Projet de loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum (âge de voter)
Deuxième lecture--Motion d'amendement--Débat
8 juin 2021
Honorables sénateurs, j’interviens pour parler de l’amendement proposé par le sénateur Wells pour le projet de loi S-209 et qui a pour but de mettre fin à l’étude du projet de loi.
D’abord, j’aimerais sincèrement remercier le sénateur d’avoir accepté la responsabilité supplémentaire d’agir à titre de porte-parole pour ce projet de loi dont le but est d’abaisser à 16 ans l’âge du vote à des élections fédérales. J’aimerais aussi exprimer ma gratitude envers le sénateur Wells et tous les autres sénateurs qui ont fait part de leur point de vue lors de nos débats.
Même si je ne suis pas d’accord avec le sénateur Wells, je le remercie néanmoins de nous avoir présenté ses conclusions. Il ne sert à rien d’essayer de se soustraire aux questions difficiles. Aucun projet de loi n’est parfait. Un examen rigoureux permet de déterminer si un projet de loi peut être amélioré ou doit être rejeté quand il n’est pas adéquat. Voilà exactement la surveillance minutieuse que l’on attend de nous au Sénat. Les débats sont ainsi plus complets et plus fructueux, ce qui correspond au rôle premier de cette Chambre.
Honorables collègues, rappelons-nous pourquoi chaque endroit procède à trois lectures. Nous en sommes au point où la deuxième lecture pourrait être achevée, ce qui laisserait la possibilité aux sénateurs de prendre la parole à l’étape de la troisième lecture. Nous pourrions même élargir le débat pour que le comité entende des non-parlementaires. Il est donc ironique et malheureux que l’amendement ait pour but de nous empêcher de poursuivre les débats dans cette enceinte et d’entendre une longue liste de témoins, y compris des jeunes qui auraient bien aimé s’adresser eux-mêmes à des sénateurs et leur permettre ainsi d’examiner plus en profondeur cette question pressante — et je pense vraiment qu’elle est pressante.
Nous en demandons beaucoup aux jeunes et, dans l’ensemble, ils ont incroyablement bien répondu. C’est un véritable enjeu. Comme tous les sénateurs qui ont pris la parole au sujet de ce projet de loi l’ont dit, y compris le sénateur Wells, les jeunes leaders sont instruits, enthousiastes, engagés et prêts à faire entendre leur voix. C’est l’occasion d’écouter les jeunes du Canada. C’est plutôt rare pour les comités sénatoriaux.
J’ai l’intention de me prononcer sur l’amendement du sénateur Wells en insistant sur deux de ces affirmations : il a fait valoir que l’âge minimum de 18 ans pour voter est une constante immuable et que le Sénat n’est pas la bonne tribune pour étudier ce projet de loi à ce moment-ci. Il a parlé d’un article sur un consensus mondial concernant l’âge de voter. Cet article de 2003 indique effectivement qu’un consensus mondial existait alors par rapport à l’âge minimal moyen de 18 ans dans une majorité des pays démocratiques libéraux. En tout respect, son allusion à la Corée du Nord, même si c’était peut-être une digression amusante, est une comparaison spécieuse.
Cela dit, dans le paragraphe qui suit celui que le sénateur Wells a cité, les auteurs posent la question suivante : « Mais y a-t-il vraiment consensus? Le cas échéant, il est relativement récent [...] De plus, [il] est fragile. » Les auteurs expliquent que le seuil de 18 ans généralement accepté est une construction sociale — comme le sénateur Dalphond l’a souligné à juste titre lorsqu’il a parlé de cet amendement — ce qui signifie qu’il peut changer. Les auteurs expliquent aussi que le consensus actuel, qui s’établit à 18 ans, ne marque que l’étape la plus récente de l’évolution qui a fait passer ce seuil, en un siècle, de 25 ans à 23 ans puis à 21 ans, et enfin à 18 ans. Pour le Canada, cette dernière étape remonte à 1970, il y a 50 ans. Ils soulignent toutefois ce qui suit à propos du consensus autour de l’âge de 18 ans :
Depuis quelques années toutefois, le débat à ce sujet s’est rouvert dans plusieurs pays et dans certains cas, les failles sont déjà visibles [...]
Je vous rappelle, chers collègues, que cet article a été publié bien avant les recherches auxquelles nous avons maintenant accès, qui réfutent la plupart des stéréotypes à propos des jeunes et du vote sur lesquels certains s’appuient pour s’opposer à l’idée de réduire encore une fois l’âge requis pour voter, cette fois-ci à 16 ans.
Par esprit de curiosité, le sénateur Wells et d’autres sénateurs trouveront peut-être intéressant d’apprendre que les chercheurs que le sénateur a cités ont poursuivi leurs recherches. Ils ont publié, seulement cinq ans plus tard, un rapport intitulé Les gouvernements devraient réduire l’âge du vote à 16 ans pour étendre le droit de vote, un titre très clair.
Le sénateur Wells a également mentionné le rapport de 1991 de la Commission Lortie, dont l’analyse et les recommandations sont, selon lui, toujours valables aujourd’hui. Il est utile de tenir compte de la recommandation complète de la commission, et non uniquement du passage cité par le sénateur Wells.
À la page 51 du rapport, il est dit:
Depuis la Confédération, le droit de vote a été graduellement étendu pour inclure un nombre sans cesse croissant de Canadiens et Canadiennes. Au fil des ans, il est possible que l’abaissement de l’âge électoral devienne une revendication plus pressante de la part des intéressés et que ce projet finisse par recueillir l’appui des Canadiens et Canadiennes, surtout si les lois sont modifiées pour supprimer l’obligation d’obtenir le consentement des parents pour plusieurs décisions importantes. Au Canada, l’âge électoral n’est pas inscrit dans la Constitution. Il est donc facile de le modifier. En conséquence, nous recommandons que l’âge électoral soit fixé à 18 ans mais que le Parlement revoie la question périodiquement.
Accepter intégralement la recommandation de cette commission royale inclut l’impératif de revoir la question périodiquement. Malheureusement, l’amendement proposé concernant le projet de loi S-209 vise précisément à anéantir cet effort; autrement dit, à mettre fin à l’étude projet de loi. Pourquoi maintenant? Pourquoi ce projet de loi axé sur la jeunesse canadienne?
Le sénateur Wells a donné un exemple du haut niveau d’engagement auprès des jeunes qu’il a conservé tout au long de sa vie. C’est un bel exemple et je le félicite sincèrement. Cependant, je ne suis pas certaine de comprendre son affirmation selon laquelle l’engagement des jeunes et l’abaissement de l’âge du droit de vote doivent être mutuellement exclusifs, car ils se renforcent en fait mutuellement.
Depuis 20 ans, d’importantes études attestent de l’effet corollaire de l’éducation et de la formation sur les habitudes de vote et la confiance dans le processus électoral. L’abaissement de l’âge du droit de vote de 21 à 18 ans ou de 18 à 16 ans entraîne une augmentation parallèle de l’éducation civique et du soutien à ces nouveaux électeurs potentiels, ce qu’Élections Canada fait depuis plus de 100 ans.
Le temps qu’il me reste ne permet qu’un seul exemple récent illustrant ce point. En 2014, l’Écosse a abaissé l’âge du droit de vote à 16 ans pour le référendum sur l’indépendance. Se fondant sur les points positifs d’un tel engagement accru des électeurs, les parlementaires réfractaires ont changé d’avis et les jeunes de 16 et 17 ans peuvent désormais voter à toutes les élections. Une étude sur les habitudes de vote en 2015 a démontré que les jeunes Écossais étaient plus engagés dans la politique et qu’ils montraient une plus grande confiance dans leur capacité à comprendre la politique et à prendre des décisions politiques que leurs pairs au Royaume-Uni, dont l’âge du droit de vote était alors de 18 ans.
Nous n’avons jamais eu accès à des recherches d’aussi grande qualité sur des pays comme l’Autriche, l’Écosse et le pays de Galles, qui ont tous abaissé à 16 ans l’âge du vote au cours des 15 dernières années. Avec ces preuves récentes à l’appui, le Canada pourrait établir les services et les mesures de soutien nécessaires pour mener à bien cette initiative, le cas échéant.
En empêchant le renvoi du projet de loi S-209 au comité, nous perdons la chance inestimable d’entendre l’opinion d’une vaste gamme d’experts, y compris les jeunes eux-mêmes.
Au sujet du fondement sur lequel repose son amendement, le sénateur Wells a déclaré ce qui suit : « [...] les projets de loi qui ont une incidence considérable sur le fonctionnement d’une Chambre doivent être d’abord présentés et débattus dans cette Chambre. » Agir différemment serait à la fois une anomalie et contraire aux précédents.
Honorables collègues, après m’avoir écoutée, j’espère que vous n’accepterez pas sa prémisse pour plusieurs raisons. Premièrement, qu’on me comprenne bien : le Sénat a tout à fait le droit de présenter, de débattre, de faire progresser et d’examiner une mesure législative, tous types confondus. En effet, la Loi constitutionnelle de 1982 confère autant de pouvoirs législatifs au Sénat qu’à la Chambre des communes, à l’exception des projets de loi qui touchent l’affectation des crédits et l’impôt, dont la présentation relève de la compétence exclusive de la Chambre.
De plus, ce soi-disant précédent a été appliqué de manière si incohérente qu’il a perdu son statut de précédent. Comment expliquer le projet de loi S-239, la mesure législative de la sénatrice Frum qui visait également à modifier la Loi électorale? Ce projet de loi a été renvoyé au comité. Il y avait le projet de loi S-215, un projet de loi visant à modifier la Loi électorale, qui a été présenté par le sénateur Dawson au cours de la 41e législature. Le sénateur Gerstein, en tant que porte-parole du Parti conservateur, s’est farouchement opposé à ce projet de loi, mais n’a pas empêché son renvoi au comité.
Dans le même ordre d’idées, au cours de la 40e législature, le sénateur Lowell Murray a présenté le projet de loi S-202, qui visait à abroger les élections fixes. Au cours de la 39e législature, le sénateur Moore a présenté le projet de loi S-224, qui visait à modifier la Loi électorale du Canada en fixant des délais pour les élections partielles fédérales. Ce projet de loi a été adopté par le Sénat et renvoyé à la Chambre des communes.
Comme l’affirme le sénateur Wells dans son amendement, n’importe lequel de ces projets de loi aurait sûrement un impact sur le déroulement des élections dans ce pays, mais aucun d’entre eux n’a fait l’objet d’un amendement motivé. Aucun d’entre eux n’a fait l’objet d’une telle obstruction, car l’application de ce précédent est si incohérente qu’elle ne constitue pas un précédent.
La raison pour laquelle ce projet de loi fait l’objet d’une objection particulière à l’heure actuelle est une énigme. Pourquoi des sénateurs s’efforcent-ils de refuser au projet de loi S-209 le même processus législatif qui a été accordé à tous les autres projets de loi liés à la Loi électorale qui ont initialement été présentés au Sénat et au moment même où des jeunes très engagés et des experts internationaux ont hâte de parler du projet de loi S-209 aux sénateurs en comité? Ma réponse — et j’espère que c’est aussi la vôtre, chers collègues — est que l’argument avancé par le sénateur Wells est déraisonnable et que nous ne devrions pas lui permettre de bloquer le débat sur ce projet de loi et la participation du public à son étude.
Deuxièmement, j’estime que le Sénat est l’endroit idéal pour examiner l’âge requis pour voter aux élections fédérales au Canada. De par sa vocation même, le Sénat est censé prendre part au processus législatif de façon à ne pas être soumis aux pressions du cycle électoral et de la politique partisane du moment.
Comme le sénateur Harder l’a fait valoir dans un article publié dans le National Journal of Constitutional Law :
Comme les sénateurs sont nommés pour un long mandat, on s’attend à ce qu’ils ne placent pas les intérêts et le sort des partis politiques au cœur de leurs délibérations. Ils doivent plutôt adopter une approche indépendante et impartiale à l’égard du travail d’examen législatif et de débat qu’ils doivent accomplir.
Affranchis des pressions, des contraintes et des impératifs du cycle électoral, les sénateurs peuvent faire preuve de nuance et d’impartialité à l’égard de la réforme de l’âge de voter.
Troisièmement, et surtout, le Sénat a un rôle inestimable à jouer en tant qu’institution qui peut mener des études approfondies, tenir des débats et examiner des politiques afin de guider l’élaboration de futures mesures législatives du gouvernement et politiques publiques. L’un des atouts uniques et phénoménaux du Sénat est sa capacité à tirer parti de son pouvoir discret pour donner une voix aux personnes marginalisées, aux faibles et aux minorités.
Je crois que l’image que dresse le sénateur Wells est une fausse dichotomie. Le Sénat est un acteur qui vient complémenter le processus législatif, il n’entre pas en concurrence avec lui, d’où sa valeur pour les Canadiens. Les projets de loi d’intérêt public du Sénat peuvent grandement influencer les politiques publiques simplement en étant présentés et débattus.
À l’heure actuelle, la Chambre des communes est saisie de deux projets de loi proposant d’abaisser l’âge de voter. En fait, au cours des 20 dernières années, il y a toujours eu un tel projet de loi en préparation, mais aucun ne s’est rendu à l’étape de l’étude en comité. Les députés de l’autre endroit auront éventuellement l’occasion d’évaluer les mérites du projet de loi comme bon leur semble, s’il se rend jusqu’à eux. Mais torpiller le projet de loi prématurément avec le récent amendement est inutile et ne sert les intérêts de personne.
J’exhorte donc le Sénat à rejeter l’amendement et je propose que la question soit mise aux voix immédiatement. Merci. Meegwetch.
Avez-vous une question, sénatrice Martin?
Non, je souhaite ajourner le débat.
L’honorable sénatrice Martin, avec l’appui de l’honorable sénateur Plett, propose que le débat soit ajourné à la prochaine séance du Sénat.
Que les sénateurs qui s’y opposent veuillent bien dire non.
Le vote porte sur l’ajournement.
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion et qui sont sur place veuillent bien dire oui.
Que les sénateurs qui sont contre la motion et qui sont sur place veuillent bien dire non.
À mon avis, les non l’emportent.
Il y aura un vote par appel nominal sur la motion d’ajournement. Quelle sera la durée de la sonnerie?
Une heure.
La sonnerie convoquant les sénateurs retentira pendant une heure. Le vote aura lieu à 18 h 3.
Convoquez les sénateurs.
Honorables sénateurs, comme il est 18 heures, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement et à l’ordre adopté le 27 octobre 2020, je suis obligé de quitter le fauteuil jusqu’à 19 heures, à moins que le Sénat ne consente à ce que la séance se poursuive. Si vous voulez suspendre la séance, veuillez dire « suspendre ».
La séance est suspendue jusqu’à 19 heures.