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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Débat

11 février 2021


L’honorable Renée Dupuis [ + ]

Le paragraphe 132 du jugement Carter de la Cour suprême dit ce qui suit :

À notre avis, rien dans la déclaration d’invalidité que nous proposons de prononcer ne contraindrait les médecins à dispenser une aide médicale à mourir.

La suite, selon la cour, dépend des collèges des médecins, du Parlement et des législatures provinciales. C’est exactement ce qui s’est passé après la décision Carter : le Parlement et les législatures provinciales ont légiféré et les collèges des médecins ont instauré une série de règles, chacun dans leur domaine respectif.

Selon la présidente de la Fédération des ordres des médecins du Canada, qui a comparu devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, cet organisme est d’avis que le rôle du médecin est d’informer, et non de conseiller. Cette question doit demeurer, selon la fédération, sous la responsabilité des provinces et des organismes provinciaux qui développent les codes de déontologie des médecins, comme c’est le cas actuellement.

Certains de mes collègues ont fait notamment référence à l’article 24 du Code de déontologie des médecins du Québec et à l’article 31 de la Loi québécoise concernant les soins de fin de vie . Selon un autre témoin qui a comparu devant le comité, les ordres professionnels qui ont la protection du public au cœur de leur autorité possèdent toute l’autorité nécessaire dans les provinces pour veiller à la formation et au mentorat et pour établir les guides de pratique et les règles de conduite des médecins.

Selon un autre témoin, le Dr Naud, qui a comparu devant le comité, et je le cite :

Donc, le risque que les malades soient poussés vers l’aide médicale à mourir n’existe pas; c’est tout à fait le contraire que l’on voit actuellement.

Selon lui, les malades qui font une demande d’aide médicale à mourir ne le font pas sur un coup de tête ou en posant un geste impulsif. La présidente de la Fédération des ordres des médecins du Canada nous a répété ce qui suit, et je la cite :

Si un médecin a une objection de conscience, il doit agir au mieux des intérêts du patient et de la patiente […]

C’est ce que la Cour d’appel de l’Ontario a jugé un bon compromis entre les intérêts des patients et le droit à la liberté religieuse des médecins.

Enfin, il apparaît qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre l’administration par un médecin de l’aide médicale à mourir à la demande d’un patient et l’administration de la sédation terminale continue à un patient à l’initiative du médecin en dehors du cadre de l’aide médicale à mourir. Dans les deux cas, on fournit des substances qui mettent un terme à la vie d’une personne selon une procédure particulière à chacune de ces deux interventions.

Il est selon moi intrigant que les témoins qui ont comparu devant le comité pour invoquer leur liberté de conscience afin de refuser de renvoyer à un autre médecin un patient qui demande l’aide médicale à mourir n’aient pas soulevé cette même objection de conscience à l’égard de cette autre procédure administrée depuis des décennies, soit la sédation terminale continue, à l’initiative du médecin. Merci.

L’honorable Mary Jane McCallum [ + ]

Honorables sénateurs, je souhaite prendre la parole au sujet de la liberté de conscience dans le cadre du débat sur le projet de loi C-7. J’estime que le moment est bien choisi pour exprimer mes inquiétudes au sujet de la tournure que ce débat a prise à certains moments.

Alors que nous discutons de la liberté de conscience et des attentes que ce projet de loi imposerait aux médecins praticiens, souvent contre leur gré, j’estime qu’il serait tout aussi utile de discuter de la liberté de conscience des sénateurs qui débattront de ce projet de loi, qui proposeront des amendements et qui se prononceront sur ces mesures. Je pense que la plupart de nos collègues ont été touchés par les répercussions de ces mesures législatives à certains moments dans leur vie. Qu’il s’agisse d’un membre de la famille immédiate ou élargie, d’un ami, d’un voisin, d’un collègue...

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Sénatrice McCallum, je dois vous interrompre. Nous avons des problèmes d’interprétation.

Sénatrice McCallum, je crois que vous éprouvez des difficultés techniques, car selon ce que nous voyons d’ici, votre micro n’est pas désactivé. Sénatrice McCallum, vous avez encore cinq minutes. Nous allons laisser la sénatrice Mégie faire ses observations, puis nous reviendrons à vous afin de vérifier si le problème est réglé.

L’honorable Marie-Françoise Mégie [ + ]

J’aimerais faire une mise au point au sujet de la sédation palliative continue, qui est administrée durant les deux dernières semaines de fin de vie, lorsque les douleurs ou d’autres symptômes deviennent insupportables pour la personne. La seule façon de la soulager pour qu’elle ait une mort paisible, c’est de lui administrer des médicaments qui la placent dans un état d’inconscience. Ces médicaments peuvent être administrés de façon continue ou intermittente et, dans l’intermittence, la personne peut se réveiller.

Ces médicaments n’induisent pas la mort, ils permettent plutôt d’attendre que la mort naturelle de la personne survienne, quand elle doit survenir, en lui évitant de ressentir des douleurs atroces ou de s’étouffer.

Voilà, c’était la rectification que je tenais à apporter. La sédation palliative n’a pas pour but de tuer le patient, mais plutôt de l’apaiser avant qu’il meure. Merci.

La sénatrice McCallum [ + ]

Il s’agit d’une mesure législative pouvant susciter des émotions viscérales et possiblement entraîner des réactions hâtives et une décision risquant d’avoir des conséquences imprévues, irréfléchies et d’une grande portée.

Durant le débat sur le projet de loi C-7, j’ai remarqué lors de leurs discours que plusieurs sénateurs ont vécu des expériences personnelles avec l’aide médicale à mourir. Cela a procuré aux honorables sénateurs une certaine perspective pour aborder cette mesure législative. Or, une telle perspective risque parfois d’entraver l’objectivité. Les attentes par rapport à notre travail reposent sur un équilibre délicat, et le mélange de nos émotions et de nos expériences personnelles et collectives avec des thèmes aussi sensibles et avec une mesure législative aussi épineuse s’avère difficile à nier. Cependant, j’implore mes collègues de faire en sorte que l’objectivité et les faits qui nous ont été exposés par les témoins et par les Canadiens servent de guide à notre jugement de ce projet de loi.

Notre rôle de sénateur comporte l’obligation sacrée de s’assurer que les droits des minorités sont non seulement compris, mais qu’on accorde à ces minorités la capacité d’agir. Que ces personnes soient considérées comme des minorités en raison de leur race, de leur handicap, de leur religion, de leurs croyances, de leur sexualité ou de toute autre caractéristique de ce type, les sénateurs ont le devoir de faire en sorte que leurs voix et leurs préoccupations soient prises en compte de manière appropriée. Si un ou plusieurs de ces groupes se sentent menacés ou mis de côté par un projet de loi que nous examinons au Sénat, nous devrions alors comprendre qu’il faut nous montrer plus diligents.

Honorables sénateurs, nous nous trouvons dans une position désavantageuse lorsque nous tentons de tenir compte des préoccupations et des recommandations provenant de nombreux groupes aux différents points de vue. Nous avons accès à des données statistiques sur le nombre de Canadiens qui ont eu recours à l’aide médicale à mourir, mais nous ne pouvons pas savoir combien de professionnels de la santé ou Canadiens racialisés ou handicapés ont l’impression que leurs inquiétudes ne sont pas prises en compte ou que cette mesure législative menace leur vie ou celle de leurs patients. Sans un travail adéquat et exhaustif pour tenir compte de ces voix minoritaires, certains groupes risquent d’être encore plus désavantagés, marginalisés et réduits au silence.

Malgré les amendements qui ont été présentés pour tenter de corriger une partie des lacunes de ce projet de loi, nous avons toujours une mesure législative qui est considérée comme discriminatoire par un certain nombre de personnes et de groupes inquiets, qui ont l’impression qu’il pourrait y avoir une conséquence imprévue. Je crois que nous nous entendons tous pour dire qu’une seule conséquence imprévue dans ce qui est une question de vie ou de mort, c’est déjà trop.

En tant que sénatrice autochtone, j’ai été témoin de la vie dans une réserve. J’ai vu des aînés mourir dans la douleur, mais qui le font en acceptant et en reconnaissant que cette étape fait partie de leur parcours. Je m’inquiète du message que ce projet de loi envoie aux jeunes des Premières Nations et des ramifications culturelles qu’il pourrait avoir. Lorsqu’ils arriveront à la fin de leur voyage terrestre, je crains qu’ils croient que le caractère sacré de la vie qui était autrefois vénéré s’est érodé et que leur existence est sans importance, insignifiante. Ce qui m’inquiète, c’est que le message qui est envoyé aux jeunes des Premières Nations, c’est que leur vie n’est pas sacrée et qu’elle est sans importance, comme c’était le cas pour leur aînés, et que leur vie n’a pas autant de valeur et de sens. On leur dit qu’il existe maintenant des gens qui peuvent les aider à mourir.

C’est cette question et d’autres préoccupations qui ont été exprimées par un certain nombre de groupes dans l’ensemble du pays qui sous-tendent ma décision et m’amèneront à voter comme je vais le faire, selon ma conscience, sur le projet de loi et son amendement.

Honorables sénateurs, j’ai moi aussi été touchée par l’idée de l’aide médicale à mourir au cours de ma vie, comme c’est le cas pour beaucoup d’entre vous. Cependant, je m’efforce de ne pas laisser mon expérience personnelle influer sur mon devoir et mes attentes et de donner une voix aux groupes minoritaires qui se sentent ignorés et laissés dans une position de vulnérabilité par ce projet de loi. C’est donc avec beaucoup de sincérité que je demande à tous les sénateurs de faire de même et de s’efforcer d’aborder le projet de loi avec objectivité en ne perdant pas de vue et en ayant pour priorité l’intérêt de tous les Canadiens, traités également. Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Y a-t-il d’autres honorables sénateurs qui veulent intervenir sur le thème des droits à la conscience?

Sinon, le débat sur ce thème est conclu, et le Sénat abordera le débat sur le prochain thème, qui traite du processus d’examen et de l’entrée en vigueur de la loi.

Votre Honneur, je présenterai un amendement à la fin de mon intervention.

Honorables sénateurs, c’est un honneur de participer au débat sur le projet de loi C-7 ce soir. Je suis membre du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, et j’ai écouté attentivement les témoignages qui y ont été livrés. J’ai été profondément touché par le courage, l’honnêteté et la ferveur des nombreux témoins ayant comparu devant nous la semaine dernière. Je suis très reconnaissant de tout ce qu’ils ont fait pour nous aider dans nos délibérations.

Au fil des heures et des témoignages, j’ai pris pleinement conscience de l’importance de cette mesure législative et des effets de l’aide médicale à mourir sur divers segments de notre société. Un sénateur a affirmé qu’il s’agit de l’enjeu le plus déterminant de sa longue carrière au Sénat, et j’ai tendance à être d’accord avec lui.

Les questions de vie et de mort laissent très peu de place au compromis. Pour moi, c’était évident tout au long des audiences du comité, et cela le demeure dans le cadre des diverses discussions que nous avons ici sur ce sujet.

Du début à la fin, au comité et lors de nos débats ici, dans cette enceinte, il a aussi été évident que le fait que le projet de loi C-7 n’est pas été précédé d’un examen parlementaire approfondi est très malheureux. Cela n’était pas censé se passer ainsi. On nous a donné plusieurs raisons pour expliquer pourquoi nous ne bénéficions pas des conseils et des recommandations du Comité d’examen parlementaire que prévoyait le projet de loi C-14, en invoquant notamment la situation minoritaire du gouvernement et la pandémie. Une troisième raison a été avancée par le ministre Lametti qui, dans son témoignage, a laissé entendre que les négociations autour de la formation du comité d’examen étaient en quelque sorte dans l’impasse.

J’aimerais remercier la sénatrice Boniface pour les excellentes questions qu’elle a posées à ce sujet, à la fois pendant l’étude préliminaire du projet de loi C-7 en décembre et les réunions de comité la semaine dernière. Ses questions ont permis de mettre en lumière ce troisième problème.

À la lecture du projet de loi C-14, il apparaît clairement que les détails organisationnels concernant le processus d’examen parlementaire envisagé sont vagues et, comme on peut le voir avec du recul, qu’ils laissent probablement trop de place à la négociation. L’amendement qui sera proposé prochainement rendra plus clair le processus d’examen, dont tout le monde semble convenir qu’il doit aller de l’avant. L’amendement prévoit un mécanisme clair et vise à réduire la nécessité de négocier plus tard, ce qui, nous le comprenons maintenant, constitue un grand risque quand on veut lancer un tel projet.

L’amendement que je propose prévoit l’établissement d’un comité parlementaire mixte composé d’un nombre précis de sénateurs et de députés conformément à la composition du comité mixte de 2016. Il impose également un délai pour l’établissement du comité mixte de même que pour la présentation du rapport. Il comprend enfin une disposition de renouvellement automatique en vertu de laquelle le processus recommencerait obligatoirement dans le cas où une prorogation ou une élection interrompait les travaux du comité.

Cela dit, je peux vous assurer, en mon propre nom ainsi qu’au nom de la sénatrice Boniface, qui appuiera sous peu cet amendement, que vous ne nous blesserez pas dans notre orgueil si vous avez des sous-amendements qui amélioreraient ou clarifieraient nos intentions. Sentez-vous bien libres de les présenter. Il est très important que nous ayons un amendement solide, clair et juste pour, espérons-le, encourager nos collègues de l’autre endroit à l’accepter tout simplement.

Si vous vous opposez au nombre de sénateurs, aux délais ou à d’autres détails précisés dans l’amendement, plutôt que de le rejeter, je vous prie, encore une fois, de proposer un sous-amendement, car adopter le projet de loi C-7 avec l’espoir, le souhait et la promesse que l’examen se concrétisera me semble un mauvais pari. Nous devons mettre cela bien clairement par écrit dans le projet de loi.

Je ne veux embarrasser personne en donnant des exemples de promesses faites au Sénat ou aux sénateurs qui ont été rompues par le passé. Combien de fois le gouvernement nous a-t-il promis qu’il prendrait telle ou telle mesure si nous adoptons simplement son projet de loi et a-t-il rompu cette promesse? Cela fait huit ans que je suis au Sénat. J’ai vu ce scénario se produire sous le gouvernement actuel et sous d’autres avant lui. Nul doute, les promesses rompues constituent un programme non partisan.

Un vieil adage dit : qui me trompe une fois, honte à lui; qui me trompe deux fois, honte à moi. Il serait terriblement honteux que nous nous retrouvions dans un an, deux ans ou trois ans avec un autre projet de loi assorti d’une date butoir pour conformer la loi à une ordonnance de la cour et que nous nous demandions comment cela a pu se produire de nouveau.

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