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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat

10 juin 2025


L’honorable Yvonne Boyer [ + ]

Propose que le projet de loi S-228, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation), soit lu pour la deuxième fois.

Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui sur le territoire traditionnel et non cédé de la nation algonquine Anishinabe. Je remercie sincèrement les nations sur le territoire desquelles nous sommes et à reconnaître l’importance cruciale de l’humilité et du respect dans le processus de réconciliation. Alors que nous amorçons la 45e législature, engageons-nous de nouveau à accomplir ce travail, pas seulement en paroles, mais en actions.

Je prends aujourd’hui la parole pour présenter le projet de loi S-228, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation). Il s’agit de la réintroduction d’un projet de loi identique à la version amendée du projet de loi S-250 que le Sénat a adopté à l’unanimité et qui avait été renvoyé à la Chambre des communes en octobre 2024. Malheureusement, ce projet de loi est mort au Feuilleton lorsque le Parlement a été prorogé. Toutefois, les actes violents qu’il vise à prévenir n’ont pas cessé, et notre responsabilité n’en est pas moins grande.

Ce projet de loi vise à mettre fin à une pratique à la fois inacceptable et persistante : la stérilisation forcée et sous la contrainte de femmes et de personnes marginalisées au Canada. Le projet de loi S-228 vise à préciser dans le Code criminel que la stérilisation d’une personne sans son consentement constitue une voie de fait grave en vertu du paragraphe 268(1) du Code criminel, qui dit : « commet des voies de fait graves quiconque blesse, mutile ou défigure le plaignant ou met sa vie en danger ».

Le projet de loi S-228 ajoute une disposition à l’article 268 pour préciser qu’un acte de stérilisation constitue « une blessure ou une mutilation ». Il définit un « acte de stérilisation » comme toute intervention qui a pour effet d’empêcher la procréation de façon définitive, que l’acte soit ou non techniquement réversible. L’infraction est grave; elle est également passible d’un emprisonnement maximal de 14 ans.

Soyons clairs : la stérilisation forcée n’est pas une relique du passé. Elle se pratique encore aujourd’hui au Canada. La première question que l’on me pose lorsque l’on découvre que je travaille sur le sujet de la stérilisation forcée ou contrainte est la suivante : « Cela se fait-il encore? C’était il y a longtemps, n’est-ce pas? ».

La réponse est simple : non. Cela se fait aujourd’hui et en ce moment même. Des femmes sont contraintes ou forcées à la stérilisation, qu’elles soient enceintes, qu’elles viennent d’accoucher ou qu’elles se trouvent dans une autre situation.

J’expliquerai aujourd’hui certaines des raisons qui sous-tendent cette situation.

Le Canada a un long et douloureux passé d’eugénisme et du recours à la stérilisation pour réguler et limiter certaines populations. De 1928 à 1973, l’Alberta et la Colombie-Britannique ont adopté des lois sur la stérilisation sexuelle qui visaient de manière disproportionnée les femmes autochtones. Plus de 4 700 stérilisations ont été pratiquées dans la seule province de l’Alberta.

Les femmes autochtones, autrefois vénérées dans leur communauté en tant que procréatrices et gardiennes du savoir culturel, ont été et sont toujours prises pour cible en raison de croyances coloniales qui dévalorisent leur corps et leur autonomie. Cette oppression a été justifiée par le colonialisme, le paternalisme et le racisme, et elle n’a pas pris fin avec l’abrogation de ces lois.

En 2017, lorsque plusieurs femmes autochtones ont révélé qu’elles avaient été contraintes ou forcées de subir une ligature des trompes après avoir accouché par césarienne, l’autorité sanitaire de Saskatoon m’a chargée de réaliser un examen externe de ses politiques en matière de ligature des trompes.

J’ai coécrit avec la Dre Judith Bartlett un rapport documentant les stérilisations forcées et contraintes à Saskatoon. Sa publication a suscité une prise de conscience nationale sur la réalité vécue par les femmes autochtones.

Il existe des centaines d’histoires, mais un exemple particulièrement grave m’a marquée. Une femme nous a raconté qu’un médecin l’avait contrainte à signer un formulaire de consentement à la stérilisation en lui disant que son bébé serait atteint de paralysie cérébrale si elle refusait de le faire. Comme vous le savez peut-être, la paralysie cérébrale est causée par un manque d’oxygène à la naissance.

Une autre s’est fait dire qu’elle n’avait pas le choix et elle a donné son consentement alors qu’elle était en plein travail. D’autres ont été informées que leur bébé leur serait retiré par les services sociaux si elles ne signaient pas. D’autres encore ont été stérilisées quelques heures après avoir accouché sans être informées du caractère permanent de l’intervention. D’autres enfin ont été tout simplement stérilisées à leur insu.

En Nouvelle-Écosse, Louise Delisle, une adolescente noire de 15 ans, a subi une hystérectomie partielle sans son consentement ni celui de la personne qui avait la garde légale de Louise quand elle a accouché.

Lors de son témoignage, la professeure Josephine Etowa, de l’Université d’Ottawa, a dit que la question de l’hystérectomie revenait sans cesse lors des entretiens qu’elle a menés dans le cadre de ses recherches auprès de 237 femmes noires dans les zones rurales de la Nouvelle-Écosse.

Ces récits sont horribles, mais ils ne sont pas isolés. Mon bureau a recensé au moins 12 000 femmes autochtones qui ont été stérilisées de force ou sous la contrainte au Canada entre 1971 et 2018.

Partout au Canada, des recours collectifs en cours continuent de faire la lumière sur l’ampleur et la persistance de la stérilisation forcée ou sous la contrainte. Ces recours collectifs représentent des centaines de femmes autochtones qui ont été stérilisées sans leur consentement. Le fait que ces poursuites judiciaires concernent plusieurs provinces et sont toujours en cours met en évidence l’ampleur nationale de cette crise. Les survivantes réclament justice non seulement pour leur traumatisme personnel, mais aussi pour les défaillances systémiques qui ont permis à cette pratique de se poursuivre sans contrôle.

Ces cas constituent un avertissement juridique et moral brutal : nos systèmes de santé et juridiques n’ont pas encore pris toute la mesure de cette violation, et tant qu’ils ne le feront pas, les préjudices continueront.

Un cas particulièrement odieux a récemment été révélé au grand jour. Il concerne le Dr Andrew Kotaska, qui a pratiqué l’ablation des ovaires et des trompes de Fallope d’une femme inuite de 37 ans sans son consentement. Le Dr Kotaska est l’ancien directeur des services cliniques du service d’obstétrique de l’Hôpital territorial Stanton à Yellowknife et il a été président de l’Association des médecins des Territoires du Nord-Ouest. Il a exercé la médecine pendant de nombreuses années et il a été professeur au département d’obstétrique et de gynécologie de l’Université de Toronto, de l’Université du Manitoba et de l’École de santé publique et de santé des populations de l’Université de la Colombie-Britannique. Il a publié des articles sur les soins aux patients autochtones et, étonnamment, sur le consentement éclairé et l’éthique.

La patiente du Dr Kotaska souffrait de douleurs pelviennes et elle avait donné son consentement pour une ablation de l’ovaire droit et de la trompe de Fallope, au besoin. Pendant l’intervention, le Dr Kotaska a dit : « Voyons si je peux trouver une raison d’enlever la trompe gauche. » C’est ce qu’il a fait. Il a stérilisé cette patiente de façon permanente. Une plainte a été déposée auprès du ministère de la Santé et des Services sociaux des Territoires du Nord-Ouest, et une audience en ligne a eu lieu. La commission d’enquête a conclu qu’il avait enfreint le Code d’éthique et de professionnalisme de l’Association médicale canadienne.

Il a été suspendu pour une période de 5 mois, mais comme son contrat était déjà arrivé à échéance, il s’agissait d’une sanction nulle et non avenue. Par ailleurs, il a dû payer 20 000 $ en frais juridiques liés aux audiences et suivre un cours d’éthique. Le Dr Kotaska et l’Administration des services de santé et des services sociaux des Territoires du Nord-Ouest font l’objet d’une poursuite de 6,5 millions de dollars, et j’ai entendu dire que le Dr Kotaska travaille maintenant dans l’intérieur de la Colombie-Britannique. Il figure au tableau du College of Physicians and Surgeons of British Columbia.

Les dispositions du projet de loi que je présente aujourd’hui auraient peut-être empêché que cela se produise. Elles auraient pu pousser le Dr Kotaska à se livrer à un second examen objectif avant de procéder à l’ablation de la seule trompe de Fallope qui restait à sa patiente. Les peines prévues dans le projet de loi S-228 auraient pu l’amener à bien réfléchir à ses gestes. Les dispositions du projet de loi S-228 aurait pu avoir un effet dissuasif.

Je travaille avec diligence depuis au moins 2017 pour éradiquer la stérilisation forcée ou contrainte. Dès le début, des victimes de cette pratique horrible m’ont demandé de rédiger un projet de loi afin de criminaliser la stérilisation sans consentement. J’ai d’abord été réticente, étant donné les préjudices que les Autochtones avaient subis par le passé au sein du système de justice pénale.

J’ai quand même présenté le projet de loi S-250 à la suite de deux études, menées en 2021 et en 2022, par le Comité sénatorial permanent des droits de la personne.

La première étude a rassemblé la communauté des personnes handicapées, celle des personnes intersexuées, des Néo-Écossaises noires, des avocats et le gouvernement. Cette étude nous a fait découvrir les problèmes dans toute leur ampleur.

La deuxième étude, au cours de laquelle nous avons entendu les témoignages de survivantes de la stérilisation forcée, a été l’une des expériences les plus marquantes, émouvantes et déchirantes de mon mandat au Sénat. Au cours de cette étude, les survivantes se sont exprimées clairement et d’une seule voix pour demander que cette pratique horrible soit criminalisée. Le projet de loi est une réponse directe à leur appel à l’action.

Le projet de loi est également une réponse à la recommandation 1 formulée dans le rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne intitulé Les cicatrices que nous portons : La stérilisation forcée et contrainte de personnes au Canada - Partie II. Elle se lit comme suit : « Qu’un projet de loi soit déposé afin d’ajouter une infraction relative à la stérilisation forcée et contrainte dans le Code criminel. »

J’ai présenté le projet de loi S-250 en juin 2022, et le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a mené une étude approfondie et profondément émouvante sur la question. Parmi les témoins, il y a eu Nicole Rabbit, une survivante de cette pratique qui est membre du conseil d’administration du Cercle des survivants pour la justice reproductive. Elle nous a dit que sa mère, sa nièce et elle avaient toutes été stérilisées contre leur gré.

Nous avons entendu les représentants de l’Association médicale canadienne, de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, du Conseil national des sages-femmes autochtones et de l’Association des femmes autochtones du Canada, et ils ont tous appuyé les objectifs du projet de loi.

Des experts du ministère de la Justice et de Services aux Autochtones Canada ont confirmé que le projet de loi était nécessaire et clair sur le plan juridique. Mon bureau a également reçu d’innombrables courriels et appels téléphoniques en faveur de cette mesure législative.

Durant l’étude en comité, des réserves ont néanmoins été exprimées quant aux conséquences imprévues et à la complexité du projet de loi S-250. Après avoir pris connaissance des inquiétudes que mon projet de loi suscitait chez les experts des ministères et mes collègues, en les écoutant d’une oreille attentive, j’ai collaboré avec le ministre de la Justice pour amender le projet de loi et réduire son nombre de lignes de 55 à 14, ce qui a permis de rendre l’intention du législateur claire comme de l’eau de roche et d’éliminer tout risque de conséquences imprévues.

L’amendement et le projet de loi subséquent ont été rapidement adoptés à l’unanimité par le comité et le Sénat, puis le projet de loi a été renvoyé à la Chambre des communes en octobre 2024 pour une étude plus poussée. Le projet de loi S-228 dont vous êtes saisis correspond à la version amendée de cette mesure législative.

Chers collègues, je ne saurais trop insister sur le fait que nous devons agir sans attendre. Chaque jour qui passe sans que ce projet de loi n’entre en vigueur est un jour de plus où une personne risque d’être stérilisée contre son gré. Ce n’est pas théorique. Ce n’est pas historique. C’est une réalité actuelle. La dernière stérilisation forcée ou contrainte pour laquelle j’ai été consultée remonte à décembre 2024.

Récemment, beaucoup d’entre vous ont regardé le reportage fouillé que CBC News North a consacré à la stérilisation forcée ou contrainte. Il était axé sur l’histoire de Katy Bear, une femme des Premières Nations qui avait été stérilisée sans son consentement. Chaque fois que je m’exprime sur cette question, je raconte, pour illustrer l’omniprésence de la stérilisation, l’histoire d’une jeune femme que j’ai rencontrée alors que je m’enregistrais dans un hôtel, tard dans la nuit, à Saskatoon.

L’employée était seule. Le hall était vide. Elle m’a demandé si j’étais la sénatrice de la stérilisation. J’ai expliqué que c’était un domaine dans lequel je travaille.

Elle m’a regardée, les yeux remplis de larmes, et elle m’a dit :

Ils m’ont fait ça quand j’avais 21 ans. J’ai maintenant 35 ans, et mes enfants sont grands. Je ne peux pas me permettre la fécondation in vitro, mais je veux d’autres enfants. J’ai un nouveau conjoint.

J’ai été complètement bouleversée. J’ai pleuré moi aussi et j’ai dit que je ferais tout ce que je pourrais pour l’aider.

Quelques années après cette rencontre fortuite, en mars 2025, CBC News North a raconté l’histoire incroyable de cette employée. Elle avait 41 ans et elle devait accoucher deux semaines plus tard lorsque nos chemins se sont croisés à nouveau. Elle avait subi une réanastomose tubaire après qu’une grossesse extra-utérine surprise l’avait contrainte à se faire retirer une de ses trompes de Fallope. Elle avait moins de 5 % de chances de concevoir, mais elle est tombée enceinte.

Le 20 mars dernier, alors que sa grossesse arrivait à terme, cette mère expérimentée de quatre enfants a senti que quelque chose n’allait pas. Elle s’est rendue à l’hôpital de Saskatoon, où elle a été immédiatement admise dans la salle d’urgence pour soins traumatologiques obstétricaux. C’était le même hôpital où elle avait été stérilisée 20 ans plus tôt. Le médecin qui l’a prise en charge avait son dossier, qui indiquait ce qu’elle avait vécu tant d’années auparavant et les efforts qu’elle avait déployés pour tomber enceinte.

Après l’avoir examinée, le médecin lui a dit que le bébé se présentait par le siège et qu’il fallait soit le faire pivoter, soit procéder rapidement à une césarienne. À ce moment-là, dans la salle d’urgence, le médecin lui a demandé si elle souhaitait être stérilisée pendant la césarienne. Ce médecin n’était pas seulement un médecin, il était également un professeur de médecine à l’Université de la Saskatchewan. Il était chargé de former nos futurs médecins.

La question n’était pas seulement déplacée; elle provoquait un nouveau traumatisme reflétant les problèmes systémiques profonds que nous n’avons toujours pas résolus. Pour une personne comme Katy, qu’on avait déjà privée de sa capacité à procréer, se faire poser cette question dans un tel moment de vulnérabilité, qu’on lui demande son consentement, constituait un brutal rappel de la persistance des attitudes et des préjugés liés à la stérilisation forcée dans le système de santé jusqu’à aujourd’hui.

Cette situation est survenue le 20 mars 2025 — il y a 82 jours. Cela me montre que la stérilisation forcée et contrainte ne disparaîtra pas d’elle-même et qu’il faut faire plus.

Deux jours plus tard, Katy donnait naissance à une magnifique petite fille grâce à une césarienne pratiquée par son obstétricienne, en qui elle avait confiance. Sa fille se nomme Sage, ce qui signifie « bon remède ».

Il est extrêmement difficile pour les femmes autochtones et pour d’autres personnes marginalisées d’avoir accès à des soins génésiques adaptés à leur culture. Quand elles arrivent à y avoir accès, on les incite quand même à renoncer à leur capacité de procréer et on le fait au moyen de la contrainte, de la menace et de la tromperie.

Nous ne pouvons pas rester les bras croisés. Ce n’est pas la première fois que nous parlons de ce problème. Les bases ont déjà été jetées, les preuves sont là et les survivantes attendent que nous agissions. Ne leur demandons pas d’attendre plus longtemps.

Je tiens à remercier les centaines de survivantes qui m’ont témoigné leur confiance en me racontant leurs histoires. Je remercie tout particulièrement Tracey Banab, Brenda Pelletier, Nicole Rabbit et Katy Bear, ainsi que les nombreuses autres personnes qui ont façonné le projet de loi. Vous avez déjà changé le cours du débat national. Maintenant, grâce au projet de loi S-228, nous pouvons modifier la loi.

Faisons en sorte qu’aucune femme, qu’aucune personne, ne soit plus jamais privée de sa capacité de décider si et quand elle veut avoir des enfants. C’est une question non seulement de droit pénal, mais aussi de dignité humaine. C’est une question de justice. Il s’agit de notre responsabilité commune de veiller à ce que nos systèmes protègent les plus vulnérables d’entre nous, et non qu’ils leur nuisent.

J’exhorte respectueusement mes collègues à renvoyer sans tarder le projet de loi au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles et je demande à ce dernier de l’étudier rapidement et efficacement en s’appuyant sur le dossier volumineux qui a déjà été monté.

Au cours de la dernière législature, le comité a effectué un travail important sur le projet de loi et il l’a façonné de concert avec des survivantes pour qu’il devienne la mesure législative dont le Sénat est saisi aujourd’hui. Il est impératif que son travail ne soit pas perdu. J’exhorte le comité à tenir compte du travail qui a déjà été fait, à examiner les rapports antérieurs et à faire cheminer rapidement le projet de loi au comité au cours de la présente législature.

Agissons de façon décisive. Agissons maintenant. Soyons du bon côté de l’histoire.

Meegwetch. Merci. Pour toutes nos relations.

Je tiens tout d’abord à vous remercier pour tout le travail que vous avez accompli dans ce dossier. En tant qu’Albertaine, compte tenu du passé très sombre de ma province en matière d’eugénisme, il est particulièrement important pour moi de le reconnaître.

Je veux m’assurer de bien comprendre le libellé de cette version du projet de loi, car on y lit ce qui suit :

Pour l’application du paragraphe 268(1), il est entendu qu’un acte de stérilisation constitue une blessure ou une mutilation.

Ce paragraphe fait référence à des voies de fait graves. Le projet de loi ne mentionne nulle part la coercition, la tromperie ou la contrainte. Comment une femme qui souhaite subir une ligature des trompes ou un homme qui souhaite subir une vasectomie pourraient-ils bénéficier de ce service de santé auprès d’un médecin sans que ce dernier craigne d’être poursuivi en justice?

La sénatrice Boyer [ + ]

Merci, sénatrice. Il s’agit d’un acte positif. Cela n’empêche pas une femme de subir une ligature des trompes ni un homme de subir une vasectomie si tel est leur volonté. Cette disposition législative ne s’applique que lorsqu’il n’y a pas eu de consentement à l’acte. Le consentement relève des dispositions du Code criminel relatives aux agressions, et il n’y a aucune ambiguïté. Je pense que la solution la plus simple et la plus claire est de l’intégrer à l’article 268 , car il exprime clairement l’intention de cette mesure.

Je pose ces questions afin que votre intention soit clairement consignée dans les archives du Sénat. Il est difficile pour les femmes d’accéder à des soins de santé gynécologique dans un contexte respectueux.

D’un côté, vous mettez en lumière le problème très concret des femmes qui sont contraintes à la stérilisation, mais de l’autre côté de l’équation, il y a un problème tout aussi grave, mais inverse : celui des femmes qui souhaitent disposer librement de leur santé reproductive et à qui on refuse l’accès à une hystérectomie ou à une ligature des trompes.

Je voudrais vous demander s’il y a lieu de craindre que les médecins refusent ces services aux femmes par crainte d’être poursuivis, même si cette crainte n’est pas fondée, et si cela pourrait avoir un effet dissuasif sur la capacité des femmes à accéder aux soins de santé reproductive.

La sénatrice Boyer [ + ]

Merci, sénatrice. Je pense que ce projet de loi aura un effet dissuasif sur les médecins qui estiment que les femmes devraient être stérilisées sans leur consentement.

De plus, cela n’empêche personne d’obtenir une ligature des trompes ou une vasectomie.

L’honorable David M. Wells [ + ]

Merci encore, sénatrice Boyer. Nous avons déjà été saisis de cette question et je vous remercie de votre travail important dans le dossier.

Au Sénat, nous avons, au fil des ans, étudié de nombreux projets de loi importants pour le Canada et les Canadiens, mais je ne vois rien de plus important que le travail que vous avez présenté au Sénat, et je vous en remercie.

Vous savez que je suis le porte-parole du projet de loi, vous savez que j’étais aussi le porte-parole du projet de loi S-250 au cours de la dernière législature, et vous savez également que je suis en faveur du projet de loi.

Pourriez-vous nous parler un peu de ce qui se passera, outre le projet de loi? Supposons qu’il soit adopté. Supposons qu’il soit adopté par le Sénat et l’autre endroit. Aucun fonds n’est rattaché à sa mise en œuvre, mais il est clair que des fonds seront nécessaires pour financer les mesures de soutien qui seront mises en place une fois le projet de loi adopté — registres, fonds de soutien à la guérison, sensibilisation du public, données et recherche.

Vous avez mentionné qu’il y a seulement 82 jours — et ce, malgré la publicité entourant le projet de loi S-250 au cours de la dernière législature —, on a recommandé ou suggéré l’intervention. C’est donc dire qu’il faut sensibiliser le public. Quelles sont les choses que vous considérez comme importantes pour la prochaine étape, une fois que le projet de loi sera adopté?

La sénatrice Boyer [ + ]

Merci, sénateur Wells. Un organisme appelé Cercle des survivants pour la justice reproductive a été créé. Il a été constitué il y a un an environ. Il est opérationnel et a mis en place un registre où les femmes peuvent s’inscrire pour bénéficier d’aides à la guérison. L’organisme est financé par le gouvernement et je pense qu’il en est à ses débuts et qu’il sera bientôt en mesure de traiter bon nombre de ces questions dans tout le Canada.

Il s’agit d’un organisme national, ce qui lui permet d’intervenir partout au pays. Je pense que cet organisme sera très utile dans le domaine de l’éducation et pour aider des personnes comme Katy quand des situations comme celle-ci se produisent. Il m’a certainement été très utile, parce que la dernière fois que j’ai été consultée, c’était en décembre 2024. Il prend le relais. Il travaille également en étroite collaboration avec les sages-femmes autochtones, qui sont également financées par le gouvernement.

J’espère que, en conjuguant leurs efforts, les sages-femmes et l’organisme national seront en mesure de résoudre bon nombre de ces problèmes et d’apporter leur soutien au besoin.

Le sénateur D. M. Wells [ + ]

Acceptez-vous de répondre à une autre question, sénatrice Boyer?

La sénatrice Boyer [ + ]

Oui.

Le sénateur D. M. Wells [ + ]

Il s’agit donc d’une loi fédérale qui relèverait du Code criminel. Les médecins qui pratiquent ces interventions relèvent des systèmes hospitaliers et de santé provinciaux.

Voyez-vous des problèmes liés à la différence entre les pouvoirs publics concernant la circulation de l’information dans le système hospitalier, le système des cliniques et l’ensemble du système provincial de soins médicaux? Il est évident qu’une sensibilisation est nécessaire. Voyez-vous des problèmes à cet égard? Existe-t-il un écart entre ce que nous faisons au niveau fédéral au titre du Code criminel et ce qui se pratique au niveau provincial?

La sénatrice Boyer [ + ]

Merci, sénateur Wells.

Je peux vous dire que j’ai travaillé, ces dernières années, avec la Colombie-Britannique, qui est très en avance en ce qui concerne la collaboration avec ses médecins. J’ai participé à des séances de consultation avec eux pour parler de stérilisation forcée, de ce qu’est le consentement, et du fait qu’il doit être adapté aux besoins d’une mère autochtone sur le point d’accoucher. Pour moi, cette province est cheffe de file des systèmes de santé provinciaux en ce qui concerne les droits génésiques.

Au fil des ans, j’ai travaillé avec l’Association médicale canadienne et avec la sénatrice Osler, dont le rôle a été crucial. Il y a beaucoup d’alliés formidables qui sont prêts à travailler dans le système provincial pour que nous puissions éradiquer ce problème, et pour que les médecins comprennent ce qu’est la stérilisation et ce qu’est le consentement.

Cela vaut aussi pour la médecin qui a demandé à Katy, qui se trouvait aux urgences et qui était en détresse, si elle voulait être stérilisée. Elle lui a demandé son consentement, mais ce n’était pas un vrai consentement; c’était un consentement sous la contrainte. Les médecins doivent donc également être sensibilisés à la question.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, je pense que cette mesure législative aura un effet dissuasif. J’espère que nous pourrons faire un pas de plus vers l’éradication de ce fléau. Merci.

L’honorable Marty Klyne [ + ]

Accepteriez-vous de répondre à une autre question?

La sénatrice Boyer [ + ]

Oui.

Le sénateur Klyne [ + ]

J’aborde peut-être la question avec naïveté, mais je fais certainement l’écho aux réflexions du sénateur Wells, en particulier à ses compliments à l’égard de votre travail et de tout ce que vous faites dans ce dossier.

Nous avons écouté ces histoires. Il est vraiment ahurissant d’essayer de comprendre — et c’est peut-être là une partie de ma naïveté — pourquoi un médecin qui a prêté serment d’Hippocrate stériliserait sans une personne sans son consentement ou sans avoir préalablement mené le bon type de consultation. À bien des égards, il s’agit de stérilisation forcée.

Ces médecins ne sont pas seuls dans la pièce. Il y a des adjoints médicaux, des infirmières et ainsi de suite. Il est donc peut-être nécessaire d’inclure une disposition sur les dénonciateurs.

En ce qui concerne les provinces, le sénateur Wells a raison, la santé relève de leur compétence. Cependant, je ne vois pas comment une province, un premier ministre provincial ou le médecin hygiéniste en chef d’une province pourrait ne pas vouloir éradiquer ce fléau. Il est tout simplement insensé de stériliser une personne qui n’a pas consenti à la stérilisation et qui n’a pas reçu les bons conseils pour même envisager de le faire. Il faut donc parfois des conséquences sévères pour éradiquer un comportement.

Je ne sais pas si vous avez songé à la stratégie à employer pour amener les provinces à se joindre à vous, car je ne vois aucun électorat permettre que cela se produise dans sa province.

La sénatrice Boyer [ + ]

Merci, sénateur Klyne. Je conviens qu’il y a certainement du travail à faire, mais cela ne concerne que quelques médecins. Ce ne sont pas tous les médecins qui sont visés, ce sont les pommes pourries.

Je pense qu’à l’échelle des provinces des efforts sont déployés, il y a de la sensibilisation et on discute des soins de santé et des soins maternels adaptés à la culture. Des programmes sont mis en place. Des efforts sont déployés. Je crois que les responsables veulent vraiment s’attaquer à ce problème eux aussi.

Je n’arrive pas à comprendre comment cela a pu arriver à Katy, en mars dernier. Comment cela a-t-il pu se produire malgré tous les efforts que nous avons déployés? Il y a tellement de gens, tellement d’alliés qui veulent aussi mettre un terme à cette pratique.

Je n’ai pas de réponse, mais je sais que les provinces appuient elles aussi l’élimination de cette pratique. Le gouvernement fédéral a organisé une table ronde avec toutes les provinces pour discuter de cette question. Il a également organisé des ateliers sur le racisme dans les soins de santé partout au Canada, auxquels j’ai participé. La sensibilisation se poursuit. Je crois que les autorités veulent aussi mettre fin à cette pratique, je ne comprends donc pas pourquoi elle persiste. J’aimerais que cela cesse.

Le sénateur Klyne [ + ]

Comme je l’ai dit, il faut que ce genre d’acte ait des conséquences. Quelqu’un essaie-t-il de formuler des conséquences possibles pour ces « pommes pourries »?

La sénatrice Boyer [ + ]

Je pense que le projet de loi S-228 est un bon moyen de dissuasion; c’est un bon point de départ.

Il faut qu’il y ait des conséquences parce que cette situation dure depuis très longtemps. Cela va à l’encontre de la loi; le Code criminel contient des dispositions sur les voies de fait. Chaque fois qu’une personne est stérilisée sans son consentement, on peut intenter des poursuites en vertu de ces dispositions, mais on ne le fait pas. Mettons en place des mesures dissuasives. Voyons si cela fonctionnera.

Ce n’est qu’un des outils à notre disposition. Il y a tant d’autres choses qui doivent être faites, et on compte déjà nombre d’initiatives, comme le Cercle des survivantes. Cet organisme travaille très fort pour venir en aide à toutes les femmes au Canada qui ont été stérilisées.

C’est une initiative de portée nationale, et je pense que le projet de loi n’est qu’un outil de plus.

L’honorable Michèle Audette [ + ]

Tout d’abord, un gros merci au nom des nombreuses personnes qui ont tenté de faire la lumière sur cette tragédie qui ne devrait pas exister pendant l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Demain, cela fera un an que le président du Collège des médecins du Québec, le Dr Mauril Gaudreault, a réalisé qu’entre 1980 et 2019, au Québec seulement, plus de 30 femmes des Premières Nations et inuites ont été stérilisées sans leur consentement.

Est-ce que vous collaborez avec la professeure Suzy Basile, qui travaille sur ces enjeux? Est-ce que vous suivez l’évolution du recours collectif qui a été intenté pour dénoncer cette injustice qui s’est produite aussi au Québec?

La sénatrice Boyer [ + ]

Merci, sénatrice Audette. Oui, je travaille depuis plusieurs années avec la professeure Suzy Basile. Je sais qu’on a autorisé le recours collectif qui vise trois médecins ainsi qu’un centre de services de santé au Québec. Ce n’est qu’un outil de plus à notre disposition, mais cela aura des répercussions en ce qui concerne l’autorisation des autres recours collectifs au pays. Ce cas a établi un très bon précédent, et le travail qui se fait au Québec est phénoménal.

L’honorable Flordeliz (Gigi) Osler [ + ]

Madame la sénatrice, merci d’avoir présenté ce projet de loi à nouveau au Sénat.

Ma question fait suite à celle de la sénatrice Simons concernant la formulation ou l’absence de formulation du terme « consentement » dans le projet de loi S-228. Je crois que vous avez dit que le libellé de l’article 268 du Code criminel couvre déjà le consentement. Je viens de le consulter et je crois que le libellé actuel parle d’exclure les cas où le consentement a été donné, mais qu’il se limite de manière très précise aux interventions chirurgicales sur diverses parties de l’anatomie sans faire référence aux actes de stérilisation.

Pourriez-vous développer cette idée? Sans modifier le libellé du consentement à l’article 268 — et le projet de loi ne contient aucune mention du consentement —, cela pourrait-il avoir pour conséquence imprévue de criminaliser les actes de stérilisation?

La sénatrice Boyer [ + ]

Merci.

Je pense que les mots clés ici sont « blessure » ou « mutilation » d’une personne, et cela se ferait certainement sans consentement. Ainsi, les mots clés qui font entrer cet acte dans la catégorie des voies de fait graves sont donc « blessure » et « mutilation ». Il y a voies de fait en cas de blessure ou de mutilation. Il n’y aurait bien sûr pas de consentement, puisque la blessure et la mutilation se font sans consentement.

Le sénateur D. M. Wells [ + ]

Honorables sénateurs, en tant que porte-parole pour le projet de loi, j’ai l’intention de prendre la parole à ce sujet jeudi.

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