Le Sénat
Motion concernant un retrait possible de l'Alberta du Régime de pensions du Canada--Suite du débat
22 octobre 2024
Honorables sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier la sénatrice Simons pour cette motion. C’est une conversation qui doit avoir lieu, et je suis heureux que nous l’ayons. J’ai longuement réfléchi et je suis encore un peu nerveux à l’idée de m’exprimer sur ce sujet particulier. J’espère ne pas le regretter, et j’espère surtout que vous ne le regretterez pas.
Il y a eu beaucoup de controverse autour du Régime de pensions du Canada et du retrait potentiel des travailleurs et des entreprises de l’Alberta. Je pense que cela a mis en lumière une réalité gênante, à savoir que si le Régime de pensions du Canada est bien une sorte de régime de retraite, il est également devenu un programme de transfert de richesses. Nous devons le reconnaître. Il ne s’agit pas d’une opinion; les chiffres montrent que c’est bien un fait. Les travailleurs de l’Alberta et leurs employeurs cotisent de manière excessive au Régime de pensions du Canada. Comment en sommes-nous arrivés là? Parlons un peu des chiffres.
Je ne vous lirai pas la Loi sur le Régime de pensions du Canada, mais je vais vous résumer ce qu’elle prévoit dans le cas où une province souhaite se retirer du régime. N’oublions pas qu’en 1965, les provinces et le gouvernement fédéral ont négocié conjointement l’élaboration d’une mesure législative qui visait à créer le Régime de pensions du Canada. Une province a dit : « Non merci, nous allons créer notre propre régime. » Il s’agissait du Québec, qui fait cavalier seul aujourd’hui. Toutefois, la mesure législative comprend un mécanisme qui permet aux provinces de se retirer plus tard du régime et de faire cavalier seul, tout comme le Québec l’a fait au début. C’est inscrit dans la loi. En fait, la loi prévoit des principes et des calculs assez simples pour se retirer du régime. Voici essentiellement ce que la loi prévoit.
Si une province veut se retirer, elle emportera avec elle les actifs, qui seront calculés de la façon suivante : on prendrait toutes les cotisations versées au cours de l’histoire du programme par les travailleurs et les entreprises de l’Alberta. On ajouterait le revenu de placement au prorata des cotisations qui ont été versées et qui ont été réalisées au fil du temps au prorata. On soustrairait le montant total des prestations de retraite qui ont été versées à ces travailleurs, et on soustrairait également du montant les dépenses de fonctionnement au prorata du régime au cours de la période précédant le retrait. Cela crée un montant assez fiable. On peut générer un certain montant. Il faut faire beaucoup de recherches, mais tous les faits et les chiffres sont là, et ils permettent de générer un montant.
L’autre aspect important du retrait d’une province du régime de pensions est son passif futur et les paiements futurs qui devront être effectués à tous les employés qui ont cotisé au régime et qui relèveront désormais de la responsabilité de cette province. On ne nous donne pas les chiffres. On dit simplement que tout le passif est désormais sous votre responsabilité, point final, à partir de cette date. Il incombe donc aux experts — les actuaires — de déterminer le montant de ce passif et d’en faire une estimation. Il existe toutes sortes de normes pour ce faire, mais on peut produire une estimation raisonnable. Il s’agit d’un chiffre assez dynamique qui évoluera en fonction des circonstances et au fil du temps. Il s’agit toujours de faire des projections dans l’avenir et d’essayer de ramener ce passif à aujourd’hui, mais il s’agit d’une pratique qui s’appuie sur un grand nombre de règles établies, de sorte que l’on peut raisonnablement estimer le passif en question.
Dans toute cette agitation, nous avons entendu parler du passif, car il est calculé. Cependant, on n’a pas beaucoup parlé de la nature de ce passif. Nous connaissons les actifs, mais nous n’avons pas vu de chiffre précis concernant les passifs; je n’en ai trouvé aucun nulle part. On dirait que personne n’a trouvé ce chiffre, mais je pense qu’il a été calculé; je pense simplement qu’on n’en parle pas.
Je pense que c’est parce qu’aucune des deux parties ne veut reconnaître ce chiffre. Ce n’est pas politiquement avantageux de le faire. Je ne crois pas que le gouvernement fédéral veuille en parler parce que cela met en évidence ce que je viens de dire : il y a un énorme excédent qui a été payé par les travailleurs et les entrepreneurs de l’Alberta, à eux seuls. Je ne pense pas que la province veuille en parler parce qu’il y a un excédent massif qu’elle obtiendra grâce à la formule du Régime de pensions du Canada.
Néanmoins, c’est un peu la situation dans laquelle nous nous trouvons. Pour être en bonne santé, un régime de pension doit détenir à peu près autant d’actifs que de passifs. Parfois, un léger excédent ou déficit est acceptable. Un excédent massif signifie que les travailleurs n’obtiennent pas ce pour quoi ils ont payé. On leur a fait payer trop de cotisations, et le montant qu’ils reçoivent en retour sous forme de pensions est insuffisant. Un déficit, en revanche, signifie que quelqu’un s’est trop fait payer et n’a pas versé les cotisations correspondantes.
Lorsque l’on examine les chiffres et que l’on voit les calculs effectués, qui ont permis d’évaluer le pourcentage des actifs du RPC qui reviendrait à l’Alberta si elle décidait de se retirer du Régime de pensions du Canada, cela met encore plus en évidence et prouve le fait qu’un important excédent a été généré par les travailleurs et les entreprises de l’Alberta dans le cadre de ce régime. Cela signifie également que, dans le reste du Canada, sauf au Québec, on voit la situation contraire — un déficit — et on se rend compte que les travailleurs d’autres régions du pays ont reçu davantage du système que ce qu’ils y ont versé. C’est pourquoi, en ce sens, on ne peut pas parler d’un régime de pension.
Dès le départ, chaque province avait la possibilité de se retirer, et des modalités de calcul étaient en place, alors si une région, une seule province est dans cette situation, il est évident que le reste du Canada n’a pas payé sa part. C’est le calcul qui a été fait. C’est la réalité.
Cela provoque deux émotions. Je pense que, pour les gens qui ne vivent pas en Alberta, cela ressemble à un autre discours lassant sur l’Alberta qui se plaint de devoir partager la richesse que leur a apportée la chance de se trouver sur un territoire où beaucoup de dinosaures sont morts et se sont transformés en pétrole. Pour les Albertains, le problème, c’est qu’ils partagent la richesse, mais ne sont pas respectés en retour. En fait, ils sont méprisés. À certains moments et à certaines époques, ils n’ont pas été respectés, ils ont été traités avec mépris et on leur a imposé des mesures excessives qui ont fait obstacle aux industries, aux entrepreneurs et aux innovations qui créent de la richesse.
C’est notamment parce qu’on fait obstacle à l’éthique du travail en Alberta, à l’éthique de l’industrie dans la province, à la chance que nous avons eue de disposer des outils et des ressources nécessaires à notre développement que les Albertains sont à ce point irrités qu’ils parlent de telles choses. « Et si nous nous retirions, tout simplement? » Il s’avère que ce n’est pas un sujet dont on a beaucoup parlé. Il faisait partie de la lettre « pare-feu » écrite par un économiste il y a quelques années, mais cette idée n’avait pas été sérieusement envisagée. Quand est-elle ressortie? Elle est ressortie durant cette époque marquée par l’obstructionnisme, les reproches et, selon certains Albertains, les efforts déployés par le reste du Canada pour étouffer et entraver l’industrie, l’innovation, le travail et la richesse.
Vous savez, si vous pensez à ces deux réactions émotives, ces deux perspectives — que je respecte toutes les deux —, cela ressemble un peu à une querelle de famille. Cela me rappelle les histoires et les points de vue qu’on retrouve souvent dans une famille, et comme c’est le cas dans les familles, tout cela requiert un examen attentif, du respect, de l’écoute et une recherche de solutions. Je pense que le Sénat a un rôle à jouer. Nous sommes très bien placés pour proposer des solutions potentielles au fil du temps. Je crois que nous pouvons calmer le jeu. La motion de la sénatrice Simons contribuera à présenter certains faits qui pourraient faire avancer la conversation et nous permettre à tous de reconnaître la réalité et les diverses vérités.
Le Régime de pensions du Canada, ou RPC, a été créé en 1965 à la suite de négociations avec les provinces. Il inclut un mécanisme de retrait. En fait, on avait prévu que des provinces pourraient vouloir se retirer. Une formule a été établie précisément pour les raisons qui existent aujourd’hui.
Les travailleurs et les entreprises de l’Alberta, isolément, ont versé des cotisations trop élevées par rapport à leurs prestations de retraite passées et futures, et les habitants du reste du Canada ont versé des cotisations insuffisantes par rapport à leurs prestations.
Ce sont là quelques vérités qui méritent de faire l’objet de discussions et d’être reconnues. Je pense que, tout comme pour une dispute familiale, reconnaître ces vérités calmera le jeu et nous permettra — en tant que famille fédérale — de trouver la voie à suivre. Je pense que nous sommes tous raisonnables. Je crois que tous les Canadiens peuvent trouver une voie à suivre.
Merci, chers collègues.
Merci beaucoup de votre discours réfléchi, sénateur Tannas. Vous maîtrisez les questions fiscales beaucoup mieux que moi. Si, comme votre analyse l’indique, l’Alberta a trop payé et le reste du Canada n’a pas assez payé, quelles seraient les conséquences sur le fonds — le RPC dont les autres Canadiens dépendent — si l’Alberta décidait de se retirer?
Je pense qu’il n’y a aucun doute sur le fait que ce serait très grave. Le fait est que le fonds se présente comme étant entièrement financé. Il ne l’est que si l’Alberta ne se retire pas. Si l’Alberta se retire, conformément à la formule, elle emporte avec elle l’excédent — ses surcotisations —, et ce montant devra être compensé. Il devra être compensé par toutes les autres provinces, le gouvernement fédéral, les travailleurs et les entreprises des autres régions, et il se peut que ce chiffre soit si élevé qu’il incite les autres provinces à commencer à regarder si elles sont du côté positif ou négatif et à se demander si elles devraient se retirer. Je pense que la question est existentielle. Je n’en suis pas certain, mais il s’agit certainement de dizaines de milliards de dollars, et peut-être de plus de 100 milliards de dollars. C’est pourquoi je pense qu’il est important de disposer de tous les faits concernant ce décalage.
Je vais vous dire ce qui n’est pas important. Il n’est pas important de parler comme nous l’avons fait jusqu’à présent de fausse représentation, d’absurdité des chiffres, etc. Ce n’est pas ce dont nous devrions parler. Je pense que nous devrions tous reconnaître — et les Albertains, je crois, le reconnaissent — qu’il s’agirait d’un événement catastrophique pour le Régime de pensions du Canada.