gouvernements ont dit des choses et ne les ont pas faites. Ce serait transpartisan de dire que peu importe le gouvernement, toutes les promesses n’ont pas été respectées, et nous sommes tous assez adultes ici pour le savoir.

Dans un dossier qui est aussi émotif que celui-ci et qui est basé sur des éléments de rationalité importants, le débat étant public et ancré dans un élément qui tient à cœur aux sénateurs, aux membres de la commission et à la ministre elle-même, j’aurais de la difficulté à entrevoir que le gouvernement resterait indéfiniment muet sur cette question pour des années encore.

Sénateur Moreau, j’aimerais obtenir une clarification. Le processus de consultation se termine en décembre sur le sujet même des amendements qui sont proposés dans le rapport du comité.

Quelle est cette commission? Est-ce la commission ou le gouvernement qui fait la consultation?

Les consultations se terminent en décembre. J’ose espérer que depuis l’arrivée du nouveau gouvernement, il y a une plus grande efficacité au niveau du ministère, sinon ce serait à réviser. Cela fait 23 ans que je suis ici et que j’entends presque les mêmes choses.

Étant donné que nous sommes dans ce cas-ci la Chambre du premier examen attentif et que le processus de consultation se termine en décembre, est-ce possible que nous puissions envoyer le rapport avec les amendements à l’autre endroit? Ces derniers presseraient le département concerné à analyser les consultations et à regarder la législation nécessaire. S’il y a lieu, l’autre endroit pourrait, en second examen attentif, proposer des amendements, des améliorations ou enlever certains éléments afin de se rendre à la date butoir d’avril?

S’il y a une bonne volonté — et je ne doute pas de la vôtre du tout — et en voyant l’ensemble des sénateurs qui partagent la même opinion, on pourrait rapidement envoyer cela. S’ils ne sont pas d’accord avec nous, ils pourraient nous retourner le projet de loi avant la fin mars, puis on leur dira si on est d’accord avec eux ou pas.

Je pense que dans le cas actuel, c’est notre rôle. Qu’en pensez-vous?

Le sénateur Moreau [ - ]

Comment ne pas ouvrir les oreilles toutes grandes aux propos sages de la doyenne de notre Sénat?

Je vous dirais, sénatrice Ringuette, que ce que nous disons aujourd’hui se rendra à l’autre endroit d’une manière ou d’une autre. Je n’ai aucun doute que les recommandations du rapport, dans sa forme actuelle, quelle que soit la décision que le Sénat prendra sur les suites à donner à ce rapport, seront aussi communiquées à la ministre et à l’autre endroit. En ce qui me concerne, je peux facilement prendre l’engagement de communiquer directement le rapport dès cet après-midi au cabinet de la ministre. Il n’y a aucun doute là-dessus.

Maintenant, je veux amener un élément plus technique à la recommandation que vous faites. Pour qu’une disposition puisse être adoptée dans une loi, elle doit faire l’objet de la consultation. Les amendements dont on parle ici n’ont fait l’objet d’aucune consultation. Ils sont liés à des sujets qui touchent la question de la discrimination à l’égard de la deuxième génération. Cette question fait l’objet de consultations qui sont en cours depuis 2023. Elles se termineront en décembre 2025. C’est sur la base de ces consultations qu’il se peut que des éléments qui se retrouvent dans les amendements proposés pourraient éventuellement se retrouver dans un projet de loi, ou peut-être sous une autre forme, qui sera proposé par le gouvernement.

Les amendements eux-mêmes ayant été déposés avant qu’une consultation ne soit faite sur eux ne peuvent pas être transposés directement dans un projet de loi, parce que cela ne répondrait pas au critère de consultation. Les solutions qui sont proposées sous la forme d’amendements ou autrement pourraient, à l’issue des consultations — et si c’est la volonté des groupes qui ont été consultés et du gouvernement — faire partie des solutions.

Je n’ai pas fait une analyse juridique détaillée, mais je présume qu’il y a certainement des éléments qui sont proposés dans les amendements qui doivent être inclus dans la solution.

Il est important de savoir que les discussions que nous avons aujourd’hui et qui sont fondamentales vont d’une manière ou d’une autre être entendues de l’autre endroit. Quelle sera la façon du gouvernement d’y répondre? Je ne sais pas. Je ne peux pas prendre d’engagement sur cet élément. J’ose croire que le sérieux des discussions que nous avons ici aujourd’hui se reflétera dans la réflexion qu’aura à faire le gouvernement à la fin des consultations.

L’honorable Sharon Burey [ - ]

Tout d’abord, je tiens à remercier la sénatrice Greenwood et la sénatrice Audette, ainsi que le comité et le sénateur Prosper, membre de notre groupe, pour le travail remarquable et approfondi qu’ils ont accompli.

Je ne suis pas juriste. Je prends donc la parole parce que je me demande ce qu’un Canadien ordinaire penserait de tout cela. Je pense aux gens qui sont à l’écoute, et l’expression « justice différée est justice refusée » m’est venue à l’esprit. Après quelques recherches, je suis tombée sur un article intitulé « Is justice delayed justice denied? An empirical approach ».

Les auteurs ont cherché à analyser la relation entre la rapidité du système judiciaire et la qualité de la justice dans 175 pays. Sans surprise, ils ont constaté ce qui suit :

En supposant que nos stratégies d’estimation soient valides, nos résultats suggèrent que les pays caractérisés par des systèmes judiciaires rapides bénéficient également d’un niveau élevé de qualité de la justice.

Ma question, sénateur Moreau, est la suivante : dans le cas présent, peut-on dire que justice différée est justice refusée? Quand les délais sont-ils considérés comme trop longs?

Le sénateur Moreau [ - ]

La maxime à laquelle vous référez en est une qu’on utilise généralement en droit. Je ne vous en fais pas un reproche ni un cours de droit, mais nous l’utilisons généralement pour parler de l’accessibilité aux tribunaux. Quelqu’un qui a un droit et qui veut s’adresser à la cour doit pouvoir le faire dans un temps raisonnable. Autrement, bien qu’il existe, son droit ne sera pas tranché par les tribunaux. Cela équivaut à nier l’existence d’un droit.

À mon point de vue, cette maxime ne s’applique pas dans le cas d’une législation et certainement pas dans le cas qui nous occupe. Ici, on ne parle pas du projet de loi S-2, mais plutôt des amendements que le comité souhaite apporter au projet de loi S-2. Je ne parle pas du bien-fondé ou du mal fondé des amendements. Sur le fond des choses, je le répète, la position de la ministre, du gouvernement ainsi que moi-même est de dire que l’on doit amender la Loi sur les Indiens pour éliminer la discrimination que l’on y retrouve.

La difficulté devant laquelle nous nous retrouvons réside dans le fait que les obligations constitutionnelles sont des obligations liées à notre devoir de consulter avant d’amender. Ce que le gouvernement estime, c’est que ce devoir de consultation qui est en cours à l’heure actuelle pourrait mener à des solutions qui pourraient être intégrées dans une loi qui serait consacrée à résoudre ce problème.

Essentiellement, c’est une façon de voir différente sur la méthode qui doit être proposée, et le gouvernement estime qu’une loi qui recevrait la sanction royale sans avoir été soumise au processus de consultation risquerait de ne pas être reconnue valide si elle était contestée devant les tribunaux.

Je répondais à l’une de nos collègues un peu plus tôt en disant que nous avons une obligation, en tant que sénateurs, lorsqu’on prête serment et qu’on devient membre de cette institution, de soutenir et de défendre la Constitution du Canada, non pas de choisir les éléments de la Constitution qui font notre affaire, mais bien de la défendre dans son intégralité.

On le disait plus tôt, la Constitution empêche la discrimination; la consultation n’est pas de savoir si la loi est discriminatoire ou non. Je pense qu’il y a un aveu commun, une reconnaissance commune du caractère discriminatoire de la Loi sur les Indiens. Cependant, l’élément qui nous touche ici est de dire que la façon dont on va la modifier doit obéir à une procédure particulière, une procédure qui a été demandée et obtenue de haute lutte par les communautés autochtones. C’est ce que nous devons respecter et c’est l’obligation qui est faite à la Couronne.

La sénatrice Batters [ - ]

Sénateur Moreau, vous avez dit tout à l’heure que la Chambre des communes pourrait ne pas adopter le projet de loi si le Sénat le lui renvoyait avec ces amendements — il ne s’agit pas d’un renvoi, puisqu’il lui serait soumis pour la première fois. N’oublions pas que le projet de loi porte le numéro S-2, ce qui signifie que le gouvernement a décidé de le présenter au Sénat. C’est le choix qu’a fait votre gouvernement.

Si le Sénat décide de modifier le projet de loi, le gouvernement devra faire avec. La Chambre des communes modifie couramment les projets de loi des Communes avant de nous les envoyer, qu’il s’agisse de projets de loi gouvernementaux ou non. Je rappelle également que le gouvernement dispose actuellement d’une quasi-majorité de députés à la Chambre des communes.

Bon, Steven Guilbeault vient de quitter le Cabinet. Je ne sais pas s’il demeurera au sein du caucus, mais vous êtes assez près du nombre dont vous auriez besoin. Donc, idéalement, vous pourrez obtenir un certain soutien pour les amendements du Sénat.

Je souligne également que deux des sénateurs autochtones que j’ai mentionnés plus tôt et qui ont voté en faveur des amendements au projet de loi S-2 en comité sont des avocats, et que trois des cinq autres sénateurs qui ont voté en faveur des amendements en comité sont également des avocats et, à ce titre, sont parfaitement conscients des obligations constitutionnelles que vous avez mentionnées plus tôt. Que répondez-vous à ces deux questions?

Le sénateur Moreau [ - ]

Sur la question du projet de loi introduit au Sénat, comment serait-il reçu à la Chambre des communes? Je vous dirais que la réponse se trouve dans les déclarations publiques faites par la ministre. Le gouvernement s’oppose aux amendements en se basant sur le fait que ces amendements ne répondraient pas aux obligations constitutionnelles de consultation.

Quant à la deuxième question, à savoir comment je réagis au fait que certains sénateurs sont des juristes et qu’ils ont voté en faveur des amendements, je ne veux pas me substituer à leur opinion; je vous exprime ce qui est l’opinion du gouvernement. J’ai beaucoup de respect pour tous mes collègues — comme je l’ai mentionné plus tôt — et j’ai du respect pour le travail qu’ils ont fait. Il fallait être au comité pour entendre les témoignages. Avocat ou non, ce n’est pas une situation facile.

Je comprends l’intention et je ne vois aucune mauvaise foi, aucune intention sous-entendue dans le fait qu’ils se sont exprimés en faveur des amendements.

Je pense qu’il y a deux façons de voir les choses. Une façon qui pourrait vouloir dire que le Sénat exprime ce qui suit haut et fort : « Voici, avec ces amendements, comment vous, le gouvernement, devriez agir rapidement, parce qu’on vous donne l’expression de ce à quoi nous tenons », et ce message, selon moi, est clairement entendu. La ministre l’a dit, elle est venue l’exprimer plus d’une fois en comité.

Maintenant, elle dit que comme le projet de loi S-2, dans sa forme actuelle, vise à corriger la situation de 3 500 personnes, qu’il y a un avis du tribunal et que le projet de loi en soi répond à ce qui a été demandé par la cour dans l’arrêt Nicholas, il faut adopter le projet de loi.

Sur le reste, vous et moi serons rarement d’accord sur les éléments partisans de politique, mais on peut l’être sur les situations et sur l’importance de l’État et de l’obligation qui est faite à la Couronne de respecter la Constitution, sans égard aux opinions que les juristes pourraient donner à gauche et à droite. La Couronne elle-même estime qu’elle a l’obligation de se soumettre à cela.

Vous aurez l’occasion, et tous nos collègues également, de remettre en question la sincérité du gouvernement s’il n’agit pas à la suite de l’adoption du projet de loi S-2, à court ou à moyen terme, pour mettre fin aux discriminations engendrées par la Loi sur les Indiens que la ministre elle-même a reconnues.

Sénatrice Batters, je crois que vous avez assez d’expérience en politique pour savoir que le gouvernement aurait beaucoup moins de cartes à faire valoir s’il ne donnait pas suite aux engagements de la ministre.

Je fais écho à ce que la sénatrice Pate a dit plus tôt : cela s’est vu par le passé. Les gouvernements qui l’ont fait ont probablement payé le prix de ne pas répondre à des engagements aussi formels sur des enjeux aussi fondamentaux que ceux dont on parle aujourd’hui, qui sont de faire cesser la discrimination envers les peuples autochtones alors que le gouvernement s’est engagé dans un processus de réconciliation et qu’il souhaite établir une relation pour négocier de nation à nation. Il me semble que les arguments de défense qui suivraient risqueraient d’être assez ténus.

La sénatrice McCallum [ - ]

Lorsque nous examinons le projet de loi et son contenu, nous constatons qu’il ne se limite pas aux questions strictement soulevées dans l’affaire Nicholas. Les points importants sont les suivants : les Indiens peuvent se désinscrire, les femmes peuvent choisir de retourner dans leur bande natale et nous supprimons les termes désuets comme « Indiens mentalement incapables ». Ces points ne concernent pas les plaignants dans l’affaire Nicholas, mais la règle d’exclusion après la deuxième génération aura des répercussions sur bon nombre d’entre eux. Lorsque ce projet de loi sera adopté, ils devront faire la queue pour une autre affaire.

Si vous pensez que les consultations donneront lieu à un projet de loi au cours de la nouvelle année... Est-ce bien ce que vous avez dit? Non? D’accord. Peu importe, s’il y a un projet de loi présenté — mais la ministre l’a bien dit. S’il doit être présenté, pourquoi attendons-nous? Pourquoi ne l’ajoutons-nous pas à cette liste de trois points qui ne concernent pas les plaignants dans l’affaire Nicholas étant donné que c’est le cas avec la règle d’exclusion après la deuxième génération?

Le sénateur Moreau [ - ]

Vous ne vouliez pas que je réponde à la première question de la sénatrice Audette; vous avez confirmé que la ministre a pris un engagement sur l’échéancier pour déposer une loi. Je ne peux pas prendre cet engagement, car mes pouvoirs sont limités. Ils sont inférieurs aux engagements que la ministre peut prendre.

Cependant, je confirme que les consultations qui sont en cours prendront fin en décembre. À l’issue de ces consultations, un rapport sera remis à la ministre et elle s’occupera de donner suite aux engagements qu’elle a pris devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et de proposer la manière qu’elle estime être la meilleure pour régler la question.

Ma compréhension — et je pense que vous la partagez, tout comme la sénatrice Audette —, c’est que la ministre a pris l’engagement de faire une proposition pour régler la question de la discrimination liée à la seconde génération.

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