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Projet de loi sur la sécurité des postes au Canada

Projet de loi modificatif--Vingt-huitième rapport du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles--Ajournement du débat

22 octobre 2024


L’honorable Brent Cotter [ - ]

Propose que le rapport soit adopté.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles sur le projet de loi S-256, conformément à l’article 12-22(4) du Règlement du Sénat. Le projet de loi S-256, présenté par le sénateur Dalphond, vise à modifier la Loi sur la Société canadienne des postes en ce qui a trait à la fouille, à la saisie et à la rétention légales d’envois.

Ce projet de loi vise à autoriser les forces de l’ordre à intercepter des marchandises de contrebande afin de lutter contre la circulation de drogues dangereuses, comme le fentanyl ou d’autres opioïdes, qui peuvent être transportées par l’intermédiaire de Postes Canada.

Pour vous donner un peu de contexte, il y a des limites à la capacité de fouiller, de saisir ou de retenir les envois de Postes Canada, ainsi qu’à la capacité d’y accéder, qui ne s’appliquent pas forcément à d’autres méthodes de transmission de colis et d’envois à l’échelle du pays. Comme vous le savez peut-être, les drogues dangereuses telles que le fentanyl — qu’on peut réduire en particules très petites, voire minuscules, présentant un risque élevé pour les Canadiens — peuvent maintenant être acheminées facilement dans des lettres envoyées par Postes Canada, qui sont plus difficiles à fouiller et à saisir.

Je laisserai à mes collègues le soin de parler de la teneur et du bien-fondé du projet de loi. Je pense que la sénatrice Simons prendra la parole à ce sujet aujourd’hui. Cependant, j’aimerais souligner que le comité sénatorial a mené une étude fructueuse du projet de loi dans un esprit de collaboration, ce qui a mené à deux amendements qui ont été adoptés à l’unanimité. Ces amendements ont été présentés par le parrain du projet de loi, le sénateur Dalphond, et ils ont été inspirés par les témoignages entendus par le comité, en particulier celui de M. Steve Coughlan, professeur à la Faculté de droit de l’Université Dalhousie. De plus, les amendements ont été peaufinés à l’aide de trois sous-amendements présentés par le sénateur Carignan, le sénateur Dalphond et la sénatrice Oudar.

Nous avons commencé notre étude le 25 septembre 2024 et nous l’avons terminée le jeudi 3 octobre 2024, avec l’étude article par article. Dans le cadre de l’étude, nous avons entendu 12 témoins et reçu 5 mémoires. J’exprime ma gratitude envers les personnes qui ont facilité cette étude rapide : les membres du comité, Anne Burgess, du Bureau du légiste, les analystes Michaela Keenan-Pelletier et Iryna Zazulya, l’adjointe administrative Natassia Ephrem et le greffier Vincent Labrosse.

Permettez-moi de dire quelques mots sur les principaux amendements qui ont été présentés. Je sais que, dans d’autres discussions, le sénateur Dalphond — je veux seulement être certain...

L’honorable Pierre J. Dalphond [ - ]

Je suis ici maintenant.

Le sénateur Cotter [ - ]

J’ai cru un instant que vous vous étiez rasé la tête, sénateur Dalphond. J’ai testé cette phrase avec le sénateur Fridhandler tout à l’heure, et elle a semblé acceptable.

Si vous le permettez, j’en viens maintenant aux amendements. Tout d’abord, l’article 2 a été supprimé du projet de loi, en particulier la définition de « loi d’exécution ». L’article 2 du projet de loi initial ajoutait la définition de « loi d’exécution », c’est-à-dire une loi fédérale, une loi provinciale, une loi ou un règlement adopté par un conseil ou un gouvernement autochtone. Le comité a supprimé cet article et la définition de « loi d’exécution » du projet de loi. Ce changement a entraîné des amendements connexes dans des articles subséquents qui faisaient référence à une loi d’exécution, notamment la suppression complète de deux autres articles du projet de loi : les articles 4 et 5. Il est juste de dire que le projet de loi a été simplifié grâce au bon travail du sénateur Dalphond.

L’article 3, qui porte sur la fouille et la saisie du courrier, a également été amendé. Le paragraphe 40(3) de l’actuelle Loi sur la Société canadienne des postes impose une interdiction générale de revendication, de saisie ou de rétention du courrier, sous réserve des exceptions prévues dans d’autres dispositions de la loi, dans ses règlements et dans d’autres lois.

La version originale du projet de loi élargissait les exceptions en autorisant la fouille du courrier en vertu de toute « loi d’exécution ». Toutefois, puisque la définition de « loi d’exécution » a été supprimée à l’article 2 — et que les amendements du sénateur Dalphond les combinaient l’un à l’autre — le comité a modifié l’article 3 pour maintenir le statu quo de la loi en y apportant un ajout important : le courrier peut désormais être fouillé dans le cadre d’un mandat général ou de son équivalent délivré en vertu d’une loi fédérale. Je pense également qu’il est juste de dire que le libellé concernant la possibilité d’obtenir un mandat général est plus cohérent, plus précis et mieux connu dans la loi. Le comité a également amendé l’article 3 afin de supprimer la décharge de responsabilité pour tout dommage lié au courrier saisi, revendiqué ou retenu en vertu d’une loi d’exécution.

De plus, on a ajouté l’article 3.1, qui porte sur le contrôle du courrier sur demande. Ce nouvel article 3.1 a été ajouté par le comité afin d’autoriser Postes Canada à procéder à un contrôle du courrier destiné à tout endroit situé dans une réserve ou sur un territoire sous le contrôle d’une communauté, d’un conseil ou d’un gouvernement autochtone, où un tel contrôle est autorisé par une loi ou un règlement administratif adopté par la communauté en question. Le comité remercie la sénatrice Oudar pour la formulation de cet amendement.

Surtout, ce contrôle est non intrusif et ne requiert pas l’ouverture ou la lecture du courrier. C’est là que la technologie nous a grandement aidés. L’objectif est uniquement de détecter les substances désignées à l’aide d’un scanneur, d’un chien renifleur ou d’autres moyens non intrusifs. Si je puis dire, la technologie vient soutenir l’application judicieuse de la loi pour protéger des populations qui seraient extrêmement vulnérables à la circulation de ces drogues et produits dangereux dans leur milieu. Cet ajout répond aux préoccupations soulevées par les témoins concernant la circulation clandestine du fentanyl et d’autres substances désignées dans les collectivités rurales et éloignées par l’intermédiaire de Postes Canada.

En conclusion, je suis fier du travail entrepris par mes collègues du comité. Notre étude du projet de loi S-256 a été à la fois efficace et efficiente, et nous avons eu des discussions collégiales et instructives, en particulier en ce qui concerne les amendements et les sous-amendements au cours de l’étude article par article. Je pense que l’étude du projet de loi S-256 témoigne d’un effort de collaboration de la part de toutes les parties pour améliorer une mesure législative fort utile.

Je suis reconnaissant d’avoir eu l’occasion de présenter le projet de loi et de participer à cet examen important. Félicitations, sénateur Dalphond, d’avoir mené ce projet de loi aussi loin. Je suis certain que nous aurons des discussions au sujet du projet de loi qui seront à la fois judicieuses, axées sur la collaboration, mais aussi enthousiastes. Je vous remercie.

Honorables sénateurs, je ne sais pas si je peux vous promettre que mon discours sera judicieux, mais je le prononcerai certainement avec enthousiasme.

Je prends la parole aujourd’hui au sujet du rapport sur le projet de loi S-256, Loi sur la sécurité des postes au Canada. Il peut vous sembler étrange que je commence ma réponse en parlant de l’an 1840, mais c’est par là qu’il faut commencer pour comprendre à quel point le projet de loi représente un changement radical par rapport à une tradition juridique vieille de près de 200 ans.

En 1840, la Grande-Bretagne crée la poste à un penny. Jusqu’à ce moment-là, les gens s’échangeaient des lettres et des messages en ayant recours à toutes sortes de services privés de livraison et de messagerie. Toutefois, la Royal Mail, qui souhaitait ardemment établir un monopole fonctionnel et démocratiser la livraison des lettres à une époque où le taux d’alphabétisation augmentait, réduisit ses prix. Elle crée la poste à un penny et, grâce à l’expansion rapide des réseaux ferroviaires, l’envoi d’une lettre ne coûtait plus qu’un penny, quelle que soit la distance à parcourir, de la pointe des Cornouailles aux confins septentrionaux des Highlands de l’Écosse.

Les clients avaient la garantie d’une livraison sûre et fiable de leur correspondance commerciale la plus importante et de leurs messages personnels les plus intimes. Tout se passait bien, jusqu’au grand scandale de l’espionnage postal de 1844.

En 1844 vivait à Londres le grand rebelle républicain italien Guiseppe Mazzini, qui y avait été exilé en raison de sa campagne visant à unifier l’Italie et à la libérer de l’emprise autrichienne.

Mazzini entretenait une correspondance politique active, ce qui inquiétait beaucoup l’ambassadeur d’Autriche en Grande-Bretagne, le baron Philipp von Neumann. L’ambassadeur von Neumann a donc demandé à la Couronne britannique et au secrétaire d’État britannique au ministère de l’Intérieur, sir James Graham, d’intercepter le courrier de Mazzini.

C’est ainsi que le 1er mars 1844, sir James Graham a lancé un mandat officiel pour l’ouverture des lettres envoyées à Mazzini. Ces lettres étaient retirées des sacs postaux, copiées et transmises à l’ambassadeur autrichien.

Une fois soigneusement refermées, les lettres étaient envoyées à Mazzini. Mais Mazzini a commencé à soupçonner que quelqu’un trafiquait son courrier. Il a donc demandé à ses correspondants internationaux d’ajouter dans leurs enveloppes des graines de pavot, des grains de sable ou quelques cheveux, par exemple. Bien sûr, lorsque leurs lettres lui parvenaient, les graines, les grains et les cheveux en question avaient disparu.

Cependant, Mazzini n’était pas dépourvu d’amis puissants à la Chambre des communes. En juin 1844, l’ami de Mazzini, le député radical Thomas Duncombe, a demandé au Parlement de cesser d’ouvrir le courrier de Mazzini. Sir James Graham a répondu en insistant sur le fait qu’il n’était pas dans l’intérêt du public que le Parlement s’intéresse à l’usage qu’il faisait du pouvoir gouvernemental.

L’indignation a été immédiate, car presque tout le monde utilisait la Royal Mail presque tous les jours pour mener à bien des affaires personnelles, politiques et financières, et tous s’attendaient à ce que leur courrier privé soit à l’abri de la surveillance gouvernementale. Les gens ont été choqués d’apprendre que ce n’était tout simplement pas le cas.

Comme l’a écrit le Times de Londres :

La correspondance de personne n’est en sécurité. Aucune confidence ne peut être considérée comme sûre. Il ne peut aucunement être garanti que les secrets de quelque famille, de quelque particulier que ce soit ne parviendront pas à l’oreille d’un ministre ou, pire encore, des fonctionnaires d’un ministre.

La Chambre des communes et la Chambre des lords ont toutes les deux formé un comité spécial pour faire enquête sur les allégations. Le lord juge en chef, lord Denman, a demandé à sir James Graham ce qu’il pensait « d’ouvrir une lettre privée, de devenir dépositaire des secrets d’une famille privée » et « de se savoir en possession de secrets qui lui sont plus chers que sa propre vie ».

L’écrivain Charles Dickens et le philosophe Thomas Carlyle se sont exprimés avec fracas. La revue satirique Punch a publié des caricatures dévastatrices. Lors d’un discours à la Chambre des lords, le comte de Haddington a déclaré que « rien n’est plus sacré que le caractère privé d’une communication transmise par le bureau de poste ».

Dans un éditorial publié par The Law Magazine en 1845, on pouvait lire que « le service postal ne doit pas seulement être BON MARCHÉ ET RAPIDE, mais aussi FIABLE ET INVIOLABLE ».

L’indignation publique et politique est telle à l’époque, qu’à partir de cette date, plus aucun mandat ne sera délivré pour fouiller des lettres envoyées par la Royal Mail. Le gouvernement avait compris que la confiance du peuple envers la poste à un penny reposait sur la certitude que la Couronne n’allait pas fouiller leur courrier.

En 1849, lorsque les colonies canadiennes ont créé leurs propres services postaux, elles ont conservé ce contrat. C’est pourquoi, en 2024, la police peut obtenir un mandat pour fouiller des colis livrés par FedEx, UPS ou Purolator, mais pas un mandat pour fouiller une lettre déposée dans une boîte rouge de Postes Canada. Lorsqu’on envoie une lettre par l’intermédiaire d’une société de messagerie privée, on ne peut tout simplement pas avoir les mêmes attentes en matière de protection de la vie privée que si c’est Postes Canada, une société d’État, qui s’occupe de notre courrier.

Lors des audiences du Comité des affaires juridiques sur le projet de loi S-256, nous avons entendu à plusieurs reprises que cette situation est un anachronisme, une pratique révolue qui n’a plus de sens aujourd’hui.

Cependant, ce n’est pas ce qu’ont constaté les tribunaux canadiens de notre époque. Dans une affaire de la Cour provinciale de Terre-Neuve-et-Labrador, R. c. Crane et Walsh, le juge a conclu que :

La fouille et la saisie du courrier privé sont, à mon avis, très graves. La confidentialité du courrier d’une personne est un élément très important et hautement protégé de notre société.

Plus récemment, en 2023, dans l’arrêté R. c. Gorman, la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador a statué que, puisque la poste sert à transmettre des messages qui reflètent des aspects de la vie privée et de l’identité de chacun :

Les usagers de la poste peuvent raisonnablement s’attendre à ce que le gouvernement ne fouille pas le courrier pour voir ce qu’ils envoient ou ce qu’ils reçoivent.

La décision poursuit ainsi : « [...] les gens s’attendent à ce que le gouvernement s’abstienne d’ouvrir leur courrier. »

Le projet de loi S-256 nous propose de bouleverser quelque 180 ans de tradition juridique et de jurisprudence.

Ce projet de loi, pour la première fois dans l’histoire du Canada, donnerait à la police le pouvoir d’intercepter, d’ouvrir et d’inspecter les colis et les lettres que transporte Postes Canada. La police aurait cependant besoin d’un mandat pour effectuer une telle perquisition. Je suis heureuse et reconnaissante de pouvoir dire que, grâce à un amendement opportun que le sénateur Dalphond a apporté à son propre projet de loi, ce dernier exigerait maintenant que la police ait un mandat général ou son équivalent pour effectuer une perquisition. Cela signifie, comme l’a expliqué le sénateur Cotter, que la perquisition doit être effectuée sur la base de motifs raisonnables de croire et pas seulement de motifs raisonnables de soupçonner; il y a maintenant un seuil plus élevé à atteindre.

Ce sont des améliorations importantes au projet de loi, et je félicite le sénateur Dalphond de la sagesse dont il a fait preuve en les apportant. Pourtant, même avec ces amendements de fond, il reste des choses dans le projet de loi S-256 — auquel Postes Canada elle-même s’est fortement opposée — qui me rendent mal à l’aise.

De toute évidence, le projet de loi a été conçu pour contrer la pratique consistant à glisser du fentanyl, un puissant opioïde, dans des enveloppes de format lettre standard. Comme cette drogue est très puissante et concentrée, même une faible quantité dissimulée dans une enveloppe peut être vendue en centaines de doses.

Selon les témoignages entendus par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, les trafiquants de drogue se servent souvent de lettres pour expédier du fentanyl de cette manière, en particulier dans les communautés autochtones rurales et isolées. Nous avons même entendu des témoignages étonnants selon lesquels le fentanyl était dissous dans l’encre ou imprégné dans le papier, mais on ne nous a présenté aucune preuve que de telles choses se soient produites au Canada.

Le projet de loi S-256 ne prévoit pas seulement d’autoriser la police à fouiller pour chercher des drogues, de l’alcool ou d’autres produits de contrebande. Il lui permettrait d’ouvrir et de lire des lettres en transit, à la recherche de preuves de toutes sortes de crimes, par exemple de conspiration criminelle ou d’insurrection politique.

Cette pensée, cette image est peut-être désuète. Après tout, je soupçonne que, de nos jours, les criminels et les terroristes sont plus nombreux à comploter par WhatsApp ou par texto que par courrier classique. Cependant, l’idée que la police puisse ouvrir notre courrier, même avec un mandat, me dérange viscéralement.

Cela vient peut-être de mon enfance. Mon père et ma mère avaient tous deux de la famille en Union soviétique, qui y était restée coincée après la guerre lorsque le rideau de fer s’était refermé. La seule façon dont ma famille pouvait communiquer avec ses frères, ses sœurs et ses cousins en URSS, c’était par lettre. Mes grands-parents et mes grands-tantes à Edmonton écrivaient ces lettres en sachant qu’elles pourraient bien être ouvertes et lues par les censeurs soviétiques. Les proches qui nous écrivaient depuis la Russie supposaient que chaque mot qu’ils nous disaient au Canada serait également scruté à la loupe.

Mon regretté père aimait raconter une blague à propos de deux frères juifs. L’un d’entre eux, un idéaliste communiste, avait décidé de retourner en Union soviétique pour voir comment les choses se passaient réellement et avait promis de rentrer chez lui avec des nouvelles. Sachant que les censeurs liraient leur courrier, les frères s’étaient entendus sur un code. Si la lettre avait été écrite à l’encre noire, le frère demeuré au Canada saurait alors que c’était vrai. Si l’encre était rouge, le frère saurait qu’il s’agissait de propagande.

Les semaines passèrent, et le frère resté à la maison commençait à s’inquiéter. Finalement, une lettre arriva de Moscou. À l’encre noire, celui qui s’était rendu en Russie vantait les merveilles du régime soviétique : les appartements bon marché, la nourriture délicieuse, le ballet fabuleux et le hockey exceptionnel. Le frère au Canada était stupéfait jusqu’à ce qu’il lise le post-scriptum : « P.-S. : La seule chose qu’ils n’ont pas à Moscou, c’est de l’encre rouge. »

J’ai grandi en entendant cette blague bien avant de vraiment comprendre la tournure mordante de la chute. C’est peut-être pour cette raison que la perspective d’autoriser des agents de la Couronne à ouvrir et à lire le courrier me fait réagir de manière aussi viscérale. Aujourd’hui, nous voulons bien faire en répondant aux demandes urgentes et légitimes des communautés autochtones du Nord qui souhaitent être protégées contre le fléau des opioïdes. Cependant, une fois que ce droit est accordé à la police, où cela pourrait-il nous mener? Nul besoin d’une imagination débridée pour imaginer un futur gouvernement utiliser un jour ou l’autre ce nouveau pouvoir qui érode fondamentalement les libertés civiles de tous les Canadiens, les droits à la vie privée dont nous jouissons depuis l’époque de la reine Victoria.

J’ai une autre préoccupation concernant le projet de loi S-256, qui touche un peu plus à la situation actuelle. Au comité, nous avons adopté avec dissidence une série d’amendements distincts qui permettent expressément aux communautés autochtones de demander à Postes Canada de procéder à un contrôle pour déceler la présence de drogues ou d’alcool dans tout le courrier qui entre dans leur réserve. Ce pouvoir a été spécifiquement demandé par les nations cries du Conseil Mushkegowuk du Nord de l’Ontario et la demande a été appuyée par l’Assemblée des chefs du Manitoba. Je comprends pourquoi les dirigeants autochtones cherchent désespérément à endiguer la circulation d’opioïdes dans leurs communautés vulnérables. Je suis néanmoins préoccupée par l’inclusion dans le projet de loi d’une disposition qui prévoit un traitement particulier et plus strict à l’intention des réserves et d’autres lieux peuplés par les Autochtones. Certains défenseurs des droits pourraient voir, dans une telle disposition particulière, le respect de l’autonomie juridique des Premières Nations, mais d’autres pourraient y voir du racisme paternaliste.

Je trouve aussi risqué d’adopter cette disposition en particulier sans avoir obtenu l’avis de l’Assemblée des Premières Nations, de l’Inuit Tapiriit Kanatami ou du Ralliement national des Métis et sans avoir entendu les gouvernements du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut. Je ne pense pas que nous ayons mené suffisamment de consultations pour justifier et soutenir un projet de loi qui pourrait porter atteinte aux droits des citoyens autochtones garantis par la Charte et faire en sorte qu’ils soient traités différemment des autres Canadiens au nom du respect de la souveraineté des Premières Nations.

Je ne suis pas insensible aux ravages de la crise des opioïdes. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire de se rendre dans une réserve du Nord pour constater les ravages que cause le fentanyl dans nos communautés : il suffit de sortir du Sénat et de parcourir les rues d’Ottawa pour constater les coûts humains et les conséquences de la dépendance aux opioïdes.

Toutefois, le problème n’est pas l’offre, c’est la demande. Tant que notre pays ne disposera pas de services de santé mentale et de traitements de la toxicomanie adéquats, tant que nous serons aux prises avec les conséquences du racisme, de l’injustice économique et des traumatismes intergénérationnels, et tant que des Autochtones au Canada, qu’ils vivent dans les réserves ou dans nos villes, se sentiront désespérés, aliénés et marginalisés, le besoin d’apaiser cette douleur avec la drogue ne fera que croître. Même si nous pouvions faire disparaître le fentanyl comme par magie, nous n’aurions pas résolu la crise de la toxicomanie; nous aurions simplement forcé les toxicomanes à se tourner vers une autre substance intoxicante.

Alors que nous examinons ce projet de loi, posons-nous la question suivante : en faisant ce qui nous semble opportun et pratique dans le moment présent, quels droits historiques sommes-nous en train de sacrifier? Nous devons chercher à savoir si les avantages potentiels méritent que l’on prenne le risque de voir apparaître plus tard des conséquences involontaires. Merci, hiy hiy.

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