La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre
Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Motion d'amendement--Débat
21 novembre 2023
Honorables sénateurs, les réunions des leaders se déroulent en présence de membres du personnel. Elles ne sont pas confidentielles et je ne me gênerai pas pour parler ici de ce qui y est dit, et si cela n’est pas acceptable, je suis convaincu qu’on ne m’invitera pas à la prochaine. Celle d’aujourd’hui a été annulée et j’ignore pourquoi, alors c’est peut-être la raison.
Quoi qu’il en soit, nous avions une entente, et la sénatrice Cordy devait d’abord vérifier si le sénateur Dalphond y consentait avant de donner son aval, et a dit qu’elle nous reviendrait avec sa réponse. En fait, elle m’a répété jeudi qu’elle nous rendrait une réponse et qu’elle n’avait toujours pas refusé l’entente.
Cela dit, les différents leaders nous ont également dit maintes fois qu’ils ne dictent pas le vote de leurs membres et ne peuvent donc rien garantir. Ils peuvent simplement espérer. Nous concluons une entente et ils ont de l’espoir, mais ils ne peuvent rien garantir. Toutefois, jeudi soir, trois des cinq leaders, même s’ils ne soumettent pas leur caucus à la discipline de groupe et ne dictent pas le vote de leurs membres — ils dialoguent avec eux, tout simplement. Quelque chose m’échappe dans la terminologie relative à la discipline de parti, car apparemment, je l’exerce, mais pas eux. Quoiqu’il en soit, trois des cinq leaders ont appuyé la motion d’ajournement, ce qui nous a empêchés de faire progresser l’étude du projet de loi.
Sénatrice Moncion, je vais maintenant parler un bon bout de temps, et il se peut que je m’écarte encore quelque peu du sujet plus tard. Cela dit, je vais maintenant aborder précisément votre amendement. Soyez attentive.
La première chose que je veux souligner au sujet de cet amendement futile, c’est que l’amendement de la sénatrice Batters est similaire à celui qui a été présenté au comité. Je crois que c’était la question de la sénatrice Batters. Je tiens à souligner que cet amendement-ci n’est pas similaire à celui qui a été présenté au comité. Il n’est pas similaire, il est identique. C’est exactement le même amendement que le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts a étudié et rejeté.
Bien sûr, comme je l’ai dit plus tôt, le Règlement permet aux sénateurs, comme la sénatrice Moncion l’a fait, de proposer à l’étape de la troisième lecture des amendements qui ont déjà été rejetés en comité. Je trouve étrange que cet amendement ait été choisi, car il n’ajoute aucune valeur réelle. Contrairement à ce que le sénateur Gold nous disait, il n’a absolument aucune valeur réelle. L’amendement de la sénatrice Moncion vise à supprimer une partie du projet de loi qui permet au gouvernement de prolonger la disposition de caducité. Selon le libellé actuel du projet de loi, la disposition de caducité peut être prolongée au-delà de huit ans si l’on a recours au processus suivant.
D’abord, le gouvernement doit prendre l’initiative de la prolongation en rédigeant une résolution qui prévoit le report de l’exemption. La résolution doit préciser la durée de la prolongation. Ensuite, la résolution du gouvernement est débattue dans les deux Chambres du Parlement et est mise aux voix. Si elle est adoptée par les deux Chambres, la période d’exemption est prolongée, conformément aux critères prévus dans la résolution du gouvernement.
J’ai de la difficulté à comprendre pourquoi la sénatrice Moncion considère que cette approche place la barre très bas pour prolonger la période d’exemption. Pourtant, la prolongation ne peut être proposée que par le gouvernement au moyen d’un décret. Seul le gouvernement peut établir la durée de la prolongation. La prolongation doit être approuvée par la Chambre des communes et le Sénat. Honorables sénateurs, cette approche place plutôt la barre bien haut. Il ne s’agit pas d’un processus réglementaire obscur dont on entend parler qu’après sa publication dans la Gazette du Canada. C’est un processus public, démocratique et imputable qui peut échouer à tout moment s’il n’est pas soutenu par le gouvernement et les deux Chambres du Parlement.
De plus, chers collègues, cette façon de prolonger le délai prévu dans la disposition de caducité n’est pas unique à ce projet de loi. Elle a déjà été utilisée dans le projet de loi C-30, Loi sur le transport ferroviaire équitable pour les producteurs de grain, pour permettre au gouvernement de prolonger rapidement la disposition sur l’interconnexion ferroviaire. C’est d’ailleurs ce que le gouvernement a fait.
En avril 2016, le gouvernement libéral avait annoncé qu’il utiliserait ce mécanisme pour collaborer avec le Parlement pour repousser d’une année l’abrogation de certaines dispositions de la Loi sur les transports au Canada qui étaient entrées en vigueur en 2014 au moyen de la Loi sur le transport ferroviaire équitable pour les producteurs de grain. Le Cabinet avait rédigé la proposition correspondante, qui avait ensuite été examinée par les deux Chambres avant d’être adoptée à l’unanimité dans cette enceinte, le 8 juin 2016. Je ne sais pas si la sénatrice Moncion a fait ses devoirs pour apprendre tout cela. Elle n’était pas encore au Sénat à ce moment-là, car je pense qu’elle a été nommée au Sénat plus tard cette année-là.
Chers collègues, mon argument est très simple. La mesure contenue dans le projet de loi C-234 pour prolonger la disposition de caducité n’est ni unique ni controversée. Elle a déjà été intégrée dans un projet de loi précédent, et son utilité est attestée par le fait que le gouvernement actuel y a eu recours, avec le consentement du Parlement, pour prolonger une disposition de caducité. On a déjà démontré que cette mesure est légitime et efficace pour le Parlement dans le but de gérer les dispositions de caducité dans les meilleurs délais. Par conséquent, il n’y a aucune raison de la retirer du projet de loi C-234.
L’amendement de la sénatrice Moncion est non seulement injustifié, mais il n’a aucune valeur sur le plan pratique. Il ne changera pas la portée de l’exemption ni la limite de son application. Du point de vue de la politique, cela n’aura aucune répercussion pendant huit ans. Ensuite, il pourrait même être supplanté par un nouvel amendement inséré dans un projet de loi d’exécution du budget.
Si vous étiez opposé par principe à l’exemption prévue par le projet de loi, vous proposeriez un amendement visant à la réduire. Si vous étiez préoccupé par la portée de l’exemption, vous chercheriez à la limiter. Si vous étiez contre la clause de caducité, vous chercheriez à la raccourcir ou à l’éliminer, mais l’amendement ne fait rien de tout cela. Il ne propose pas de modifier ou de contester l’exemption. Il ne fait que supprimer la possibilité pour le gouvernement de prolonger la durée de l’exemption de manière accélérée.
Cependant, si l’amendement n’a aucune valeur sur le plan pratique, il a une valeur politique importante pour le gouvernement libéral, et ce, pour une raison très simple. Encore une fois, chers collègues, il va démolir le projet de loi. Vous avez vu le film Kill Bill. Cela a été discuté longuement à l’étape du rapport. Pour reprendre les paroles du sénateur Cotter au sein du comité :
[...] chaque amendement que nous apportons au projet de loi compromet la probabilité qu’une exemption, de quelque forme que ce soit, entre un jour en vigueur. Cela me semble triste et paradoxal étant donné que [...] nous avons exprimé notre appui envers un aspect de l’exemption au comité, particulièrement en ce qui concerne le séchage du grain.
Le sénateur Cotter a raison. Dans ce contexte, c’est tout ou rien. Amender ce projet de loi aura le même effet que de le rejeter. Chers collègues, c’est l’objectif non déguisé de cet amendement, à mon avis. Il n’est d’aucune autre utilité. Il a déjà été étudié au sein du comité et rejeté. Il ne changerait pas substantiellement les répercussions ni la mise en œuvre du projet de loi, et il pourrait facilement être réécrit par un futur gouvernement.
En fait, d’un point de vue pratique, cet amendement est tellement anodin qu’on pourrait le considérer comme un compromis acceptable afin de faire avancer le projet de loi — s’il le faisait effectivement avancer — si ce n’était d’un petit problème : il garantit que ce projet de loi ne deviendra jamais une loi. Le sénateur Gold a souligné clairement que le gouvernement s’y oppose malgré l’appui de la majorité de la Chambre, c’est-à-dire l’appui unanime des députés de quatre partis et celui d’une poignée de libéraux. Chers collègues, cet amendement a pour seul but d’aider le gouvernement et de faire rejeter le projet de loi, bien que celui-ci ait été adopté à l’autre endroit, comme je l’ai dit, avec l’appui unanime du Bloc, des conservateurs, du NPD et du Parti vert, ainsi que l’appui d’une poignée de libéraux.
Chers collègues, ce projet de loi est totalement non partisan. Il est le fruit d’un effort multilatéral visant à protéger notre industrie agricole. Il jouit d’un vaste appui au sein du secteur agricole et vise à ce que les exemptions actuelles accordées à l’industrie agricole soient appliquées uniformément. Pourtant, à la dernière minute, le gouvernement a décidé de faire de ce projet de loi une affaire politique à cause d’une erreur tactique qu’il a faite en accordant une exemption de la taxe sur le carbone à une région du pays au détriment des autres. Il a donc décidé de faire du projet de loi C-234 un référendum sur la taxe sur le carbone et, plus généralement, sur l’avenir du ministre Guilbeault en tant que ministre de l’Environnement et du Changement climatique.
C’est regrettable, chers collègues, car maintenant, au lieu de lutter pour les agriculteurs, le ministre Guilbeault lutte pour conserver son poste. Au lieu de tenter de maintenir le prix des aliments le plus bas possible, il tente d’inciter les sénateurs à rejeter ce projet de loi. Il l’a admis, chers collègues. Il a dit : « Non, nous ne forçons pas la main aux sénateurs, mais oui, je les ai appelés et je leur ai parlé. » C’est le ministre Wilkinson qui a fait les appels.
Vous savez s’il vous a téléphoné ou non — je n’en sais rien —, mais il a admis avoir téléphoné à des sénateurs pour leur parler. Il ne l’a pas fait pour prendre de leurs nouvelles. Je crois que nous en convenons tous.
La question est maintenant de savoir si ses efforts porteront leurs fruits. Après avoir sauvé le projet de loi en rejetant le rapport du comité, les sénateurs nommés par les libéraux vont-ils maintenant céder et obéir aux ordres du ministre? Je ne connais pas la réponse à cette question, mais j’espère — pour le bien des agriculteurs — que la réponse est non.
Il est évident que, pour certains sénateurs, la réponse est oui. La sénatrice Moncion a présenté cet amendement futile et, immédiatement après, comme je l’ai dit, le débat a été ajourné. Je ne sais toujours pas pourquoi, mais nous voilà en train d’en débattre, sauf qu’une semaine s’est écoulée depuis.
Encore une fois, chers collègues, les agriculteurs savent ce qui leur convient le mieux. On s’attend à ce que nos agriculteurs nourrissent près de 10 milliards de personnes d’ici 2050, mais nous leur enlevons tous les outils dont ils ont besoin pour y arriver. Je ne sais pas si le sénateur Dalphond croit que les œufs proviennent de Safeway ou de la ferme, mais dans ma province, ils proviennent de la ferme. Vous pouvez avoir des œufs chez Safeway ou Sobeys dans un réfrigérateur, et il importe peu que la température fluctue légèrement à la hausse ou à la baisse, mais vous ne pouvez pas modifier la température dans une grange remplie de 10 000 petits poussins.
Le sénateur Deacon a posé une question au sujet des émissions exemptées, et 97 % des émissions d’origine agricole sont exemptées, selon le ministre Guilbeault. J’ai ici un document de l’Agriculture Carbon Alliance. Voici ce qu’on y dit au sujet des plus récentes préoccupations du ministre Guilbeault au sujet du projet de loi C-234 :
Nous n’avons pas été en mesure d’étayer l’affirmation du ministre selon laquelle 97 % des émissions sont exemptées. Ce que nous savons, c’est qu’en dépit des exemptions existantes pour l’utilisation de carburant à la ferme, les agriculteurs doivent encore payer chaque année des factures de tarification du carbone allant de plusieurs milliers à plusieurs centaines de milliers de dollars. Si ces taxes sur le carbone représentent seulement 3 % des émissions de l’exploitation, le coût pour les agriculteurs dépasse largement tout potentiel de réduction des émissions, sans aucune alternative viable. En ce qui concerne les pratiques agricoles essentielles, il est encore plus évident qu’il est nécessaire d’offrir aux agriculteurs une aide financière et de leur permettre de disposer d’un fonds de roulement plus important pour investir dans des gains d’efficience.
Voici ce qui dit l’Agriculture Carbon Alliance au sujet des 500 millions de dollars pour le séchage du grain :
Le ministre se trompe en affirmant que le gouvernement fédéral a affecté 500 millions de dollars pour des séchoirs à grains plus écoénergétiques.
Le 16 juin 2021, la ministre Bibeau, en sa qualité de ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, a annoncé l’octroi de 167 millions de dollars au titre du Programme des technologies propres en agriculture.
Dans le cadre de ce programme, 50 millions de dollars sont affectés pour des séchoirs à grains plus écoénergétiques. Cette annonce a été bien accueillie. Cependant, les intervenants du secteur agricole ont rapidement souligné que si 50 millions de dollars semblent une allocation substantielle, en réalité, chers collègues, cette somme permettrait d’acheter moins de 500 nouveaux séchoirs à grain alors que le Canada compte plus de 65 000 producteurs de céréales. Par conséquent avec une allocation de 50 millions de dollars, même en situation de pleine participation, approximativement 64 500 producteurs de céréales ne pourraient pas obtenir de financement pour des séchoirs à grains plus écoénergétiques.
Chers collègues, ce n’est pas très grave pour le gouvernement, sauf qu’il s’agit de son plan phare. Par surcroît, le ministre Guilbeault a déclaré qu’il démissionnerait si le gouvernement accordait une autre exemption. Je vais lui demander demain s’il entend tenir sa promesse. J’espère qu’il le fera si nous adoptons cette mesure législative. Je prône l’adoption de cette mesure et j’espère que vous ferez tous comme moi.
Chers collègues, ne vous cachez pas derrière un amendement. Si vous souhaitez torpiller ce projet de loi, prenez la parole chaque fois que nous en débattons. Rejetons cet amendement ainsi que tous les autres. Si vous souhaitez vraiment torpiller ce projet de loi, faites-vous entendre au moment du vote et votez contre. Ne vous cachez pas derrière un amendement en disant que vous tentez d’améliorer le projet de loi, car ce n’est pas le cas. Nous le savons tous, et les agriculteurs le savent. Chers collègues, il est inutile de tenter de jeter de la poudre aux yeux des agriculteurs en prétendant vouloir leur venir en aide, car ils ne sont pas stupides. Ils sont conscients des conséquences de cette mesure législative. Par conséquent, vous devez voter contre.
Chers collègues, nous avons déjà débattu de cette question. Ici comme ailleurs, j’accuse trop souvent les sénateurs qui se disent indépendants d’être en fait des sénateurs ministériels. Vous n’êtes pas des sénateurs ministériels, et ce, bien que vous ayez été nommés par le premier ministre. Comme un grand nombre d’entre vous — la plupart, en fait — l’ont déclaré ici, deux choix s’imposent à nous lorsque la Chambre nous renvoie un projet de loi qu’elle a adopté : nous devons soit l’améliorer avant de le renvoyer à la Chambre, soit l’adopter. Il n’est pas question de le rejeter. Étant donné que cet amendement ne permet pas d’améliorer le projet de loi, il revient à voter contre. Ce n’est pas notre rôle.
Le sénateur Gold a raison lorsqu’il dit que le gouvernement est en situation minoritaire, mais c’est le résultat des élections. Les Canadiens ne voulaient pas lui accorder un mandat majoritaire, car ils ne voulaient pas lui confier entièrement les rênes. Ainsi, maintenant que nous avons enfin la chance de montrer au monde — et aux Canadiens — que nous allons défendre leurs intérêts, que nous allons lutter contre cette tyrannie, saisissons l’occasion qui se présente à nous. Vous ne votez pas contre celui qui vous a nommé au Sénat, puisqu’il vous a demandé d’être indépendants. Vous nous avez tous fait valoir votre indépendance. Il vous a probablement également dit de ne pas vous joindre au caucus conservateur, ou du moins il l’a certainement exprimé implicitement, alors vous ne l’avez pas fait. Alors, montrez votre indépendance.
Chers collègues, lorsque cet amendement et tout autre amendement futile seront mis aux voix, votez à tout le moins contre eux. Alors, le projet de loi pourra faire l’objet d’un vote final, et si vous croyez sincèrement qu’il n’est pas judicieux pour le pays, si vous souhaitez réellement payer le double ou le triple du prix actuel pour les œufs que vous achetez, si vous souhaitez réellement mener les agriculteurs à la faillite, alors opposez-vous au projet de loi lors de sa mise aux voix, mais votez contre sans tenter d’adoucir le coup.
Chers collègues, je vais faire de mon mieux pour défendre l’intérêt des agriculteurs et je continuerai de le faire avec ardeur.
Pour conclure, il y a quelques semaines, chers collègues, nous avons accueilli un groupe de jeunes femmes. Nous les avons saluées à l’unanimité, parce que c’était quelque chose que nous pouvions tous soutenir. Si quelqu’un ne peut pas soutenir une mesure, nous pouvons toujours être amis et travailler ensemble. Nous n’avons pas besoin d’essayer de mettre les autres sénateurs dans l’embarras. Nous n’avons pas besoin de présenter différentes questions de privilège et différents rappels au Règlement. Prenons l’opinion de chacun au sérieux.
Après ce discours, je ne vais pas commencer soudainement à ménager le sénateur Gold pendant la période des questions. Je peux vous l’assurer, mais j’essaierai d’être juste, et j’essaierai d’être juste dans le cas présent, mais je serai ardent. Si ce qui s’est produit le jeudi avant la semaine de pause se reproduit, je réagirai probablement de la même manière. Je n’en suis pas sûr. Chers collègues, je vous demande de voter contre cet amendement à la première occasion qui se présentera. Votez pour les agriculteurs. Votez pour le projet de loi C-234. Merci, chers collègues.
Sénateur Gold, souhaitiez-vous poser une question?
Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Non, parce que, lorsqu’on me pose une question, j’aime donner une réponse honnête, contrairement à ce qui se passe à la période des questions. Désolé, je ne le ferai pas.
Sénatrice Simons, avez-vous une question?
Oui, si le sénateur Plett accepte d’y répondre.
Sénatrice Simons, comme je l’ai dit au sénateur Gold, avec tout le respect que je vous dois, je ne répondrai à aucune question.
Je tiens d’abord à remercier la sénatrice Clement d’avoir proposé l’ajournement le dernier jeudi où nous avons siégé afin de permettre aux sénateurs de préparer leurs discours et de participer au débat sur l’amendement de la sénatrice Moncion. Les sénateurs qui voulaient prendre la parole ce soir-là peuvent intervenir aujourd’hui, et certains d’entre eux le font. J’ai hâte d’entendre toutes vos interventions sur cet amendement. Je n’étais pas au Sénat ce jeudi-là et je regardais la diffusion Web du débat. Dès que j’ai vu que la sénatrice Moncion avait proposé son amendement, j’ai envoyé un texto à tous mes collègues du Groupe des sénateurs indépendants pour leur demander d’essayer de suspendre le débat afin que je puisse revenir et participer au débat en personne.
Oui, « ah, ah! », en effet. J’assume une part de responsabilité et je suis très fier de ma collègue, la sénatrice Clement, qui a fait son travail en tant qu’agente de liaison du Groupe des sénateurs indépendants. Je tiens à remercier tous les sénateurs qui ont voté en faveur de l’ajournement et qui m’ont ainsi permis de participer au débat sans priver de leurs droits les autres sénateurs qui souhaitaient également débattre.
Je tiens à remercier tout particulièrement la sénatrice Moncion d’avoir proposé cet amendement, car il est identique à celui que j’ai proposé au comité de l’agriculture lors de l’étude article par article. Certains d’entre vous se demanderont pourquoi nous examinons à l’étape de la troisième lecture un amendement qui a déjà été rejeté par le comité. En effet, le sénateur Plett vient d’en faire tout un plat, mais c’est le même sénateur Plett qui a fait tout un plat de la nécessité de réviser un amendement adopté par le comité concernant, vous vous en souviendrez, l’exonération des granges de la redevance sur les combustibles. Si l’on peut rejeter un amendement qui a été adopté au sein du comité, pourquoi ne peut‑on pas reconsidérer un amendement qui ne l’a pas été? Le sénateur Plett ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre.
Chers collègues, il faut aussi tenir compte du fait que l’amendement proposé par la sénatrice Moncion a été défait au sein du comité par un vote à égalité de sept voix contre sept, ce qui est loin d’être un résultat décisif. C’est précisément ce genre de situation qui se prête à un nouvel examen par l’ensemble du Sénat. Il y a toutefois une raison encore plus importante de reconsidérer l’amendement. En effet, la disposition en question n’a rien à voir avec les granges, les séchoirs à grains ou même la tarification du carbone, qui sont des questions techniques qu’il vaut mieux laisser aux sénateurs du comité, qui ont pris le temps d’entendre des témoignages d’experts, comme je l’ai fait. Sur ces questions, on pourrait dire que les sénateurs qui n’ont pas participé aux audiences du comité sont désavantagés parce qu’ils ne sont peut-être pas pleinement informés sur le sujet. Par contre, cet amendement ne concerne pas l’agriculture. Il concerne les devoirs et les responsabilités des législateurs, le rôle des parlementaires et du Sénat en tant qu’institution.
Honorables sénateurs, cet amendement nous concerne. Il n’est pas nécessaire d’avoir passé une seule minute au comité pour avoir un avis sur la question. C’est pourquoi la sénatrice Moncion a raison de nous poser la question lors du débat à l’étape de la troisième lecture. C’est une question qui concerne non seulement les membres du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, mais aussi tous les sénateurs.
Voici la question : sommes-nous prêts à abandonner notre responsabilité de législateurs en autorisant une voie rapide pour le renouvellement de ce projet de loi lorsque la période de caducité de huit ans sera terminée? Parce que c’est ce que permet le projet de loi dans sa forme actuelle. Il suffira d’un décret du gouverneur en conseil, accompagné de motions de l’autre endroit et du Sénat, pour que les exemptions soient à nouveau prolongées. Il n’y aura pas de débat aux étapes de la première, de la deuxième et de la troisième lecture à la Chambre des communes ni aux étapes de la première, de la deuxième et de la troisième lecture au Sénat. Il n’y aura pas d’audiences du comité ni ici ni à l’autre endroit ni témoins ni possibilité de présenter des amendements. Il suffira de voter oui ou non sur une motion sans avoir entendu de témoignages ni mené de consultations. Ce mépris de la procédure législative normale est encore plus flagrant si l’on tient compte des arguments actuels en faveur du projet de loi.
Les défenseurs de ce projet de loi ont toujours soutenu qu’une période de transition de huit ans était convenable parce que des technologies énergétiques de remplacement pour le séchage du grain et le chauffage des granges verront le jour pendant ce temps. À première vue, ils n’ont pas remis en question le principe d’une redevance sur les combustibles dans le but d’encourager le changement. Ils ont plutôt mis l’accent sur l’absence de solutions de rechange à l’heure actuelle. Voici ce qu’a déclaré le directeur général des Producteurs de grains du Canada :
[…] huit ans est probablement le chiffre magique pour ce qui est de la recherche et du développement nécessaires pour que les entreprises puissent créer des solutions de rechange viables.
Compte tenu de l’optimisme envers la disponibilité d’options énergétiques à faibles émissions d’ici 2031, pourquoi donc ouvrons-nous la voie à l’adoption d’exemptions par le Parlement avec un clin d’œil et un hochement de tête au lieu de suivre notre processus législatif normal? C’est parce que les partisans du projet de loi veulent faciliter la prolongation des exemptions en 2031 même advenant qu’il existe de nombreuses autres solutions pour économiser l’énergie et réduire les émissions à ce moment-là. Le projet de loi est conçu de façon à favoriser une prolongation des exemptions. Comme l’a dit — avec raison — le sénateur Wells, « les dés sont pipés ».
Soyons très clairs : le mécanisme de prolongation proposé dans ce projet de loi est pour le moins singulier. Le sénateur Plett a raison de mentionner le projet de loi de 2014 concernant le transport ferroviaire des grains, qui contenait une disposition semblable, mais il s’agit d’un projet de loi parmi les seize projets de loi qui parlent de report à l’aide de ce mécanisme — un cas sur seize.
Depuis 2015, lorsqu’il y a eu un report de l’entrée en vigueur des projets de loi adoptés par le Parlement, aucun n’a utilisé le mécanisme de voie express proposé dans le projet de loi C-234.
Certains d’entre vous se diront que les agriculteurs voudront adopter les options disponibles dans huit ans et qu’il n’est donc pas nécessaire de prolonger les exemptions. Cependant, la réalité, c’est qu’en protégeant les agriculteurs des augmentations progressives de la redevance sur les combustibles d’ici 2031, le choc de l’ajustement au bout de huit ans sera si important qu’ils feront inévitablement pression pour obtenir de nouvelles exemptions, même s’il existe d’autres options énergétiques. Or, la voie express pour une prolongation qui a été mise en place dans le cadre de ce projet de loi permettrait aux politiciens d’accéder facilement à ces demandes.
On peut voir comment le projet de loi C-234 non seulement sape la logique de la tarification de la pollution et intensifie la pression politique en faveur de l’abandon du régime, mais crée également la voie législative pour une prolongation relativement facile.
Soyons clairs. L’amendement de la sénatrice Moncion n’empêche pas une prolongation. Il prévoit simplement qu’on fasse les choses comme il faut. S’il y a lieu d’accorder une prolongation dans huit ans, nous devrions faire ce que nous avons fait à l’égard du projet de loi C-234, c’est-à-dire soumettre cela au processus parlementaire habituelle. C’est particulièrement vrai pour un Sénat plus indépendant qui devrait étudier les projets de loi de façon non partisane.
Je suis conscient des pressions politiques immenses qui sont exercées sur les parlementaires par des lobbyistes puissants comme les agriculteurs, mais c’est le problème des députés et non des sénateurs, en particulier les sénateurs indépendants. Quelles que soient vos opinions sur la teneur de ce projet de loi, ce n’est pas un vote sur les agriculteurs. C’est un vote sur la protection de l’intégrité du processus législatif et sur la crédibilité d’une Chambre haute plus indépendante et moins partisane.
Chers collègues, j’ai parlé de l’amendement, mais je tiens à vous faire savoir que j’ai également l’intention de parler de la motion principale. Toutefois, je ne m’écarterai pas du sujet pour l’instant. J’espère que vous me donnerez cette possibilité. Je vous avoue que ma présence au Sénat est quelque peu incertaine au cours des prochains jours, mais j’aimerais beaucoup reprendre le débat, car il y a encore beaucoup à dire sur les lacunes du projet de loi C-234 et les difficultés qui y sont liées.
Pour l’instant, cependant, nous examinons un amendement qui est important pour protéger l’intégrité de notre institution et le processus législatif. J’appuie l’amendement, je voterai pour lui et j’espère que vous ferez de même. Merci.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour participer au débat sur l’amendement de la sénatrice Moncion au projet de loi C-234, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre.
Chers collègues, je vis actuellement une grande incertitude en ce qui concerne ce projet de loi en général et cet amendement en particulier. Je tiens à remercier la sénatrice Moncion d’avoir présenté cet amendement, bien que je note, comme la sénatrice Batters l’a fait remarquer lors de la dernière séance et pour la troisième fois aujourd’hui, que cet amendement est, mot pour mot, un amendement qui a été présenté et rejeté lors de l’étude article par article du projet de loi au cours des délibérations du Comité de l’agriculture sur ce projet de loi. Cet amendement a été rejeté à la suite d’un vote à égalité : sept pour et sept contre.
Chers collègues, divers sénateurs m’ont dit à diverses reprises qu’un amendement tuerait le projet de loi, qu’un amendement ne tuerait pas le projet de loi, que la version modifiée proposée par cette motion est acceptable pour le gouvernement, et que le gouvernement ne veut pas du tout que le projet de loi soit adopté. À l’heure actuelle, j’ai plus de questions que je n’en avais auparavant.
En raison de cette incertitude, des questions fondamentales demeurent sans réponse et doivent être éclaircies avant que nous passions au vote sur l’amendement, et ensuite sur le projet de loi lui-même.
La première question porte sur la raison d’être de cet amendement. Nous sommes tous au courant du rapport du Comité de l’agriculture à ce sujet, qui comportait un amendement beaucoup plus étoffé quant à son incidence pratique sur les résultats du projet de loi. Cet amendement, qui a par la suite été rejeté à l’étape du rapport, aurait limité la portée du projet de loi aux appareils de séchage du grain, excluant par le fait même le chauffage et la climatisation des granges, des serres et d’autres structures. La nature de cet amendement a suscité une préoccupation plus généralisée concernant l’objectif fondamental du projet de loi et ce qu’il visait à accomplir. Cela n’est pas nécessairement surprenant, compte tenu des graves enjeux auxquels il s’attaque en opposant les émissions de gaz à effet de serre à l’allègement du fardeau financier des agriculteurs et l’effet d’entraînement que cela pourrait avoir sur la baisse du coût de la vie et du prix des aliments pour les Canadiens.
Cela dit, ce que je retiens initialement de ces discussions, c’est que le gouvernement est grandement préoccupé par la possibilité de créer une nouvelle exemption de la taxe sur le carbone. C’est devenu très clair lorsque le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, M. Guilbeault, a dit qu’il n’y aurait pas d’autres exemptions au mécanisme de tarification du carbone de ce gouvernement tant qu’il ferait partie du Cabinet. C’est un signal fort indiquant que le gouvernement est résolument contre le projet de loi.
Je suis perplexe parce qu’on m’a dit que le gouvernement appuierait le projet de loi si l’amendement dont nous sommes saisis était adopté. Comme nous le savons tous, cette motion préciserait que la période de caducité de huit ans demeure ferme et que toute prolongation potentielle devrait se faire au moyen d’un projet de loi, et non par un décret et des motions concomitantes dans les deux Chambres du Parlement. Pourquoi le gouvernement serait-il prêt à appuyer le projet de loi avec cet amendement si la question de l’exemption n’est pas réglée?
Une autre grande question se pose : pourquoi le gouvernement — qui a affirmé sans équivoque qu’il ne veut pas d’autres exemptions au mécanisme de tarification du carbone — ferait-il volte-face en appuyant le projet de loi alors que celui-ci prévoit la même exemption et qu’il a les mêmes répercussions, la seule différence étant les paramètres d’une prolongation qui aurait lieu dans presque 10 ans? Si tel est le cas, pourquoi ne pas nous abstenir d’amender le projet de loi et le renvoyer tel quel à la Chambre?
Honorables sénateurs, comme je l’ai mentionné, j’ai aussi reçu des renseignements contradictoires sur le risque qu’un tel amendement torpille le projet de loi. À première vue, l’amendement en soi ne coulerait pas le projet de loi, mais le processus y menant, lui, le ferait probablement.
Encore une fois, comme l’amendement est axé sur les dispositions de caducité, cela ne changerait pas les résultats attendus de ce projet de loi au cours de sa durée initiale. Cependant, est-ce que le fait de modifier un projet de loi d’initiative parlementaire et de le renvoyer à l’autre endroit aura pour effet de torpiller le projet de loi? Vu que les séances de l’autre endroit se déroulent selon un format très précis, très différent de notre pratique ici, au Sénat, je ne saurais le dire avec certitude. Parallèlement, je ne saurais dire quand l’autre endroit examinerait les amendements proposés par le Sénat, en débattrait et voterait sur ceux-ci.
Cependant, comme nous le savons tous, les échéanciers sont plus précaires et moins prévisibles dans un gouvernement minoritaire. Il convient de noter, chers collègues, que la version actuelle et non amendée de ce projet de loi a été adoptée avec un large soutien à l’autre endroit. Les conservateurs, le Bloc Québécois, le NPD et le Parti vert ont voté à l’unanimité en faveur du projet de loi, de même que quelques députés libéraux. Néanmoins, et compte tenu de la position du gouvernement sur le projet de loi, il reste beaucoup de renseignements contradictoires quant aux conséquences d’un amendement sur la possibilité pour ce projet de loi de faire l’objet d’un vote final. Il convient toutefois de préciser que je ne préconise en aucun cas de renoncer à des amendements à un projet de loi, pour autant qu’ils soient fondés.
Chers collègues, comme je ne suis pas membre du Comité de l’agriculture, j’ai trouvé utile d’examiner les travaux du comité sur le projet de loi C-234, en particulier l’étude article par article. Lorsque l’amendement dont nous sommes saisis a été présenté par le sénateur Woo au comité, le sénateur Plett a soulevé un point qui, à mon avis, mérite d’être répété. Bien que cet amendement amène des préoccupations quant à la logistique proposée pour prolonger cette loi au-delà de sa période initiale de huit ans, il existe des précédents de prolongation de dispositions de caducité par décret avec des motions simultanées dans les deux Chambres, notamment avec l’ancien projet de loi C-30, la Loi sur le transport ferroviaire équitable pour les producteurs de grains.
Comme le sénateur Plett l’a indiqué au comité, cette disposition de caducité a été adoptée par le gouvernement conservateur précédent, et le gouvernement libéral actuel a choisi de s’en prévaloir de sorte que les mesures prévues par le projet de loi C-30 continuent de s’appliquer après son arrivée au pouvoir. Ce n’est donc pas la première fois que des dispositions de caducité contenues dans des mesures législatives fédérales sont employées à cette fin.
Honorables sénateurs, outre les renseignements contradictoires qui m’ont été communiqués sur divers aspects de cet amendement et, plus généralement, du projet de loi C-234, j’ai d’autres incertitudes. L’une d’entre elles concerne le budget de 2021.
Le budget de 2021 prévoyait deux initiatives très pertinentes dans le cadre de la mesure législative et de l’amendement dont nous sommes saisis. Le budget de 2021 prévoyait un crédit d’impôt destiné à rembourser aux agriculteurs une partie des recettes provenant de la tarification de la pollution.
Il est estimé que les agriculteurs recevraient 100 millions de dollars la première année. Les remises des années ultérieures seront fondées sur les produits de la tarification de la pollution perçus au cours de l’exercice précédent. Ces paiements devraient augmenter à mesure que la tarification de la pollution augmente [...]
Fait tout aussi intéressant, le budget de 2021 indique également ce qui suit :
Le budget de 2021 propose de garantir que le Programme des technologies propres en agriculture de 165,5 millions de dollars, élargi récemment, versera en priorité une somme minimale de 50 millions [de dollars] aux agriculteurs de partout au Canada pour financer des séchoirs à grains à plus grande efficacité énergétique.
Honorables sénateurs, en combinant ces deux initiatives du budget de 2021, on voulait aider les agriculteurs à entamer la transition vers des modes d’exploitation agricole à plus faible émission de carbone. Encore une fois, cela soulève plus de questions que de réponses, car je ne sais pas où en est l’engagement d’acheter des séchoirs à grains plus efficaces, et j’attends également des renseignements de la Bibliothèque du Parlement sur le montant moyen du crédit d’impôt du budget de 2021 par ferme et par an.
Comme ces initiatives visent en théorie à traiter des enjeux examinés dans le projet de loi à l’étude, elles auront une incidence cruciale sur nos décisions. Il est donc légitime de se demander s’il ne serait pas préférable de recourir à la politique publique plutôt qu’au processus législatif pour traiter des enjeux envisagés dans les discussions relatives au projet de loi et à l’amendement.
Comme vous pouvez le constater, chers collègues, il est très difficile de séparer le bon grain de l’ivraie dans ce qui nous est présenté, à la fois dans l’amendement et dans le projet de loi lui‑même. Il n’est pas surprenant que les différentes parties aient des points de vue différents sur le « fond » de la question. Toutefois, cela complique grandement les choses, et j’ai personnellement l’intention de faire le tri parmi les affirmations contradictoires et les diverses réalités, afin de comprendre ce qu’il en est vraiment et prendre une décision éclairée dans l’intérêt de ceux que je sers.
Je vous remercie de votre écoute, et j’espère que la suite du débat fera la lumière sur certaines de ces incohérences.
Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet de l’amendement que la sénatrice Moncion propose d’apporter au projet de loi C-234.
Chers collègues, au Sénat comme à l’extérieur, ce projet de loi est chaudement débattu. L’expression convient particulièrement, je crois, étant donné la nature des commentaires et les préoccupations associées à la capacité de payer des agriculteurs quand il s’agit de chauffer et de climatiser les porcheries et les poulaillers et de sécher les grains.
Je crois qu’il faudrait tempérer notre débat, mais je crois aussi fermement qu’il faut intensifier les efforts plus généraux qui visent à lutter contre les changements climatiques. Je perçois un décalage fondamental entre notre débat actuel et quatre préoccupations qui sont interreliées : premièrement, il faut une solution équilibrée aux besoins des agriculteurs; deuxièmement, il faut assurer la sécurité alimentaire du Canada; troisièmement, la population générale doit avoir des connaissances sur les changements climatiques et les comprendre; et quatrièmement, il faut savoir, avec un certain degré de certitude, que les efforts déployés pour lutter contre les changements climatiques au moyen d’une tarification du carbone sont fondés sur un mécanisme équitable, transparent et indépendant du gouvernement.
Avant de parler plus en détail de ces questions, je tiens à indiquer que je vais voter pour le projet de loi C-234, mais pas pour l’amendement, et voici pourquoi.
L’été dernier, j’ai rencontré Ray Orb, président de l’association des municipalités rurales de la Saskatchewan, ainsi que le directeur général de cette association à quelques occasions. J’ai aussi assisté aux réunions que le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts a organisées en Saskatchewan dans le cadre de l’étude sur la santé des sols au Canada. J’ai parlé à des agriculteurs comme Ian Boxall, président de l’Association des producteurs agricoles de la Saskatchewan, à des universitaires comme Angela Bedard-Haughn, doyenne du collège d’agriculture et de ressources biologiques de l’Université de la Saskatchewan, et à des innovateurs comme Steven Siciliano, PDG d’Environmental Material Science, en Saskatchewan. J’ai été impressionné par la façon équilibrée et raisonnable dont ils abordent les questions qui touchent les municipalités rurales et dont ils travaillent avec le secteur agricole de la Saskatchewan. Je ferai mes observations à la lumière de ces discussions.
Ces leaders, experts, producteurs et scientifiques indiquent constamment que les agriculteurs sont bien au fait de la relation entre l’environnement, les pratiques exemplaires, la technologie et le coût des intrants.
Comme des collègues l’ont dit, on se sert du gaz naturel et du propane pour alimenter la machinerie et l’équipement nécessaires à diverses activités agricoles. En ce qui concerne le combustible utilisé pour la machinerie, les agriculteurs ont payé 75 % de plus pendant le deuxième trimestre de 2022, comparativement au même trimestre en 2021. Cette augmentation du prix du combustible a des effets considérables sur le coût de l’ensemble des intrants pour les agriculteurs.
Honorables sénateurs, le projet de loi C-234 tient compte des hausses considérables et des autres difficultés dans le domaine de la production alimentaire que les agriculteurs doivent surmonter, car il supprime la taxe fédérale sur le carbone pour le carburant, en grande partie, et pour des activités agricoles précises, y compris le chauffage et la climatisation des granges et le séchage du grain.
Les agriculteurs sont des innovateurs, ils s’appuient sur la science, la technologie, le commerce et des conseils d’experts pour réussir. Ils sont très conscients des effets des changements climatiques. Ils ne sont pas dans le déni. Ils agissent en conséquence parce qu’ils n’ont pas le choix. En effet, ils doivent gérer la menace des sécheresses, des inondations et des feux de forêt, simultanément. Les agriculteurs ont toujours été habiles à résoudre des problèmes et à trouver des idées créatives.
Honorables sénateurs, je vous pose la question suivante : connaissez-vous un groupe au Canada qui est plus sensible aux changements climatiques et aux conditions météorologiques que les producteurs agricoles des terres arides dans l’Ouest canadien? Pour ma part, je n’en connais pas.
Même avec la science, l’expertise et l’expérience, l’agriculture représente un énorme pari chaque année. Les agriculteurs investissent des millions de dollars en intrants sans aucune certitude quant à ce qu’ils récolteront en fin de compte. Ils doivent s’appuyer sur une bonne dose d’optimisme et d’espoir. L’espoir qui réside dans le cœur des agriculteurs est fondé sur la science, sur le commerce et, fondamentalement, sur leur courage.
La secrétaire au Trésor des États-Unis, Janet Yellen, a récemment déclaré ce qui suit : « [...] il faut accélérer les investissements, surtout de la part du secteur privé, dans les systèmes de production alimentaire et d’agriculture [...] » pour accroître la résilience contre l’insécurité alimentaire et les crises humanitaires. Je sais que, au Canada, le secteur privé et les agriculteurs font ces investissements.
La secrétaire Yellen a également affirmé que les gouvernements doivent mettre en place des environnements politiques favorables, prévisibles et transparents, qui encouragent les bons types d’investissement.
Des politiques prévisibles et transparentes sont nécessaires aujourd’hui parce que nous avons besoin d’innovation. Les agriculteurs ne peuvent pas modifier leurs activités agricoles en utilisant des innovations qui n’existent pas encore.
À l’instar de la majorité des Canadiens, les agriculteurs ne nient pas l’existence des changements climatiques. En effet, un sondage Léger de septembre dernier révèle que 72 % des Canadiens sont inquiets, voire très inquiets, à propos des changements climatiques.
À vrai dire, les changements climatiques coûtent très cher aux Canadiens. Ce coût englobe les pertes assurées des catastrophes météorologiques, qui se sont élevées à plus de 18 milliards de dollars entre 2010 et 2019.
Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat :
D’ici les années 2050, certaines régions du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Alberta, de la Colombie-Britannique, du Yukon, de l’Ontario et des Territoires du Nord-Ouest connaîtront une pénurie d’eau pendant la saison de croissance.
Investir dans la sensibilisation aux changements climatiques et dans les agriculteurs est aussi essentiel pour les consommateurs à long terme. Selon la Fédération canadienne de l’agriculture, les Canadiens ont consacré 11 % de leur revenu disponible à leur alimentation en 2022.
Le Rapport annuel sur les prix alimentaires 2023 prévoit que, au bas mot, une famille type de quatre personnes dépensera 16 222,80 $ cette année, ce qui représente une hausse de 1 065 $.
Il n’est pas surprenant qu’en raison de l’augmentation du coût des denrées alimentaires, les Canadiens aient modifié leurs habitudes d’achat pour acheter des aliments moins chers, qu’ils achètent moins de nourriture en général et qu’ils se tournent vers les banques alimentaires pour répondre à leurs besoins nutritionnels.
En mars 2023, soit cette année, il y a eu plus de 1,9 million de visites dans des banques alimentaires au Canada, ce qui est supérieur au record de l’année précédente.
Le taux de fréquentation de cette année représente une hausse de 32 % par rapport à 2022 et de 78,5 % par rapport à 2019.
Le tiers des clients des banques alimentaires sont des enfants.
L’insécurité alimentaire est en augmentation au Canada. Des données recueillies au Québec et en Colombie-Britannique tendent également à démontrer que les coûts plus élevés liés à la tarification du carbone pour les agriculteurs ne se traduisent pas nécessairement par une hausse des coûts pour les consommateurs. Les agriculteurs absorbent ces coûts pour l’instant, mais la situation devrait changer à mesure que la redevance sur le carbone, ou sur les combustibles, passera à 170 $ la tonne d’ici 2030.
Ce qui m’amène au dernier élément de décalage : le besoin d’éducation et de dialogue au sujet des changements climatiques.
Le directeur parlementaire du budget nous confirme qu’environ 80 % des ménages canadiens reçoivent un remboursement supérieur à ce qu’ils paient en taxe sur le carbone.
Selon un récent sondage de l’Institut Angus Reid, parmi les ménages qui reçoivent un remboursement supérieur ou à peu près équivalent à que ce qu’ils paient, près de 80 % appuient la taxe sur le carbone. Ce sont des gens qui comprennent la tarification du carbone parce qu’ils ont fait le calcul.
Toutefois, même si la plupart des Canadiens sortent gagnants du remboursement lié à la tarification du carbone, l’appui à l’égard de cette mesure est en baisse parmi la population. Cela n’a pas de sens. C’est illogique.
Je crois qu’il y a une explication à cela, et elle est en deux volets.
Premièrement, voici une observation faite par Mark Carney, envoyé spécial des Nations unies pour le financement de l’action climatique, lors d’une conférence qui se tenait récemment à Ottawa :
De nombreux Canadiens ont du mal à joindre les deux bouts, non pas en raison de la taxe sur le carbone, qu’ils se font rembourser, mais en raison des hausses généralisées du prix de l’énergie et des aliments, de l’incidence sur les salaires [...] et des effets résiduels de la pandémie de COVID-19 également.
Deuxièmement, un article du Canada’s National Observer disait la semaine dernière que le gouvernement du Canada « [...] ne réussit pas à communiquer les bienfaits du régime de tarification du carbone d’une manière que le public comprend. »
Chers collègues, si j’avais à vous suggérer un amendement à ce projet de loi — mais pour être clair, je n’en propose pas —, je ferais valoir l’importance d’instaurer un mécanisme de tarification du carbone plus clair, un mécanisme juste, équitable et déterminé de manière indépendante et objective — des politiques de tarification du carbone qui ne donnent pas l’impression d’accorder un traitement de faveur à certaines régions ou certains secteurs économiques du pays, des politiques que tous les Canadiens peuvent comprendre et appuyer.
Dans ma province, la Saskatchewan, on exprime très fréquemment le sentiment que le gouvernement fédéral a peu d’empathie pour les agriculteurs ou que leur sort le laisse indifférent. Que ce soit vrai ou pas, il n’en demeure pas moins que l’aliénation de l’Ouest et du Nord est bien réelle. Elle est exacerbée par la perception que les autres régions du Canada sont ambivalentes à l’égard des besoins des gens de l’Ouest et du Nord.
Ce dont nous avons besoin au Canada, c’est d’une vision nationale unifiée autour d’un objectif commun. Un régime de tarification du carbone devrait être le fondement de cet objectif commun.
Le Royaume-Uni, la Suède et la Nouvelle-Zélande, pour ne nommer que ces pays, ont mis sur pied un mécanisme de surveillance totalement ou largement indépendante de la tarification du carbone, tout en sensibilisant et en éduquant le public.
J’invite le gouvernement fédéral à envisager sérieusement de modifier la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre afin de créer un organisme indépendant de surveillance de la tarification du carbone au Canada — un organisme qui relève du Parlement, et non de l’exécutif, et qui a le mandat clair d’éduquer le public de façon impartiale.
La désinformation et les arguments trompeurs ont gagné du terrain au Canada. À mon avis, c’est en partie parce que la plupart des Canadiens ne connaissent pas suffisamment les enjeux pour prendre une décision éclairée sur la tarification du carbone. Comme je l’ai dit, 80 % de ceux qui possèdent suffisamment de connaissances et d’information sont favorables à une politique raisonnable de tarification du carbone.
Comme l’a déclaré la secrétaire Yellen, la taxe sur les émissions de dioxyde de carbone et le remboursement des recettes aux consommateurs sont « [...] la solution parfaite au problème des changements climatiques ». Les changements bénéfiques se font habituellement de manière progressive. Si un changement total de paradigme est nécessaire pour traiter…
Sénateur Arnot, je suis désolée de devoir vous interrompre. Vous avez encore 3 minutes et 25 secondes pour terminer votre discours, mais il est maintenant 18 heures.
Dommage, j’avais préparé la meilleure chute qu’on ait jamais entendue.
Honorables sénateurs, il est maintenant 18 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure.
Honorables sénateurs, le consentement n’a pas été accordé. Par conséquent, la séance est suspendue, et je vais quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures. Merci.