Le Code criminel
Motion d'amendement--Report du vote
7 novembre 2023
Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :
Que le projet de loi C-48, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à nouveau à l’article 1 (dans sa version modifiée par décision du Sénat le 26 octobre 2023), à la page 2, par substitution, aux lignes 36 et 37, de ce qui suit :
« (4) L’alinéa 515(6)b.1) de la même loi est remplacé par ce qui suit :
b.1) soit d’une infraction perpétrée avec usage, tentative ou menace prétendus de violence contre son partenaire intime, s’il a été auparavant condamné ou absous en vertu de l’article 730 pour une infraction perpétrée avec usage, tentative ou menace de violence contre un partenaire intime; ».
Je vous remercie.
Est-ce que le sénateur accepterait de répondre à une question?
Si elle vient de vous, j’accepte.
Merci.
Sénateur Gold, il reste très peu de temps, donc j’aimerais savoir si vous demandez quelques minutes de plus.
Je demanderais cinq minutes de plus, s’il vous plaît.
Le consentement est-il accordé?
Merci, madame la Présidente. Sénateur Boisvenu, je vous remercie d’avoir mis de l’avant cette proposition pour notre considération. Nous parlons ici d’une disposition qui, dans la version originale du projet de loi C-48, visait à mieux protéger les victimes de violence conjugale. Elle a été appuyée par tous les députés à l’autre endroit, par l’Association des femmes autochtones du Canada et par tous les gouvernements provinciaux et territoriaux. D’ailleurs la procureure générale de la Colombie‑Britannique, Niki Sharma, a indiqué qu’elle écrirait au ministre de la Justice pour l’exhorter à préserver cet élément du projet de loi C-48.
Sénateur Boisvenu, pouvez-vous nous confirmer que votre amendement reprend exactement le libellé de la version initiale du projet de loi?
Oui, il le reprend, et je vais ajouter une explication, parce que c’est un sujet un peu complexe. Il faut comprendre qu’un homme — car dans 90 % des cas, ce sont des hommes qui agressent les femmes — qui a reçu un pardon et qui agresse subséquemment une autre conjointe, lorsqu’il se présente devant un juge, si cet article n’existe pas, c’est à la Couronne de prouver que ce récidiviste est violent au point de ne pas être libéré.
Donc, si on retire ce privilège, tout récidiviste qui se présente devant la justice sera considéré de façon égale. Que vous ayez obtenu un pardon ou non, si vous agressez une autre partenaire intime, ce ne sera pas à la Couronne, mais à vous-même de faire la démonstration que vous n’êtes pas violent.
Ce qu’on dit, c’est que vous avez eu un privilège, vous avez manqué à vos obligations, donc vous êtes sur un pied d’égalité avec un homme violent qui se présente devant la justice et qui a récidivé.
J’ai une brève question pour le sénateur Boisvenu. J’aimerais seulement apporter des précisions pour ceux qui ne maîtrisent pas le français et qui n’ont pas compris tout ce qui s’est dit. D’après ce que je comprends, cet amendement en particulier vise à rétablir les dispositions prévues dans une version précédente du projet de loi. La partie portant sur la réforme du système de libération sous caution pour les infractions graves s’appliquerait non seulement aux personnes qui ont été condamnées, mais aussi à celles qui ont été déclarées coupables, mais qui ont reçu l’absolution, qu’elle soit inconditionnelle ou conditionnelle. J’aimerais seulement indiquer à mes collègues que l’absolution inconditionnelle peut s’appliquer à des infractions très graves. Par exemple, en 2008, Eric Tillman, directeur général des Roughriders de la Saskatchewan, a reçu l’absolution inconditionnelle après avoir commis une agression sexuelle contre la gardienne de ses enfants. Voilà le genre d’accusations graves qui peuvent être en cause. Est-il exact de dire que c’est ce genre de cas qui serait visé et qu’il s’agit de veiller à ce que l’inversion du fardeau de la preuve en ce qui concerne la libération sous caution s’applique aux personnes ayant obtenu une absolution inconditionnelle ou conditionnelle?
C’est absolument vrai. On fait ici référence aux récidivistes. Mettez-vous à la place de la victime qui apprend que son agresseur, pour toutes sortes de raisons, voyage aux États-Unis. La justice lui a accordé une absolution. La victime a alors l’impression que l’individu n’a pas reçu de sentence pour l’agression qu’il a commise. La victime ressent donc de la frustration.
Cela reste un privilège que cet individu reçoit et c’est un privilège unique. Ce privilège tient à une chose : il ne doit pas récidiver.
Cet individu qui violenterait une autre conjointe et qui se retrouverait devant le même juge pourrait lui dire qu’il n’est pas un récidiviste, car il a reçu une absolution.
À mon avis, l’absolution est un privilège qui exige une obligation de ne pas récidiver. Si vous récidivez, ce privilège ne tient plus la route. Cela s’appliquera surtout dans les cas d’hommes qui sont violents à répétition. On parle donc des récidivistes qui présentent un risque pour les femmes, pas seulement les femmes agressées, mais toutes les femmes à venir.
J’aimerais poser une brève question complémentaire, car, à un certain moment, sénateur Boisvenu, on a traduit votre réponse en disant que cela s’appliquerait aux gens qui ont obtenu un pardon. On ne parle pas de pardon dans ce cas-ci, n’est-ce pas? On parle d’une personne qui a été déclarée coupable, mais qui, au moment de la détermination de la peine par le juge, a obtenu l’absolution.
Oui, exactement. Ce n’est pas une question de pardon. J’ai peut-être utilisé le mot, mais on parle vraiment d’une absolution. Cela n’a aucun rapport avec le pardon.
Je regrette, mais le temps alloué au débat est écoulé. Sénateur Boisvenu, y aurait-il une autre question?
Non, je pense que nous sommes prêts à passer au vote.
Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer? Nous poursuivons le débat.
Honorables sénateurs, j’aimerais soulever deux éléments en réponse à l’amendement proposé par le sénateur Boisvenu.
Premièrement, nous avons entendu de la part de nombreux témoins qui ont comparu devant le comité qu’on manque nettement de données appuyant l’utilité de ce changement pour rendre les collectivités plus sûres. En fait, nous avons entendu le contraire, c’est-à-dire que cette inversion du fardeau de la preuve ne fonctionne pas et crée en fait des iniquités qui sont tout à fait inacceptables pour les communautés racialisées ou marginalisées.
Deuxièmement, la disposition concernant l’absolution a une incidence sur les femmes autochtones et les femmes qui sont coincées dans un cycle de violence et qui se font accuser en même temps que leur conjoint. On appelle cela la mise en accusation double. Souvent, on leur accorde une absolution.
Voilà les personnes qui seront touchées par cette inversion du fardeau de la preuve. J’ai proposé un amendement, que le comité a adopté, visant à supprimer la disposition concernant l’absolution, car c’est dans ce contexte qu’on observe une surreprésentation des femmes autochtones dans les prisons.
En août, je suis allée visiter l’Établissement pour femmes Grand Valley. C’était la première fois que je mettais les pieds dans une prison. Je connais les statistiques; je les ai entendues. Nous les avons citées dans le cadre du débat entourant le projet de loi C-5. Toutefois, quand on participe à une assemblée publique dans une prison, on constate réellement la surreprésentation. On constate que plus de la moitié des femmes rassemblées devant soi sont autochtones. On se rend compte que les statistiques sont bien réelles.
Ce que je veux dire, c’est que les témoins ne nous ont fourni aucune donnée permettant de conclure que l’inversion du fardeau de la preuve serait utile, alors qu’elle pourrait entraîner une surreprésentation encore plus marquée des femmes autochtones en milieu carcéral. Je vous remercie.
La sénatrice Clement accepte-t-elle de répondre à une question?
Oui.
Je vous remercie. Sénatrice Clement, n’ai-je pas raison de dire qu’en général, on ne nous a fourni aucune donnée sur ce projet de loi? Je pense que vous devez bien admettre que le gouvernement ne disposait d’aucune donnée pour justifier les dispositions du projet de loi ni cet élément en particulier.
Je vous remercie de vos observations, sénatrice Batters. Bien entendu, je suis d’accord avec vous. Tous les membres du comité étaient préoccupés par le fait qu’il n’y avait pas suffisamment de données ni de preuves pour justifier l’efficacité de ce projet de loi.
Les efforts que j’ai déployés pour apporter des modifications à ce projet de loi visaient à trouver un compromis, à essayer de trouver un moyen de l’améliorer — ou de le rendre moins préjudiciable —, pour les personnes qui se retrouvent en prison, notamment pour les femmes autochtones.
J’aimerais poser une question à la sénatrice Clement, si vous me le permettez. Merci.
Je suis toujours tiraillée par cette question parce que je sais que la raison pour laquelle nous sommes saisis de ce projet de loi sur la réforme de la mise en liberté sous caution — par opposition aux circonstances tragiques dont vous avez parlé — c’est la mort d’agents de police. Les querelles de ménage comptent parmi les problèmes les plus graves auxquels les agents de police doivent faire face. Je vous pose donc la question : est-ce que cela a été soumis au comité?
Ensuite, qu’en est-il de la deuxième victime d’un agresseur? Qu’en est-il de la troisième victime? Je comprends votre point de vue et, comme l’a dit la sénatrice Batters, je comprends que les données étaient absentes, mais je crains que nous ne soyons en train de passer à côté de la question avec le projet de loi lui-même. Le fait de retirer l’inversion du fardeau de la preuve du projet de loi ne règle pas le problème de l’incarcération massive des femmes autochtones.
Sénatrice Boniface, je comprends très bien votre question. C’est un point que je trouve personnellement difficile. Évidemment, je suis une avocate noire. Je suis très préoccupée par la surreprésentation des Noirs et des Autochtones dans les prisons. En même temps, chaque fois que j’écoute les nouvelles, chaque fois que j’entends au Sénat un discours — souvent prononcé par vous — saluant la vie et la mort d’un autre policier, je suis ébranlée. Cela dit, je dois me fier aux données et aux preuves dont nous avons besoin pour établir des mesures législatives qui ne sont pas seulement réactives et qui permettront vraiment de rendre les collectivités plus sûres.
Pour ce projet de loi, nous n’avons tout simplement pas entendu de preuves ou de données qui confirmeraient que ce changement améliorerait la situation pour les collectivités, les policiers et les femmes — les femmes autochtones et les femmes victimes de violence. Nous n’en avons tout simplement pas entendu.
Je comprends très bien ce que vous dites. C’est un tiraillement constant. Il n’y a pas de travail plus difficile que celui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, mais nous devrions nous appuyer sur les données et les preuves, et nous n’en avons pas entendu dans ce cas. Je n’en ai pas vu.
Je vous remercie beaucoup. Je sais que vous partagez les mêmes préoccupations que moi. Je veux un projet de loi efficace, mais je prends pour exemple des événements tels que ceux qui viennent de se produire à Sault Ste. Marie. Encore une fois, il y a une deuxième victime, une troisième victime, maintenant une quatrième victime et une cinquième victime. Je ne dis pas que cette affaire avait quelque chose à voir avec la mise en liberté sous caution, mais la violence qui habite les auteurs de tels crimes ne touche pas qu’une seule personne. Je suis surprise que le comité n’ait pas entendu de témoignages sur les récidivistes.
Nous n’avons pas entendu beaucoup de témoignages. Nous avons entendu le gouvernement dire qu’il faisait des efforts et qu’il commencerait à essayer de recueillir des données. Nous savons que, dans des provinces comme la Colombie-Britannique, on essaie d’investir davantage dans la collecte de données, le renforcement et le soutien des communautés, mais je ne peux pas dire que j’ai entendu des témoignages à ce sujet.
Nous avons reçu Michael Spratt, un avocat de la défense, qui a parlé de la mise en accusation double et du fait qu’une mise en accusation était particulièrement dévastatrice pour les femmes autochtones. Nous avons entendu Michael Spratt à ce sujet, mais en ce qui concerne ce dont vous parlez, je n’ai pas l’impression d’avoir entendu suffisamment de témoignages pour justifier l’affirmation selon laquelle ce projet de loi nous permettra réellement de nous sentir plus en sécurité.
L’objectif de mes deux amendements est réellement de rendre le projet de loi moins préjudiciable, si je peux me permettre de nouveau l’expression.
Accepteriez-vous de répondre à une ou deux questions?
Oui, absolument.
Sénatrice Clement, vous êtes avocate. Vous devez savoir que l’application du renversement de la preuve existe déjà dans le Code criminel. Le principe du renversement de la preuve existe déjà aussi à la Commission des libérations conditionnelles lorsqu’on se trouve devant des récidivistes.
J’essaie de faire le lien entre le retrait d’un privilège à quelqu’un qui a reçu une absolution et la surpopulation des Autochtones dans les pénitenciers. Votre logique ne devrait-elle pas plutôt s’appliquer au projet de loi dans son ensemble? Même si on adopte votre amendement au projet de loi, est-ce que la surpopulation sera réduite dans les pénitenciers, alors que cela touche à peine 1 homme sur 1 000 qui reçoit une absolution?
Quel est le rapport entre votre argument selon lequel il y a trop d’Autochtones dans les prisons et l’absolution? Vous devriez plutôt inciter tous les sénateurs à voter contre le projet de loi. Il n’y a pas de rapport, à moins que vous soyez capable de faire un lien entre l’absolution et la surreprésentation des Autochtones dans les pénitenciers.
Merci de votre question. Je vais me répéter : c’est vraiment la question qu’il n’y a pas de preuve que ce genre de projet de loi sera efficace pour protéger les gens. Pour moi, il n’y avait pas assez de preuves qui nous indiquent que cette loi allait fonctionner de la façon dont elle devait fonctionner. Je me répète, mais je vous dis que la preuve n’a pas été faite. La preuve que j’ai entendue, c’est qu’il y a une surreprésentation des Autochtones dans les prisons. Nous l’avons entendu lors des débats sur le projet de loi C-5, et encore une fois cette fois-ci. Je dirais que j’ai vu des preuves bien davantage d’un côté que de l’autre. Pour moi, il y a une cohérence dans tout cela.
La question des femmes autochtones est vraiment très pertinente, parce qu’elles sont assujetties à des situations de violence qui sont vraiment remarquables et difficiles. Elles se retrouvent dans des situations où elles sont reconnues coupables quand survient une dispute. Cette situation affecte plutôt les femmes autochtones et nous avons entendu des preuves à ce sujet. Pour moi, c’est une question de preuve. Je comprends votre point de vue et votre travail auprès des victimes. J’ai aussi représenté des victimes dans ma carrière d’avocate. Cependant, dans le cas qui nous occupe, je dois être guidée par la preuve qui nous est présentée en comité. Personnellement, je ne l’ai pas vue. J’ai vu un continuum de lois visant à réagir à une situation difficile dans les communautés, mais ces lois sont inefficaces, et nous n’avons pas la preuve permettant de démontrer qu’elles pourraient être efficaces.
Je comprends donc qu’il n’y a aucun rapport entre l’absolution et la surpopulation. Toutefois, vous dites qu’il y a un rapport entre le renversement de la preuve de tout horizon et la surpopulation. Allez-vous voter contre le projet de loi?
Ce débat est semblable à celui auquel j’ai participé sur le projet de loi C-5; j’ai voté contre ce projet de loi. J’ai fait un cheminement et les deux amendements que j’ai proposés ont été adoptés au comité. Je suis prête à dire que si ces amendements sont là, surtout celui où l’on exigera que les juges expliquent qu’ils ont considéré la question de la surreprésentation des personnes autochtones et des personnes noires, je serai en mesure de voter en faveur de ce projet de loi. C’est pour cette raison que j’ai proposé des amendements. Je suis sénatrice pour améliorer ces lois.
C’est un cheminement personnel que j’ai fait, et c’est pour cette raison que j’ai proposé les amendements. Je veux essayer d’améliorer la situation.
Est-ce que la sénatrice Clement accepterait de répondre à une autre question?
Absolument.
Quand il a comparu devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, j’ai dit au ministre qu’il me semblait qu’il couvrait deux éléments complètement différents dans son projet de loi. La structure même du projet de loi visait à répondre à des crimes dans lesquels des policiers sont décédés. Il y avait eu une consultation avec des premiers ministres, des interventions et un consensus sur cette partie du projet de loi. Par ailleurs, un article qui apparaissait tout à coup dans le projet de loi traitait de la violence à l’endroit d’un partenaire intime. Je lui ai demandé si cela avait fait partie d’une consultation. Il m’a répondu qu’ils avaient pris quelque chose qui était dans un projet de loi présenté par un sénateur pour l’inclure dans ce projet de loi.
Lorsque les fonctionnaires ont comparu de nouveau devant le comité, j’ai encore posé la question et j’ai demandé s’il y avait eu une consultation sur cette partie du projet de loi qui n’a rien à voir avec le cœur du projet de loi, donc sur la question de la violence envers les partenaires intimes. Les fonctionnaires nous ont répondu qu’ils ne pouvaient pas nous le dire, parce que cela avait été traité par le cabinet du ministre.
Vous rappelez-vous avoir entendu cela?
Merci de cette question. Oui, je m’en souviens. C’était surprenant comme réponse. Cela semble soutenir mon argument selon lequel il y avait vraiment un manque de preuve, de consultations et d’informations solides pour justifier la présentation de ce projet de loi.
Pour revenir sur votre point qui concerne les provinces, on sait que ces dernières étaient tout à fait d’accord avec ce projet de loi. En même temps, on sait que les provinces doivent procéder à des investissements. On ne peut pas juste mettre un projet de loi en place et ne pas investir dans nos communautés. Nous avons entendu dire que la Colombie-Britannique allait procéder à des investissements, mais peut-être pas d’autres provinces. Une incohérence sera donc encouragée par ce débat.
Le temps accordé au débat est écoulé.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer ma collègue la sénatrice Clement, qui a présenté cet amendement, que j’ai été heureuse d’appuyer au comité.
Je pense que, pour comprendre les motifs qui sous-tendent l’amendement, nous devons comprendre pourquoi on renverserait le fardeau de la preuve dans une audience sur la mise en liberté sous caution. Il est important de comprendre que, dans un système de justice pénale fondé sur le principe de l’innocence jusqu’à preuve du contraire, l’État ne peut pas restreindre notre liberté sans raison valable.
Lors d’une audience sur la mise en liberté sous caution, il est courant que le procureur doive prouver au juge de paix ou au juge pourquoi une personne ne devrait pas être libérée sous caution, soit parce que : a) la personne présente un risque de fuite; b) sa libération constituerait un danger pour la collectivité; ou c) sa libération embarrasserait le système judiciaire et irait à l’encontre de ce que celui-ci doit faire aux yeux du public.
Ce sont là des critères élevés, mais la Couronne dispose de tous les pouvoirs de l’État pour tenter de prouver ce fait.
Lorsqu’on renverse le fardeau de la preuve, on exige de l’accusé qu’il accepte le fardeau qui incomberait normalement à l’État. Soudainement, c’est lui qui doit prouver pourquoi il devrait être libéré, parfois avec l’aide d’un avocat de service de l’aide juridique ou d’un autre avocat, parfois en se représentant lui-même. Les accusés doivent assumer eux-mêmes la responsabilité de défendre leur liberté.
La Cour suprême a établi que, dans certaines circonstances, nous sommes autorisés à inverser le fardeau de la preuve. Le projet de loi C-48 élargirait cette possibilité en augmentant le nombre de catégories où nous inversons le fardeau de la preuve. Toutefois, le projet de loi part du principe que cette mesure doit s’appliquer aux pires criminels, ceux qui représentent le plus grand danger pour notre collectivité et peut-être pour leur propre famille.
C’est pour cette raison que je me suis hérissée lorsque j’ai vu le mot « absous » dans le projet de loi. Comme nous le savons tous, je ne suis pas une avocate qui siège au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles et je suis une remplaçante.
Je veux vous lire ce que la page d’Aide juridique Ontario nous dit sur les absolutions inconditionnelles dans la loi :
L’absolution inconditionnelle est la peine pour adultes la moins sévère qu’un contrevenant peut obtenir.
Si le contrevenant reçoit une absolution inconditionnelle, un verdict de culpabilité est rendu, mais aucune condamnation n’est inscrite et le contrevenant n’est assujetti à aucune condition (c’est-à-dire une ordonnance de probation). Le contrevenant a terminé son affaire. Il n’a pas à revenir au tribunal ou à se présenter devant un agent de probation.
L’absolution inconditionnelle sera inscrite au casier judiciaire du contrevenant pendant un an après la date de l’absolution.
Je saute ensuite quelques phrases :
L’inscription sera automatiquement supprimée de son casier au bout d’un an. Le contrevenant ne doit pas présenter une demande de pardon.
Autrement dit, pour obtenir une absolution inconditionnelle, il ne doit rester à votre dossier aucune trace de la transgression passée.
Pourquoi une personne obtiendrait-elle une absolution inconditionnelle? Cela se produit très rarement, dans les cas où le tribunal estime que la personne ne présente pas de risque de récidive, qu’elle ne représente pas un danger pour la société et qu’elle a présenté un plan pour faire amende honorable. Comme la sénatrice Clement le souligne à juste titre, c’est souvent le cas pour les femmes autochtones, parce que parfois, lorsque la police se présente à un foyer et qu’il y a de la violence conjugale, incapable de dire qui a commencé quoi ou qui était l’instigateur de la violence, la police porte souvent des accusations contre les deux parties afin de dégager la scène et de rétablir la sécurité. Il se peut aussi que la conjointe, qui était avant tout une victime, fasse l’objet d’une contre-accusation. Souvent, ces infractions sont radiées, mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle une personne obtiendrait une absolution inconditionnelle ou conditionnelle. Une absolution conditionnelle, comme son nom l’indique, est assortie de conditions. Dans ce cas, le casier n’est pas scellé avant trois ans.
Lorsque j’ai examiné le projet de loi, je me suis dit : « D’accord. Si nous inversons le fardeau de la preuve, nous devons le faire pour les pires criminels. » Si une personne a reçu l’absolution, cela signifie que son infraction antérieure était relativement mineure et que ses actes étaient relativement compréhensibles.
Examinons maintenant l’amendement dont nous sommes saisis. On peut y lire ceci :
[...] soit d’une infraction perpétrée avec usage, tentative ou menace prétendus de violence contre son partenaire intime, s’il a été auparavant condamné ou absous en vertu de l’article 730 pour une infraction perpétrée avec usage, tentative ou menace de violence contre un partenaire intime [...]
On pourrait se retrouver avec un scénario où une femme autochtone ayant reçu une absolution inconditionnelle serait accusée de menaces de violence contre son conjoint; elle devrait alors composer avec le renversement du fardeau de la preuve pour obtenir une mise en liberté sous caution. Ce serait injuste, c’est évident. Si on entend établir le renversement du fardeau de la preuve, que ce soit pour les individus pour qui cela s’impose bel et bien, c’est-à-dire ceux qui constituent une menace reconnue pour la société et qui ont des antécédents de comportement criminel.
Permettre que le renversement du fardeau de la preuve s’applique à quelqu’un dont l’unique démêlé avec la justice s’est conclu par une absolution inconditionnelle équivaut à corrompre notre système de mise en liberté sous caution et à corrompre la présomption d’innocence. Merci beaucoup.
La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?
Oui.
Merci. Comme vous devez vous en douter, le gouvernement appuie cet amendement parce qu’il ramène le libellé du projet de loi à ce qu’il était lors de son adoption à l’autre endroit, avec l’appui de l’ensemble des provinces et des territoires, qui sont chargés de l’administration de la justice et qui en connaissent un bout en matière de sécurité publique. J’aimerais avoir votre avis au sujet de deux points qui ont été soulevés au comité.
Premièrement, voici ce que Niki Sharma, procureure générale de la Colombie-Britannique, a déclaré au comité :
[...] j’entends les témoignages de femmes vulnérables, en particulier, qui sont victimes de récidivistes violents en liberté sous caution [...] À mon avis, il y a des circonstances où le système de justice pénale vise plutôt à protéger la collectivité, et cette inversion du fardeau de la preuve en est le reflet.
J’aimerais aussi connaître votre avis au sujet de cet extrait du mémoire que l’Association des femmes autochtones du Canada a présenté au comité. On peut y lire ceci : « Il est important de les protéger de leurs agresseurs entre le moment où les accusations sont portées et l’audience. »
Comme vous le savez, il y a eu un témoignage dans la même veine selon lequel la deuxième accusation n’est souvent que la pointe de l’iceberg et que c’était probablement aussi le cas de la première accusation.
Ne craignez-vous pas que, malgré les meilleures intentions, l’élimination de cet amendement ne mette en danger des victimes vulnérables?
Je vous remercie, sénateur Gold. Je m’attarderai tout d’abord sur la première partie de votre question.
Mme Sharma a utilisé l’expression « récidivistes violents ». Quelqu’un qui n’a qu’une absolution inconditionnelle à son dossier ne devrait sûrement pas être considéré comme un récidiviste violent. C’est précisément ce qui me préoccupe : comme on élargit le filet, la disposition prévoyant le renversement du fardeau de la preuve ne s’appliquerait pas qu’aux récidivistes violents qui, nous en convenons tous, posent beaucoup plus de risques pour la société qu’une personne qui a obtenu une absolution inconditionnelle, par exemple.
Pour ce qui est de votre deuxième point, de toute évidence, je suis préoccupée par les niveaux horriblement élevés de violence familiale qui existent au Canada, une violence qui est surtout perpétrée par des hommes à l’endroit de femmes et qui touche les Autochtones de façon disproportionnée. Il faut toutefois éviter de pécher par excès de zèle. Il est nécessaire de bâtir le régime de mise en liberté sous caution de manière à protéger les femmes qui, selon des allégations, auraient été maltraitées par leur partenaire, mais il ne faut pas pour autant avoir recours à l’inversion du fardeau de la preuve, un outil tout sauf nuancé qui ne fait pas de distinctions.
À titre d’exemple, si un homme est accusé d’avoir agressé sa conjointe, ce serait beaucoup plus bénéfique qu’il ait accès à un programme d’hébergement pour les mises en liberté sous caution et qu’il soit soumis à une forme de supervision. Les problèmes se produisent quand les gens sont libérés sans conditions ou avec des conditions impossibles à respecter, et lorsque les gens qui sont libérés ont le choix entre vivre dans la rue ou retourner dans le milieu familial où la violence s’est produite.
Bien sûr, il faut trouver des moyens de protéger les femmes contre un partenaire violent chez elles. Je ne vois pas comment l’inversion du fardeau de la preuve dans le cas d’une personne qui a bénéficié d’une libération conditionnelle ou inconditionnelle nous permettrait d’y arriver.
La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?
Oui.
Honorables sénateurs, je pense qu’il y a une mise au point importante qui doit être faite. Nous étudions un projet de loi qui concerne la violence conjugale lorsqu’une arme à feu est impliquée. Ce n’est pas pour tous les cas de violence conjugale, c’est seulement lorsque cette violence est commise au moyen d’une arme à feu.
Madame la sénatrice, ne considérez-vous pas que, lorsqu’une femme est agressée, si l’homme — l’agresseur — a utilisé une arme à feu, on se trouve devant un des cas les plus violents?
C’est absolument vrai, sénateur.
Nous avons vu partout au pays, plus récemment avec le rapport de la Commission des pertes massives, que trop souvent, les cas de violence familiale se répercutent dans l’ensemble de la collectivité, qu’il s’agisse d’agressions contre des agents de police ou d’autres premiers intervenants ou d’agressions contre la collectivité en général.
Lorsque j’étais journaliste, j’ai longtemps soutenu que la violence familiale était un crime non seulement contre les membres de la famille, mais aussi contre toute la collectivité. En effet, je suis fière d’avoir fait des pieds et des mains pour parler, à titre de journaliste, des cas de meurtre suivi d’un suicide, où, souvent, les noms de l’agresseur et de la victime étaient gardés secrets par la police parce que je soutenais qu’il s’agissait d’une agression contre toute la collectivité.
J’appuie sans réserve vos efforts, monsieur, pour lutter contre la violence familiale. Je suis impressionnée par certains de vos combats et ce que vous avez accompli en tant que sénateur.
En tant que journaliste, j’ai couvert ces sujets pendant des années. Cependant, comme l’aurait dit notre regrettée collègue Elaine McCoy, nous nous attaquons aux mauvaises cibles. Si nous voulons assurer la sécurité des familles, il existe de bien meilleures solutions que de traiter comme les pires délinquants des personnes dont les seuls démêlés avec le système pénal se sont soldés par une absolution inconditionnelle.
Axons nos efforts sur les personnes qui présentent le risque le plus important et évitons de traiter comme des criminelles les femmes, souvent autochtones, qui finissent par être accusées et se retrouvent submergées par les événements.
Sénatrice Simons, dans votre discours, vous avez surtout parlé de l’absolution inconditionnelle. Reconnaissez-vous que l’absolution conditionnelle est aussi incluse dans ce même cadre et que, par conséquent, cela éliminerait aussi l’absolution conditionnelle? Comme vous le savez sûrement, compte tenu du genre de causes dont vous avez parlé dans vos reportages, l’absolution conditionnelle peut comprendre une interdiction de posséder une arme à feu ou d’autres armes, une ordonnance de probation et une ordonnance d’interdiction de contact pour ce genre de violence interpersonnelle, ce qui est très fréquent, et il peut évidemment y avoir plus d’une condition.
Par ailleurs, l’absolution implique une déclaration de culpabilité, et l’absolution est le type de sanction choisi par le juge. Ce n’est pas du tout mauvais. La personne est déclarée coupable de l’infraction criminelle, et c’est simplement la sanction qui est choisie.
C’est très juste, sénatrice Batters, et je vous dirais que le juge a tout à fait le droit de refuser la mise en liberté sous caution à cette personne. Si une personne a obtenu une absolution inconditionnelle ou — vous avez raison — une absolution conditionnelle, ce qui laisse entendre qu’il y avait plus de conditions rattachées et que les circonstances étaient peut-être plus graves, je ne recommande pas qu’elle soit automatiquement mise en liberté sous caution. Le procureur a toujours le pouvoir de s’opposer à la mise en liberté sous caution. Le juge, lui, a toujours le pouvoir de la refuser.
Ce que je recommande, c’est d’utiliser seulement les dispositions de l’inversion du fardeau de la preuve dans les circonstances les plus graves. Si nous étendons la portée de ces dispositions, nous pourrions accidentellement viser des gens qui n’auraient jamais dû être ciblés par cette mesure législative. Je ne dirais jamais qu’une personne ayant commis un crime violent avec une arme à feu devrait automatiquement être mise en liberté sous caution parce que, par exemple, elle a reçu une absolution conditionnelle. Je dis seulement qu’il faut uniquement recourir à la disposition de l’inversion du fardeau de la preuve dans des circonstances très particulières, à savoir lorsque c’est le plus nécessaire et le plus approprié.
Sénatrice Simons, vous avez dit à quelques occasions que vous vous opposez à l’inversion du fardeau de la preuve lorsque c’est l’unique démêlé du prévenu avec la justice. Or, comme l’a entendu le comité et comme le montrent en général les statistiques, bien souvent, la violence contre un partenaire intime n’est pas signalée. Il y a des victimes qui retirent leurs plaintes, et ce ne sont pas tous les cas qui mènent au dépôt de chefs d’accusation.
Comment conciliez-vous votre opposition et le fait que, de toute évidence, les femmes sont souvent victimes de violence pendant longtemps avant que les forces de l’ordre interviennent, sans compter que les risques augmentent une fois que des accusations ont été portées?
Le temps prévu pour le débat est écoulé.
Puis-je demander plus de temps pour répondre à cette question seulement? Je crois que cela suffira.
Le consentement est-il accordé?
Comme je l’ai dit, notre pays a des lois sur la mise en liberté sous caution qui permettent aux procureurs de la Couronne d’exiger que le juge n’accorde pas la mise en liberté sous caution. Nous avons des juges et des juges de paix qui ont le pouvoir de refuser la mise en liberté sous caution. Je ne m’oppose pas à cela.
J’essaie de faire valoir qu’il faut veiller à ce que les dispositions prévoyant l’inversion du fardeau de la preuve — qui sont vraiment extraordinaires — ne soient utilisées que dans les cas les plus extraordinaires.
Si nous voulons régler les problèmes que vous évoquez, eh bien, il est assez difficile de condamner des personnes pour des crimes dont elles n’ont jamais été accusées. Si nous voulons fournir plus de ressources aux refuges pour femmes dans tout le pays, faisons-le. Si nous voulons fournir plus de conseils juridiques et d’aide juridique, plus de financement pour les programmes d’aide juridique aux familles afin que les femmes qui cherchent à se séparer de leur partenaire et qui cherchent une protection contre la violence familiale puissent en bénéficier, je suis tout à fait d’accord.
Je pourrais énumérer 20 politiques publiques qui contribueraient à réduire la violence familiale beaucoup plus efficacement que cela.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
À mon avis, les non l’emportent.
Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?
Le vote est reporté à la prochaine séance du Sénat.
Conformément à l’article 9-10 du Règlement, le vote aura lieu à 16 h 15, à la prochaine séance du Sénat, et la sonnerie retentira à compter de 16 heures.