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Projet de loi canadienne sur l'accessibilité

Deuxième lecture--Suite du débat

19 mars 2019


L’honorable Mary Coyle [ + ]

Honorables sénateurs, dans son discours, la ministre Qualtrough a déclaré :

Notre compréhension de l’invalidité évolue, et le modèle médical de l’invalidité cède le pas à un modèle social fondé sur les droits de la personne. Nous ne voyons plus le handicap ou l’incapacité d’une personne comme un obstacle à l’inclusion; on considère plutôt que ce sont les obstacles créés par la société qui empêchent les personnes handicapées de profiter de droits égaux à ceux des autres personnes.

Judith Snow dirait que, grâce à la transition vers une culture axée sur l’inclusion et l’élimination des obstacles, non seulement les personnes pourront jouir équitablement de leurs droits fondamentaux, mais la société canadienne bénéficiera grandement des nombreux dons et contributions que ces personnes pourront désormais offrir.

Examinons maintenant le paysage statistique du Canada.

À l’heure actuelle, 22 p. 100 des Canadiens de 15 ans ou plus ont au moins un handicap. On s’attend à ce que cette proportion augmente à mesure que vieillit la génération des baby-boomers.

Cinquante-neuf pour cent des Canadiens ayant un handicap ont un emploi, comparativement à 80 p. 100 des Canadiens n’ayant aucun handicap. Par ailleurs, 28 p. 100 des Canadiens ayant un handicap grave vivent dans la pauvreté, soit deux fois le pourcentage national, qui est de 14 p. 100.

Le handicap est le motif le plus courant de plainte de discrimination auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Cela représente près de 60 p. 100 des plaintes déposées entre 2013 et 2017.

Chers collègues, penchons-nous brièvement sur certains éléments du projet de loi visant à changer cette triste réalité et à respecter la promesse du Canada d’améliorer l’inclusion et la participation des Canadiens handicapés et de promouvoir l’égalité des chances.

Le projet de loi C-81 a quatre objectifs. Le premier est d’adopter une approche proactive en allégeant le fardeau des Canadiens handicapés afin de régler les problèmes systémiques d’accessibilité. Le deuxième est d’établir des normes clairement définies pour les entités sous réglementation fédérale ainsi que de nouvelles exigences de planification et de production de rapports concernant les résultats. Cela nécessite la création de l’Organisation canadienne d’élaboration de normes d’accessibilité. Le troisième est de veiller à ce que le souci de participation des Canadiens handicapés soit au cœur de cette nouvelle approche. Le quatrième est de présenter aux Canadiens un rapport annuel sur les résultats. Le texte prévoit donc une reddition de comptes.

On a élaboré la Loi canadienne sur l’accessibilité en tenant compte de plusieurs principes clés. Ces principes sont la dignité intrinsèque, l’égalité des chances, un gouvernement sans obstacle, l’autonomie, la conception inclusive et une participation significative.

Le projet de loi C-81 s’appliquera dans sept domaines prioritaires : l’environnement bâti, notamment les édifices fédéraux et les espaces publics; l’emploi, notamment les possibilités d’emploi et les politiques et pratiques mises en place; les technologies de l’information et des communications, notamment le contenu offert et les technologies utilisées; l’acquisition de biens et de services; la conception et la prestation de programmes et de services fédéraux; le transport, par avion, chemin de fer, traversier et autobus; et enfin, tous les moyens de communication.

Le projet de loi C-81 est conçu pour faire du Canada un modèle d’accessibilité et renforcer les droits et les protections dont jouissent actuellement les personnes handicapées.

De toute évidence, il faudra en faire plus pour faciliter le changement culturel nécessaire à l’atteinte d’une véritable égalité pour les personnes handicapées.

Les défenseurs et les détracteurs du projet de loi ont soulevé quelques questions importantes, par exemple : le projet de loi va-t-il assez loin? Le financement est-il suffisant pour sa mise en œuvre? Les pouvoirs de certains intervenants sont-ils appropriés? La coordination avec les provinces et les territoires est-elle assurée? L’intersectionnalité est-elle prise en considération? Prête-t-on une attention suffisante à l’élimination des obstacles pour les peuples autochtones? A-t-on pensé au soutien à la navigation?

Cependant, j’ai entendu que les gens souhaitent surtout que nous étudiions le projet de loi de façon efficace afin qu’il puisse être adopté rapidement et que nous ne rations pas une occasion historique.

Avant de conclure, j’aimerais vous faire part d’une petite histoire de Judith Snow :

En Amérique du Nord, les bernaches du Canada migrent vers le sud chaque automne et vers le nord chaque printemps, parcourant des milliers de milles dans les deux sens. Elles volent dans une formation en V : un oiseau à la tête suivi du reste de la volée qui forme deux lignes divergentes. L’oiseau de tête réduit la résistance au vent pour les deux oiseaux qui le suivent et ceux-ci font de même pour l’oiseau qui les suit et ainsi de suite jusqu’au bout de la ligne. Cependant, au cours de chaque vol, l’oiseau de tête se fait constamment remplacer par un des oiseaux qui le suit et s’en va à la fin de la file. Ainsi, aucun oiseau ne reste à la tête du groupe assez longtemps pour s’épuiser ou pour empêcher les autres d’occuper cette place. Ils deviennent le guide chacun leur tour. Voilà une façon d’organiser une communauté de manière à ce que les talents de chacun soient mis au profit de tous.

Avec cette belle métaphore sur la nature, Judith Snow imaginait une société dans laquelle chacun a la possibilité d’avoir la place qui lui revient et de participer en mettant ses talents au service des autres tout en tirant parti des talents d’autrui.

Chers collèges, n’est-ce pas là ce que nous voulons pour le Canada? Je pense que le projet de loi C-81, Loi visant à faire du Canada un pays exempt d’obstacles, représente un moyen pratique et audacieux de veiller enfin à ce que les droits promis deviennent des droits acquis, comme l’a dit ma collègue la sénatrice McPhedran hier.

Chers collègues, envoyons sans tarder cette mesure législative au comité pour qu’elle puisse être étudiée à fond et que l’important travail réalisé par un grand nombre de personnes puisse être mené à bien et porte ses fruits. Merci. Wela’lioq.

L’honorable Patricia Bovey [ + ]

Honorables sénateurs, je prends aussi la parole pour appuyer sans réserve le projet de loi C-81, Loi canadienne sur l’accessibilité.

Merci, sénateur Munson, d’avoir parrainé ce projet de loi, prononcé un discours très émouvant et empreint de noblesse et raconté votre histoire personnelle poignante. Nous avons tous nos propres histoires. Mon petit-neveu, à l’instar de votre fils, est atteint de trisomie 21. L’année dernière, le Président a mentionné la présence de sa sœur à la tribune du Sénat.

Je souscris entièrement aux principes énoncés dans le préambule du projet de loi, dont je vous cite deux extraits :

[...] tous les individus à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à répondre à leurs besoins, sans discrimination, notamment celle fondée sur les déficiences;

Et :

[...] qu’il est nécessaire d’assurer la participation économique, sociale et civique de toutes les personnes au Canada, quels que soient leurs handicaps et de leur permettre d’exercer pleinement leurs droits et responsabilités dans un Canada exempt d’obstacles [...]

Chers sénateurs, nous sommes chanceux et privilégiés. Je dis cela avec le plus grand respect et la plus grande admiration pour notre collègue l’honorable sénatrice Petitclerc et nos collègues dont la mobilité et l’accès sont limités d’une quelconque façon. La plupart d’entre nous ont accès aux éléments fondamentaux de la vie — la vue, l’ouïe, la mobilité et la parole — et nous bénéficions tous de capacités intellectuelles. Combien d’entre nous se sont déjà demandé ce que ce serait de vivre dans les souliers d’une autre personne? Combien d’entre nous, en tant que personnes temporairement bien portantes, ont pensé à l’incidence qu’un quelconque handicap pourrait avoir sur notre énergie au quotidien, sur notre capacité à prendre part à des activités, voire, à effectuer les tâches du quotidien. Seule la sensibilisation pourra changer les attitudes sociales.

Récemment, j’ai rencontré Susan Lamberd, directrice générale d’Arts AccessAbility Network Manitoba. Elle a dit, avec raison, que, « qu’on le veuille ou non, la plupart des gens deviendront handicapés au cours de leur vie ».

Bien que la société dans son ensemble soit plus compréhensive dans une certaine mesure face aux difficultés et aux incapacités des autres, je suis toujours saisie par ce que je vois et ce que j’entends. Lors d’un sondage de Statistique Canada publié en novembre dernier, 22 p. 100 des Canadiens — soit 6,2 millions de personnes — avaient au moins un handicap. Fait troublant, comme nous l’avons entendu, ce chiffre comprend 38 p. 100 de personnes âgées et plus de 2 millions de personnes atteintes d’une incapacité attribuable à un trouble mental. Nous devons débarrasser la société de tous les obstacles, y compris, comme il est dit dans le projet de loi, de tout obstacle « de nature physique ou architecturale ou relatif aux comportements ou à la technologie » ou qui est le résultat d’une politique ou d’une pratique, et « qui nuit à la participation pleine et égale dans la société des personnes ayant des déficiences notamment physiques, intellectuelles, cognitives, mentales ou sensorielles, des troubles d’apprentissage ou de la communication ou des limitations fonctionnelles », en d’autres termes, toute déficience visible ou invisible.

J’ai un ami qui se déplace en fauteuil roulant. Alors qu’il rentrait d’un magasin Safeway local, l’hiver dernier, son fauteuil s’est coincé dans une ornière et a basculé dans la neige sur la chaussée. Le trottoir n’avait pas été déneigé. La route était parcourue par des ornières formées par la glace et la neige, comme on en voit partout, tous les ans, à Winnipeg, pendant des mois. Il est tombé de son fauteuil et est resté dans la neige jusqu’à ce qu’une personne s’amène, redresse son fauteuil et l’aide à s’y rasseoir. Pouvez-vous imaginer? Ce n’est pas une expérience si rare pour lui ou les autres personnes qui se déplacent en fauteuil roulant.

Le transport en commun présente des complications particulières pour ceux qui sont en fauteuil roulant, comme monter à bord de l’autobus, en descendre et la possibilité qu’il n’y ait pas suffisamment de place pour le fauteuil. Le fait est que si une personne monte à bord d’un autobus, il faut s’assurer qu’elle puisse en descendre. Les flaques d’eau, les bancs de neige et les trottoirs constituent des obstacles. Mes amis doivent planifier l’accessibilité pour tout le voyage.

Pour ce qui est de la neige, comment les personnes aveugles s’en tirent-elles parmi les bancs de neige qui se forment sur les trottoirs après le passage des déneigeuses?

Ma jeune amie inspirante qui est comme ma fille, Gem, a défié toute attente. Elle a obtenu un diplôme en kinésiologie à l’Université du Manitoba. La communication verbale est difficile pour elle. Elle n’a jamais marché et elle utilise son ordinateur avec ses pieds. La plupart des enseignants n’étaient pas du tout encourageants. Ils ne pouvaient pas s’imaginer qu’elle soit capable de fréquenter un collège ou une université. Eh bien, elle a réussi un programme académique au secondaire. Nous avons célébré cette réussite! Cependant, j’étais perplexe lorsqu’elle m’a dit qu’elle allait étudier la kinésiologie. Je me suis dit : « Mais comment? » J’avais une myriade de questions, mais je l’ai félicitée de sa détermination et je l’ai appuyée de toutes les façons possibles. Vous pouvez imaginer ma fierté lorsqu’elle a reçu son diplôme.

Aujourd’hui, Gem élabore des programmes récréatifs pour le centre St. Amant de Winnipeg à titre de bénévole. Le centre a bien besoin de ses services, mais il n’a pas d’argent pour la payer, même si elle a un diplôme. Il essaie de trouver du financement, mais cette situation me semble injuste.

En ce qui concerne l’accès à ses programmes de soins, les obstacles sont nombreux. L’aide financière dont elle bénéficiait a diminué lorsqu’elle a eu 18 ans. Ce financement a baissé de nouveau lorsqu’elle a terminé ses études. Je me demande comment on peut croire que ses besoins ont diminué depuis qu’elle est une adulte qui a reçu une formation et qui occupe un emploi nécessaire, mais non rémunéré.

Par conséquent, sa mère, aujourd’hui septuagénaire, doit travailler pour payer les soins nécessaires. Elle organise une activité de financement pour l’association de la paralysie cérébrale du Manitoba. Fondé il y a 48 ans, cet organisme n’a jamais reçu d’aide d’aucun ordre de gouvernement. L’année dernière, elle a organisé une course de vélo stationnaire qui a permis d’amasser 205 211,21 $. Cette année, la 30e édition de cet événement annuel extrêmement important a permis de recueillir un montant qui a surpassé le record établi l’année dernière afin de soutenir un organisme déterminé à faire tout ce qu’il peut pour éliminer les obstacles à l’égalité d’accès.

Je souligne en passant que c’est le père de Gem qui est tombé de son fauteuil roulant dans la neige. Sa maladie est différente de celle de sa fille, mais il a la même détermination. Professeur à la retraite et membre de l’Académie royale des arts du Canada, il demeure un graveur prolifique qui expose ses œuvres à l’échelle internationale, qui gagne des prix, qui organise des ateliers et qui sert de mentor à d’autres artistes.

Honorables sénateurs, cela m’amène à parler de l’Arts AccessAbility Network, au Manitoba. Chef de file au chapitre de l’inclusion des artistes handicapés, cette organisation fondée en 2008 collabore avec de nombreux organismes communautaires. Ses objectifs sont les suivants :

Être la voix des artistes et des membres du public handicapés au Manitoba.

Agir en tant que leaders en matière d’accessibilité et d’égalité dans le domaine des arts.

Permettre aux artistes handicapés d’atteindre leur plein potentiel en leur donnant accès aux ressources dont ils ont besoin pour s’épanouir artistiquement.

C’est exactement l’objectif du projet de loi C-81.

L’organisme est, à juste titre, préoccupé par le fait que ceux qui ont besoin de réseaux de soutien et de ressources se retrouvent souvent isolés à leur domicile, forcés de se retirer des programmes en raison de leur handicap. C’est une véritable impasse. L’organisme mentionne ceci :

Les artistes handicapés constituent une population particulièrement vulnérable, car leurs besoins sont généralement mal compris, voire non reconnus par les organismes d’aide aux handicapés ou par les organismes culturels, qui se renvoient continuellement la balle. Ils hésitent aussi à s’auto-identifier en raison des mythes et des préjugés [...] La plupart vivent sous le seuil de la pauvreté.

Le groupe comprend des gens qui sont atteints de sclérose en plaques, des aveugles, des sourds et des personnes atteintes de différentes maladies. Les œuvres de plusieurs d’entre eux ont été choisies pour des expositions internationales, mais, en raison de leur handicap, ils n’ont pas pu être présents lors de la consécration de leur travail. Ils n’avaient pas les moyens, car, bien souvent, il leur faut un accompagnateur.

Peut-on parler d’accès égal? Non. Comment vous sentiriez-vous si vous étiez un artiste canadien de renom incapable d’être présent lors de sa consécration parce qu’il n’a pas les moyens d’amener quelqu’un avec lui ou parce qu’il n’y a pas d’hôtel accessible près de l’établissement où il doit se rendre?

En ce qui concerne les lieux accessibles à Winnipeg, ou dans le reste du Canada, combien d’espaces consacrés aux arts alternatifs ou commerciaux sont vraiment accessibles? Ils ont peut-être un ascenseur ou des portes automatiques, mais le moindre rebord et la moindre marche à l’entrée représentent un obstacle infranchissable — un obstacle pire qu’un mur —, un obstacle qui exclut des gens.

Combien de salles de spectacles qui sont accessibles pour le public n’ont pas de scène accessible ni d’arrière-scène accessible pour les artistes en fauteuil roulant?

Debbie Patterson, distinguée dramaturge manitobaine, s’exprime de façon fort éloquente au sujet du quotidien des personnes handicapées :

Je n’avais pas de handicap et j’en ai un aujourd’hui. Mon objectif est d’éveiller la compassion par un regard pénétrant sur le sens de la condition humaine. Mon handicap m’a énormément appris, et ce n’aurait pas été le cas si je n’avais pas vécu la vie d’une handicapée. J’ai pu comprendre des aspects de la condition humaine qui m’étaient complètement étrangers auparavant. Il serait tristement paradoxal que mon handicap, qui m’a permis de comprendre tant de choses, m’empêche de transmettre le fruit de mes réflexions. En ce qui concerne l’accès, il faut le concevoir comme avantageux pour tous. Il est vrai que les personnes handicapées ont besoin d’un accès adapté, mais la société a également besoin des compétences, des connaissances et des capacités de ces personnes. Un interprète en langue des signes n’est pas seulement utile aux personnes sourdes, mais il l’est pour nous tous. L’accès universel nous permet de faire tous partie de la même équipe. Nous devons aller de l’avant ensemble.

Elle poursuit ainsi :

Qu’on le veuille ou non, la peur de devenir handicapé est aussi immense qu’universelle. La peur nous divise. La peur suscite la méfiance à l’égard d’autrui. La peur nous amène à vivre isolés les uns des autres et à minimiser l’importance des besoins de ceux qui ne sont pas comme nous [...] Nous avons tous un corps dont nous sommes déçus, qui ne répond pas à nos attentes, qui tombe en panne. Nous sommes tous incapables de ressentir, de voir et d’entendre tout ce qui s’offre à nous. Nous sommes tous des créatures imparfaites et dysfonctionnelles.

Sur une note positive, certaines personnes ont réussi à surmonter leur handicap. Je pense notamment à la comédienne professionnelle Elizabeth Morris, dont nous avons fait la présentation dans cette enceinte au printemps dernier. Elle a fait sa thèse de maîtrise sur la conception accessible, l’un des objectifs visés par le projet de loi C-81. Elle est sourde. Elle a joué sur la scène de Stratford, et elle était membre du théâtre national des sourds aux États-Unis. De plus, elle a animé de nombreux ateliers dans des théâtres internationaux, a donné des consultations sur la culture sourde pour le théâtre et la télévision, et elle jouera au printemps dans la pièce The Tempest au Banff Centre. Durant sa visite au Sénat, j’ai embauché un interprète en langage gestuel américain afin que Mme Morris puisse « voir » nos délibérations dans ce langage.

Je soutiens que nous devons en faire davantage. Nous devons aborder l’accessibilité de nos comités. Compte tenu de la carrière internationale de Mme Morris et de son statut d’ambassadrice canadienne des arts, j’avais espéré qu’elle puisse comparaître devant le Comité des affaires étrangères et du commerce international dans le cadre de son étude sur la diplomatie culturelle. Cependant, on m’a dit que notre système de diffusion bilingue rendait impossible l’utilisation du langage des signes. On a suggéré qu’elle rédige un témoignage. Or, étant donné tous les obstacles qu’elle doit surmonter quotidiennement, je ne pouvais pas ajouter encore une chose à son programme déjà très chargé.

Nous devons trouver des moyens de donner une voix à tous ceux qui ont un handicap. Maintenant que nous siégeons dans notre nouvelle enceinte dotée de technologies de pointe, j’aimerais bien qu’elle comparaisse devant un comité du Sénat pour nous conseiller sur la manière d’ouvrir les portes qui sont actuellement fermées. Mon mantra à l’égard du projet de loi C-81 est « portes ouvertes pour tous ». Il y en a trop qui nous ferment au nez.

Cela m’amène à H’art, un organisme voué aux arts, à Kingston. Depuis 1988, H’art « aide les adultes atteints d’une déficience intellectuelle à atteindre leur plein potentiel grâce aux arts » dans toutes les disciplines artistiques, comme la musique, le théâtre, les arts visuels, la danse et bien d’autres. L’énergie et les résultats positifs qui en découlent sont contagieux. J’ai déjà pris la parole au sujet de cet organisme inspirant. Sa représentation de Martadella de l’an dernier demeurera à jamais gravée dans ma mémoire.

Bon nombre d’organismes sont dignes de mention. Leur message collectif n’a pas changé : il faut plus de mesures financières, changer les attitudes et apporter des changements physiques pour favoriser l’accès aux arts pour les artistes et les spectateurs. Nous pouvons certainement éliminer les obstacles et faire changer les attitudes.

Honorables sénateurs, nous devons égaliser les règles du jeu pour garantir l’accessibilité pour tous, y compris ceux qui ont un handicap visible ou invisible. C’est la société qui motive le changement, et non pas l’individu. Les personnes handicapées doivent être considérées comme normales. Elles doivent être acceptées et soutenues.

La compassion et la détermination de Debbie Patterson sont indomptables :

En tant qu’artiste atteinte d’un handicap, je vis votre cauchemar. Je peux explorer vos cauchemars pour vous. Nous pouvons nous unir dans la peur, nous pouvons nous servir de cette peur pour favoriser la compassion et l’empathie, et nous pouvons faire disparaître la peur ensemble.

Comme l’a fait remarquer le sénateur Munson, le coût sera largement compensé par la participation économique et la contribution au PIB de tous. Combien d’esprits brillants ont été restreints parce que la société n’a pas su favoriser l’accessibilité? Combien coûte réellement le fait d’empêcher les gens de contribuer à la société? Le bien-être et l’estime de soi des citoyens qui en résulteront compenseront largement la société.

Chers collègues, je vous prie d’appuyer le projet de loi C-81. Je l’appuie, tout comme l’appuient les personnes handicapées, leur famille et, en fait, la majorité des Canadiens. Le temps est venu de faire ce qu’il faut et de fournir des logements accessibles.

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler du projet de loi C-81, Loi visant à faire du Canada un pays exempt d’obstacles.

L’impératif de s’atteler à la question de l’accessibilité est devenu de plus en plus urgent au cours de la dernière décennie.

En 2011, l’Organisation mondiale de la Santé et la Banque mondiale ont conjugué leurs efforts afin de publier le premier Rapport mondial sur le handicap. À sa sortie, l’ancienne vice-présidente du Développement humain à la Banque mondiale, Mme Tamar Manuelyan Atinc, a déclaré que le rapport « non seulement fournit la première estimation mondiale de la prévalence du handicap depuis les années 1970, mais présente également des témoignages convaincants sur le statut social et économique des personnes handicapées dans le monde ».

Selon ce rapport, plus d’un milliard de personnes, soit 15 p. 100 de la population mondiale, vivent avec une certaine forme de handicap.

Selon l’Enquête canadienne sur l’incapacité menée par Statistique Canada en 2012, près de 14 p. 100 de la population canadienne âgée de 15 ans ou plus ont rapporté une grave difficulté ou un grave handicap causé par un état ou un problème de santé à long terme.

S’il est vrai que beaucoup de personnes handicapées trouvent du travail dans leur communauté, beaucoup font face à une série d’obstacles, notamment un manque d’accessibilité, des attitudes négatives ainsi que des politiques et normes inadéquates qui limitent leurs fonctions quotidiennes et les empêchent de participer pleinement à la société.

Le Rapport mondial sur le handicap fait ressortir les conséquences de ces obstacles, en montrant que, dans le monde, les personnes handicapées ont un pronostic de santé plus défavorable, un niveau de scolarité moins élevé, une plus faible participation à l’économie et un taux plus élevé de pauvreté que le reste de la population.

Le travail novateur qu’ont accompli l’Organisation mondiale de la santé et la Banque mondiale dans le domaine de l’invalidité avait pour but de faciliter la mise en œuvre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies.

Il y a plus de 10 ans, l’Assemblée générale des Nations Unies a reconnu la nécessité de lutter contre la discrimination que subissent les personnes handicapées du monde entier. Dans cette optique, elle a adopté la Convention relative aux droits des personnes handicapées le 13 décembre 2006.

La convention a pour objet de « promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées ».

Ce libellé revêt une importance particulière pour différentes raisons.

Premièrement, la convention a eu pour effet de changer, à l’échelle internationale, la conception de l’invalidité, qui est passée du « modèle médical » alors habituel à un « modèle social » beaucoup plus multidimensionnel. Deuxièmement, la convention a rappelé aux États leur obligation de protéger et de promouvoir les droits culturels, économiques et sociaux des personnes handicapées.

Fier de soutenir la convention, le Canada a été l’un des premiers pays à la signer, le 30 mars 2007.

Signalons, d’ailleurs, que des représentants du gouvernement du Canada, du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, de Justice Canada, de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, et du ministère du Patrimoine canadien ont participé à l’élaboration de la convention, un projet d’envergure internationale.

Dans le Rapport fédéral sur les personnes handicapées de 2008, le gouvernement du Canada a affirmé que la convention était « un moyen important pour la communauté internationale de reconnaître et d’affirmer de nouveau la nécessité d’empêcher la discrimination contre les personnes handicapées dans tous les aspects de la vie ».

C’est pourquoi j’ai été ravie, comme bien d’autres Canadiens, que la ministre des Sciences et ministre des Sports et des Personnes handicapées présente le projet de loi C-81, Loi visant à faire du Canada un pays exempt d’obstacles, pour relever les défis auxquels est confrontée la communauté canadienne des personnes handicapées.

Les Canadiens handicapés ont longtemps dit qu’ils avaient besoin d’une telle mesure législative.

Le cadre législatif actuel du gouvernement fédéral en matière d’accessibilité est en grande partie fondé sur les plaintes. Ainsi, les personnes handicapées doivent mener des batailles juridiques personnelles qui prennent beaucoup de temps et qui coûtent cher pour lutter contre les obstacles auxquels elles sont confrontées dans la vie de tous les jours.

Pour corriger cette situation, le gouvernement fédéral a annoncé ce qui suit dans le budget de 2016 :

Afin d’éliminer les obstacles systémiques et d’offrir une égalité des chances à tous les Canadiens handicapés, le gouvernement consultera les provinces, les territoires, les municipalités et les intervenants en vue d’instaurer une loi sur les Canadiens handicapés.

Le 29 mai 2017, le gouvernement du Canada a publié un rapport sur ces consultations, qui s’intitule Canada accessible — Élaborer une loi fédérale sur l’accessibilité : ce que nous avons appris des Canadiens.

Entre juin 2016 et février 2017, plus de 6 000 Canadiens et 90 organismes ont participé au processus de consultation, tant en ligne qu’au cours de rencontres en personne. La réponse a été claire : les intervenants souhaitaient vivement l’adoption d’une nouvelle loi sur l’accessibilité, qui permettrait d’améliorer la qualité de vie des Canadiens handicapés — une loi qui enlèverait le fardeau qui pèse sur les particuliers pour le faire porter, comme il se doit, par la société et le système lui-même.

Honorables collègues, je suis entièrement d’accord pour dire qu’il faut adopter une nouvelle loi sur l’accessibilité, comme le projet de loi C-81, Loi visant à faire du Canada un pays exempt d’obstacles. Cependant, ma première analyse de ce projet de loi et les lettres que j’ai reçues d’intervenants me poussent à soulever de nombreuses questions et préoccupations qui demeurent sans réponse. Comme nous n’en sommes qu’à l’étape de la deuxième lecture et que le comité entendra des témoins importants, j’aimerais aborder quelques questions qui, d’emblée, sautent aux yeux.

Pour commencer, l’article 2 du projet de loi C-81 définit les termes « handicap » et « obstacle ». Dans le projet de loi, le terme « handicap » est défini comme suit :

Déficience notamment physique, intellectuelle, cognitive, mentale ou sensorielle, trouble d’apprentissage ou de la communication ou limitation fonctionnelle, de nature permanente, temporaire ou épisodique [...] et dont l’interaction avec un obstacle nuit à la participation pleine et égale d’une personne dans la société.

Le terme « obstacle » est défini comme ceci :

Tout élément — notamment celui qui est de nature physique ou architecturale, qui est relatif à l’information, aux communications, aux comportements ou à la technologie ou qui est le résultat d’une politique ou d’une pratique — qui nuit à la participation pleine et égale dans la société des personnes ayant des déficiences notamment physiques, intellectuelles, cognitives, mentales ou sensorielles, des troubles d’apprentissage ou de la communication ou des limitations fonctionnelles.

Il convient de souligner que le gouvernement du Canada a décidé d’utiliser la même définition du terme « handicap » que celle employée dans la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. Par contre, le terme « obstacle » n’est pas défini dans la convention.

Bien qu’il soit important de passer à une autre terminologie que celle employée dans le monde de la médecine, je crains que ces définitions présentent certains problèmes. En utilisant ces définitions générales, sera-t-il plus difficile de repérer les personnes et les groupes qui font vraiment partie de la communauté des personnes handicapées au Canada et de répondre à leurs besoins? Si on confond inclusivité et efficacité, on risque de ne pas aider les personnes mêmes que ce projet de loi vise à aider.

Ensuite, plusieurs provinces du Canada ont déjà des lois sur l’accessibilité. Le Québec, par exemple, a été un des premiers à adopter une loi protégeant les droits des personnes handicapées, la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale, qui a été adoptée en 1978 et modifiée en 2004 après un examen approfondi de l’Assemblée nationale.

La Loi sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario, de son côté, est entrée en vigueur en 2005. Elle donne au gouvernement de la province le pouvoir d’élaborer, de mettre en œuvre et d’appliquer des normes permettant de réaliser l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario.

En 2013, le Manitoba a adopté sa propre loi, la Loi sur l’accessibilité pour les Manitobains, dont la structure est semblable à celle de la loi ontarienne.

La Nouvelle-Écosse a quant à elle adopté la Loi sur l’accessibilité en 2017. D’autres provinces, dont la Colombie-Britannique, ont dit avoir l’intention de faire de même prochainement.

Y aura-t-il des conflits entre les lois provinciales et le projet de loi C-81 du gouvernement fédéral?

Commençons par rappeler que le projet de loi C-81 s’applique seulement aux personnes et aux entités de ressort fédéral, comme le Parlement, la fonction publique fédérale, les entreprises privées de compétence fédérale, les Forces canadiennes et la Gendarmerie royale du Canada. Seulement une petite fraction des personnes handicapées du Canada seront donc touchées par le projet de loi C-81, ce qui pourrait créer certaines iniquités d’une région à l’autre.

De plus, le projet de loi C-81 crée toute une bureaucratie supplémentaire entourant l’accessibilité. Un nouvel organisme bureaucratique comprendra un commissaire à l’accessibilité pour l’application de la loi, un dirigeant principal de l’accessibilité et une nouvelle Organisation canadienne d’élaboration des normes d’accessibilité dotée d’un conseil d’administration composé de 11 membres, dont un président et un vice-président.

L’article 4 du projet de loi C-81 désigne un ministre responsable de la loi, tandis que les articles 11 à 16 décrivent les attributions du ministre. Par exemple, le ministre est responsable de « promouvoir, soutenir et exécuter des projets de recherche visant la reconnaissance et l’élimination d’obstacles ainsi que la prévention de nouveaux obstacles ».

L’Organisation canadienne d’élaboration des normes d’accessibilité, dont les attributions prévues sont décrites aux articles 18 à 20 du projet de loi, a des responsabilités semblables à celles du ministre. L’organisation de normalisation est responsable de :

[...] la promotion, le soutien et l’exécution de projets de recherche visant la reconnaissance et l’élimination d’obstacles ainsi que la prévention de nouveaux obstacles [...]

Cette nouvelle bureaucratie présentera-t-elle des fardeaux administratifs, des chevauchements et des conflits majeurs, lesquels risquent de mener à de graves complications et entraves?

Le Conseil des Canadiens avec déficiences parle de cette préoccupation dans sa lettre ouverte concernant la nécessité de renforcer le projet de loi C-81, déclarant que ce projet de loi :

[...] fractionne à tort, à travers plusieurs organismes fédéraux, le pouvoir d’élaborer des normes d’accessibilité (règlements) et celui d’appliquer la loi. Ce fractionnement altèrera l’efficacité de la mise en vigueur et de l’application de la loi, rendant ces dernières plus déroutantes, plus compliquées, plus onéreuses et vecteurs de délais supplémentaires.

Autre fait préoccupant : le projet de loi C-81 ne propose aucune échéance. On n’y indique pas de date à compter de laquelle le gouvernement du Canada doit élaborer et mettre en œuvre des normes et des règlements en matière d’accessibilité. Il n’y a pas non plus d’échéanciers pour assurer la prise de mesures adéquates pour la mise en œuvre de la loi canadienne sur l’accessibilité. Par conséquent, il existe peu de manières d’évaluer et de mesurer les progrès, ce qui est encore plus de mauvais augure.

Dans sa lettre ouverte sur la nécessité de renforcer le projet de loi C-81, le Conseil des Canadiens avec déficiences dit :

Le projet de loi C-81 doit inclure des échéanciers. Ils sont essentiels! Ils permettront de garantir l’adoption d’importantes mesures en matière d’accessibilité ainsi que de mesurer l’évolution des progrès.

Une allocation budgétaire de 290 millions de dollars sur six ans pour appuyer la mise en œuvre des normes en matière d’accessibilité exige des échéanciers clairs. Sans eux, comment peut-on avoir l’assurance que ce financement profite aux personnes visées?

Enfin, le projet de loi C-81 permet au gouvernement fédéral et à divers organismes fédéraux d’exempter certaines organisations de leurs obligations en matière d’accessibilité. Par exemple, l’article 46 du projet de loi C-81 permet au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes d’exempter tous ses organismes affiliés des exigences relatives aux plans sur l’accessibilité. Naturellement, si on rend l’exemption possible, certains seront enclins à s’en prévaloir.

Dans son rapport final d’analyse juridique du projet de loi C-81, commandé par le Conseil des Canadiens avec déficiences et publié le 1er octobre 2018, l’ARCH Disability Law Centre indique :

Toute exemption affaiblirait l’objectif global de la loi canadienne sur l’accessibilité.

Plus tôt ce mois-ci, j’ai rencontré l’Alliance pour une loi fédérale sur l’accessibilité pour discuter du projet de loi. Au cours des deux dernières années, l’Alliance, qui réunit 87 organismes et 92 membres individuels, a tenu des ateliers et mené des entrevues et des consultations auprès de la communauté canadienne des personnes handicapées. Ensemble, ils ont formulé 12 recommandations qui, selon eux, contribueraient à renforcer le projet de loi.

Pendant la rencontre, les représentants de l’alliance ont déploré l’absence d’échéanciers et le fait qu’il n’existait aucun moyen efficace de gérer les plaintes.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Votre temps de parole est écoulé, sénatrice Seidman.

Puis-je avoir cinq minutes de plus?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Ils m’ont surtout rappelé que le Canada compte de très nombreuses personnes handicapées et que chacune a des besoins qui lui sont propres. C’est donc extrêmement ardu de déterminer les deux ou trois recommandations qui devraient être considérées comme les plus pressantes et les plus prioritaires.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-81 est un pas dans la bonne direction, mais certains de ses articles ont besoin d’être resserrés.

En fait, la version qui nous a été renvoyée a déjà été amendée par l’autre endroit. Sur les 200 amendements et plus qui ont été soumis au comité, 74 ont été retenus. Même s’il s’agissait pour la plupart d’amendements de forme, certains touchaient aussi au fond.

La version amendée de l’article 50 du projet de loi, par exemple, précise désormais que les exemptions cessent d’avoir effet après trois ans et que les motifs sous-tendant une exemption sont rendus publics.

À l’article 5, les communications verbales ont été ajoutées à la liste des principales catégories d’obstacles que doivent surmonter les personnes handicapées. C’est particulièrement important, parce que les personnes dont le handicap touche l’ouïe, la parole, la compréhension ou les capacités à lire et à écrire ont souvent du mal à communiquer.

Honorables sénateurs, il y a encore des choses à améliorer dans le projet de loi C-81. J’attends avec impatience la prochaine étape du processus législatif, c’est-à-dire l’étude en comité, car nous pourrons alors confirmer notre attachement à la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées et améliorer le projet de loi afin qu’il puisse réellement aider les personnes handicapées du Canada. Je vous remercie.

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