La Loi concernant le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat
30 novembre 2023
Honorables sénateurs, l’un des premiers souvenirs que je garde des mois qui ont suivi mon arrivée au Sénat, en 2018, est une séance d’information offerte par de hauts responsables de l’équipe diplomatique canadienne qui travaillait à la négociation de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique, connu de ce côté-ci de la frontière sous l’acronyme ACEUM. Cette séance d’information m’a fait comprendre combien il avait été extraordinairement difficile pour les négociateurs commerciaux du Canada d’obtenir un accord viable avec le gouvernement Trump, compte tenu de la nature imprévisible, obstructionniste et protectionniste du régime Trump.
L’ACEUM a été signé le 30 novembre 2018 — il y a cinq ans aujourd’hui —, et est entré en vigueur en 2020. L’accord doit être révisé tous les six ans, ce qui signifie que nos négociateurs seront bientôt plongés dans la tâche difficile d’essayer d’obtenir et de conserver le meilleur résultat possible pour les Canadiens, sans qu’il soit possible de prédire l’issue de l’élection présidentielle américaine controversée et fatidique de 2024.
Ce que nous pouvons dire, c’est ceci : ce serait une grave erreur tactique que d’envoyer les négociateurs commerciaux canadiens faire leur travail en ce moment historique avec les mains liées. Nos négociateurs auront besoin de tous les atouts et de tous les outils à leur disposition pour protéger les intérêts économiques et politiques du Canada.
Ce n’est qu’une des raisons pour lesquelles je prends la parole au Sénat aujourd’hui pour m’opposer au projet de loi C-282, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement concernant la gestion de l’offre. Ce projet de loi protectionniste désavantagerait nettement le Canada à la table des négociations en interdisant l’accès à trois secteurs de l’économie agricole canadienne et en privant le gouvernement de sa prérogative d’obtenir le meilleur accord possible en sacralisant les produits assujettis à la gestion de l’offre.
Le projet de loi C-282 interdirait à la ministre de la Promotion des exportations, du Commerce international et du Développement économique de prendre un engagement au nom du gouvernement du Canada, par un traité ou une entente en matière de commerce international, qui aurait pour effet soit d’augmenter le contingent tarifaire applicable aux produits laitiers, à la volaille ou aux œufs, soit de diminuer le tarif applicable à ces marchandises lorsqu’elles sont importées en sus du contingent tarifaire applicable. Cette mesure législative rendrait les secteurs des produits laitiers, de la volaille et des œufs intouchables, et la gestion de l’offre, inaliénable. En plus d’entraver la capacité des négociateurs à obtenir la meilleure entente possible pour les exportateurs et les importateurs canadiens dans le cadre de l’Accord Canada—États‑Unis—Mexique, elle minerait la position du Canada en tant que défenseur du libre-échange dans le monde et réduirait notre capacité à lutter contre les politiques protectionnistes qui nous désavantagent. Cette approche nous nuira non seulement dans les négociations avec les États-Unis et le Mexique, mais aussi dans toutes les futures négociations en vue d’éventuels accords de libre-échange avec l’Europe, l’Asie, l’Amérique latine et la région indo-pacifique.
Voici ce qu’en dit l’Alliance canadienne du commerce agroalimentaire :
Le fait de limiter les capacités des négociateurs commerciaux avant le début des négociations mènera à des résultats qui sont globalement moins ambitieux, car d’autres pays vont décider de suivre cette procédure et ils ne prendront pas en considération des produits ou des secteurs qui sont importants pour le Canada.
Il y a ensuite la question du précédent que cela crée au Canada. Combien de temps faudra-t-il attendre avant que d’autres secteurs demandent également à être exclus des négociations commerciales, nuisant ainsi à la capacité du gouvernement actuel ou de tous les futurs gouvernements du Canada de mener des négociations globales dans l’intérêt de l’ensemble du pays, sans accorder de traitement de faveur, et sans courtiser des intervenants régionaux? Si nous indiquons clairement que le protectionnisme est non seulement acceptable, mais souhaitable, nous pourrions affaiblir le consensus national et mondial à l’égard du libre-échange, et le Canada se trouverait alors à nuire considérablement à ses propres intérêts.
Le Canada a un énorme marché d’exportation et une faible population; le commerce international compte pour 67,5 % de notre produit intérieur brut. Peu de pays accordent autant d’importance aux échanges commerciaux et comptent autant sur ceux-ci pour assurer leur prospérité future. Le Canada est le premier exportateur mondial de bois, d’aluminium, d’engrais potassiques, ainsi que de graines et d’huiles de canola. De plus, nos principales exportations sont les hydrocarbures, les voitures, l’or et le bois, qui sont principalement vendus aux États-Unis, en Chine, au Japon, au Royaume-Uni et au Mexique. En 2022, nous avons exporté pour environ 93 milliards de dollars de produits agricoles et alimentaires dans le monde.
Pour survivre et prospérer dans un système de commerce international impitoyable, nous devons claironner notre appui inconditionnel au libre-échange, car si l’économie mondiale s’enlise dans des droits de douane et des obstacles non tarifaires au commerce à n’en plus finir, ce sera particulièrement dévastateur pour nous, qui sommes un pays commerçant. Honnêtement, notre économie et notre population ne sont pas assez imposantes pour gagner une partie mondiale d’application de la loi du talion. Si nous adoptons une politique protectionniste à l’égard de cette partie de notre économie agricole, nous pouvons nous attendre à des représailles et à des rebuffades en retour.
Comment pourrons-nous nous battre sur les plans économique et politique si nous cédons la supériorité morale? Il nous serait alors impossible d’exiger que d’autres réduisent leurs obstacles tarifaires sans avoir l’air d’être des hypocrites ou d’être les néophytes les plus naïfs qui soient. L’adoption de ce projet de loi pourrait, à court terme, pousser beaucoup de nos partenaires commerciaux à riposter en menaçant de refuser de prolonger ou de moderniser les accords commerciaux que nous avons avec eux. À long terme, cela éroderait le respect dont jouit le Canada sur la scène internationale. Si nous voulons être considérés comme un chef de file par des organismes tels que l’Organisation mondiale du commerce, nous devons être sans reproche lorsque nous militons pour un système commercial libre fondé sur des règles.
Permettre la création de ces exemptions sur mesure pour des secteurs particuliers, et au moyen d’un projet de loi d’initiative parlementaire de surcroît, minerait irrémédiablement notre crédibilité sur la scène internationale, ainsi que celle du gouvernement. Après tout, qui rédige la politique commerciale du Canada? Est-ce le gouvernement élu ou un parti politique de troisième rang qui ne se préoccupe que des intérêts d’une province au lieu de ceux du pays dans son ensemble?
Je m’exprime aujourd’hui à la fois en tant qu’Albertaine et vice-présidente du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Dans ma région, nous exportons non seulement du pétrole, mais aussi du canola, du blé, des légumineuses, du bœuf, du porc, de l’avoine et de l’orge, entre autres. En 2022, selon des données provinciales, l’Alberta a exporté pour 206 milliards de dollars de marchandises sur les marchés. Si les exportations d’énergie représentaient la part la plus importante, nous avons également exporté des produits agricoles pour une valeur de 16,2 milliards de dollars. Les quatre principaux marchés de l’Alberta sont les États‑Unis, le Japon, la Chine et la Corée du Sud. Les exportations de l’Alberta ont augmenté l’année dernière dans ces quatre marchés, notamment de 50 % aux États-Unis et de 343 % en Corée du Sud.
L’imposition de droits de douane de représailles sur des produits agricoles comme le canola, le blé, le bœuf ou le porc pourrait porter un coup dur à l’économie de l’Alberta et de l’ensemble des Prairies. Nous devons nous poser la question suivante : voulons-nous vraiment dresser les uns contre les autres les secteurs agricoles du Canada, ou les régions et les provinces les unes contre les autres? Nous ne devons pas alimenter le discours toxique sur l’aliénation et le séparatisme de l’Ouest en donnant l’impression que nous sacrifions les intérêts d’une moitié du pays pour protéger l’autre.
Honorables sénateurs, au fond, il ne s’agit pas d’un projet de loi sur l’agriculture, mais sur le commerce. Il n’y a pas seulement les produits agricoles de ma province qui risquent d’en subir les conséquences. Posez-vous la question suivante : quelles pourraient être les conséquences de ce projet de loi sur les exportations d’automobiles de l’Ontario, de fruits de mer du Canada atlantique, de lentilles de la Saskatchewan ou de bois et de pâte de bois de la Colombie-Britannique? Puis, réfléchissez à ceci : quelle serait l’incidence à long terme sur le Québec, qui exporte tout, de l’aluminium au platine, en passant par les avions, les turboréacteurs et les simulateurs de vol? À mon avis, il serait risqué pour l’avenir économique du Québec d’établir un cordon sanitaire autour de trois produits agricoles, mettant ainsi en péril l’avenir des autres exportations du Québec.
N’oublions pas la valeur du marché de l’exportation pour les biens soumis à la gestion de l’offre. Selon Statistiques Canada, en 2022, le secteur laitier canadien a enregistré des exportations de 506 millions de dollars en produits comme du lait, du fromage, de la crème glacée ou des protéines de lactosérum. Environ 60 % de ces exportations sont allées aux États-Unis et 17 % aux marchés d’Afrique. Les résultats s’annoncent encore meilleurs cette année. De janvier à septembre 2023, le Canada a exporté pour environ 366 millions de dollars en produits laitiers vers les marchés étrangers, dont l’Australie, les Pays-Bas ou encore la Malaisie. C’est une bonne nouvelle, pas une mauvaise nouvelle, pour les producteurs laitiers du Canada. Il serait drôlement mal avisé de risquer de perdre l’accès à ces marchés d’exportation à cause de mesures protectionnistes qui pourraient entraîner des représailles des autres pays.
Le Canada est également exportateur de volaille. Selon les données de l’Observatoire de la complexité économique, le Canada a exporté pour 226 millions de dollars de volaille en 2021. En août 2023 seulement, le Canada a exporté pour 22 millions de dollars de produits de la volaille, dont plus de la moitié provenait du Québec. Les principaux marchés d’exportation de la volaille canadienne sont les États-Unis, le Gabon, les Philippines, le Mozambique et la Guinée; le marché de l’exportation de volaille du Canada vers les Philippines est celui qui connaît la plus forte croissance.
Le Canada devait s’efforcer d’accéder à ces marchés plutôt que de claquer la porte devant de tels débouchés commerciaux. À un moment donné, il faut faire confiance à nos experts négociateurs, qui ont fait leurs preuves, pour conclure le meilleur accord pour le Canada dans le cadre de toutes les négociations commerciales et croire qu’ils ne sacrifieront pas nos producteurs de volaille, d’œufs et de produits laitiers.
Revenons à l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, ou ACEUM, qui prévoit quelques concessions dans le secteur laitier, mais qui, dans l’ensemble, protège la production canadienne. Pas plus tard que vendredi dernier, le 24 novembre, un tribunal commercial de trois personnes de l’ACEUM a rejeté une plainte des États–Unis selon laquelle le Canada limite indûment l’accès au marché laitier canadien. Dans une décision à deux voix contre une, le tribunal a rejeté quatre allégations distinctes des États–Unis contre le Canada. Autrement dit, loin de sacrifier le secteur laitier canadien, les concessions stratégiques que les négociateurs de l’ACEUM ont utilisées comme levier ont encore largement protégé la gestion de l’offre. Cependant, si nous adoptons le projet de loi C-282, nous privons nos négociateurs de la capacité stratégique de faire des concessions limitées similaires et de conclure le meilleur accord possible.
Enfin, nous abordons la question quelque peu délicate de savoir si nous avons le droit de nous opposer à un projet de loi d’initiative parlementaire, de l’amender ou de le rejeter. Au cours du débat houleux sur le projet de loi C-234, certains ont soutenu que nous n’avions pas le droit de rejeter ou même d’amender le projet de loi parce qu’il avait été adopté par la majorité des députés de la Chambre des communes. Il s’agit d’un argument dangereux, car, bien entendu, certains de ces groupes de pression agricoles et sénateurs sont aujourd’hui pris à leur propre piège pour avoir fait valoir cet argument. Du même coup, certains des sénateurs qui ont tenté d’amender ou de rejeter le projet de loi C-234 sont maintenant susceptibles d’affirmer que nous ne pouvons pas toucher au projet de loi C-282.
Eh bien, chers collègues, bien que je croie que la cohérence imbécile est le spectre des petits esprits, je suis fière de dire que sur cette question, au moins, je suis tout à fait cohérente.
Laissez-moi vous citer ce que j’ai dit dans mon discours sur le projet de loi C-234 il y a quelques semaines.
Le Sénat n’a [...] pas pour tâche d’accepter et d’adopter des projets de loi d’initiative parlementaire sans les étudier ni les réviser. En fait, les mesures d’initiative parlementaire requièrent une étude et une réflexion plus approfondies que les autres parce que, dans bien des cas, elles n’ont pas été examinées soigneusement à l’autre endroit, où la politique partisane joue parfois un plus grand rôle qu’ici, au Sénat. Nous ne devrions pas approuver automatiquement un projet de loi d’initiative parlementaire simplement parce qu’il a obtenu assez de voix pour être adopté à l’autre endroit. Il faut l’examiner avec autant de soin, sinon plus, qu’un projet de loi du gouvernement.
Ces paroles étaient vraies pour le projet de loi C-234, et elles le sont tout autant pour le projet de loi C-282. Il nous incombe, en tant que Chambre haute, de soumettre les projets de loi de ce type à un examen minutieux, précisément parce que nous sommes nommés, et non élus. Par conséquent, nous ne sommes pas tenus de faire ce qui est populaire, alors nous pouvons faire ce qui s’impose.
Nous sommes ici délibérément pour adopter une vision à long terme. Nous sommes ici pour défendre les intérêts du Canada dans son ensemble. Nous pouvons certes parfois ne pas être d’accord sur la nature de ces intérêts, mais nous ne pouvons pas nous cacher derrière l’excuse voulant que les projets de loi d’initiative parlementaire sont, en soi, sacro-saints.
Notre travail consiste à étudier le projet de loi et à en débattre pleinement et équitablement, à entendre des témoins, à mettre à profit notre expertise et à traiter cette question comme l’enjeu sérieux de politique étrangère qu’elle est.
Merci, hiy hiy.
Est-ce que la sénatrice Simons accepterait de répondre à une question?
Oui.
Sénatrice Simons, vous avez indiqué que le projet de loi C-282 allait lier les mains de nos négociateurs pour la conclusion d’accords commerciaux. Pourtant, comme je l’ai mentionné dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, plusieurs pays protègent certains de leurs secteurs clés. Nos voisins américains le font pour le sucre, avec leur Farm Bill. Selon vous, est-ce qu’on peut dire que, en raison d’une volonté de protéger, certaines puissances comme l’Inde — qui protège son sucre —, le Japon et les États-Unis n’ont pas été en mesure de négocier de bons accords commerciaux?
Ce serait ma première question.
Je comprends votre question, mais ce sera plus facile pour moi d’y répondre en anglais.
C’est précisément le problème dont je parle. Le Canada souffre énormément du protectionnisme des autres pays. La façon de lutter contre cela, c’est de favoriser la libéralisation du commerce.
Nous sommes une économie trop petite pour jouer le même jeu et espérer gagner n’importe quelle forme d’affrontement. Si nous voulons participer aux négociations commerciales mondiales en ayant les mains propres et en disant que nous n’aimons pas le protectionnisme, que le protectionnisme est mauvais pour l’économie mondiale, qu’il a été prouvé au fil des siècles que le protectionnisme ralentissait la progression de la vie des gens. Le libre-échange est un excellent moyen de rehausser le niveau de vie partout dans le monde. La dernière chose que nous voulons faire, c’est de participer à une mauvaise politique publique.
Sénatrice Simons, il y a deux autres sénateurs qui veulent poser des questions. Demandez‑vous cinq minutes de plus?
Si les honorables sénateurs souhaitent que je demande cinq minutes supplémentaires, je le ferai.
Est-ce d’accord, honorables sénateurs?
Puis-je poser une question, madame la Présidente?
Sénateur Dagenais, les minutes supplémentaires n’ont pas été accordées.
Eh bien, on dirait un nouveau style de démocratie.
Je n’en ferai pas une question de privilège, étant donné qu’on a perdu suffisamment de temps. Pour une fois que j’avais une question à poser — et c’est très rare que j’en pose une —, on m’empêche de le faire. Je trouve cela dommage.
Honorables sénateurs, je ne suis pas inscrit au plumitif au sujet du débat d’aujourd’hui, mais j’ai cru bon d’y participer maintenant en partie parce que je devais intervenir au sujet du projet de loi C-234 à l’étape de la troisième lecture. Mon discours était prêt, mais le vote a été reporté et je ne peux pas le prononcer aujourd’hui. Je ne pourrai pas non plus le faire mardi prochain. J’espère que je pourrai parler le jeudi suivant. Je sollicite donc votre indulgence et je vous demande de m’offrir cette chance.
Afin de vous donner une preuve de ma bonne foi quant à l’utilisation de mon temps au Sénat, je vais prononcer un discours quelque peu improvisé sur le projet de loi C-282.
J’aimerais commencer en parlant du compte-rendu que la sénatrice Simons a fait de la décision rendue par tribunal de l’ACEUM la semaine dernière. Son compte-rendu était exact, mais en tout respect, j’aimerais ajouter une nuance à cette décision.
Vous vous souviendrez que dans son discours, le tribunal formé de trois personnes a rendu sa décision en faveur du Canada. Il s’agissait de déterminer si le Canada gère efficacement ses contingents tarifaires. Il s’agit du système en fonction duquel des droits de douane très élevés s’appliquent passé une certaine quantité de lait, d’œufs ou de volaille.
Le Canada et les États-Unis ont négocié une méthode de gestion des contingents tarifaires qui permettrait aux fournisseurs américains de produits laitiers et de fromage, dans les limites du contingent, d’entrer au Canada sans payer de droits de douane très élevés. Le Canada a procédé d’une manière qui permettait essentiellement aux transformateurs canadiens de décider de ce qui pourrait être importé des États-Unis et qui enlevait, en grande partie, aux détaillants du Canada la possibilité de prendre cette décision.
On peut déceler la réflexion stratégique qui sous-tend cette approche, puisqu’elle permet aux transformateurs — un secteur agricole soumis à la gestion de l’offre — de décider quels produits peuvent entrer au pays, probablement dans le but de réduire la concurrence dans leur secteur. C’était le but visé, je crois.
Les Américains ont perdu cette bataille, pour la deuxième fois. Cette fois-ci, la décision semble définitive.
La sénatrice Simons a raison de dire que, d’un côté, cette situation prouve que nos négociateurs veillent aux intérêts des industries canadiennes soumises à la gestion de l’offre. Le libellé de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique donne aux transformateurs le privilège d’importer des produits contingentés, donc assortis d’un taux de droit inférieur, mais pas aux détaillants. Les Américains devraient avoir honte d’avoir laissé passer ce détail.
Cependant, pensez-vous qu’ils ne sont pas conscients de ce tour de passe-passe maintenant que la décision a été rendue? Pensez-vous qu’ils ne savent pas déjà qu’ils ont été dupés — qu’on leur a passé un sapin? Avez-vous un seul doute qu’en 2025, quand il sera temps de procéder à l’examen obligatoire de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, la première chose que les Américains demanderont, ou l’une de leurs priorités, sera de renégocier cette clause? « Vous nous avez bernés. Bravo. Vous avez remporté les deux premières rondes, mais vous n’allez pas gagner la troisième. »
La façon dont ils vont s’y prendre, chers collègues, c’est en se référant à un autre accord que nous avons signé, et il ne contient même pas cet astucieux libellé. En fait, il s’agit d’un libellé différent qui permet aux détaillants d’avoir le contrôle sur les tarifs inférieurs à ce qui est prévu pour les produits contingentés : je parle évidemment de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne.
Bon nombre d’entre nous étaient ici pour débattre de ce projet de loi. Ce fut un débat animé. Je me souviens que les transformateurs étaient fermement contre cette clause parce qu’ils voulaient contrôler l’importation de produits laitiers et de fromages de l’Europe.
Cependant, ce qu’il faut surtout retenir, c’est qu’au bout du compte, dans le but de pouvoir conclure l’Accord économique et commercial global — et non de sacrifier les secteurs soumis à la gestion de l’offre —, le gouvernement a autorisé un nombre limité de détaillants à importer des produits directement.
En revanche, l’autre accord important que nous avons négocié récemment, c’est-à-dire l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste ne contient pas la disposition permettant à des détaillants d’importer directement des produits, et c’est pour cette raison que nous avons un différend avec la Nouvelle-Zélande à propos de cette mesure. Étant donné que l’Accord de partenariat transpacifique global est un accord « ouvert à l’adhésion » — autrement dit, tout pays peut demander à y adhérer s’il répond à toutes les conditions approuvées par les autres pays —, il faut constamment négocier tant avec les nouveaux adhérents potentiels qu’avec les membres actuels de l’Accord de partenariat transpacifique global. Certains d’entre vous savent que le Royaume-Uni fait maintenant partie des pays du Pacifique parce qu’il a adhéré à l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste il y a quelques mois, et il a fallu négocier avec ce pays pour qu’il puisse y adhérer.
Ce que je veux dire, c’est simplement que, tant dans le cas de l’Accord Canada—États-Unis— Mexique, qui comprend un mécanisme d’examen obligatoire, que dans le cas de l’Accord de partenariat transpacifique global, il est certain que nous devrons de nouveau nous pencher sur la façon de composer avec les contingents tarifaires qui s’appliquent au lait et aux produits laitiers ainsi que sur d’autres questions concernant la gestion de l’offre, en échange des concessions que nous souhaitons obtenir dans les marchés avec lesquels nous négocions, notamment avec les Philippines en ce qui a trait au lait, avec l’Indonésie en ce qui concerne le bœuf, et cetera.
L’argument que la sénatrice Simons a fait valoir au sujet du maintien de la marge de manœuvre des négociateurs n’est pas hypothétique. Il est bien réel. Le grand paradoxe de notre victoire d’il y a quelques semaines contre les États-Unis, c’est qu’elle garantit que cette question sera un problème pour nous.
Chers collègues, le projet de loi ne porte pas principalement sur le bien-fondé de la gestion de l’offre. Je ne veux pas m’étendre trop longuement sur cet aspect, mais il est de notoriété publique que je ne reçois pas de cartes de Noël des Producteurs laitiers du Canada. Je suis d’avis que si le système de gestion de l’offre est avantageux pour les agriculteurs de ces secteurs, c’est au détriment des consommateurs, et particulièrement des plus pauvres d’entre eux. Les études montrent que les secteurs sous gestion de l’offre ont des prix plus élevés que les prix internationaux et qu’ils sont régressifs. Ils nuisent davantage aux personnes à faible revenu qu’aux bien nantis.
Le retrait limité de protections prévues par la gestion de l’offre, sans chercher à la démanteler — par exemple dans le cadre de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, de l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, de l’Accord économique et commercial global et peut-être d’autres accords de libre-échange —, entraîne effectivement une réduction de la part de marché pour les agriculteurs sous la gestion de l’offre en raison de la concurrence des importations. Il ne signifie toutefois pas nécessairement une réduction du revenu en raison de la nature de la gestion de l’offre. En effet, la gestion de l’offre repose sur le maintien du revenu, et pour maintenir le revenu, il faut réduire l’offre. C’est un principe économique de base.
Si l’importation d’un produit augmente, il faut réduire l’offre gérée de manière à hausser les prix afin de préserver le niveau de revenu des agriculteurs qui le produisent.
Ce système fonctionne et il continue d’aider les agriculteurs à demeurer en affaires aussi longtemps qu’ils le désirent, en partie parce que la consommation de produits laitiers est en baisse. Cette tendance dure depuis des décennies, que cela fasse notre affaire ou non. C’est normatif. Il n’en demeure pas moins que les jeunes sont nombreux à abandonner le lait au profit de boissons analogues à base de plantes. C’est l’occasion pour certains producteurs laitiers d’effectuer une transition ou de réfléchir aux options qui s’offrent à eux compte tenu des perspectives à long terme de leur industrie.
J’ajoute un autre argument à la lumière de ce que la sénatrice Simons a dit sur la question des exportations. Elle a tout à fait raison d’affirmer qu’il y a des marchés prometteurs, en particulier en Asie, pour certains produits soumis à la gestion de l’offre. Je pense en particulier aux œufs, car nous avons une diversité vraiment fascinante d’œufs dans nos épiceries. C’est parfois déroutant quand on va au réfrigérateur et qu’on regarde les cinq ou six options d’œufs de poules élevées en liberté, Oméga et Oméga Plus, brun ou blanc, etc., mais ce sont des options hautement souhaitables dans les pays à forte croissance et à revenu moyen qui veulent améliorer leurs choix alimentaires. Les exportations sont très faibles dans les secteurs soumis à la gestion de l’offre précisément à cause de la gestion de l’offre, précisément parce que l’offre n’est pas suffisante pour permettre les exportations. En fait, cela décourage les exportations de ces produits, et il n’y a vraiment aucune raison de s’attendre à ce que les industries soumises à la gestion de l’offre cherchent elles-mêmes à accroître leurs exportations de manière très importante, à moins qu’une certaine pression, si je peux m’exprimer ainsi, ne soit exercée sur elles.
C’est ce qui s’est passé dans l’industrie vinicole après l’Accord de libre-échange entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique, en 1979, puis dans l’ALENA, en 1984. Certains d’entre vous se souviendront de vins canadiens tristement célèbres comme le Baby Duck. Disons que, dans les années 1980 et même au début des années 1990, les sommeliers ne recommandaient pas les vins canadiens. On prédisait alors la disparition de l’industrie vinicole. De nombreuses personnes craignaient sincèrement qu’il n’y ait plus de viniculteurs au Canada, et il est vrai que de nombreuses exploitations viticoles n’ont pas survécu à la concurrence des producteurs états-uniens, mais, comme nous le savons tous, l’industrie s’est redressée. Les producteurs inefficaces ont fait faillite. Le travail de nouveaux producteurs plus efficaces a porté ses fruits, littéralement. Il y a maintenant de nombreux vins dont nous pouvons être fiers dans ma province, la Colombie-Britannique, et dans tout le pays également.
Je tiens à remercier la sénatrice Gerba d’avoir soutenu ce projet de loi avec autant d’enthousiasme. Elle a travaillé très dur. Lorsqu’il s’agit de soutenir les producteurs laitiers et d’autres agriculteurs, son cœur est tout à fait à la bonne place.
Je ne peux pas appuyer ce projet de loi, même si je tiens à ce que nous nous rappelions tous qu’il ne s’agit en aucun cas de démanteler la gestion de l’offre. Il s’agit de repenser le marché concurrentiel dans les secteurs soumis à la gestion de l’offre. Il s’agit de pouvoir défendre les autres industries d’exportation dans les négociations commerciales et de donner aux négociateurs la marge de manœuvre nécessaire pour le faire.
Le sénateur Woo accepterait-il de répondre à une question?
Oui.
Merci, sénateur Woo.
La sénatrice Simons l’a dit elle-même lors de son discours : il y a eu beaucoup d’exportations d’autres produits. La gestion de l’offre est en place depuis 51 ans et elle n’a jamais interdit ou empêché l’exportation de certains produits. Ce qui est différent, c’est que les produits sous gestion de l’offre ne sont pas toujours exportables. Je crois que dire que les producteurs ne peuvent pas avoir accès au marché n’est pas totalement exact; on ne peut pas congeler le lait et les œufs. Bref, que dites-vous des motions proposées précédemment à l’autre endroit, qui avaient pour but de protéger certains produits et qui ont été défaites chaque fois?
Merci pour la question, sénatrice Gerba.
Vous avez raison de dire qu’il n’y a pas beaucoup d’exportations, en partie parce que nos produits sont destinés au marché intérieur, mais c’est exactement ce que la gestion de l’offre vise à faire. Elle vise à stabiliser et à servir le marché intérieur en adaptant l’offre à la demande intérieure. Dans la mesure où il existe un excédent susceptible d’être exporté, la nature même du système influe sur les exportations, elle les réduit.