Projet de loi sur l’assurance médicaments
Deuxième lecture--Débat
18 juin 2024
Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance médicaments. Je vous suis très reconnaissante du temps que vous m’accordez, compte tenu de l’heure et de la date particulière de notre calendrier législatif. Sachant que nous souhaitons renvoyer le projet de loi C-64 au comité pour qu’il l’étudie plus en profondeur, je prends la parole pour vous faire part de mon point de vue personnel, dans l’espoir que l’histoire de ma région apportera des éclaircissements et des questions pour l’étude du comité.
Vous savez que j’ai été première ministre du Yukon de 2000 à 2002. À l’époque, il était également d’usage que le premier ministre soit ministre des Finances. C’était aussi une période d’intenses négociations et discussions autour des coûts des soins de santé, en particulier dans le cas du Yukon, parce que le gouvernement Martin avait réduit de manière considérable les transferts canadiens en matière de santé et de services sociaux. Dans le cas du Yukon, c’était particulièrement important, car les petits budgets territoriaux représentaient moins de 1 milliard de dollars.
Au cours de mon mandat, j’ai également participé à des missions commerciales d’Équipe Canada avec le premier ministre de l’époque, M. Chrétien. Pour les collègues qui l’auraient oublié, les voyages d’Équipe Canada étaient des missions commerciales organisées par le premier ministre fédéral et auxquelles participaient tous les premiers ministres provinciaux et territoriaux, ainsi que des chefs d’entreprise et des responsables locaux. C’est en partageant un repas, avec l’objectif commun de promouvoir notre grand pays, que nous nouons des liens.
Deux mesures se rapportant à notre débat d’aujourd’hui peuvent être attribuées aux premiers ministres provinciaux et au premier ministre voyageant ensemble. Tout d’abord, le premier ministre Chrétien a chargé Roy Romanow de présider la Commission sur l’avenir des soins de santé au Canada. L’une des principales recommandations de la Commission Romanow était de proposer un programme limité d’assurance-médicaments pour couvrir les traitements médicamenteux coûteux. Voici une autre de ces recommandations :
L’Inforoute Santé du Canada devrait continuer de coordonner l’établissement d’un cadre national pour les dossiers de santé électroniques, à partir des systèmes provinciaux, en veillant à l’interopérabilité des divers systèmes électroniques actuels d’information sur la santé et en tenant compte de certaines questions telles que l’harmonisation de la politique de protection de la vie privée et les normes de sécurité.
L’Inforoute Santé du Canada est née de la préoccupation exprimée par le premier ministre Chrétien : lorsque des médecins traitaient un de ses anciens collègues dans un hôpital de la Colombie-Britannique, ils auraient dû pouvoir accéder à toutes les données relatives à sa santé par la voie de son dossier médical provincial.
Honorables sénateurs, j’ai continué à siéger jusqu’en 2006 en tant que députée à l’Assemblée législative du Yukon après la défaite de notre gouvernement. Ma retraite en tant que législatrice a marqué le début d’une carrière dans la fonction publique, dans le domaine de l’administration des soins de santé. Pendant les discussions sur les soins de santé, on aurait pu croire que j’avais bien été immunisée. On m’a souvent entendu dire : « J’aurais aimé savoir à l’époque ce que je sais aujourd’hui. »
Lorsque j’étais responsable de l’inscription au régime de soins de santé, je devais, entre autres, m’occuper de l’administration de ce dont il avait été question dans le cadre de ces missions d’Équipe Canada quelques années plus tôt : relever les défis associés à la facturation réciproque interprovinciale; permettre aux Canadiens de conserver leur inscription au régime de soins de santé en cas de déménagement d’une province à une autre; tenir compte du fait que les Canadiens souhaitaient avoir une carte d’assurance-maladie qui fournirait aux prestataires de soins de santé autant d’informations que possible, peu importe où ils avaient reçu des traitements au pays, le tout en protégeant leurs renseignements personnels.
Mes responsabilités incluaient aussi les demandes de règlement — le paiement des médecins qui étaient rémunérés à l’acte. J’ai donc un point de vue particulier sur le débat actuel à propos de l’impôt sur les gains en capital, ainsi que sur l’influence du régime de la rémunération à l’acte des médecins sur les soins médicaux dans notre pays jusqu’à maintenant et encore aujourd’hui. J’ai bien hâte de lire, cet été, le livre de l’ancienne ministre de la Santé Jane Philpott, intitulé Health for All: A Doctor’s Prescription for a Healthier Canada, qui vient juste de sortir.
Je devais aussi gérer le transport médical dans le cadre de mes fonctions. Comme les honorables sénateurs le savent, les Canadiens de régions éloignées sont transportés par avion vers des centres urbains pour recevoir des soins de santé. Pour les personnes qui sont envoyées à l’extérieur du Yukon pour des raisons médicales, que ce soit au moyen d’un avion d’évacuation sanitaire ou d’un avion commercial, le transport est payé par le gouvernement du Yukon.
La Commission Romanow a également demandé la création d’un fonds pour garantir un accès rapide aux soins dans les régions rurales et éloignées. Durant mon mandat comme première ministre, lors de ma première conférence des premiers ministres de l’Ouest, la première conférence organisée par Gary Doer, alors premier ministre du Manitoba, on a affirmé que le Canada devait reconnaître son statut comme quatorzième province à la table des négociations. Le Canada est responsable des coûts des soins de santé pour les peuples autochtones, les membres des Forces armées canadiennes et, dans certains cas, des employés du gouvernement fédéral, comme ceux de la GRC.
Lors de cette conférence des premiers ministres de l’Ouest, le premier ministre Doer a évoqué les coûts élevés du transport des patients du Nord vers le Sud pour des séances de dialyse. En tant que gestionnaire des services aux demandeurs pour le gouvernement du Yukon, je devais régulièrement traiter avec le Canada lorsque le Yukon payait un voyage — par exemple, un vol aller simple de 15 000 dollars pour un membre inscrit des Premières Nations — que le Programme des services de santé non assurés aurait dû couvrir.
Alors, lorsque le transport médical représente une bonne partie du budget des soins de santé, chaque facture de 15 000 $ que vous pouvez soumettre à un autre gouvernement — ici, au gouvernement du Canada, pour le compte du gouvernement du Yukon — est cruciale.
Je mentionne cet exemple et cette anecdote pour attirer l’attention des sénateurs sur les responsabilités du Canada en matière de prestation des soins de santé dans le pays, ce qui doit faire partie des discussions sur tout programme devant être offert à toute la population. La responsabilité du Canada ne se limite pas à tenir le rôle de responsable législatif et de principal bailleur de fonds dans cette discussion.
Il est important de souligner qu’à titre de gestionnaire, je devais aussi travailler en étroite collaboration avec le gestionnaire de l’assurance-santé complémentaire et du régime d’assurance‑médicaments pour le système de santé du Yukon. Ce régime fournissait à l’époque, et fournit toujours aujourd’hui, les médicaments pharmaceutiques destinés aux personnes âgées de plus de 65 ans et aux personnes mariées à une personne âgée de plus de 65 ans. Les demandes sont présentées à un régime d’assurance‑médicaments, si le patient en a un, et le gouvernement paie le solde. Au Yukon, une personne âgée qui n’a pas de régime d’assurance‑médicaments ne doit pas se passer de médicaments sur ordonnance. Ces médicaments sont payés par l’assurance-santé du Yukon. Si le patient est un citoyen des Premières Nations, ces médicaments sont payés par le Programme des services de santé non assurés.
Honorables sénateurs, je dois vous raconter une histoire, encore une fois fondée sur mon expérience de travail au sein des services de soins de santé. À l’époque, Avastin, un médicament contre le cancer de la vessie, était utilisé sans approbation officielle pour traiter la dégénérescence maculaire. Nous avons eu un patient qui pouvait obtenir l’Avastin grâce au Programme des services de santé non assurés, mais pas par le régime d’assurance-santé complémentaire du Yukon parce que nos listes de médicaments étaient différentes.
Le Yukon a fini par établir une liste de médicaments équivalente à celle du Programme des services de santé non assurés. Cependant, la liste, l’administration et la lenteur de l’approbation des médicaments pour les enfants des Premières Nations sont quelques‑unes des raisons pour lesquelles une tragédie s’est produite au Manitoba et pour lesquelles nous avons un programme basé sur le principe de Jordan.
De plus, l’objectif déclaré du projet de loi C-64 est « [...] de soutenir l’élaboration d’une liste nationale de médicaments [...] ». Ce ne sera pas facile. Nous avons tous pris connaissance des reportages dans les médias, le plus récent étant celui en Colombie‑Britannique concernant un médicament particulier destiné à traiter la sclérose en plaques. Ce médicament a été approuvé en Alberta, mais le patient de la Colombie-Britannique n’y a pas eu accès en raison de son coût. Je ne connais aucun législateur provincial ou territorial ni aucun fonctionnaire qui n’ait pas eu à répondre aux questions de ses concitoyens concernant l’accès aux médicaments.
Il faut reconnaître que la mise en place d’un cadre pour les médicaments pour le traitement des maladies rares entraîne des coûts extraordinaires pour les petites administrations. Les provinces de l’Ouest discutent et négocient depuis plusieurs années l’achat de médicaments en collaboration, comme l’ont fait individuellement les grandes provinces. En agissant ensemble à l’échelle du pays, nous obtiendrons de meilleurs résultats dans nos discussions avec les sociétés pharmaceutiques.
Voici une dernière remarque sur le Programme d’assurance-santé complémentaire du Yukon. Si vous souffrez d’une maladie chronique ou d’un handicap, il est fort probable que vous puissiez bénéficier de prestations pour couvrir vos dépenses. Par exemple, si votre médecin vous recommande des médicaments sur ordonnance ou des fournitures médico-chirurgicales pour traiter le diabète, vous pouvez obtenir de l’aide dans le cadre du Programme d’aide aux malades chroniques et aux personnes souffrant d’une incapacité. La liste des maladies chroniques est exhaustive, tout comme les mesures d’aide.
Le projet de loi C-64 est un cadre législatif visant à planifier à l’échelle nationale des programmes similaires à ceux mis en place par le Yukon. La sénatrice Pate a présenté le projet de loi C-64 comme :
[...] un plan de collaboration avec toutes les provinces et tous les territoires désireux d’offrir une couverture universelle et à payeur unique pour les médicaments nécessaires, en commençant par un certain nombre de contraceptifs [...]
— qui ne sont actuellement pas couverts au Yukon —
[...] et de médicaments contre le diabète [...]
qui sont couverts.
Vous m’avez entendu dire à maintes reprises que le fédéralisme pose des défis. Je crois que nous avons tous dit que ce sont les détails qui posent problème. Je suis consciente que certains estiment que les détails et l’administration concrète de la mise en œuvre de la mesure législative ne sont pas nécessairement du ressort ou de la responsabilité de notre auguste assemblée.
Quoi qu’il en soit, de la même façon que nous devons nous assurer que toutes les mesures législatives respectent la Charte et les objectifs nationaux de réconciliation, j’estime que le second examen objectif auquel nous nous livrons suppose que nous devions aussi faire le nécessaire pour que les mesures législatives atteignent ces objectifs. Dans le cas présent, le régime d’assurance‑médicaments prévu dans le projet de loi C-64 est réalisable. De nombreuses autres personnes — à commencer par nos collègues professionnels de la santé — ont su dire avec beaucoup d’éloquence à quel point ce projet de loi est important et je suis d’accord avec eux.
Le comité qui l’étudiera devra se demander comment le plan qui devra être élaboré par le gouvernement fédéral et l’ensemble des territoires permettra d’offrir un régime d’assurance-médicaments aux Canadiens.
J’ai dit plus tôt que ce débat et cette discussion n’ont rien de nouveau. J’ai évoqué un seul des nombreux rapports et études, celui de la Commission Romanow, recommandant la mise sur pied d’un régime national d’assurance-médicaments.
Je vous ai aussi parlé de ce que j’ai vécu au Yukon, que ce soit en première ligne ou sur le plan politique. C’est intentionnellement que j’ai choisi le moment où nous renvoyons ce projet de loi à un comité pour vous raconter tout ça. Le rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales paru le 13 juin dernier disait :
Enfin, votre comité fait observer que le projet de loi C-69 contient de nombreuses mesures dont la mise en œuvre nécessite une collaboration étroite avec les gouvernements provinciaux et territoriaux [...]
Le projet de loi C-64 nécessitera lui aussi une collaboration étroite avec les provinces et les territoires. Avec cet exemple, j’espère avoir convaincu mes collègues qui en feront l’étude de bien tenir compte de l’expérience des provinces et des territoires, mais aussi des responsabilités du Canada.
J’espère qu’au bout du compte, après avoir pris connaissance des nombreux rapports, commissions et allocutions qui recommandent la création d’un régime national d’assurance-médicaments, le comité conclura, quitte à y aller de quelques observations, que ce projet de loi doit entrer en vigueur et que le régime qu’il prévoit verra le jour.
Dans les langues des Premières Nations du Yukon, shä̀w níthän, mahsi’cho, gùnáłchîsh. Merci.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui, à l’étape de la deuxième lecture, à titre de porte-parole responsable du projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance médicaments. Je remercie la sénatrice Pate, la marraine du projet de loi C-64, et les sénatrices Osler, Moodie, Simons, Bernard et Duncan de leurs contributions à cette importante mesure législative.
Je vais maintenant parler du projet de loi.
Chers collègues, le projet de loi C-64 semble proposer deux politiques distinctes. D’une part, le projet de loi C-64 propose un régime national et universel d’assurance-médicaments et énonce les principes essentiels dont le ministre de la Santé doit tenir compte dans le cadre de la mise en œuvre de cette politique.
D’autre part, le projet de loi codifie une structure et des processus qui obligent le ministre de la Santé à effectuer des paiements aux provinces avec lesquelles le gouvernement fédéral a conclu des ententes bilatérales afin d’augmenter toute couverture existante d’un régime public d’assurance-médicaments pour des médicaments sur ordonnance précis et des produits connexes destinés à la contraception ou au traitement du diabète. C’est l’histoire de deux politiques.
Chers collègues, j’examinerai certains des problèmes auxquels nous sommes confrontés dans le projet de loi C-64, à la fois dans le régime national et universel d’assurance-médicaments proposé et dans le plan progressif pour les médicaments et les produits destinés uniquement à la contraception ou au traitement du diabète. Je me pencherai également sur trois préoccupations structurelles globales qui, selon moi, doivent être examinées au comité.
Le cadre du régime national universel d’assurance-médicaments proposé dans le projet de loi C-64 semble prévoir des principes visant à respecter la politique envisagée dans le rapport final du Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments intitulé Une ordonnance pour le Canada : l’assurance-médicaments pour tous.
Le conseil consultatif a été lancé en juin 2018 et il était présidé par le Dr Eric Hoskins. Son rapport final, qui a été publié en juin 2019 et qui est souvent appelé le rapport Hoskins, encourage : « [...] le gouvernement à adopter un régime national d’assurance-médicaments au moyen d’une nouvelle loi qui englobera les cinq principes fondamentaux établis dans la Loi canadienne sur la santé [...] »
Conformément au rapport Hoskins, des engagements ont été pris à l’égard d’éléments fondamentaux, notamment l’Agence canadienne des médicaments, la liste nationale de médicaments et la Stratégie nationale visant les médicaments pour le traitement des maladies rares.
En 2021, le gouvernement fédéral a investi 35 millions de dollars avec l’Île-du-Prince-Édouard pour le Programme d’amélioration de l’accès abordable aux médicaments sur ordonnance dans le cadre d’une sorte d’étude-pilote pour combler une lacune dans la couverture.
En 2022, un groupe national multidisciplinaire convoqué par l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé à la demande de Santé Canada a recommandé la mise en place d’un cadre pour l’élaboration d’une liste nationale et d’un modèle de liste de médicaments.
En mars 2023, la Stratégie nationale visant les médicaments pour le traitement des maladies rares a été lancée avec un investissement maximal de 1,5 milliard de dollars sur trois ans pour améliorer l’accès aux médicaments pour le traitement des maladies rares et pour les rendre plus abordables.
En décembre 2023, l’Agence canadienne des médicaments a été créée grâce à un investissement de 89,5 millions de dollars sur cinq ans à partir de 2024-2025.
Le gouvernement affirme que le projet de loi C-64 est la prochaine étape vers un régime national universel d’assurance‑médicaments. Or, cette proposition particulière de régime national universel d’assurance-médicaments présente des faiblesses considérables et, comme mes collègues m’entendent souvent le souligner à propos de propositions législatives, elle risque d’avoir de graves conséquences involontaires. Voyons un peu de quoi il en retourne.
Premièrement, le régime national d’assurance-médicaments universel envisagé dans le projet de loi C-64 empiète sur les compétences provinciales et complique ou entrave les programmes que les provinces et les territoires ont déjà mis en place.
Comme nous le savons tous, au Canada, les gouvernements provinciaux et territoriaux sont responsables de la gestion, de l’organisation et de la prestation des services de santé pour leurs résidants. Le Québec, qui exige que tous les résidants qui n’ont pas d’assurance-médicaments privée s’inscrivent et cotisent au régime public de la province, est la seule province à avoir atteint l’objectif d’une couverture universelle des médicaments. C’est pourquoi le gouvernement du Québec s’oppose au projet de loi C-64.
En février, le cabinet de Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, a déclaré à la Presse canadienne :
Le gouvernement du Québec a rappelé à plusieurs reprises que la santé est une compétence exclusive du Québec. Si le gouvernement du Canada concrétise son projet d’assurance‑médicaments, le gouvernement du Québec exigera un droit de retrait avec pleine compensation [...]
Le Québec n’est pas le seul à s’opposer à ce projet. Le gouvernement de l’Alberta a exprimé des sentiments similaires.
Tous les gouvernements provinciaux et territoriaux offrent à leurs résidants des régimes d’assurance pour les médicaments sur ordonnance, quoique de types différents. Permettez-moi de vous donner un aperçu de quelques-uns des régimes publics qui, au Canada, couvrent les médicaments sur ordonnance, les dispositifs médicaux et les fournitures médicales. Certains sont basés sur le revenu, d’autres sur l’âge, d’autres encore s’appliquent à des maladies précises qui nécessitent des médicaments coûteux.
L’Alberta dispose d’un régime qui couvre les personnes d’âge adulte issues de ménages à faible revenu qui sont enceintes ou qui ont un besoin aigu et chronique de médicaments sur ordonnance, les enfants issus de ménages à faible revenu, ainsi que les résidents âgés de 65 ans et plus. La province offre également le régime Non‑Group Coverage, qui est administré par la Croix bleue de l’Alberta, assorti de cotisations mensuelles et accessible à tous les Albertains.
La Colombie-Britannique s’est dotée d’un régime qui couvre les bénéficiaires d’aide au revenu et les bénéficiaires d’établissements de soins agréés. Elle a aussi créé le régime Fair PharmaCare, qui aide les familles à payer les médicaments sur ordonnance et qui est fondé sur le revenu : plus les revenus familiaux sont faibles, plus l’aide offerte est élevée.
Le régime d’assurance médicaments du Manitoba offre des prestations calculées à partir du revenu aux personnes pour qui la facture de médicaments sur ordonnance est élevée.
Le Nouveau-Brunswick s’est doté d’un régime qui couvre les personnes de plus de 65 ans, les résidents des établissements pour personnes âgées, les enfants confiés aux soins de la province et les clients de Développement social. Il s’est aussi doté d’un régime de prestations calculées à partir du revenu pour les personnes qui n’ont pas d’assurance privée.
Le régime de Terre-Neuve-et-Labrador couvre les personnes et les familles à faible revenu, ainsi que les personnes de plus de 65 ans qui touchent des prestations de Sécurité de la vieillesse et du Supplément de revenu garanti.
Les Territoires du Nord-Ouest se sont dotés d’un régime qui couvre les personnes admissibles de 60 ans et plus et les personnes atteintes de certaines maladies. Ce territoire a aussi créé un régime pour les Métis autochtones.
Le régime de la Nouvelle-Écosse couvre toutes les personnes qui n’ont pas d’autre régime d’assurance médicaments ou dont les médicaments coûtent trop cher.
Le Nunavut s’est doté d’un régime qui couvre les personnes âgées, celles qui sont atteintes de certaines maladies et les prestataires de l’aide au revenu.
L’Ontario a des régimes qui couvrent les résidants de plus de 65 ans; les résidants bénéficiant de l’aide sociale; les résidants d’établissements de soins de longue durée ou spécialisés; les résidants recevant des soins à domicile; et les résidants dont le coût des médicaments sur ordonnance est élevé par rapport à leur revenu et qui ne bénéficient pas d’une couverture privée ou d’un autre régime provincial. Cette province a aussi un régime qui couvre gratuitement plus de 5 000 médicaments pour toute personne âgée de 24 ans ou moins qui n’est pas couverte par un régime privé.
L’Île-du-Prince-Édouard a un régime qui couvre les familles à faible revenu; les résidants de 65 ans et plus; les résidants de moins de 65 ans qui n’ont pas d’assurance-médicaments; et les résidants qui ont besoin d’aide pour payer les médicaments et les fournitures pour une gamme de conditions médicales spécifiques. En outre, en 2021, l’Île-du-Prince-Édouard a conclu un partenariat avec le gouvernement fédéral dans le cadre d’un programme pilote qui réduit à 5 $ la quote-part des médicaments admissibles — y compris les médicaments contre les maladies cardiovasculaires, le diabète et les troubles mentaux — pour les résidants couverts par certains programmes.
Au Québec, le régime public d’assurance-médicaments couvre tous les résidants qui ne sont pas couverts par un régime privé.
La Saskatchewan a un régime qui couvre tous les résidants à l’exception de ceux qui bénéficient de programmes fédéraux.
Le Yukon a un régime qui couvre les résidants âgés de plus de 65 ans et les enfants des familles à faible revenu, et offre des prestations aux Yukonnais qui souffrent d’une maladie chronique ou d’une incapacité fonctionnelle grave. Notre collègue la sénatrice Duncan a très bien décrit ce régime d’une manière beaucoup plus détaillée.
Selon la conception du programme, un régime national universel d’assurance-médicaments pourrait simplifier le réseau complexe de programmes qui est en place partout au Canada. Cependant, chaque province et territoire a accumulé un savoir organisationnel en matière de prestation de ses programmes respectifs, certains programmes étant adaptés pour répondre aux besoins de nos collectivités. À titre d’exemple, le Québec a près de 30 ans d’expérience avec son programme.
En outre, la plupart des Canadiens sont déjà couverts par une assurance-médicaments, mais les statistiques varient selon les sources consultées. Comme le Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments le souligne dans le rapport Hoskins :
Nos recherches ont révélé des estimations différentes du nombre de Canadiens qui ne sont pas assurés ou qui sont sous‑assurés : selon certaines études, ce chiffre serait de 5 % de Canadiens, [...] D’autres sondages nous indiquent que près de 20 % des Canadiens [...] ne sont pas assurés ou sont sous‑assurés [...]
Ceux qui ne sont pas couverts par une assurance-médicaments pourraient être admissibles à un programme auquel ils ne sont pas inscrits. Dans une analyse pancanadienne réalisée en 2022 au sujet de la couverture des médicaments sur ordonnance, le Conference Board du Canada estime que plus de 97 % des Canadiens sont admissibles à une forme quelconque de couverture des médicaments sur ordonnance. Cela signifie qu’il reste 2,8 % de Canadiens non admissibles à une couverture. En outre, le Conference Board du Canada signale qu’environ 10 % des Canadiens ne sont pas inscrits à un régime public ou privé d’assurance-médicaments auquel ils sont admissibles.
Deuxièmement, la politique nationale d’assurance-médicaments universelle envisagée dans le projet de loi C-64 pourrait avoir une incidence négative sur la pratique des pharmaciens. Lorsqu’ils ont témoigné devant le Comité permanent de la santé de l’autre endroit, des pharmaciens ont exprimé leurs inquiétudes quant à un régime national d’assurance-médicaments universelle. Joelle Walker, de l’Association des pharmaciens du Canada, a mis en lumière le fardeau administratif que représente le passage des patients d’un régime à un autre :
[...] on ne saurait trop insister sur le risque que cela entraîne de graves perturbations. [...] les modifications apportées à un régime d’assurance médicaments peuvent créer beaucoup de perturbations pour les gens assurés comme pour les pharmaciens.
La réalité est que les régimes d’assurance médicaments publics au Canada sont beaucoup moins complets que les régimes d’assurance-médicaments privés, ce qui veut dire que si, en conséquence du projet de loi, les patients sont transférés de leur régime privé à un régime public, les pharmaciens et les médecins vont probablement devoir passer beaucoup de temps à prescrire de nouveaux traitements à leurs patients, surtout si leurs médicaments ne sont plus couverts par le régime public; ils vont devoir remplir des formulaires pour obtenir des exemptions spéciales, puis vont devoir communiquer ces changements à leurs patients.
Benoit Morin, président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires, a signalé au Comité permanent de la santé que, selon le principe proposé du payeur public unique, les honoraires des pharmaciens seraient un montant unique négocié pour les médicaments couverts. Il a expliqué que cela aurait une incidence considérable sur les pharmaciens propriétaires québécois, puisque les honoraires des pharmaciens sont plus élevés pour les médicaments couverts par les régimes privés, y compris par le volet privé du régime public d’assurance-médicaments du Québec.
Il a expliqué l’ampleur de cet enjeu comme suit :
Actuellement, le financement des pharmacies québécoises repose principalement sur les honoraires professionnels liés à la distribution des médicaments et à leur surveillance. La variation de ces honoraires peut influencer la capacité des pharmacies à fournir des services aux patients.
C’est précisément la flexibilité du modèle mixte public-privé actuel qui permet aux pharmacies québécoises de se développer, d’être présentes dans toutes les régions et d’offrir une multitude de services aux patients [...] Sans cette souplesse, la santé financière du réseau des pharmacies serait mise à mal, et les répercussions seraient encore plus importantes en région éloignée.
M. Morin souligne également :
Lorsqu’un régime universel a été mis en place en Nouvelle-Zélande, on a vu fermer environ 371 pharmacies.
Effectivement, au Québec, s’il n’y a pas de régime mixte, on craint que cela touche les pharmacies assez durement pour les empêcher d’être rentables, ce qui entraînera des fermetures et les contraindra à s’installer dans les grands centres plutôt que dans les zones rurales.
Le gouvernement fédéral a pris l’habitude de ne pas consulter les pharmaciens au sujet des politiques qui les touchent directement et qui touchent aussi les Canadiens qui ont recours à leurs services. Dans un communiqué publié après le dépôt du projet de loi C-64 à l’autre endroit, l’association s’est plainte qu’aucun pharmacien n’ait été membre du Conseil consultatif Hoskins sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments en 2018.
Les soins que les Canadiens reçoivent dans les pharmacies sont irremplaçables. Selon une étude menée pour le compte de l’Association des pharmaciens du Canada par Abacus Data en septembre 2023, 37 % des Canadiens se rendent dans une pharmacie au moins une fois par mois et 23 % discutent avec un pharmacien au moins une fois par mois.
Le champ d’activité des pharmaciens varie d’une région à l’autre du pays, mais il peut comprendre la prescription de médicaments, la substitution thérapeutique et la modification de la posologie, la formulation de médicaments, le régime posologique, etc. Dans toutes les provinces et au Yukon, les pharmaciens peuvent injecter des médicaments et des vaccins. En Alberta et au Québec, ils peuvent même demander et interpréter des tests de laboratoire.
Le champ d’action des pharmaciens continue de prendre de l’ampleur. Tandis que de plus en plus de Canadiens déclarent ne pas avoir de médecin de famille, la majorité des personnes interrogées par Abacus s’entendent pour dire que la diversification de la gamme des services offerts dans les pharmacies, y compris les cliniques sans rendez-vous pour les affections courantes, la vaccination, les tests et les services de laboratoire, la gestion des maladies chroniques et la prescription de contraceptifs, améliorerait l’accès aux soins de santé et la qualité de ces derniers.
De telles ambitions pourraient devenir réalité dans un contexte où les pharmacies locales peuvent prospérer. Dans une lettre ouverte publiée dans le Hill Times, Sandra Hanna, une pharmacienne communautaire propriétaire d’une pharmacie à Guelph, et directrice générale de l’Association canadienne des pharmacies de quartier, fait remarquer ce qui suit :
Au cours des dernières années, les pharmacies et leurs équipes ont joué un rôle de plus en plus important en tant que prestataires de soins de santé primaires, en particulier dans les régions rurales et éloignées…
Par contre, elle met en garde qu’un régime d’assurance-médicaments à payeur unique coûterait un milliard de dollars par an au secteur de la pharmacie, ce qui équivaut à la suppression d’environ 20 millions d’heures de travail des pharmaciens.
En ce moment, les Canadiens bénéficient d’un excellent accès aux pharmacies. Selon les données de l’OCDE, en 2021, le Canada comptait 30 pharmacies pour 100 000 habitants, soit plus de pharmacies que la moyenne de l’OCDE. Dans l’écosystème de santé actuel, pouvons-nous nous permettre de mettre en péril le succès des pharmacies et des pharmaciens? Il s’agit là d’une conséquence involontaire potentielle que nous devrions étudier en comité.
Troisièmement, le régime national universel d’assurance-médicaments envisagé dans le projet de loi C-64 pourrait éroder l’accès aux médicaments et exacerber les pénuries de médicaments. Le Comité permanent de la santé, a entendu plusieurs intervenants qui craignent que, selon le contenu final de la liste nationale des médicaments assurés, le régime national universel d’assurance‑médicaments proposé dans le projet de loi C-64 ait un effet délétère sur la disponibilité des médicaments.
Angelique Berg, présidente et cheffe de la direction de l’Association canadienne de la gestion de l’approvisionnement pharmaceutique, a dit au comité :
[...] Parce qu’ils sont très efficaces, les distributeurs n’auront guère le choix que de réduire les services si le financement est réduit. Ils pourraient, par exemple, cesser de transporter des produits non rentables [...] réduire le stock de sécurité [...] ou encore réduire la fréquence des livraisons dans les régions où les coûts sont élevés [...]
[...] Quand le gouvernement attribue un contrat à un seul fabricant, cette entreprise devient en fait un monopole, de sorte que les concurrents sont peu incités à rester sur le marché. La concentration du pouvoir augmente le risque d’approvisionnement limité, d’où notre inquiétude.
L’Association des pharmaciens du Canada partage la préoccupation de Mme Berg à propos des pénuries de médicaments. Mme Walker a dit ceci :
Une chose que nous avons remarquée, c’est que le nombre de médicaments disponibles pour chaque catégorie peut diminuer considérablement, selon le nombre d’entreprises dans le marché, et nous sommes très susceptibles de connaître une pénurie de médicaments s’il y a seulement un ou deux fabricants qui produisent un médicament donné.
Disons qu’il y a une catastrophe d’ampleur nationale dans un pays où sont produits certains des ingrédients pharmaceutiques actifs et que l’entreprise là-bas ne peut plus produire son médicament, et que les autres entreprises ne sont pas préparées à accroître leur production [...] [L]’écosystème est très complexe et [...] il faut en tenir compte dans cette approche pour l’assurance-médicaments.
L’Institut économique de Montréal a également exprimé ses inquiétudes quant à la possibilité d’une perturbation de la distribution des médicaments en cas de mise en place d’un régime national universel d’assurance-médicaments au Canada. Selon l’institut :
[...] si certains médicaments ne sont plus couverts par un régime d’assurance, il est fort probable que les compagnies pharmaceutiques cessent leur distribution sur le territoire canadien. La variété de médicaments en circulation au Canada risque donc de diminuer, empêchant les patients précédemment couverts d’avoir accès à ces médicaments, même s’ils étaient disposés à payer de leur poche.
Les pénuries de médicaments ne sont pas rares au Canada. En décembre 2018, j’ai interrogé le leader du gouvernement au Sénat sur une pénurie pancanadienne de l’antidépresseur Wellbutrin. En février 2020, j’ai posé une question sur une pénurie de tamoxifène, un médicament utilisé dans le cadre d’une hormonothérapie pour traiter le cancer du sein. En juin 2020, j’ai posé des questions sur les pénuries de médicaments pour la thyroïde, d’inhalateurs, de médicaments contre l’hypertension et de gouttes pour les yeux en cas de glaucome. En novembre 2022, j’ai posé une question sur une pénurie d’amoxicilline pédiatrique.
Les pharmaciens gèrent déjà des pénuries de médicaments au Canada. Les audiences du comité devraient examiner attentivement les conséquences imprévues d’une diminution du nombre de médicaments disponibles au Canada.