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Projet de loi visant l'égalité réelle entre les langues officielles du Canada

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

30 mai 2023


L’honorable Judith G. Seidman [ + ]

Honorables sénateurs, je prends aujourd’hui la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Les deux communautés de langue officielle en situation minoritaire, à savoir les francophones hors Québec et les anglophones du Québec, réclament depuis des années qu’on modernise la Loi sur les langues officielles. C’est ce que fait le projet de loi C-13, en plus d’essayer de donner suite aux besoins et aux priorités de ces minorités.

Cela dit, les changements proposés sont loin d’être négligeables et ne devraient pas être sanctionnés par le Sénat sans une étude approfondie. Ce projet de loi récrit un demi-siècle de politiques linguistiques fondées sur le principe fondamental selon lequel les deux langues du pays ont le même statut juridique et jouissent des mêmes droits. Or, l’objectif avoué de la nouvelle politique est l’égalité réelle.

Comme le résume le Barreau de l’Ontario :

Au Canada, les décisions de la cour à tous les paliers indiquent clairement que la Charte des droits et libertés et les lois sur les droits de la personne visent à réaliser une égalité « réelle » plutôt que « formelle ».

[Pour qu’il y ait] égalité réelle [...] il faut « reconnaître et répondre aux différences que les membres d’un groupe en particulier peuvent vivre » pour être traités également.

Les dangers qui pèsent sur la culture et la langue françaises au Canada sont aussi réels que considérables. Quoi qu’il en soit, ce projet de loi va plus loin que l’égalité réelle et met en péril les communautés anglophones minoritaires de ma province.

Selon les données du Recensement de 2021, l’anglais est la première langue officielle parlée par plus d’un million de Québécois. Environ 600 000 d’entre eux vivent dans la région économique de Montréal, mais on trouve d’autres petites communautés anglophones dans l’ensemble de la province. Par exemple, on trouve plus de 7 500 Québécois ayant l’anglais comme première langue officielle dans la région de Gaspésie—Îles-de-la-Madeleine, plus de 4 800 dans la région de la Côte-Nord, plus de 24 000 dans la région du Nord-du-Québec, plus de 3 300 en Mauricie, et plus de 5 400 en Abitibi-Témiscamingue. On trouve aussi des Québécois anglophones au Bas-Saint-Laurent, dans la région de la Capitale-Nationale, dans Chaudière-Appalaches, en Estrie, au Centre-du-Québec, en Montérégie, dans la région de Laval, dans Lanaudière, dans les Laurentides, en Outaouais et au Saguenay—Lac-Saint-Jean.

Les difficultés des communautés anglophones du Québec sont mal connues. Heureusement, des comités parlementaires ont étudié ces questions à deux reprises dans les dernières années. En 2011, le Comité sénatorial permanent des langues officielles a publié un rapport intitulé L’épanouissement des communautés anglophones du Québec : du mythe à la réalité, et en 2018, le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes a publié un rapport intitulé Pour un engagement réel envers la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Des représentants de communautés rurales ont dit au Comité sénatorial des langues officielles qu’il est difficile d’avoir accès aux services gouvernementaux en anglais, que bien des jeunes quittent la région et ne reviennent pas, et que pour ceux qui restent, les perspectives économiques sont faibles. On nous a dit que la seule école primaire anglophone du Bas-Saint-Laurent n’a ni gymnase, ni salle de musique, ni bibliothèque, et que, dans certaines régions, les élèves qui fréquentent des écoles anglophones peuvent passer jusqu’à trois heures par jour dans l’autobus scolaire.

Pourtant, voici ce que Graham Fraser, commissaire aux langues officielles du Canada de 2006 à 2016, a déclaré au comité de la Chambre dans le cadre de son étude :

Il y a [...] un défi de reconnaissance de la réalité des communautés anglophones au Québec. Il s’y est ancré une certaine mémoire historique selon laquelle les communautés anglophones du Québec sont formées de riches propriétaires et de grandes sociétés qui vivent à Westmount et ne parlent pas français. En réalité, les chiffres démontrent que, en dehors de la ville de Montréal, les anglophones des communautés de partout sur le territoire du Québec sont moins prospères et moins éduqués que les francophones et qu’ils ont un taux de pauvreté et un taux de chômage plus élevés. Ils ont exactement les mêmes problèmes d’accès aux services de l’État en anglais que certaines minorités francophones à l’extérieur du pays.

En 2021, dans ce contexte, le gouvernement du Québec a présenté le projet de loi 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français. Adoptée en 2022, cette mesure législative modifie la Charte de la langue française du Québec. Surtout, elle prévoit le recours de manière préventive à la disposition de dérogation pour éviter toute contestation aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés. Bref, cette loi permet au gouvernement du Québec de faire abstraction de droits et libertés garantis par la Constitution, sans crainte de contestation judiciaire.

C’est dans le contexte de la modification de la Charte de la langue française du Québec que les anglophones du Québec ont été déçus et inquiets de trouver une mention de la charte québécoise dans le projet de loi modifiant la Loi sur les langues officielles du Canada. Dans le projet de loi C-13, il est fait mention de la charte québécoise à trois reprises. La mention la plus notable est celle qui figure dans les objectifs du projet de loi. Or, ces mentions ne contribuent en rien à renforcer ou à promouvoir les droits et libertés des Canadiens de langue française.

Le projet de loi fait état des dispositions constitutionnelles qui s’appliquent au Québec, au Manitoba et au Nouveau-Brunswick, mais la Charte de la langue française du Québec est la seule mesure législative provinciale dont le nom est mentionné dans le projet de loi fédéral. Cette désignation pose problème parce que la charte québécoise pourrait être modifiée dans l’avenir par n’importe quel gouvernement du Québec d’une façon qui serait susceptible de nuire davantage à la communauté anglophone. Or, sa mention demeurerait dans la Loi sur les langues officielles du Canada. Par surcroît, cette modification crée également une asymétrie entre les droits des communautés de langue officielle en situation minoritaire au Québec et à l’extérieur de cette province.

Voici ce que l’honorable Michel Bastarache, ancien juge à la Cour suprême du Canada, a déclaré au Comité des langues officielles pendant l’étude préalable du projet de loi C-13 :

Je suis personnellement opposé à la référence à une loi provinciale dans la loi fédérale. Je crois que le régime linguistique fédéral est très différent de celui du provincial. Le rôle du commissaire aux langues officielles ne ressemble en rien au rôle de l’Office de la langue française [...]

La Loi sur la langue officielle du Québec, pour ce qui est des langues autres que le français, est plutôt une loi sur la non‑discrimination. Ce n’est pas une loi sur la promotion de l’anglais, alors que la loi fédérale est une loi sur la promotion des langues minoritaires.

Quand l’objet même des lois n’est pas le même ou n’est pas vraiment conciliable, je ne vois pas l’utilité de faire cela. Si le gouvernement est d’accord avec certaines dispositions de la loi québécoise, il n’a qu’à les adopter lui-même.

Qui plus est, dans la mesure où le projet de loi C-13 intègre la Charte de la langue française du Québec à la Loi sur les langues officielles, on nous dit qu’il intégrerait et sanctionnerait de facto l’usage préventif de la disposition de dérogation. C’est principalement pour cette raison, honorables sénateurs, que ce projet de loi doit être étudié par le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous devons connaître toutes les ramifications possibles de cette nouvelle approche.

On a prévenu le gouvernement de ne pas s’engager dans cette voie. Lorsque Patrimoine canadien a publié un document de réforme intitulé Français et anglais : Vers une égalité réelle des langues officielles au Canada en 2021, le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, a réagi comme suit:

Je partage [...] les préoccupations de la communauté d’expression anglaise du Québec, qui craint que l’ajout de composantes asymétriques dans la Loi ne mine le statut égal de l’anglais et du français. C’est pourquoi je recommande fortement au gouvernement de mettre l’accent sur l’égalité réelle plutôt que sur l’asymétrie législative afin de protéger les communautés de langue officielle en situation minoritaire partout au Canada et de favoriser le développement et l’épanouissement des deux langues officielles du Canada. Cela permettra au Commissariat d’intervenir au besoin pour conserver le précieux équilibre entre nos deux langues officielles.

Malgré la mise en garde du commissaire, la référence à la Charte de la langue française du Québec a été incluse dans le projet de loi C-13. Il nous incombe maintenant au Sénat, chers collègues, d’étudier la suggestion du juge Bastarache de supprimer la référence à la Charte de la langue française du Québec et d’insérer à la place les dispositions qui, selon les fonctionnaires, devraient être ajoutées à la Loi sur les langues officielles du Canada.

Le projet de loi C-13 édicte également la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale. Cette nouvelle loi établit le droit de communiquer en français et d’obtenir des services en français de la part des entreprises privées de compétence fédérale, ainsi que le droit d’effectuer son travail et d’être supervisé en français dans ces entreprises. Cette loi s’appliquera d’abord aux entreprises privées de compétence fédérale au Québec avant d’être étendue à celles des régions à forte présence francophone.

Les entreprises privées de compétence fédérale comprennent les banques, les traversiers et les autobus qui traversent des frontières internationales ou provinciales, ainsi que les entreprises de télécommunications, par exemple les compagnies de téléphone et d’Internet. Ainsi, les francophones, d’abord au Québec, puis dans les régions à forte présence francophone, auront le droit d’obtenir des services auprès de ces entreprises et d’y travailler en français.

Je note que la définition ou la quantification d’une « forte présence francophone » reste à définir dans le règlement.

En outre, la nouvelle loi stipule que les entreprises privées de compétence fédérale au Québec peuvent choisir d’être soumises à la Charte de la langue française du Québec. Ce changement particulier souligne l’asymétrie introduite par le projet de loi C-13.

Honorables sénateurs, pour conclure, je vous invite tous à prendre en considération le fait que la Constitution confère au Sénat deux tâches distinctes. La première consiste à exercer une fonction de contrepoids ou de contrôle à l’égard du Cabinet et de la Chambre des communes. Nos fondateurs ont reconnu l’importance de protéger le droit à la dissidence politique contre les attaques éventuelles d’une majorité incarnée par la Chambre des communes.

La deuxième tâche est de représenter les régions du Canada à l’échelon fédéral. Dans un segment de leur ouvrage intitulé Protéger la démocratie canadienne : Le Sénat en vérité..., l’ancien politicien québécois et professeur Gil Rémillard et son coauteur Andrew Turner expliquent ce qui suit :

Les Pères de la Confédération ont voulu aussi donner comme fonction importante au Sénat de s’assurer que les minorités, à l’origine la population anglophone du Québec et les minorités francophones des autres provinces, soient représentées au Parlement canadien.

C’est à cette condition — où le Sénat défend les intérêts des minorités, même quand la majorité dans l’autre endroit ne le fait pas — que le marché a été conclu avec les Canadiens. Protéger les minorités, y compris la minorité anglophone du Québec, est notre raison d’être.

Honorables collègues, ce projet de loi peut être amélioré. Des changements mineurs peuvent y être apportés pour assurer l’égalité réelle des langues officielles tout en protégeant les droits de la minorité anglophone du Québec. Par conséquent, je vous demande d’accomplir votre mandat et de renvoyer ce projet de loi à deux comités pour étude, soit le Comité sénatorial permanent des langues officielles et le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Merci.

L’honorable René Cormier [ + ]

La sénatrice Seidman accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Seidman [ + ]

Certainement.

Le sénateur Cormier [ + ]

Merci, sénatrice Seidman. Tout d’abord, je veux vous féliciter et vous remercier de votre dévouement et de votre engagement dans le dossier des langues officielles. Vous avez fait partie du Comité des langues officielles pendant des années, et vous y avez accompli beaucoup de travail. Vous êtes déterminée à défendre la communauté anglophone du Québec.

Étant donné que le mandat du Comité des langues officielles est vaste et permet à celui-ci d’examiner toute question liée aux langues officielles en général — y compris les droits linguistiques garantis par la Loi constitutionnelle de 1867 et la Charte canadienne des droits et libertés —, que le comité est chargé d’étudier l’application de la Loi sur les langues officielles et de ses règlements, et qu’il a accordé une attention particulière aux questions juridiques et constitutionnelles dans son étude préalable du projet de loi, ne pensez-vous pas que ce comité est le mieux placé pour mener à lui seul l’étude du projet de loi?

La sénatrice Seidman [ + ]

Merci. Je vais simplement dire très brièvement que je comprends pourquoi vous posez cette question, mais je vous fais remarquer que, lorsque nous sommes saisis d’un projet de loi d’exécution du budget, par exemple, nous le renvoyons à plusieurs comités, parce que les comités ont chacun leur spécialité. Ces comités comptent des experts capables d’analyser des parties d’un projet de loi en fonction de leurs spécialités. Le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles possède la spécialité et l’expertise nécessaires pour comprendre les questions constitutionnelles qui pourraient être menacées par ce projet de loi. De ce point de vue, sa compréhension serait donc mieux adaptée que celle du Comité des langues officielles, à mon humble avis.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes supplémentaires, sénatrice Seidman?

La sénatrice Seidman [ + ]

Je suppose que si mes collègues le souhaitent, je demanderai cinq minutes de plus.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Est-ce que le consentement est accordé?

Le sénateur Cormier [ + ]

Ma question est courte. Érik Labelle Eastaugh, François Larocque, Michel Bastarache, Benoît Pelletier, Robert Leckey, Michel Doucet, David Robitaille et Mark Power sont tous des experts qui ont témoigné devant le Comité des langues officielles lors de son étude préalable et ils ont fourni des éléments de preuve sur les questions juridiques et constitutionnelles entourant le projet de loi.

Madame la sénatrice, compte tenu de l’expertise du Comité des langues officielles, dont vous connaissez les membres, et de sa capacité à inviter des experts à examiner le projet de loi amendé, ne pensez-vous pas que ce comité, fort de toute cette expertise et dont certains sénateurs sont membres depuis de nombreuses années, est bien équipé, mieux équipé, voire le mieux à même d’examiner exclusivement ce projet de loi?

Je reconnais l’expertise du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles et de mes collègues qui en font partie, mais nous travaillons sur ce projet de loi — cette loi — depuis 2017. Nous sommes bien outillés pour l’étudier. Qu’en pensez-vous?

La sénatrice Seidman [ + ]

Je vous remercie. Avec tout le respect que je dois aux membres du comité et à vous-même, qui en êtes le président, vous êtes absolument dévoués et engagés sur cette question — et je respecte cela, croyez-moi, je respecte l’expertise de tous les membres du comité et de tous les experts qui ont témoigné devant le comité —, je pourrais poser la question suivante : n’éprouvons-nous pas la même chose à l’égard de tous les membres du Comité des finances nationales? Or, ce comité n’est pas le seul à étudier un projet de loi d’exécution du budget. Le projet de loi est soumis à différents comités qui disposent de l’expertise nécessaire pour l’examiner sous différents angles. Voilà ce que je peux vous répondre.

L’honorable Percy E. Downe [ + ]

J’ai une autre question. Depuis le temps que nous sommes au Sénat, vous et moi, c’est la première fois que le parrain et la porte-parole de l’opposition pour un même projet de loi sont président et vice-présidente d’un comité. Avez-vous déjà vu quelque chose de semblable? Selon vous, serait-ce une raison de plus pour renvoyer le projet de loi au Comité des affaires juridiques? Je ne remets pas en cause les qualifications des membres du comité, qui sont très compétents. C’est juste que c’est la première fois que je vois ce genre de chose.

La sénatrice Seidman [ + ]

Je vous remercie, sénateur. Je suis ici depuis 2009, et je ne me souviens pas d’un cas semblable. Je ne veux surtout pas discréditer les membres du Comité des langues officielles, ni son président et sa vice-présidente. Ce sont des gens honorables pour qui j’ai le plus grand respect et qui sont parfaitement capables de traiter de ces questions.

Je crois néanmoins que ce projet de loi devrait être étudié par les deux comités, celui des langues officielles et celui des affaires juridiques et constitutionnelles, ce dernier étant le mieux placé pour saisir les problèmes d’ordre constitutionnels que pourrait receler le texte. Je vous remercie.

Le sénateur Downe [ + ]

Je tiens à dire publiquement que je suis inquiet. Parfois, le problème, c’est l’apparence de conflit d’intérêts et je crois que c’est le cas ici.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Est-ce une question?

Le sénateur Downe [ + ]

Non.

L’honorable Renée Dupuis [ + ]

Sénatrice Seidman, accepteriez-vous une autre question?

La sénatrice Seidman [ + ]

Certainement.

La sénatrice Dupuis [ + ]

Merci pour votre discours.

Voici ma question : est-ce que dans ce cas-ci, la différence majeure entre un projet de loi qui porte sur un budget qui est distribué à différents comités afin qu’ils étudient leur partie de la question — chaque partie qui leur est distribuée — n’est-ce pas une situation très différente de celle-ci, où vous demanderiez au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, où je siège, de refaire une étude déjà faite il y a plusieurs années par le Comité sénatorial permanent des langues officielles?

La sénatrice Seidman [ + ]

Je vous remercie de la question. Le Comité des langues officielles a effectivement mené une étude préalable du projet de loi C-13. Toutefois, le projet de loi qui a été renvoyé au Sénat est assez différent : il y a eu de nombreux amendements, et des mentions de la Charte de la langue française ont été ajoutées. À mon avis, dans un contexte où le risque est très élevé pour la communauté anglophone du Québec, il ne peut pas faire de tort d’adopter une approche très spécialisée s’appuyant sur de nombreux experts pour étudier un possible enjeu constitutionnel lié à la mention, pour la première fois dans une loi fédérale, de la Charte de la langue française du Québec uniquement.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénatrice Seidman, votre temps de parole est écoulé. Il y a deux autres sénateurs qui voulaient poser une question. Demandez-vous plus de temps?

La sénatrice Seidman [ + ]

Non, je ne peux pas. Merci.

L’honorable Tony Loffreda [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Ayant vécu toute ma vie à Montréal, et ayant le français comme troisième langue, je me sens obligé de faire quelques remarques sur ce projet de loi.

De prime abord, je veux qu’il n’y ait aucun doute dans l’esprit des gens. Je suis très fier d’être Québécois, fier de parler français, fier de vivre dans une province où le français est la langue commune du peuple et la langue officielle, mais je suis surtout fier et honoré de représenter le Québec au Sénat. Je me trouve extrêmement chanceux d’être né et d’avoir grandi, d’avoir été éduqué, d’avoir fait carrière et d’avoir fondé une famille au Québec. J’en suis très reconnaissant.

Je veux que mon message soit clair : je crois qu’il est essentiel de protéger et de promouvoir le français autant au Québec qu’à l’échelle nationale. La réalité veut que les francophones soient minoritaires au Canada et tous les efforts sont nécessaires pour assurer la vitalité du français.

Mes commentaires d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec le besoin d’accroître la protection des droits linguistiques des francophones. Au contraire, j’y souscris et j’appuie les objectifs du projet de loi C-13 et les avancées qu’il offrira aux francophones dès son adoption.

Je prends la parole, très humblement, plutôt pour défendre une autre minorité linguistique du pays, celle que nous avons souvent l’habitude d’oublier, soit la minorité anglophone au Québec.

Nous avons tous vu ce qui s’est produit à l’autre endroit il y a quelques semaines : la Chambre entière a appuyé le projet de loi C-13, à l’exception d’Anthony Housefather, député de Mont‑Royal, la circonscription voisine de celle où j’habite. C’est ce député qui, en toute conscience, s’y est opposé.

Le projet de loi C-13 est un projet de loi très important qui modifiera les droits linguistiques au Canada. Une modernisation de la Loi sur les langues officielles s’impose depuis longtemps, et je félicite le Comité sénatorial des langues officielles de l’étude complète qu’il a effectuée à ce sujet il y a quelques années. Je sais que l’étude a été très bien reçue d’un bout à l’autre du pays.

Mes observations d’aujourd’hui porteront exclusivement sur l’inclusion de la Charte de la langue française du Québec dans le projet de loi C-13. À l’instar de nombreux membres de ma communauté, je suis préoccupé par le fait que le projet de loi comprend trois mentions de la charte. Je suis également un peu déçu que le projet de loi soit pratiquement muet au sujet des droits des anglophones au Québec, ce qui nous amène à nous demander si le gouvernement a abandonné l’idée d’un pays entièrement bilingue.

Je crois que la plupart d’entre nous connaissent assez bien les modifications apportées à la Charte de la langue française lorsque l’Assemblée nationale du Québec a adopté le projet de loi 96 en juin dernier. Les minorités anglophones au Québec se sont senties ciblées, voire, en quelque sorte, personnellement attaquées lorsque le gouvernement provincial a présenté et adopté ce projet de loi en invoquant à titre préventif la disposition de dérogation, c’est‑à-dire l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il y a 40 ans, feu Morris Manning, sommité juridique canadienne, s’inquiétait également de l’inclusion de la disposition de dérogation dans la Charte. Il a déclaré :

Si notre liberté de conscience et de religion peut être supprimée par une loi qui s’applique malgré la Charte, et si on peut porter atteinte à nos droits à la vie et à la liberté d’une manière non conforme aux principes de justice fondamentale, quelle liberté avons-nous?

M. Manning mettait le doigt sur un élément important.

À mon avis, l’intention qui sous-tend le recours préventif à la disposition de dérogation est d’éviter toute contestation au motif que la loi 96 est discriminatoire ou contraire à la Charte des droits et libertés. Comme l’a expliqué M. Housefather, cela revient à priver les Québécois de leur droit de saisir les tribunaux en cas de violation de leurs droits garantis par la Charte et de demander à un tribunal d’ordonner réparation. À mon humble avis, un gouvernement qui recourt à cette disposition à titre préventif sait que sa décision risque d’être contestée devant les tribunaux.

Je sais que l’article 33 fait partie de la Charte canadienne et que les gouvernements ont le droit d’avoir recours à la disposition de dérogation, mais je crois sincèrement qu’ils ne devraient le faire qu’en dernier recours. Certains de nos collègues à l’autre endroit sont d’accord avec moi. Le procureur général du Canada n’est pas favorable non plus au recours préventif à la disposition de dérogation. L’automne dernier, lorsque le gouvernement de l’Ontario s’est servi de cette disposition dans le cadre d’un conflit de travail, le procureur général a affirmé clairement que l’article 33 de la Charte était l’outil ultime à la disposition des législatures, pas le premier outil à employer. Il a expliqué que le recours préventif à cet article était extrêmement problématique et qu’il évacuait complètement la possibilité d’examen judiciaire.

Son collègue le ministre du Travail considérait également que la disposition avait été employée de manière cavalière contre les travailleurs et que cela constituait un affront à la démocratie, puisque la disposition ne devait être employée que dans les circonstances les plus extraordinaires. Pourtant, quand le gouvernement du Québec a eu recours à l’article 33 pour la loi 96, il ne s’est pas attiré autant de critiques. Pourquoi?

Comme l’a écrit John Ivison dans le National Post :

La disposition de dérogation a sa raison d’être, mais elle ne devrait pas être employée par les ministres de la Justice des provinces pour cacher les défauts de leurs projets de loi.

Comme l’a souligné Russell Copeman, directeur général de l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec et ancien député de l’Assemblée nationale, lorsqu’il est venu témoigner au Comité sénatorial des langues officielles l’automne dernier :

[...] on ne réussira pas à promouvoir et à protéger une langue — ce que je suis convaincu qu’il faut faire au Québec — en restreignant les droits de la minorité linguistique et son accès aux services.

Il explique ensuite que c’est précisément ce que fait le projet de loi 96. Voici ce qu’il a dit :

[...] c’est l’une des raisons pour lesquelles nous sommes nombreux à penser que le projet de loi C-13 ne devrait pas contenir une référence explicite à la Charte de la langue française.

Je pense qu’il est inacceptable, ou à tout le moins rare et déroutant, qu’une loi fédérale inclue la mention d’une loi provinciale qui utilise la disposition de dérogation. Je ne suis pas un avocat, je ne peux donc pas me prononcer sur la constitutionnalité de cette inclusion. Cependant, je suis un législateur, comme nous tous ici au Sénat, et je crains que le gouvernement libéral crée un précédent troublant et nous engage sur une pente glissante.

Je dirais même que l’inclusion de la charte québécoise dans la loi fédérale représente, à certains égards, une approbation du projet de loi 96 et certains experts partagent cet avis.

Devant le comité de la Chambre des communes, Me Janice Naymark a soulevé un point très intéressant au sujet de la référence à la Charte de la langue française du Québec dans le projet de loi C-13. Elle a suggéré que cette référence brouillait la limite entre les sphères de compétence fédérale et provinciale. Elle a aussi avancé que, en intégrant des références à la Charte de la langue française du Québec dans la Loi sur les langues officielles, le gouvernement fédéral appuyait indirectement le projet de loi no 96 du Québec et, ce faisant, le rendait légitime de manière implicite. Vous ne serez pas surpris d’apprendre que j’ai été bombardé de courriels et d’appels de la part de connaissances, d’anciens collègues et de résidants de Montréal, qui ont exprimé de sérieuses réserves au sujet du projet de loi C-13 depuis sa présentation il y a plus d’un an. Je suis le dossier de près.

En fait, j’ai même eu l’occasion d’assister aux réunions du Comité sénatorial des langues officielles l’automne dernier, alors qu’il effectuait l’étude préalable du projet de loi C-13. Lorsque j’ai demandé à Robert Leckey, doyen de la Faculté de droit de l’Université McGill, de me faire part de son point de vue sur l’inclusion de la Charte de la langue française dans le projet de loi, voici ce qu’il m’a répondu :

Ce qui est curieux au sujet du projet de loi C-13, c’est qu’il fasse mention de la Charte de la langue française. [...] Cela donne un poids plus grand à la Charte de la langue française puisque c’est comme si elle faisait partie de la Constitution. Et à cela vous semblez donner votre approbation implicite et celle du Parlement.

Le professeur Leckey n’est pas le seul qui a cette opinion. Le 3 octobre dernier, le Comité sénatorial permanent des langues officielles a reçu l’éminent juriste Michel Bastarache, ancien juge de la Cour suprême du Canada. Voici ce qu’il a dit quand je lui ai suggéré que l’inclusion d’une référence à la Charte de la langue française du Québec dans la Loi sur les langues officielles pourrait être interprétée comme un appui indirect du gouvernement fédéral. Il a dit : « Je suis personnellement opposé à une référence à une loi provinciale dans une loi fédérale. » Puis, il a ajouté ce qui suit :

Quand l’objet même des lois n’est pas le même ou n’est pas vraiment conciliable, je ne vois pas l’utilité de faire cela. Si le gouvernement est d’accord avec certaines dispositions de la loi québécoise, il n’a qu’à les adopter lui-même.

Pour sa part, Benoît Pelletier, professeur de droit à l’Université d’Ottawa, ancien député provincial et ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, à la Francophonie canadienne et à la Réforme des institutions démocratiques dans le gouvernement Charest, a dit qu’il était, et je cite :

[...] favorable à ce qu’il y ait une ouverture par rapport à l’application de la Charte de la langue française, y compris dans une loi fédérale.

Bien que son opinion diffère de celle du juge Bastarache à cet égard, M. Pelletier partage l’opinion de M. Leckey, selon laquelle la mention de la charte dans la loi fédérale donne une légitimité à la loi provinciale. Si c’est bel et bien le cas, je persiste et signe en affirmant que les références à la loi provinciale devraient probablement être supprimées du projet de loi C-13.

Pas plus tard qu’hier, j’ai reçu une lettre de la Commission scolaire English-Montreal qui rappelle que l’incorporation par renvoi de la Charte de la langue française du Québec dans une loi fédérale présente une sérieuse faille. Cette commission scolaire craint que la loi fédérale soit assujettie à une loi provinciale et que les autres provinces aient alors le loisir de légiférer sur leurs propres restrictions à l’endroit des minorités de langues officielles.

Honorables collègues, combien de fois nous rappelle-t-on notre rôle de protecteurs et de défenseurs des minorités? Les sénateurs sont là pour donner une voix aux sans-voix. Voilà pourquoi je me suis senti obligé de partager avec vous les préoccupations légitimes et profondes de la minorité anglophone du Québec. Nous ne sommes pas soumis à des contraintes et à des pressions électorales, ce qui nous permet d’examiner les lois du gouvernement avec la plus grande ouverture d’esprit et la plus grande impartialité.

Je suis persuadé que le Comité sur les langues officielles prendra le temps nécessaire pour examiner le projet de loi C-13, et j’espère qu’il se penchera sérieusement sur le point que j’ai soulevé aujourd’hui. Comme la sénatrice Seidman l’a préconisé dans son discours, il faudrait songer à renvoyer ce projet de loi au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Je ne dis pas cela pour retarder l’adoption du projet de loi, dont j’appuie l’objectif principal, mais je me sentirais beaucoup plus à l’aise si cette question juridique et constitutionnelle faisait l’objet d’un examen approprié et approfondi.

C’est aussi ce que préconise le Quebec Community Groups Network, un organisme à but non lucratif regroupant des groupes anglophones du Québec. Dans un communiqué de presse publié le 15 mai dernier, il a répété ses inquiétudes à l’égard de l’incorporation par renvoi de la Charte de la langue française du Québec dans la loi, affirmant ceci :

C’est dans cette loi provinciale que l’on trouve des restrictions limitant les droits des Québécois d’expression anglaise, et le projet de loi C-13 leur apporte son appui.

Marc Garneau, qui était mon député jusqu’à tout récemment, a indiqué que le fait d’intégrer une loi provinciale dans une loi fédérale ne « [...] semble pas logique et ne favorise pas la clarté. » Nous avons la responsabilité de chercher cette clarté.

Nous devrions tous songer à ce que Dean Lockley a déclaré au comité le 24 octobre 2022 en parlant de l’inclusion de la disposition de dérogation dans la Charte québécoise de la langue française. Il nous a rappelé ceci :

[...] la Charte de la langue française, dans sa forme actuelle [...] permet de déroger à tous les droits de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Charte québécoise des droits et libertés auxquels il est possible de déroger. C’est ce que la Charte de la langue française signifie désormais.

Il a poussé tous les membres du comité à réfléchir: si nous ne souhaitons pas cautionner une telle chose, qu’elle nous met mal à l’aise, peut-être devrions-nous repenser à ces renvois.

Peut-être incombe-t-il aux sénateurs d’accomplir ce que la Chambre n’a pas réussi à faire, puisque les amendements visant à éliminer les renvois ont été rejetés par les partis d’opposition. J’implore sincèrement les sénateurs d’examiner ces enjeux constitutionnels cruciaux de manière judicieuse, objective et, comme l’a dit le Quebec Community Groups Network, impartiale.

Jusqu’ici, je n’ai entendu aucun argument convaincant qui expliquerait pourquoi l’inclusion de ces renvois dans le projet de loi est nécessaire. Au contraire, dans le but d’éviter tout malentendu, de garantir la clarté et la logique de la mesure, et de réduire les risques de confusion et de complications pour les juges, il pourrait être plus logique d’éliminer complètement les renvois, bien que certaines personnes soutiennent que leur inclusion est tout à fait inoffensive d’un point de vue judiciaire. Leur élimination ne nuirait en rien aux principaux objectifs du projet de loi.

Je reste fermement convaincu que ces références ne font rien pour promouvoir les droits et les libertés des Canadiens francophones, que ce soit au Québec ou ailleurs. Elles ne font que nuire à la plus grande minorité linguistique du pays.

Chers collègues, je conclus en réitérant mon appui aux communautés linguistiques en situation minoritaire partout au pays. Surtout, je vais dire ceci aux Québécois francophones et francophiles : sachez que je crois sincèrement à la nécessité de protéger le français et que je souhaite que le projet de loi C-13 reçoive éventuellement la sanction royale. Cependant, je veux qu’il soit adéquatement étudié en comité et que les préoccupations que j’ai abordées aujourd’hui soient explorées de fond en comble. Merci.

Le sénateur Cormier [ + ]

Le sénateur Loffreda accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Loffreda [ + ]

Oui, bien sûr.

Le sénateur Cormier [ + ]

Sénateur Loffreda, merci de prendre la parole au sujet des préoccupations exprimées au sein de la communauté anglophone du Québec, notamment sur l’inclusion dans le projet de loi C-13 de références à la Charte de la langue française. Ma question est assez simple. Est-ce que je comprends bien que, à la lumière de votre allocution, vous suggérez au président du Comité des langues officielles d’inviter des juristes qui viendront donner des précisions sur les préoccupations relatives à l’inclusion de la Charte de la langue française dans le projet de loi C-13?

Du même coup, est-ce que je comprends bien que vous suggérez que le président du comité, qui est également parrain du projet de loi, cède son siège — ce qu’il a l’intention de faire —, pour s’assurer de dissiper toute apparence de conflit d’intérêts?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénateur Loffreda, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?

Le sénateur Loffreda [ + ]

Oui.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Honorables sénateurs, le consentement est-il accordé?

Le sénateur Loffreda [ + ]

Je vous remercie de la question. La réponse est oui, car nous sommes ici pour analyser le projet de loi. Comme je le disais souvent dans mon ancienne vie, on devra vivre avec tout cela pendant très longtemps. Donc, ce n’est pas une question de jours, de semaines ou de mois, et c’est la raison pour laquelle il faut bien le faire. Soit on le fait correctement, soit on ne le fait pas du tout. Je crois donc que c’est une option qu’il faut examiner.

Je partage également l’opinion de la sénatrice Seidman, à savoir qu’en plus de l’expertise du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, comme nous le faisons à notre Comité des finances nationales ou à notre Comité des banques, nous étudions plusieurs projets de loi, et un comité a l’ultime responsabilité de recueillir l’opinion d’autres personnes qui ont cette expertise que votre comité n’a peut-être pas.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) [ + ]

Honorables sénateurs, je prends brièvement la parole au sujet du projet de loi C-13, Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada. Je tiens à remercier tous ceux qui ont pris la parole avant moi et qui ont contribué au débat sur cet important projet de loi.

Ce projet de loi représente un jalon important dans le long cheminement du Canada vers une véritable égalité entre les locuteurs du français et de l’anglais, aussi bien dans le droit et dans les faits que dans l’expérience quotidienne des Canadiens d’un océan à l’autre. Notre débat sur le projet de loi C-13 se situe en partie dans le contexte d’une ère numérique où l’anglais est devenu la langue de la mondialisation, du commerce et de la culture populaire. C’est un défi auquel sont confrontées de nombreuses communautés linguistiques dans le monde, mais il est ressenti de façon aiguë par les francophones du Canada, notamment par ceux qui vivent dans des provinces majoritairement anglaises dans notre pays majoritairement anglais sur un continent majoritairement anglais.

Ce débat est aussi rendu nécessaire par les hostilités et la discrimination qui existent de longue date au Canada à l’égard des francophones. Cela remonte aussi loin qu’au XVIIIe siècle, lorsque la politique britannique avait ouvertement pour but de les assimiler ou de les expulser. Cette discrimination a persisté après la création de la Confédération et jusqu’à la fin du XXe siècle, alors que la majorité d’entre nous avait déjà un certain âge. À titre d’exemple, on peut penser au déni des droits en matière d’éducation des minorités linguistiques au Manitoba. Même si ces droits étaient protégés par la Constitution, il a fallu près d’un siècle avant qu’ils soient officiellement rétablis grâce à une décision de la Cour suprême du Canada rendue en 1985. On peut aussi parler de l’abolition honteuse de l’enseignement en français au Nouveau-Brunswick et en Ontario au tournant du siècle précédent. Il y a tant d’autres exemples.

Chers collègues, les communautés francophones se battent depuis des années pour fonder des institutions et faire respecter leurs droits fondamentaux, comme le droit à l’éducation dans leur propre langue. Ce faisant, elles ont dû surmonter de terribles préjugés et une cruelle indifférence.

Permettez-moi de vous donner un exemple : l’histoire d’une personne peut mettre en lumière ce que tant de gens ont vécu. En 1966, Micheline Saint-Cyr a quitté Hull — qui est maintenant Gatineau — pour déménager à Toronto avec son mari et leurs cinq enfants. Leurs voisins les ont-ils accueillis à bras ouverts? Non, pas du tout. En passant, cette histoire a été rapportée dans le Toronto Star. À leur arrivée, les voisins leur ont lancé des œufs, ont allumé des feux dans leur garage et ont peint des insultes sur leur maison, écrivant par exemple que des frogs vivaient là. Devant un tel accueil, Micheline n’a pas baissé les bras ni plié bagage avec sa famille; elle s’est mise au travail. Elle a collaboré avec d’autres parents francophones pour établir des institutions communautaires, y compris un centre culturel francophone et la première école publique francophone de Toronto, l’École secondaire Étienne-Brûlé, où allaient ses enfants malgré les fréquentes alertes à la bombe.

Le courage et la détermination de Micheline Saint-Cyr ont porté des fruits pour sa communauté et sa famille. Aujourd’hui, à Etobicoke, il y a une école qui porte son nom et, dans cet édifice, il y a un bureau qui porte le nom de son petit-fils — mon chef de cabinet —, Éric-Antoine Menard.

Honorables collègues, les efforts de Micheline Saint-Cyr et de bien d’autres personnes ont été bénéfiques pour le Canada. Le bilinguisme canadien est une richesse nationale d’une valeur inestimable, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale, car il nous aide notamment à établir des liens et à exercer notre influence au sein de certaines institutions et de certaines régions du monde qui nous seraient autrement tout à fait inaccessibles. L’ancienne gouverneure générale Michaëlle Jean a dit que la langue française est « un pont, un véhicule stratégique, un puissant levier qui offre des possibilités incroyables ».

Cependant, nous ne pouvons pas nous permettre de tenir la vitalité du bilinguisme canadien pour acquise. C’est pourquoi, plus de 30 ans après la dernière réforme majeure apportée à la Loi sur les langues officielles, le projet de loi C-13 vise à répondre aux tendances sociales et démographiques qui touchent le pays, et à mieux affirmer les aspirations du Canada à l’égard des langues officielles.

L’élaboration du projet de loi C-13 est le fruit d’un effort collectif. Au cours des dernières années, des chercheurs, des membres de communautés linguistiques en situation minoritaire et divers intervenants ont travaillé en collaboration et inspiré le contenu de cette mesure législative, qui vise à protéger les populations de langue officielle en situation minoritaire. Notre assemblée a joué un rôle déterminant dans ce processus. En effet, de 2017 à 2019, le Comité sénatorial permanent des langues officielles a effectué une étude exhaustive pour déterminer si la loi devait être modernisée. Puis, dans le cadre d’une étude de suivi, il a examiné un document de 2021 intitulé Français et anglais : Vers une égalité réelle des langues officielles au Canada, qui décrivait des réformes possibles et avait été déposé par la ministre Joly, à l’époque ministre du Développement économique et des Langues officielles. Le projet de loi C-32 a ensuite été déposé, mais il est mort au Feuilleton. Par la suite, il a été considérablement remanié et amélioré avant d’être présenté sous sa forme actuelle l’année dernière.

Dans le cadre de son étude préalable du projet de loi C-13, le Comité des langues officielles a tenu huit réunions, entendu 41 témoins et reçu 41 mémoires avant de déposer son rapport dans cette enceinte à la fin de l’automne dernier.

Chers collègues, le projet de loi C-13 renferme des mesures essentielles pour remédier au déclin du français au Canada. Il clarifie et renforce la partie de la Loi sur les langues officielles conçue pour la promotion des langues officielles, et il améliore le soutien offert aux communautés de langue officielle en situation minoritaire — l’ensemble d’entre elles. Il oblige aussi les institutions fédérales à mieux respecter leurs obligations aux termes de la loi.

La Loi sur les langues officielles établit que l’un de ses objets est, et je cite :

a) d’assurer le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l’égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment en ce qui touche les débats et travaux du Parlement, les actes législatifs et autres, l’administration de la justice, les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en œuvre des objectifs de ces institutions;

Cet alinéa montre bien que la notion de l’égalité réelle est la norme en droit linguistique. Selon la jurisprudence, cette égalité découle du paragraphe 16(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, lequel statue que le français et l’anglais sont les langues officielles de notre pays et qu’elles bénéficient d’un statut, de droits et de privilèges égaux.

Les langues française et anglaise bénéficient d’une égalité de statut au Canada. Cependant, pour que cette égalité devienne une réalité, le gouvernement doit prendre des mesures concrètes, des mesures qui tiennent compte de la vulnérabilité de la langue française et des minorités francophones au Canada et en Amérique du Nord.

La jurisprudence, qui comprend les décisions de la Cour suprême du Canada, a maintes fois reconnu cette vulnérabilité et, à plusieurs reprises, a indiqué que le gouvernement devrait redoubler d’efforts et prendre davantage de mesures. Le projet de loi C-13 répond à ce besoin et contient des mesures proactives pour protéger les communautés linguistiques en situation minoritaire et faire avancer l’objectif de l’égalité de statut du français et de l’anglais.

Comme l’a déclaré Érik Eastaugh, professeur de droit à l’Université de Moncton, lors de son témoignage devant le Comité sénatorial permanent des langues officielles :

Cela ne veut pas dire que la valeur directrice ne demeure pas l’égalité, mais c’est tout simplement une reconnaissance du fait que l’égalité, concrètement parlant, de façon pratique sur le terrain, exige une asymétrie dans les mesures que prend l’État, et cela, c’est reconnu dans tous les domaines.

Parlons de la réalité sur le terrain. Je voudrais maintenant vous parler en tant qu’anglophone québécois qui a grandi et vit toujours au Québec, et en tant que sénateur québécois qui représente une composante unique de la mosaïque canadienne que sont les communautés anglophones du Québec.

Comme je l’ai dit au début de mon intervention, il ne fait aucun doute que l’anglais est la langue prédominante au Canada et, si je puis dire, la lingua franca dans une grande partie du monde.

En même temps, les communautés anglophones du Québec s’inquiètent, à raison, et doivent faire face à des problèmes qui leur sont propres, à des défis et à des problèmes qui ne sont pas moins importants parce que le reste du pays est majoritairement anglophone.

Il y a 50 ans, plus de 13 % des Québécois avaient l’anglais comme langue maternelle; aujourd’hui, ce nombre est à 7,5 %. Il faut le dire, la langue maternelle est une mesure imparfaite. Cependant, ces chiffres montrent un déclin important du poids démographique de nos communautés. La situation est encore plus prononcée à l’extérieur de la région de Montréal, où les institutions des communautés anglophones sont moins robustes, les services en anglais, plus difficiles à obtenir et, par endroits, les aînés sont tout ce qui reste de communautés anglophones autrefois florissantes, mais aujourd’hui sur leur déclin.

Il y a également des indicateurs économiques qui devraient nous amener à réfléchir. La sénatrice Seidman en a parlé. L’année dernière, la Table ronde provinciale sur l’emploi révélait que le taux de chômage chez les Québécois anglophones était supérieur de 2 % — 8,9 % comparativement à 6,9 % — à celui des francophones et que leur revenu médian était inférieur de 2 800 $. Encore une fois, ces écarts sont les plus marqués dans les régions rurales, chez les jeunes adultes et chez les communautés anglophones racialisées.

Chers collègues, je ne mentionne pas cela pour être alarmiste. Le ciel n’est pas en train de tomber sur la tête des anglophones du Québec. Par rapport aux autres communautés linguistiques en situation minoritaire, la nôtre se porte, dans l’ensemble, plutôt bien. La situation sera toujours délicate, car les anglophones et les francophones au Québec font tous deux partie simultanément d’une minorité et d’une majorité. Les deux communautés ont l’habitude de se sentir vulnérables et, bien franchement, de voir leur sentiment de vulnérabilité remis en question, voire parfois déprécié. Il n’empêche que, la plupart du temps, nous nous entendons plutôt bien au Québec. Nous enrichissons quotidiennement nos vies les uns les autres.

Bref, il faut poser un regard lucide sur les difficultés réelles et uniques des communautés anglophones du Québec. Toutefois, chers collègues, je m’attends à ce que, en appliquant la Loi sur les langues officielles telle que modifiée par le projet de loi C-13, grâce aux nouveaux fonds prévus dans le plan d’action pour les langues officielles, et, espérons-le, avec l’appui du gouvernement provincial, ces difficultés peuvent être et seront surmontées.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-13 préserve les droits des communautés anglophones du Québec; de plus, il contient des améliorations notables, notamment celles apportées à la partie VII de la Loi sur les langues officielles pour y énoncer des engagements précis visant à protéger à la fois les communautés anglophones et francophones en situation minoritaire, de même que leurs droits et leurs institutions.

Cela comprend des clauses interprétatives qui soulignent l’importance de tenir compte de la minorité anglophone du Québec au paragraphe 3(1), de protéger le continuum de l’éducation, de renforcer et de préciser les obligations du gouvernement prévues par la loi envers les communautés anglophones et autres, de protéger le Programme de contestation judiciaire — qui constitue un moyen de défense des droits des minorités linguistiques, qui pourrait et peut profiter à la communauté anglophone —, de soutenir les institutions des communautés de langue officielle en situation minoritaire, y compris, bien entendu, celles du Québec, et d’octroyer de nouveaux pouvoirs au commissaire aux langues officielles.

De plus, le projet de loi C-13 n’a aucune incidence sur les droits particuliers de la communauté anglophone au Québec; en fait, il s’agit d’une asymétrie constitutionnelle découlant de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui prévoit la protection des droits linguistiques des anglophones du Québec dans l’administration de la justice, devant le pouvoir judiciaire, et à l’Assemblée nationale, et qui prévoit notamment le bilinguisme législatif dans notre province. Ces droits, dont ne jouissent pas la plupart des minorités francophones hors du Québec, demeurent pleinement en vigueur.

Nous avons entendu à l’extérieur du Sénat, aujourd’hui notamment, les préoccupations soulevées au sujet des renvois à la Charte de la langue française du Québec qui figurent dans le projet de loi. Cependant, chers collègues — et je le dis avec respect en ma qualité de constitutionnaliste autant que n’importe quoi d’autre —, nous devons bien comprendre ce que ces renvois signifient, ce qu’ils font et ce qu’ils ne font pas. Ces renvois sont des déclarations de fait. Ce sont des renvois factuels, si vous me permettez cette expression. Ils n’incorporent en aucun cas la charte québécoise dans le projet de loi C-13.

Sur le plan juridique, ce sont des renvois de fait et des constatations de fait. Il ne s’agit pas, pour utiliser une expression juridique, d’une incorporation par renvoi. Non, les renvois n’incorporent aucune partie de la charte québécoise dans le projet de loi C-13. Ce n’est aucunement le cas, un point c’est tout.

Le projet de loi C-13 reconnaît la réalité qui fait partie du contexte dont s’imprègnent les droits linguistiques au Canada et le contexte dans lequel le projet de loi C-13 tente de moderniser et de promouvoir l’égalité des deux langues officielles. Il reconnaît que la Charte de la langue française est un élément important dans une province dont la population est majoritairement francophone. Cela ne subordonne pas les institutions fédérales, et encore moins cette loi, à la charte québécoise.

Comme Warren Newman, un haut fonctionnaire du ministère de la Justice, l’a dit au comité à l’autre endroit :

Je ne vois pas en quoi les services fédéraux offerts par les institutions fédérales seraient compromis par la simple mention du fait que la Charte de la langue française et d’autres régimes linguistiques sont des éléments que le gouvernement reconnaît comme faisant partie du contexte global.

La référence à la Charte de la langue française dans le projet de loi C-13 ne limite pas les communications ou les services en anglais pour les communautés anglophones du Québec, car ceux-ci sont régis par le paragraphe 16(1) et l’article 20 de la Charte canadienne des droits et libertés et, comme je l’ai déjà mentionné, par l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, ainsi que par la partie IV de la Loi sur les langues officielles.

Le projet de loi C-13 ne limite pas non plus l’accès à l’enseignement en anglais, garanti par l’article 23 de la Charte. En fait, les références ne cautionnent pas la charte québécoise, et encore moins le recours ultérieur à la disposition de dérogation.

Je fais respectueusement remarquer que les références à la charte québécoise ne soulèvent aucune question constitutionnelle. Il s’agit de références factuelles qui s’inscrivent dans le contexte dans lequel ce projet de loi est censé exister.

Comme l’a attesté le commissaire aux langues officielles du Canada, M. Raymond Théberge, le projet de loi C-13 reflète les particularités de nos diverses régions, que ce soit la Charte de la langue française au Québec, l’article 23 de la Loi sur le Manitoba ou même l’amendement constitutionnel apporté par la seule province officiellement bilingue, le Nouveau-Brunswick.

Bien sûr, on ne peut parler de nos particularités linguistiques sans reconnaître les réalités et les vulnérabilités des langues autochtones.

Comme on l’a indiqué dans le cadre du présent débat, selon notre Constitution, le français et l’anglais sont les deux langues officielles du Canada. Toutefois, elles ne sont en aucun cas les deux seules langues qu’on y parle. Soyons francs, ce sont des langues qui ont été importées par des puissances coloniales. On parlait ici des langues autochtones longtemps avant que quiconque, en Angleterre ou en France, n’apprenne l’existence de ce continent. En outre, pendant bien trop longtemps, des gouvernements canadiens successifs n’ont pas seulement omis de protéger les langues autochtones, mais ils ont activement cherché à les éliminer, et ce, pendant une bonne partie de notre histoire.

Enfin, en 2019, le Parlement a adopté la Loi sur les langues autochtones, qui reconnaît les droits des langues autochtones et qui appuie les efforts visant à les revitaliser et à promouvoir leur utilisation. Par la même occasion, le Parlement a créé le Bureau du commissaire aux langues autochtones, qui a pour mandat de contribuer à la promotion et à la protection des langues autochtones et d’examiner les plaintes déposées en vertu de cette loi.

Dans le but de soutenir ces efforts, le gouvernement a prévu 840 millions de dollars jusqu’en 2025-2026 et 117,7 millions de dollars en financement continu. Grâce à ces investissements, le nombre d’initiatives en matière de langues autochtones financées par le gouvernement fédéral est passé de 301 en 2019-2020 à plus de 1 000 aujourd’hui.

Ce sont des premiers pas positifs et d’autres efforts sont en cours. Le projet de loi C-13 dont nous sommes saisis est une mesure législative fondée sur les distinctions visant à protéger et promouvoir le français et l’anglais. Le projet de loi C-13 est très clair à cet égard :

La présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte aux droits — [...] découlant de la loi ou de la coutume — des langues autres que le français et l’anglais, notamment des langues autochtones.

On y précise aussi ceci :

La présente loi ne fait pas obstacle au maintien et à la valorisation des langues autres que le français ou l’anglais, ni à la réappropriation, à la revitalisation et au renforcement des langues autochtones.

Chers collègues, il est tout à fait légitime pour les sénateurs de poser des questions concernant les répercussions potentielles du projet de loi C-13 sur les droits liés aux langues autochtones et les efforts déployés pour protéger ces dernières. Je m’attends à ce que la ministre et ses hauts fonctionnaires soient disposés à fournir des réponses à ce sujet devant le comité, en plus de fournir de plus amples détails sur les consultations menées par le gouvernement auprès, entre autres, de l’Assemblée des Premières Nations, de l’Inuit Tapiriit Kanatami, du Ralliement national des Métis et du commissaire aux langues autochtones.

Notre but ultime est de favoriser la vigueur des communautés de langues autochtones ainsi que celle des communautés francophones et anglophones, en situation minoritaire ou non, d’un bout à l’autre du Canada. La loi que nous avons adoptée en 2019 nous a permis de réaliser des progrès relativement aux langues autochtones, et le projet de loi C-13 en fera de même pour les langues officielles.

Chers collègues, ce projet de loi est le fruit d’une promesse électorale que le gouvernement a faite en 2021. Il a reçu un appui quasi unanime dans l’autre endroit, car 301 députés dans le contexte d’un gouvernement minoritaire ont voté pour celui-ci à l’étape de la troisième lecture. De plus, ce projet de loi atténue les inquiétudes du Québec pour ce qui est de protéger sa spécificité linguistique. Il fournit une solution pour aider les communautés francophones à l’extérieur du Québec à relever les défis qui leur sont propres. Il respecte les droits historiques et constitutionnels des communautés anglophones du Québec. Il respecte les droits des peuples autochtones, notamment en n’entravant pas les efforts déployés pour protéger les langues autochtones en vertu de la Loi sur les langues autochtones.

Ce projet de loi contribuera à préserver et à promouvoir la vitalité et le développement des deux principales communautés linguistiques au Canada, les francophones et les anglophones.

Il nous faut appuyer les communautés de langue officielle en situation minoritaire, lesquelles incluent les anglophones du Québec. On constate toutefois une fragilité importante du français au pays, et c’est pour cette raison que le projet de loi C-13 préconise l’égalité réelle de l’anglais et du français en vue de protéger ces communautés. Tout cela vient accomplir un important devoir du gouvernement fédéral, qui est de promouvoir et protéger notre dualité linguistique, nos histoires, notre héritage, notre culture et notre patrimoine.

Lorsque les deux communautés de langue officielle du Canada sont fortes et dynamiques dans les situations de minorité et de majorité, nous en profitons tous. C’est pourquoi j’invite les sénateurs à soutenir le projet de loi, qui est important et qui permettra de promouvoir et de protéger les communautés francophones et anglophones dans l’ensemble du pays.

Merci de votre attention, chers collègues.

L’honorable Jim Quinn [ + ]

Je vous remercie de votre discours qui m’a permis de comprendre pourquoi la loi 96 est mentionnée dans le projet de loi. L’explication m’a été très utile en ce qui concerne le caractère distinct du français dans la province de Québec.

Mais, en tant que ​​Néo-Brunswickois, je crains que dans d’autres régions du pays, on ne comprenne pas la loi 96 et son importance pour faire ressortir la portée de la langue française au Québec.

Pourquoi ne pas insister sur l’importance du français et de l’anglais dans tout le Canada, en particulier dans une province comme le Nouveau-Brunswick, où le gouvernement provincial reconnaît officiellement le français et l’anglais comme les langues du Nouveau-Brunswick? Je redoute simplement qu’il y ait de la confusion dans certaines régions du Canada où la présence du français n’est pas très marquée ou dans d’autres régions du pays où l’anglais est peut-être plus dominant que le français.

Le sénateur Gold [ + ]

Je vous remercie de votre question, que j’espère avoir bien comprise, sénateur Quinn. Le projet de loi C-13 mentionne explicitement le statut bilingue du Nouveau-Brunswick. Comme j’ai tenté de l’expliquer dans mon discours, le projet de loi — dans toute sa structure et son ADN même — vise à promouvoir l’égalité réelle du français et de l’anglais partout au Canada, peu importe où vivent les gens.

La réalité, au Canada, c’est que, dans les domaines de compétence provinciale, il existe d’immenses disparités dans les services offerts aux personnes de langue officielle minoritaire, que ce soit en matière d’éducation ou de services gouvernementaux ou encore à l’intérieur même des assemblées législatives. C’est pourquoi il était important, pour les rédacteurs du projet de loi et les parlementaires qui l’ont appuyé à l’autre endroit, que la loi reflète le véritable contexte juridique dans lequel s’inscrit l’expérience que vivent les communautés de langue officielle minoritaire. Les gens qui habitent au Nouveau-Brunswick bénéficient, à tout le moins, d’une égalité devant la loi à tous les égards. Dans d’autres provinces, par contre, les gens qui parlent la langue officielle minoritaire n’ont pratiquement pas de garanties juridiques et décidément aucune garantie constitutionnelle. Beaucoup de gens qui vivent à l’extérieur du Québec trouveraient fantastique d’avoir les institutions que la communauté anglophone de cette province a réussi à bâtir au fil des siècles et qui, malgré les défis, servent encore les intérêts de cette communauté.

En tant que législateurs, nous avons le devoir d’analyser et d’examiner adéquatement les mesures législatives, de toute évidence, car nous devons être certains de bien comprendre ce que nous sommes en train de faire. Dans cette optique, j’ai hâte que le comité étudie le projet de loi C-13.

La loi est très claire dans ses objectifs de promotion de l’égalité du français et de l’anglais. Elle est très claire dans les mesures qu’elle prévoit pour améliorer ce que le gouvernement fédéral peut faire pour soutenir le français et l’anglais dans notre grand pays. Il est également clair qu’elle ne déroge pas aux droits, qu’il s’agisse des locuteurs de langues autochtones, des locuteurs de langues minoritaires ou des droits acquis de la communauté anglophone au Québec.

L’honorable Ratna Omidvar [ + ]

Je souhaite poser une question au sénateur Gold, s’il le veut bien.

Le sénateur Gold [ + ]

Bien sûr.

La sénatrice Omidvar [ + ]

Merci, sénateur Gold.

Je ne suis pas membre du Comité des langues officielles. Je n’ai pas une connaissance aussi approfondie du projet de loi que mes collègues qui se sont exprimés.

Je comprends ce que vous avez dit : la référence à la Charte de la langue française du Québec dans le projet de loi n’est pas un accommodement politique ou un accommodement de fond; c’est une référence aux faits et au contexte. Jusqu’à présent, je pense que je vous ai interprété correctement. Je ne suis pas juriste — j’essaie de m’expliquer dans un langage simple.

Ma question est la suivante : cela crée-t-il un précédent pour que de futurs projets de loi fédéraux fassent référence à une loi provinciale qui ne s’applique qu’à une seule province alors que ces projets de loi s’appliquent aussi à toutes les autres provinces?

Le sénateur Gold [ + ]

Je vous remercie de la question. Je serais étonné qu’on ne trouve aucun exemple de cela dans d’autres lois fédérales, mais je n’irai pas jusqu’à affirmer que c’est le cas, car je n’ai pas fait de recherche à ce sujet.

L’important, sénatrice Omidvar, c’est que, comme vous l’avez indiqué, à juste titre, il s’agit simplement d’énoncer des faits pour bien mettre les choses en contexte. Cela n’aurait aucune force ni aucun effet en droit. Par conséquent, cela n’aura pas pour effet d’établir dans la loi un précédent d’une portée considérable. Il s’agit d’indiquer les circonstances particulières qui ont mené à l’élaboration de ce projet de loi et de rendre compte de la nécessité de moderniser la loi.

Par ailleurs, honorables collègues, ce projet de loi est le résultat d’un processus législatif qui a été mené à l’autre endroit non seulement par le gouvernement, mais par tous les partis politiques, qui, pendant nombre d’années, ont contribué à la conception et la rédaction de ce projet de loi.

Je vais trahir mon âge en disant cela, mais comme dirait Alfred E. Neuman, personnage du magazine MAD : « Quoi! Moi, m’inquiéter? »

En tout respect, je suis d’avis qu’il n’y a rien d’inquiétant en ce qui a trait au droit et aux aspects juridiques et législatifs.

Je comprends la situation, puisque je suis issu de la communauté anglophone du Québec. Il y a des membres de ma famille qui remettent en question ma position sur ce projet de loi, qui militent aussi pour la défense de l’intérêt public, et qui défendent une position différente de celle du gouvernement, et je le comprends très bien.

Je comprends les réactions que déclenchent les références, mais, en fait, la loi est claire, et en tant que législateurs, nous devons l’être aussi. La loi préserve et protège les droits des anglophones au Québec dans toute la mesure où le Parlement fédéral a compétence pour le faire. Les références fournissent simplement le contexte approprié pour les régimes linguistiques dans lesquels les minorités doivent évoluer, que ce soit dans les provinces qui ne reconnaissent pas officiellement le bilinguisme constitutionnel, comme le Nouveau-Brunswick, ou dans les provinces comme le Québec, où une langue officielle est inscrite dans la loi par l’intermédiaire de la Charte de la langue française du Québec.

La sénatrice Seidman [ + ]

Sénateur Gold, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Gold [ + ]

Oui, sénatrice Seidman.

La sénatrice Seidman [ + ]

Merci. Je vous entends nous donner avec conviction l’assurance que la référence à la Charte de la langue française ne pose aucun problème. J’aimerais pouvoir rassurer avec autant de conviction l’immense communauté anglophone du Québec, ainsi que les autres. Le moyen d’y parvenir consiste à obtenir le témoignage de juristes au sein d’un comité composé de personnes suffisamment qualifiées pour poser les bonnes questions aux constitutionnalistes. Ne pensez-vous pas qu’il s’agit là d’une manière appropriée de répondre à l’incertitude de la communauté?

Le sénateur Gold [ + ]

Je vous remercie de la question. Je ne pense pas qu’il serait nécessaire ou approprié — dans ce cas-ci — de renvoyer le projet de loi à un autre comité en plus du Comité des langues officielles.

De toute évidence, des membres du comité qui ont étudié ces questions ont l’expertise voulue. De plus, tout sénateur peut participer aux réunions. Par conséquent, les sénateurs qui ont un bagage juridique et qui s’intéressent à cette étude peuvent être présents à titre de simples sénateurs ou de remplaçants d’un membre de leur groupe. Autre fait tout aussi important, le comité aura la capacité d’inviter des experts à témoigner.

Je n’ai pas tendance à exagérer. Lorsque je dis avec certitude qu’il s’agit de mentions renvoyant aux faits et qu’elles ne font aucunement partie des dispositions, je m’appuie sur l’expérience que j’ai accumulée tout au long de ma vie en ce qui concerne le droit et les textes juridiques. Je suis convaincu que les témoignages devant le comité iront dans le même sens.

L’honorable Pamela Wallin [ + ]

J’ai une question à poser au sénateur Gold.

J’aimerais que vous m’expliquiez quelque chose. Je passe en revue le compte rendu des discussions du comité de l’autre endroit. Le projet de loi C-13 établit des cibles pour accueillir plus d’immigrants francophones dans des régions francophones du reste du Canada. Pouvez-vous me dire comment cela fonctionnerait?

Le sénateur Gold [ + ]

Merci de votre question importante. L’immigration est un vecteur majeur de la croissance et du développement de notre pays. Malheureusement, les données du dernier recensement montrent qu’il y a une diminution très inquiétante de l’usage du français à l’extérieur du Québec. Afin de promouvoir et de soutenir les communautés francophones, en particulier à l’extérieur du Québec, il est impératif que ces dernières bénéficient de la revitalisation que l’immigration francophone leur apporterait.

Il s’agit là d’une politique de longue date du gouvernement, qui est tout à fait indépendante du projet de loi C-13. Le gouvernement s’est fixé comme priorité d’augmenter l’immigration francophone afin de stopper le déclin du français au Canada.

En 2022, le gouvernement a atteint sa cible de 4,4 % d’immigrants francophones hors Québec et, cette même année, le Canada a accueilli plus de 16 300 immigrants francophones à l’extérieur de cette province, ce qui est un record. De plus, dans le cadre du Plan d’action pour les langues officielles 2023-2028, le gouvernement prévoit investir de grosses sommes dans de nouvelles mesures afin de favoriser l’immigration francophone au Canada.

Si ce projet de loi reçoit la sanction royale, et j’espère que ce sera le cas bientôt, on mettra en place ces plans, on présentera des mesures et on élaborera des indicateurs pour guider l’action du gouvernement. En effet, si ma mémoire est bonne, le comité sénatorial a étudié, encouragé et réclamé les divers volets de cette action.

En passant, je devrais préciser que les mesures visant à accroître l’immigration francophone à l’échelle du Canada ont également été améliorées et renforcées par plusieurs amendements apportés par l’autre endroit.

C’était une longue réponse, et je ne suis pas certain d’avoir répondu précisément à votre question. Certaines mesures devront attendre l’entrée en vigueur de la loi et la mise en œuvre des plans d’action, mais ce sont des mesures que le gouvernement s’est engagé à prendre.

La sénatrice Wallin [ + ]

De là la préoccupation. Si l’on ne comprend pas comment cette mesure serait appliquée, cela laisse beaucoup de questions sans réponse. Si vous fixez un objectif d’immigration francophone sans égard au pays ou aux besoins ailleurs au pays, comment déterminerez-vous l’objectif en matière d’immigration francophone en Saskatchewan? Sur quoi fonderez‑vous votre décision? Comment allez-vous évaluer cela? Comment allez-vous appliquer cela?

Le sénateur Gold [ + ]

Merci de votre question. Toutes les provinces et tous les territoires accueillent des immigrants et ont besoin d’eux et d’une politique saine en matière d’immigration pour pouvoir se développer, grandir et prospérer. À cet égard, j’ai bon espoir que le gouvernement du Canada travaillera avec les gouvernements provinciaux et territoriaux intéressés afin de mieux comprendre leurs besoins. Il tiendra également compte des besoins des communautés francophones de votre province et d’ailleurs qui seront aussi appelées à jouer un rôle important dans la détermination de leurs besoins et de ce qu’elles peuvent faire pour contribuer à l’intégration des immigrants.

Il n’est pas question de forcer les provinces à atteindre ce taux. L’idée est d’encourager le gouvernement à se servir de sa compétence en matière d’immigration pour s’assurer que sa politique reflète les besoins du pays, pas seulement les besoins économiques d’une région ou d’une province donnée, mais également les besoins démographiques des communautés minoritaires et des communautés francophones hors Québec.

L’honorable Michèle Audette [ + ]

Le sénateur Gold accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Gold [ + ]

Absolument.

La sénatrice Audette [ + ]

Merci beaucoup, sénateur Gold.

Avec beaucoup d’émotion, je crois que vous comprendrez que l’innu-aimun, c’est aussi une langue officielle dans mon cœur. Mon autre moitié québécoise me rappelle l’importance de protéger aussi le français partout au Canada.

C’est mon côté innu qui va vous poser une question, sénateur Gold.

Au Québec, il y a des nations; il y a des chefs et il y a aussi le Conseil en éducation des Premières Nations, qui regroupe 22 communautés des Premières Nations. En ce moment, ils sont en train de contester et de déposer une demande de contrôle judiciaire pour défendre leur position autour de la Loi sur la langue officielle et commune au Québec, le français. Cela a des conséquences directes sur l’enseignement dans nos écoles et dans nos communautés. Ce qui me fait peur — et j’aimerais entendre vos commentaires là-dessus —, c’est que, comme je ne suis pas juriste, si je vois dans un projet de loi qui deviendra une loi une mention spécifique d’une charte et d’une loi dans une province, est-ce que ce gouvernement pourrait dire : « Maintenant, le gouvernement fédéral vous reconnaît à part entière. Donc, excusez-moi, mais vous faites partie de la Loi sur les langues officielles, et l’une de ces langues est le français. » Je parle pour les premiers peuples du Québec.

Le sénateur Gold [ + ]

Merci de la question.

Je comprends très bien les préoccupations non seulement de votre communauté, mais aussi des communautés autochtones au Québec et ailleurs.

La réponse courte est non. Un gouvernement peut dire n’importe quoi, mais en ce qui concerne des faits juridiques, ce n’est absolument pas le cas.

La référence n’a aucune signification quant au processus en cours au Québec et, plus largement, à l’application de la Charte de la langue française au Québec. C’est uniquement une question de compétence provinciale, et le projet de loi C-13 respecte cela. Je peux ajouter — et cette question sera sans doute abordée en comité — qu’il y a beaucoup de mesures qui permettraient dans ce cas-ci d’encourager et de soutenir les communautés autochtones dans leurs démarches, pour qu’elles aient la possibilité et la capacité de travailler dans leur langue, d’être supervisées dans leur langue et d’être protégées au moyen des changements apportés dans le projet de loi C-13, dans le contexte de leur emploi existant au sein du service public, par exemple.

Merci de la question. Selon moi, la réponse est simple et claire.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénatrice Audette, voulez-vous poser une question complémentaire?

La sénatrice Audette [ + ]

Oui.

Vous savez, avant de siéger au Sénat, j’ai quand même observé tout le monde dans cette Chambre avec beaucoup de passion. Il y a la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Plusieurs d’entre nous se demandent si ce projet de loi réussit le test de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Sinon, comment fera-t-on pour s’assurer qu’un commissaire aux langues autochtones pourra aussi collaborer avec le commissaire aux langues officielles afin que, dans certaines provinces, le commissaire aux langues autochtones ait lui aussi un certain pouvoir? Je sais qu’on parle du projet de loi C-13, mais j’aurais aimé y voir des parallèles ou des relations importantes. J’imagine qu’on pourra en discuter dans le cadre de cette étude. En tant que juriste, vous l’avez mentionné, et vous avez peut-être des conseils à nous donner.

Le sénateur Gold [ + ]

Merci de la question. Je comprends très bien, dans un pays diversifié comme le nôtre, à quel point il est important que toutes les institutions qui partagent des objectifs semblables se parlent et qu’il y ait une collaboration qui s’établisse au fur et à mesure que cela est nécessaire et souhaitable.

Cela dit, permettez-moi de dire qu’il faut insister sur le fait que, pour ce qui est du projet de loi C-13, la raison d’être de ce projet de loi, ce sont les deux langues officielles et leur statut juridique au Canada.

Comme je l’ai déjà dit, il y a eu des consultations, mais je ne veux pas prétendre que cela s’est fait dans le cadre de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. C’est un projet de loi qui traite d’autres sujets, nonobstant le fait qu’il reconnaît, de façon respectueuse, des droits acquis et constitutionnels autochtones.

L’autre volet que j’ai abordé dans mon projet de loi sur les langues autochtones, les commissaires et toutes les ressources qui seront mises en place... Il s’agit d’un autre projet de loi primordial et important qui en est à ses débuts, c’est-à-dire que les fruits ne sont pas encore mûrs. Il y a des projets, et il y a quand même des succès. Il y a aussi beaucoup de choses à faire. Nous souhaitons que tout cela continue et même que les choses s’accélèrent, mais il faut faire la distinction entre les deux camps. Un amalgame ne servira ni le projet de loi C-13 ni le projet de loi sur les langues autochtones.

L’honorable Denise Batters [ + ]

Dans son mémoire sur le projet de loi C-13 présenté au Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes, le Barreau du Québec a déclaré ce qui suit :

Certains auteurs affirment que des modifications à la Loi sur la Cour suprême ou la Loi sur les langues officielles pourraient affecter la notion de « composition de la Cour » comme la Cour suprême l’a interprétée dans le Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, dans la foulée de la nomination du juge Nadon. Ainsi, l’ajout de l’exigence du bilinguisme dans l’une ou l’autre de ces lois nécessiterait, selon eux, de passer par le processus de modification constitutionnelle (sept provinces canadiennes comptant au moins 50 % de la population).

Sans prendre position sur cette question constitutionnelle, nous tenons toutefois à souligner qu’elle mérite une attention particulière afin de s’assurer que toutes les modifications visant à rendre obligatoire le bilinguisme des juges à la Cour suprême ne soient pas contre-productives et portent fruit.

Je tiens également à faire remarquer qu’Emmett Hall, le dernier juge de la Cour suprême qui était originaire de ma province, la Saskatchewan, a été nommé dans les années 1960, avant ma naissance. Il est resté en fonction jusqu’en 1973. Compte tenu du faible taux de bilinguisme en Saskatchewan, nous voulons nous assurer que la Cour suprême du Canada est composée des meilleurs juristes. C’est quelque chose dont nous devons tenir compte.

À la lumière de ces importantes considérations, pourquoi ce projet de loi ne serait-il pas étudié par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles?

Le sénateur Gold [ + ]

Merci d’avoir soulevé la question de la Cour suprême, car je pense que je pourrai ainsi également corriger ce que je pense être un léger malentendu sur les dispositions de ce projet de loi concernant la Cour.

Pour répondre directement à votre question, non, je ne pense pas que les problèmes que vous avez soulevés justifient le renvoi au Comité des affaires juridiques, et je vais vous expliquer pourquoi.

En ce qui concerne la magistrature, les dispositions de ce projet de loi suppriment une exemption qui existait pour la Cour suprême du Canada dans la loi originale et qui, à l’époque, était considérée comme « temporaire ». Cette exemption exonérait la Cour, en tant qu’institution, de l’exigence applicable aux autres cours supérieures de donner effet aux droits protégés par la Constitution qu’ont les plaideurs de pouvoir se faire entendre dans la langue de leur choix, sans l’aide d’un interprète. Cette disposition n’est peut-être pas comprise — et je m’excuse, sénatrice Batters, si je vous prête des propos ou si j’en prête à d’autres personnes; ce n’est pas mon intention. Toutefois, elle ne signifie pas que tous les juges nommés à la Cour suprême ou à toute autre cour supérieure doivent être bilingues ou parler couramment les deux langues. Ce n’est pas ce que le projet de loi exige. Il s’agit d’une obligation applicable à la Cour en tant qu’institution de faire en sorte que lorsqu’elle entend des affaires, elle s’assure que les parties au litige puissent s’adresser à elle et être comprises sans l’aide d’un interprète.

Je vais donner un exemple. Il se trouve, heureusement, que la Cour suprême du Canada, dans sa composition actuelle, compte neuf juges, dont trois du Québec et trois de l’Ontario, comme le veulent la pratique, la coutume et la loi, qui sont tous effectivement bilingues, bien qu’il ne s’agisse pas d’une exigence et qu’il ne saurait en être ainsi. Il s’agirait d’exiger que le groupe de juges qui entend une affaire soit capable de comprendre les témoignages, qu’ils soient en anglais ou en français, sans l’aide d’un interprète. Par exemple, le quorum pour entendre une affaire à la Cour suprême du Canada, comme vous le savez, est de cinq juges. Or, rien dans le projet de loi C-13 n’exige que tous les futurs juges, qu’il s’agisse de la Cour suprême ou d’une cour supérieure, soient parfaitement bilingues, puisque ces dispositions existent depuis longtemps. Il est concevable qu’un juge soit nommé à la Cour suprême s’il ne parle que le français et une langue autochtone, par exemple. Cependant, je ne pense pas qu’il y ait eu un seul juge unilingue francophone à la Cour suprême depuis la Confédération, bien qu’il y ait eu des juges unilingues anglophones, mais cela n’est pas exclu par ce projet de loi tant que la Cour, en tant qu’institution, lorsqu’elle structure ses groupes — ce qui relève généralement de la compétence du juge en chef —, a la capacité de satisfaire à l’obligation institutionnelle qui est maintenant imposée à la Cour suprême et dont elle avait été temporairement exemptée aux termes de la Loi sur les langues officielles d’il y a 30 ans.

La sénatrice Batters [ + ]

Par conséquent, sénateur Gold, pourriez-vous demander au ministre de la Justice, M. Lametti, de nous confirmer que le projet de loi C-13 n’exige pas que les juges de la Cour suprême soient bilingues?

Le sénateur Gold [ + ]

Je suis certain que cette question sera posée au comité et qu’on pourra y répondre, mais c’est clairement écrit dans la loi. Encore une fois, comme je l’ai indiqué, les dispositions qui suppriment l’exemption sont en place pour les juges nommés par le gouvernement fédéral depuis des dizaines d’années, et il n’est certainement pas vrai que tous les juges nommés par le gouvernement fédéral étaient bilingues. Ce n’était pas le cas dans le passé et ce ne le sera pas non plus à l’avenir, que ce soit pour la Cour supérieure de justice de l’Ontario ou la Cour suprême du Canada.

L’honorable Jean-Guy Dagenais [ + ]

Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer, à l’étape de la deuxième lecture, le projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Mon appui ne signifie pas que je crois que ce projet de loi est une solution complète à la protection de la langue française au Canada. Cependant, il contient suffisamment d’éléments positifs pour qu’il ne soit pas rejeté du revers de la main. Selon moi, le projet de loi C-13 est un pas en avant qui mérite d’être franchi aujourd’hui, surtout quand on prend en considération le fait qu’il a fallu huit ans pour en arriver à ce texte de modernisation.

Cela dit, je ne suis quand même pas dupe. Le projet de loi C-13 ne corrigera pas en quelques mois ou en quelques années le déclin démographique du français au pays. Ce n’est sûrement pas en claquant des doigts que les communautés francophones d’un bout à l’autre du Canada vont recevoir dans leur langue tous les services que la nouvelle loi leur promet.

Le projet de loi C-13, tel que nous l’avons reçu au Sénat, doit être considéré comme un levier intéressant, pourvu que le gouvernement en place donne aux politiciens et aux institutions du pays les moyens financiers nécessaires pour réaliser les nombreux engagements qui entreront en vigueur.

Je me permets de rappeler ici que le directeur parlementaire du budget a déjà émis des doutes sur l’atteinte des objectifs énoncés dans le projet de loi C-13, quand il a constaté les sommes plutôt modestes engagées à cet effet dans le dernier budget fédéral. Faire vivre et respecter une Loi sur les langues officielles dans un pays aussi grand que le Canada est un défi coûteux.

Malheureusement, il faut constater que l’application des dispositions du projet de loi C-13 deviendra un enjeu économique important au cours des prochaines années, et ce sera notre devoir de rappeler au gouvernement ses engagements et ses obligations. Comme citoyens et comme politiciens, il faudra nous assurer que le gouvernement actuel et ceux qui suivront posent des actions concrètes pour mettre fin au déclin démographique des francophones.

La Loi sur les langues officielles au Canada ne doit pas être un simple bout de papier qu’on brandit uniquement pendant une campagne électorale, ou encore dans le cadre de débats réglementaires et judiciaires pour réclamer que les droits de chacun soient respectés. Le projet de loi C-13 doit être une façon de vivre au Canada et doit devenir, avec le temps, une fierté législative pour un pays qui est devenu aussi multiculturel que le nôtre.

Même s’il faudra être patients à certains égards, je me réjouis déjà aujourd’hui du fait que le projet de loi C-13 accordera un nouveau droit de travailler et d’être servi en français au Québec et dans les régions à forte présence francophone du pays. En effet, travailler et vivre dans sa langue dans un pays bilingue ne devrait pas être un combat, mais bien une façon d’être.

À cela, j’ajoute aussi ma grande satisfaction face aux nouveaux pouvoirs qui seront accordés au commissaire aux langues officielles, dont celui de contraindre et de sanctionner les institutions fédérales qui ne respecteront pas la Loi sur les langues officielles du Canada. C’est là un changement important qui est réclamé depuis longtemps, disons-le. Enfin, voilà de nouvelles dispositions qui vont grandement faciliter l’application de la Loi sur les langues officielles.

D’autre part, tout en étant satisfait de la nouvelle obligation imposée au gouvernement de nommer des juges bilingues à la Cour suprême du pays, je suis déçu de constater que cette obligation de bilinguisme ne s’appliquera pas pour les postes de gouverneur général du Canada et de lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick. Ce sont, à mon avis, deux fonctions pour lesquelles l’obligation de pouvoir communiquer avec les citoyens dans les deux langues officielles du pays me semble incontournable. Cependant, il semblerait que la Constitution de 1982 empêchait d’ajouter une telle inscription dans la nouvelle version de la Loi sur les langues officielles du Canada. Je trouve cela bien dommage.

Il faudra donc continuer à se fier au gouvernement en place pour que le critère des deux langues officielles s’applique à ces nominations. Malheureusement, les dernières nominations nous ont prouvé qu’un premier ministre a la capacité politique de dire certaines choses et de faire le contraire.

Revenons maintenant sur l’aspect politique de l’adoption du projet de loi C-13. Je me réjouis de constater que tous les députés de l’autre endroit — à l’exception d’un seul, dont je reparlerai plus tard — ont voté en faveur du projet de loi C-13. Ce sont donc 300 élus canadiens de partout au pays qui ont adopté ce projet de loi qui modernise la Loi sur les langues officielles. J’insiste pour dire qu’ils ont été 300 députés de partout au Canada à voter en faveur du projet de loi; c’est très important de le rappeler.

Je trouve important de noter ici que ce sont tous les partis politiques représentés à l’autre endroit qui ont voté en faveur du projet de loi C-13, après avoir obtenu du gouvernement des amendements importants. Le résultat des compromis et des ajouts de dernière minute a sûrement été considérable, quand on constate la satisfaction exprimée par le gouvernement du Québec et son souhait que le projet de loi C-13 soit adopté par le Sénat avant l’ajournement de l’été, qui approche à grands pas.

Historiquement, les dossiers linguistiques entre Ottawa et Québec ont soulevé beaucoup de controverses. Cependant, une série de 11 amendements négociés de bonne foi et qui ont été inclus dans le projet de loi nous montre la naissance d’une nouvelle dynamique politique à laquelle nous n’étions pas habitués.

Évidemment, personne ne pouvait contester le fait que le gouvernement fédéral devait intervenir pour freiner le déclin d’une des deux langues officielles du pays, le français; ce déclin qui a été constaté ne se vivait pas uniquement au Québec.

Dans ce contexte, toute loi ou initiative visant à protéger et promouvoir l’usage du français au pays doit être saluée et appuyée, qu’elle soit fédérale ou provinciale.

C’était devenu une urgence nationale et culturelle de poser des gestes qui pourraient perpétuer le caractère bilingue historique de notre pays.

Avec un peu de recul, deux points m’apparaissent importants dans cet appui du Québec au projet de loi C-13.

D’abord, il y a une reconnaissance tacite des pouvoirs du Québec de légiférer pour protéger et promouvoir la langue française sur son territoire, tout en conservant les droits de la communauté anglophone de la province.

De plus, le projet de loi C-13 inclut maintenant dans son texte certains éléments de la Charte de la langue française du Québec, visant les entreprises à charte fédérale qui embauchent des employés non seulement au Québec, mais aussi dans toutes les régions du pays comptant une forte présence francophone. Les compagnies aériennes, les sociétés ferroviaires et les banques seront particulièrement touchées par ces nouvelles dispositions.

Le projet de loi C-13 n’est donc pas à sens unique. Il encadre et garantit des droits et des services aux communautés en situation minoritaire au Québec et partout au pays, que ces communautés soient francophones ou anglophones.

Je trouve dommage de devoir le rappeler encore une fois. Les francophones ont fondé le Canada au même titre que les anglophones et leur langue doit être respectée et protégée. Je parle non seulement des Québécois, mais aussi de la communauté acadienne et de toutes les communautés francophones qui existent en Ontario, au Manitoba et partout ailleurs dans notre grand pays.

Malheureusement — je le répète —, il restera toujours au pays des marginaux politiques qui voient dans la protection de la langue française une menace à leur droit de vivre en anglais. On en a vu un bel exemple à l’autre endroit.

Ce que je trouve étonnant, c’est qu’un certain nombre d’entre eux vivent au Québec, comme le seul député qui a voté contre le projet de loi C-13 à l’autre endroit et qui souhaitait qu’on élimine les références à la Charte de la langue française, parce qu’il a la conviction que l’État québécois est là pour brimer les droits des anglophones.

Je me permets de dire que ce député et ceux qui le soutiennent, à visage découvert ou non, ont une attitude particulièrement insultante envers les francophones du Québec. Pourquoi? Parce qu’ils ne semblent pas réaliser qu’en tant que Québécois anglophones, ils ont accès à deux universités anglophones à Montréal, soit l’Université McGill et l’Université Concordia. Ils ont aussi accès à une université anglophone à Sherbrooke, l’Université Bishop’s. Ils ont aussi accès à des collèges anglophones et à des écoles anglophones et ils ont même une commission scolaire jouissant d’une protection constitutionnelle.

Quand ces mêmes Québécois anglophones sortent, magasinent ou s’adressent à l’État, ils peuvent le faire dans leur langue. S’ils doivent s’adresser aux tribunaux, ils peuvent le faire en anglais sans restrictions, sans interprète et sans délai. Est-ce que les francophones ont autant de droits et de services publics lorsqu’ils forment une minorité dans les autres provinces? Je pense que vous connaissez la réponse.

Pour clore ce chapitre, je crois donc nécessaire de leur rappeler la percutante révélation du président d’Air Canada, Michael Rousseau, qui a confessé qu’il vivait à Montréal depuis 14 ans sans jamais avoir eu besoin de parler français.

Le fait de vouloir organiser une fronde politique contre le projet de loi C-13 parce que ce député croit que sa langue d’expression est menacée au Québec me semble être de l’inconscience politique. Je croyais pourtant que cette période était révolue.

La communauté anglophone du Québec a toujours été mieux traitée que les communautés francophones et acadiennes dans les autres provinces du pays.

Je me permets d’ajouter que cela a toujours été le cas et que cela continuera de l’être, même avec l’adoption de la nouvelle Loi sur les langues officielles.

Rappelons-nous en terminant qu’une langue ne peut pas vivre si elle n’est pas enseignée correctement et parlée couramment. Vouloir vivre et parler en français au Canada ne doit pas être un combat; c’est un droit, un droit constitutionnel qu’il est devenu nécessaire de renforcer.

Je vous demande donc, le moment venu, de voter en faveur du projet de loi C-13 et, par la suite, de demeurer vigilants, tout comme moi, afin de nous assurer que son contenu soit déployé comme le stipule le projet de loi.

Je vous remercie de votre attention.

L’honorable Raymonde Saint-Germain

Honorables sénatrices et sénateurs, dans tout pays, la langue — et les langues au Canada — est l’essence de notre expression, de notre identité et de notre solidité culturelles.

C’est donc en reconnaissant d’emblée l’importance pour notre pays de ses deux langues officielles, l’anglais et le français, que je prends la parole aujourd’hui afin de m’exprimer sur le projet de loi C-13, Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada. J’ai bon espoir que ce débat se poursuivra de façon constructive et sereine, sur la base d’une bonne compréhension de la portée du projet de loi, de l’évolution de la situation démolinguistique du Canada et de la nécessité d’agir.

Je ne revisiterai pas aujourd’hui l’évolution historique de nos droits linguistiques, car le sénateur Cormier, parrain du projet de loi, dans son intervention à l’étape de la deuxième lecture, a habilement brossé le portrait de cette évolution. Il a exposé les bienfaits de la loi sur le pays, et particulièrement sur ses communautés linguistiques en situation minoritaire, en plus de démontrer la nécessité de la réforme proposée aujourd’hui au moyen du projet de loi C-13.

Soyons clairs sur la portée de ce projet de loi : le projet de loi C-13 vise à promouvoir et protéger le français, assujettir les entreprises privées de compétence fédérale au bilinguisme, appuyer les communautés linguistiques minoritaires et leurs institutions, tant anglophones que francophones, et ce, en reconnaissant la réalité des dynamiques linguistiques du Canada d’aujourd’hui.

Pourquoi cette réforme est-elle nécessaire? Cette réalité ne peut être ignorée : la langue française est en déclin sur l’ensemble du territoire canadien. C’est la conclusion sans équivoque du recensement de 2021. À l’échelle du pays, le français comme première langue officielle parlée est passé de 22,3 % lors du recensement de 2016 à 21,4 % à celui de 2021. Cette tendance est la même au Québec, la seule province majoritairement francophone, où le français comme première langue est passé de 83,7 % en 2016 à 82,2 % en 2021. En comparaison, l’utilisation de l’anglais ne cesse d’augmenter, passant de 74,8 % à 75,5 % de la population totale du Canada entre 2016 et aujourd’hui.

Le phénomène n’est pas nouveau, mais confirme une accélération de la diminution du nombre de francophones au Canada. Cette diminution se fait particulièrement sentir dans la nation québécoise et dans les communautés francophones hors Québec. Reconnaissons les faits : les Québécois, mais également les Acadiens et les autres francophones du Nouveau-Brunswick, les Franco-Manitobains, les Franco-Ontariens, les Fransaskois, et j’en passe, bref, l’ensemble des communautés francophones de notre pays sont négativement affectées par cette dynamique linguistique et démographique.

Quelles solutions le projet de loi C-13 nous propose-t-il? Le projet de loi C-13 prend acte de la réalité et préconise l’égalité réelle des deux langues officielles. Pour ce faire, il propose une approche adaptée que l’on qualifie d’asymétrique à plusieurs niveaux pour promouvoir et protéger nos deux langues officielles, l’anglais comme le français, en plus d’accorder une attention particulière aux communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Il est très important de mettre la situation au clair : l’asymétrie dans le traitement des deux langues officielles n’entraîne pas une injustice; au contraire, c’est un traitement symétrique qui créerait cette injustice. Étant donné la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui et à la lumière des données obtenues sur le déclin de la langue française, il serait injuste et même inconséquent d’agir autrement.

Ce principe de vulnérabilité linguistique est d’ailleurs profondément ancré dans la jurisprudence de notre plus haut tribunal. La Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit dans les arrêts Ford et Nguyen, et je cite :

[...] l’objectif général de protection de la langue française représentait un objectif légitime, au sens de l’arrêt Oakes, eu égard à la situation linguistique et culturelle particulière de la province de Québec :

[L]es documents établissent amplement l’importance de l’objet législatif de la Charte de la langue française et le fait qu’elle est destinée à répondre à un besoin réel et urgent. [...] La vulnérabilité de la langue française au Québec et au Canada [...]

Pour justifier sa décision dans l’affaire Nguyen, la Cour suprême s’est basée notamment sur un rapport de l’Office québécois de la langue française portant sur l’évolution linguistique. Je cite un extrait de ce rapport :

Tant à l’échelle canadienne que nord-américaine, le français et l’anglais n’ont pas le même poids et ne sont pas soumis aux mêmes contraintes d’avenir. La pérennité de l’anglais au Canada et en Amérique du Nord est quasi certaine. Celle du français au Québec, et particulièrement dans la région de Montréal, dépend encore, dans une large mesure, de sa rencontre avec l’anglais et demeure tributaire de divers facteurs tels que la fécondité, le vieillissement de la population, les migrations inter et intraprovinciales et les substitutions linguistiques.

La décision du gouvernement fédéral de proposer, avec le projet de loi C-13, une approche asymétrique dans la promotion et la conservation de nos langues officielles se base donc sur une solide fondation factuelle et juridique.

Il faut aussi dire qu’une approche asymétrique en faveur du français n’implique pas que les anglophones sont privés de leurs droits, en particulier les minorités anglophones du Québec, dont la situation me tient particulièrement à cœur. Les Québécois anglophones conserveront tous les droits qui leur sont conférés par les chartes canadienne et québécoise. Je ne pourrais pas tolérer que mes concitoyens anglophones du Québec voient leurs droits être menacés ou violés, mais cela n’arrivera tout simplement pas.

En fait, le projet de loi C-13 est avantageux pour la minorité anglophone du Québec, puisqu’il comprend des engagements envers les minorités linguistiques, comme celui de renforcer les possibilités pour les minorités francophones et anglophones de faire des apprentissages de qualité, en contexte formel, non formel ou informel, dans leur propre langue tout au long de leur vie, notamment depuis la petite enfance jusqu’aux études postsecondaires.

De plus, rappelons que le Québec, qui est la province la plus bilingue du Canada — car 44,5 % des Québécois sont bilingues, c’est-à-dire qu’ils parlent français et anglais — confère dans ses propres lois des droits et des protections fondamentales aux communautés anglophones. Notre collègue le sénateur Dagenais en a parlé avec éloquence. Ces droits et privilèges portent sur l’éducation, les services administratifs, les services de santé et d’autres aspects. La communauté peut aussi compter sur des institutions fortes et dynamiques comme des municipalités, des hôpitaux et des universités bilingues.

Je pense qu’il est important de se rappeler que le projet de loi C-13 n’a aucun effet sur ces droits prévus dans la charte québécoise et par le gouvernement du Québec. De plus, un débat sur la Loi sur les langues officielles n’est pas le bon véhicule pour discuter de sujets relevant de la politique québécoise ou du concept du vivre ensemble de la province.

Pourquoi le projet de loi C-13 est-il à ce point historique? Il est vraiment historique parce qu’il est fondé sur une véritable collaboration entre un grand nombre de parties prenantes, y compris le gouvernement fédéral, le gouvernement du Québec et les représentants des minorités linguistiques de partout au pays. Tous ces acteurs ont reconnu la nécessité de réformer la Loi sur les langues officielles. Ce projet de loi est attendu avec impatience partout au pays. D’ailleurs, il a été adopté presque à l’unanimité à l’autre endroit, une grande réussite en soi.

En tant que sénatrice du Québec, je suis heureuse d’avoir été témoin d’une excellente collaboration entre le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec. La conclusion d’ententes entre ces deux parties est parfois difficile — c’est le moins que l’on puisse dire —, en particulier en ce qui concerne les questions linguistiques. Cela dit, je suis ravie d’avoir vu les deux gouvernements travailler vers l’atteinte d’un objectif commun : la promotion et la protection du français partout au Canada. Je suis heureuse que le gouvernement du Québec joue un rôle proactif dans la réalisation de cet idéal.

Cet accord se reflète dans les amendements proposés en comité aux articles 54, 57 à 59 et 71 du projet de loi relatif aux entreprises privées de compétence fédérale, qui sont au cœur de ce projet de loi.

Le projet de loi C-13 établira une nouvelle norme pour les entreprises privées de compétence fédérale au Québec et dans les régions francophones, en veillant à ce que ces entreprises respectent le droit des Québécois de travailler dans la langue officielle du Québec et celui des minorités francophones de recevoir des services dans leur langue maternelle, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle. Aujourd’hui, le rapport déposé par le Commissaire fédéral aux langues officielles est très probant à l’égard de cette situation et de cette iniquité pour les francophones.

Il va sans dire que ces mesures n’empiètent pas sur les droits des anglophones. En substance, le projet de loi C-13 reconnaît que le secteur privé de compétence fédérale a un rôle à jouer dans la promotion et la protection du français.

Le projet de loi C-13 est loin de se limiter au Québec. Il vise, à juste titre, les communautés francophones à l’extérieur du Québec. Il veillera à ce que les consommateurs puissent communiquer en français avec les entreprises privées de compétence fédérale et à ce que les employés francophones de l’ensemble du Canada bénéficient de droits concernant la langue de travail.

Le projet de loi, comme je l’ai dit, comprend notamment un engagement à favoriser l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire, c’est-à-dire les communautés francophones à l’extérieur du Québec et les communautés anglophones au Québec.

Qu’en est-il des langues autochtones? Je reconnais évidemment la nécessité de protéger et de promouvoir les langues autochtones et les droits des peuples autochtones qui les parlent. Cela dit, je ne crois pas que la réforme de la Loi sur les langues officielles qui est proposée dans le projet de loi C-13 soit la bonne façon de s’attaquer au problème. La promotion du français ne nuit pas à l’application de la Loi sur les langues autochtones ni aux droits des communautés autochtones de parler ces langues. Les deux peuvent se faire simultanément. Elles ne s’excluent pas mutuellement.

En 2019, le Sénat a adopté la Loi sur les langues autochtones. À mon avis, c’est l’instrument juridique efficace et approprié qu’il faut considérer en ce qui concerne les langues autochtones. Si une réforme est nécessaire et des améliorations sont demandées, il faudra revoir cette loi pour mieux protéger et promouvoir les langues autochtones. À ce titre, vous trouverez en moi une alliée au Sénat.

Pourquoi lutter pour un pays bilingue vaut-il la peine? J’ai commencé mon discours en disant que le bilinguisme est un élément fondamental de la culture et de l’identité canadiennes. Je crois que c’est sans équivoque. Ce n’est pas seulement important au Canada; c’est une de nos principales caractéristiques sur la scène internationale. Nos langues nous ouvrent des portes partout où nous allons. Grâce à la langue anglaise et à nos liens historiques avec la Grande-Bretagne, nous sommes membres du Commonwealth, où nous échangeons et faisons valoir nos intérêts avec 55 autres pays. Grâce à nos liens avec la France, nous sommes également membres de la Francophonie, qui compte 54 membres, 7 membres associés et 27 observateurs.

Ces liens sont essentiels pour le Canada. Chacune de nos deux langues officielles nous permet d’échanger, de commercer, d’établir des liens, de partager notre culture et de nouer de solides liens diplomatiques. Elles nous aident aussi à attirer des immigrants, des travailleurs et des étudiants. Elles permettent vraiment de nous distinguer partout dans le monde.

En conclusion, vous comprendrez que je soutiens complètement le principe du projet de loi C-13, Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada, et que j’en appelle à ce qu’il soit le plus rapidement possible renvoyé au Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour remercier les membres de ce comité de leur travail intensif et de qualité dans le cadre de l’étude préalable du projet de loi et du rapport qui y est associé.

J’en profite également pour répondre à une question qui a été posée en ce qui concerne la présidence d’un comité par un sénateur qui parraine un projet de loi. J’en profite pour confirmer que le président du Comité sénatorial permanent des langues officielles, avec le sens de l’éthique que nous lui connaissons tous, a demandé à ne plus assumer la présidence et il a obtenu que ce soit une autre sénatrice qui le fasse. La question du sénateur visait également à déterminer si nous avions eu connaissance d’un porte-parole d’un projet de loi qui avait également présidé un comité. Je vais donner une réponse en rapportant un événement tout récent; effectivement, le président du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, porte-parole du projet de loi C-11, a présidé les travaux du comité au moment de l’examen de ce projet de loi.

Je suis certaine que les membres du Comité des langues officielles sauront, quand ils analyseront ce projet de loi, faire le même travail de qualité dans tous ses aspects importants lorsqu’il leur sera confié. Chers collègues, en conclusion, l’évolution démographique de notre pays nous amène à constater une régression sans équivoque du français. Le projet de loi C-13, qui est le fruit d’une délicate collaboration, est nécessaire afin d’assurer l’épanouissement équitable de nos deux langues officielles. Il vise à atteindre l’égalité et l’équité dans la dynamique linguistique de nos langues officielles. L’égalité dont il est question ici pour les Canadiens et les Canadiennes, peu importe leur province de résidence, vise à ce qu’ils puissent être servis par le gouvernement fédéral dans la langue officielle de leur choix.

Les francophones ont besoin de ce projet de loi, mais ultimement, c’est tout le Canada qui en sortira gagnant.

Merci. Meegwetch.

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