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Projet de loi relative à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

Troisième lecture--Suite du débat

15 juin 2021


Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Je suis désolée, sénatrice Forest-Niesing, mais votre temps de parole est écoulé.

La sénatrice Forest-Niesing [ + ]

Puis-je demander plus de temps pour terminer mon intervention?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

La sénatrice Forest-Niesing demande cinq minutes de plus pour terminer son allocution. Les honorables sénateurs sont-ils d’accord?

La sénatrice Forest-Niesing [ + ]

Je vous remercie.

Selon moi, cette approche serait bénéfique à bien des points de vue et devrait être fortement considérée.

Pour conclure, je tiens au succès de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones au Canada, car je tiens à ce que mon héritage de Blanche franco-ontarienne et mon héritage à titre de membre de la Première Nation des Abénakis puissent enfin cohabiter en moi sur un pied d’égalité.

C’est également mon plus grand souhait pour les peuples autochtones et la population canadienne.

Merci, marsee.

L’honorable Peter M. Boehm [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Je remercie la sénatrice LaBoucane-Benson de jouer efficacement son rôle de marraine et les membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones de leur diligence.

J’appuie fermement le projet de loi et l’esprit qui le guide. J’éprouvais le même sentiment en 2018, lorsque je suis intervenu à propos de ce qui était alors la dernière d’une série de tentatives visant à mettre en œuvre la déclaration, le projet de loi C-262. Il s’agissait de mon premier discours dans cette enceinte. En fait, nous n’étions pas dans l’enceinte actuelle, mais bien dans l’ancienne enceinte du Sénat. J’espère, comme beaucoup de gens, que nous assistons actuellement à la dernière ronde de discours sur la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Chers collègues, il est plus que temps d’harmoniser les lois du Canada avec la déclaration, qui a été adoptée en 2007 par 144 États membres des Nations unies. Au départ, le Canada a voté contre la déclaration, mais il l’a finalement adoptée après l’avoir approuvée sans la signer en 2010.

C’est seulement maintenant, après des années de promesses par le gouvernement et des années de projets de loi d’initiative parlementaire, qu’un projet de loi d’initiative ministérielle a enfin été présenté à la Chambre des communes, en décembre 2020, pour mettre en œuvre la déclaration. L’adoption de ce projet de loi est une étape vitale de la démarche de réconciliation, qui évolue constamment. Nous devons franchir cette étape maintenant, après une année marquée par une crise sanitaire mondiale, du genre qui ne se produit qu’une fois​ par siècle, ainsi que par une réflexion générationnelle sur le racisme et la discrimination systémiques.

Pour quiconque se demande pourquoi la mise en œuvre de la déclaration est si importante, voici quelques-unes des raisons.

En 2021, nous débattons encore de droits constitutionnels issus de traités, qui ont été reconnus par la Cour suprême, et que les Mi’kmaqs et les Malécites détiennent depuis 260 ans, soit de leur droit de pêcher, de chasser et de cueillir pour subvenir aux besoins de leur famille. Je fais bien sûr référence à la motion maintenant adoptée des sénateurs Francis et Christmas, qui porte sur le conflit en Nouvelle-Écosse opposant les pêcheurs de homard autochtones et les pêcheurs commerciaux de homard non autochtones.

Par ailleurs, même si 107 avis à long terme de faire bouillir l’eau ont été levés depuis novembre 2015, en date du 21 mai, il en restait encore 52 dans 33 collectivités des Premières Nations dans l’ensemble du Canada.

Les Autochtones sont énormément surreprésentés dans le système de justice pénale du Canada comparativement aux non-Autochtones. D’ailleurs, la proportion de non-Autochtones dans les prisons du Canada diminue depuis une décennie, alors que le taux d’incarcération des Autochtones augmente depuis bien plus longtemps. Les Autochtones ne représentent que 5 % de la population canadienne, mais plus de 30 % des détenus des prisons fédérales. Chez les détenues, 42 % sont des Autochtones.

Lorsque la barre des 30 % a été atteinte, dans une déclaration de janvier 2020, l’enquêteur correctionnel du Canada a parlé d’une « [...] “indigénisation” de plus en plus marquée du système correctionnel du Canada ». Les femmes et les filles autochtones sont victimes de violence de façon tellement disproportionnée qu’il a fallu lancer l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et le rapport final de cette dernière demandait la mise en œuvre et le respect complets de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

L’appel à l’action no 43 de la Commission de vérité et réconciliation, présidée par notre ancien collègue Murray Sinclair, demande également à tous les ordres de gouvernement d’adopter et de mettre en œuvre pleinement la déclaration.

Enfin, les corps de 215 enfants innocents ont été découverts récemment dans des sépultures anonymes sur le terrain de l’ancien pensionnat autochtone de Kamloops, en Colombie-Britannique. L’établissement a fermé ses portes en 1978. C’est loin d’être de l’histoire ancienne, honorables collègues. Nous savons qu’il y a d’autres sépultures comme celles-là partout au Canada, et le gouvernement doit en faire davantage pour financer et appuyer les recherches sur les sites d’anciens pensionnats, comme l’a demandé la Commission de vérité et réconciliation. Quand on sait qu’on fera encore de sombres découvertes, il est encore plus difficile d’imaginer combien de familles ont souffert d’avoir été privées non seulement de leurs enfants, mais aussi de la chance de leur dire adieu et de les enterrer avec dignité, selon leurs propres traditions et coutumes.

Il va sans dire que le legs tragique de la souffrance et des traumatismes intergénérationnels liés au colonialisme, et en particulier au programme des pensionnats autochtones, a encore de sombres répercussions de nos jours. La réconciliation, nécessaire en raison des mauvais traitements et des abus du passé, a façonné le débat sur les politiques publiques du Canada dans les dernières années. Il y a eu des progrès, des reculs et des situations qui n’ont pas changé.

Le projet de loi C-15 nous offre une occasion en or de faire des progrès en adoptant un cadre législatif pour mettre en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones au Canada et promouvoir la réconciliation. Nous ne pouvons pas changer les erreurs du passé, mais nous pouvons corriger les injustices actuelles et bâtir un avenir meilleur fondé sur de solides relations de nation à nation. Voilà la possibilité qui est offerte par le projet de loi C-15, honorables collègues.

Les articles de la déclaration établissent un cadre fondé sur des principes de justice, de réconciliation, de guérison et de paix. Ce point suscite peu de désaccord, voire aucun.

La principale objection à la législation relative à la déclaration, par le passé et aujourd’hui, porte sur la question du « consentement libre, préalable et éclairé ».

Plus précisément, cette notion a suscité des inquiétudes parce qu’elle revient à donner aux peuples autochtones le pouvoir d’apposer leur veto à des actions et des projets qui auraient un impact sur leurs communautés, leurs terres ou leurs droits issus de traités.

La façon dont cette exigence de consentement fonctionnerait en ce qui concerne le développement des ressources et les projets économiques est donc un point de discorde pour les opposants, car la notion n’est pas définie dans le projet de loi C-15.

Le projet de loi C-15, et plus particulièrement la notion de consentement, a été accusé d’être un obstacle au développement en raison de la perception selon laquelle le consentement préalable, libre et éclairé donne aux peuples autochtones un droit de veto leur permettant d’arrêter ou de bloquer des projets sur lesquels ils ne sont pas d’accord.

Si c’est le cas, disent les critiques, et surtout sans une définition claire, le Canada perdra des occasions économiques, parce que les entreprises qui exploitent les ressources naturelles et énergétiques ne voudront pas risquer que leurs projets soient retardés par les consultations requises ou même bloqués en cours de route, surtout si le projet est controversé.

Toutefois, comme de nombreux experts l’ont dit, les craintes que le consentement constitue un veto ne sont pas fondées.

Le 7 mai dernier, lorsqu’il a comparu devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, le parrain du projet de loi C-15 et ministre de la Justice, David Lametti, a été clair. Il a dit ceci :

Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause [n’est pas un] droit de veto sur les décisions gouvernementales. Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause ne supprime ni ne remplace le pouvoir de décision du gouvernement, mais il met en place un processus qui garantit une participation significative des parties concernées.

Loin de nuire au développement, le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause vise à garantir le respect des droits de longue date des peuples autochtones.

Dans son témoignage du 13 avril dernier au Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes, le chef national de l’Assemblée des Premières Nations, Perry Bellegarde, a résumé en ces termes non seulement la nécessité, mais également les avantages d’un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause :

À mes yeux, c’est exactement ce que vise ce projet de loi. On préconise une prise de décision en commun et une participation le plus tôt possible dans le processus de telle sorte que l’on puisse éviter les blocus et les querelles juridiques.

La consultation véritable des communautés autochtones tôt dans le processus est énormément importante, car elle procure une certaine stabilité en ce sens que toutes les parties savent à quoi s’attendre et qu’elles seront incluses dès le départ. De plus, comme l’ont fait remarquer le chef Bellegarde et d’autres, cela permet d’éviter l’obstruction et les longs combats juridiques onéreux, qui sont tous préjudiciables à de multiples niveaux. Rien, ni pouvoir ni autorité, n’est retiré au gouvernement ou à qui que ce soit d’autre. Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause consiste à autonomiser les Autochtones pour qu’ils puissent exercer véritablement leurs droits issus des traités et ceux inscrits dans la Constitution.

Le but est de démanteler l’approche colonialiste qui régit depuis longtemps la relation entre le gouvernement et les communautés autochtones du Canada et en vertu de laquelle les décisions qui concernent les Autochtones sont prises sans leur participation. C’est fondamental, chers collègues. Nous ne pouvons continuer le cheminement vers la réconciliation, et le Canada ne peut parler avec crédibilité de l’importance qu’il accorde à la relation de nation à nation, si nous demeurons accrochés à cette crainte malavisée que le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause équivaille à un droit de veto.

Toutefois, accepter ce que ce consentement n’est pas ne suffit pas. Nous devons également accepter et reconnaître entièrement que les Autochtones possèdent un droit de longue date et gagné chèrement d’avoir véritablement voix au chapitre concernant la gestion de leurs terres et de leurs communautés. Cela me ramène à ce que j’ai dit, à savoir ce dont nous discutons toujours en 2021 et tout le chemin qu’il nous reste à franchir.

Le dernier point que je souhaite aborder concerne deux des principales forces du projet de loi C-15.

En plus d’exiger que les lois nationales du Canada soient harmonisées avec la déclaration, le projet de loi C-15 prévoit également ce qui suit :

6 (1) Le ministre élabore et met en œuvre, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones et d’autres ministres fédéraux, un plan d’action afin d’atteindre les objectifs de la Déclaration.

Ce plan d’action doit être terminé au plus tard deux ans après la sanction royale et doit inclure des mesures pour aborder et combattre un large éventail de problèmes qui ont des répercussions négatives sur les peuples autochtones. Il doit inclure des moyens de surveiller la mise en œuvre du plan, être déposé au Parlement et être rendu public.

En outre, le ministre sera tenu, après avoir consulté les peuples autochtones et collaboré avec eux, de présenter un rapport annuel au Parlement sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre de la déclaration et du plan d’action.

Chers collègues, c’est ainsi que se produisent les véritables changements : en surveillant et en mesurant les progrès et, surtout, en rendant des comptes.

En 2010, le gouvernement de l’époque a parlé de la déclaration comme d’un « document dont on peut s’inspirer ». Bon nombre des préoccupations exprimées à l’époque sont les mêmes que celles que nous avons entendues au cours des différentes apparitions de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones lors de son cheminement tortueux dans notre Parlement. Il ne suffit plus d’aspirer à mettre en œuvre la déclaration au Canada. Nous ne pouvons pas continuer à trouver des excuses. Pas en 2021 et pas après avoir tiré les nombreux enseignements de notre expérience, l’année dernière, et même tout récemment. Le Canada ne sera jamais à la hauteur de ses promesses et de son potentiel s’il ne fait pas de progrès significatifs sur le chemin toujours changeant de la réconciliation. Nous n’y arriverons pas si nous ne faisons pas ce travail. J’exhorte tous les sénateurs à voter en faveur du projet de loi C-15. Je vous remercie.

L’honorable Marilou McPhedran [ + ]

En tant que sénatrice du Manitoba, je reconnais que je vis sur le territoire du Traité no 1, les territoires traditionnels des peuples anishnabeg, des Cris, des Oji-Cris, des Dakotas et des Dénés et de la patrie de la nation métisse.

Je tiens aussi à reconnaître que le Parlement du Canada se trouve sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe et que de nombreuses personnes se joignent à nous aujourd’hui des quatre coins de l’île de la Tortue, qui est située sur des terres non cédées et visées par un traité.

Je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi C-15, qui vise à inscrire dans la loi canadienne la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou la déclaration, qui a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 13 septembre 2007 par un vote majoritaire qui ne comprenait pas le Canada.

J’appuie le projet de loi pour des raisons juridiques et affectives. Mon estimé collègue l’avocat cri Romeo Saganash a présenté son premier projet de loi sur cette question, le projet de loi C-469, en 2013, alors qu’il était député du NPD. Le titre du projet de loi énonce son objet, soit Loi assurant la compatibilité des lois fédérales avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Le projet de loi ne s’est pas rendu à l’étape de la deuxième lecture.

L’année suivante, M. Saganash a fait une nouvelle tentative avec le projet de loi C-641, Loi visant à assurer l’harmonie des lois fédérales avec la déclaration, qui a été rejeté à l’étape de la deuxième lecture en mai 2015.

Toutefois, 12 mois plus tard, en mai 2016, lors de la 15e session de l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones, qui a eu lieu au siège de l’ONU, à New York, la ministre Carolyn Bennett a parlé au nom du gouvernement du Canada et elle a déclaré qu’elle était là pour annoncer au nom du Canada que :

Nous appuyons maintenant sans réserve la Déclaration.

Nous ne visons rien de moins que l’adoption et l’application de la Déclaration, conformément à la Constitution canadienne.

Et Mme Bennett de faire remarquer :

Le Canada est un des seuls pays au monde qui a déjà incorporé les droits des peuples autochtones dans sa Constitution.

En adoptant et en mettant en œuvre la Déclaration, nous donnons vie à l’article 35 que nous reconnaissons comme un ensemble complet de droits pour les peuples autochtones au Canada.

La même année, soit en 2016, le député Saganash a présenté le projet de loi d’initiative parlementaire C-262, Loi visant à assurer l’harmonie des lois fédérales avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui a été parrainé au Sénat par le sénateur Murray Sinclair, maintenant à la retraite, et torpillé au Sénat en 2019.

Le projet de loi C-15 dont nous sommes actuellement saisis a été présenté en décembre 2020 par le ministre de la Justice et procureur général, soit plus de cinq ans après que Mme Bennett a promis que le gouvernement du Canada mettrait en œuvre la Déclaration des Nations unies dans le droit canadien.

En tant que Canadiens, nous avons tous été appelés à l’action. Nous avons entendu la Commission de vérité et réconciliation du Canada demander explicitement à tous les ordres de gouvernement d’adopter et de mettre en œuvre intégralement la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans le cadre de la réconciliation. Il y a à peine deux semaines, le Plan d’action national sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a été publié et on demande à nouveau à adopter et à mettre en œuvre la déclaration. Parmi les nombreux résultats tragiques et horribles de la violence colonialiste exercée par le Canada contre les peuples autochtones de ce pays, les voix des élèves autochtones des pensionnats s’élèvent depuis leurs tombes anonymes et exigent mieux pour la génération actuelle et les générations futures.

Les enfants autochtones d’aujourd’hui continuent d’être surreprésentés dans les systèmes d’aide à l’enfance provinciaux et fédéraux. Les Autochtones de tous les genres demeurent surreprésentés dans les prisons canadiennes. Dans des communautés partout au pays, des enfants et des jeunes autochtones perdent espoir. Les tragédies sont trop nombreuses pour les énumérer ici, et sans doute que d’autres seront révélées. Pour autant, nous ne devons pas fermer les yeux sur ces vérités ou ces éléments de preuve d’un génocide perpétré au moyen de structures d’assimilation forcée mises en place grâce à la Loi sur les Indiens, comme le système des pensionnats autochtones et l’adoption d’enfants autochtones par suite de la rafle des années 1960.

Au sujet de la violence relatée dans les témoignages des survivantes et des membres des familles, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées rapporte, et je cite :

La violence dénoncée tout au long de l’Enquête nationale représente une pratique sociale génocidaire, délibérée et raciale visant les peuples autochtones, y compris les Premières Nations, les Inuits et les Métis, ciblant tout particulièrement les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA.

L’adoption du projet de loi C-15 ne remédiera pas magiquement ou complètement à ces violations des droits de la personne, mais, honorables sénateurs, il améliorera la substance et le potentiel des fondements dont nous avons besoin pour apporter de profonds changements systémiques au Canada, afin de cheminer vers la réconciliation. La commission d’enquête a réclamé un plan d’action pour contrer la violence faite aux femmes, aux filles et aux personnes 2ELGBTQQIA autochtones.

Le paragraphe 6(1) du projet de loi C-15 énonce pour le gouvernement l’objet de ce plan d’action et les mesures qu’il doit comprendre. Une telle précision est importante, car elle permet de tenir le gouvernement responsable de la mise en œuvre du plan d’action.

Honorables sénateurs, beaucoup de gens s’inquiètent de l’effet qu’aurait ce projet de loi sur les droits liés au territoire et aux ressources. Je ne suis pas sourde à ces inquiétudes, et je me suis respectueusement abstenue de me prononcer à propos de l’amendement proposé par la sénatrice McCallum.

Il m’apparaît aussi important de mentionner, respectueusement, mais brièvement, certaines des autres préoccupations que suscite le processus employé et ce que le projet de loi fait ou ne fait pas. Selon l’Association des Iroquois et des nations alliées, le processus suivi par le gouvernement n’était pas adéquat.

Des limites ont été imposées quant aux réunions, leur durée était déterminée et les périodes d’échanges ne permettaient pas de faire bon usage du temps alloué et des informations communiquées.

Après avoir analysé le projet de loi, plusieurs réseaux de militants autochtones ont conclu que l’article 2 maintiendrait l’interprétation fondée sur la common law des paragraphes 35(1) et (2) de la Loi constitutionnelle de 1982. Ils soutiennent que cette interprétation est fondée sur la doctrine coloniale de la découverte, qui dépouille les peuples autochtones de leurs droits de propriété des terres et de leurs droits territoriaux.

Toutefois, j’appuie ce projet de loi parce qu’il y aura toujours une multitude d’opinions, que je choisis de me fier à l’analyse de juristes autochtones que je connais et en qui j’ai confiance, et parce que je m’appuie aussi sur l’expérience que j’ai acquise lorsque j’ai travaillé au sein du système multilatéral des Nations unies. En effet, j’ai pu constater à cette occasion que les instruments internationaux liés aux droits de la personne peuvent être fort utiles quand il s’agit de demander et d’obtenir des changements substantiels afin de rétablir et de rééquilibrer la balance de la justice.

Une experte qui vient comme moi du Manitoba, la professeure de droit métisse Brenda Gunn, a expliqué son appui au projet de loi C-15 aux membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones — cinq ans jour pour jour après que la ministre Bennett se soit adressée pour la première fois aux Nations unies — en ces mots que j’ai l’autorisation de citer :

Le projet de loi offre une plus grande certitude quant à l’application de la déclaration des Nations Unies dans le droit canadien et il permet de dissiper certaines des hésitations des juges qui ne comprennent pas la manière dont le droit international s’applique. Le plan d’action offre un espace de négociation et de discussion sur la façon de mettre en œuvre les droits, permettant ainsi d’aborder les différences spécifiques entre les peuples autochtones. La déclaration des Nations Unies et le projet de loi C-15 se fondent sur les droits existants, et le rapport annuel fournit un degré de responsabilisation et de transparence pour la mise en œuvre de la déclaration des Nations Unies. Enfin, il s’agit d’un pas important vers la réconciliation et vers un Canada plus équitable et plus juste pour tous.

J’aimerais analyser brièvement le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, que l’on retrouve dans le projet de loi et dont on traite dans le Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones des Nations unies, qui définit trois fonctions pertinentes du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause : un, redonner le contrôle de leurs terres et de leurs ressources aux peuples autochtones; deux, restaurer l’intégrité culturelle, la fierté et l’estime de soi des peuples autochtones; et trois, redresser le déséquilibre du pouvoir entre les peuples autochtones et les États, dans la perspective de forger de nouveaux partenariats fondés sur les droits et le respect mutuel.

Selon le Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones des Nations unies, le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, est une garantie fondamentale des droits collectifs des peuples autochtones. Il estime que le Canada est tenu de consulter les peuples autochtones, en se servant d’un processus qualitatif axé sur le dialogue et la négociation à chaque étape, de la planification à la mise en œuvre, dans le but d’obtenir leur consentement. Honorables sénateurs, le projet de loi pourrait permettre cela, et son adoption faciliterait les choses.

Je veux maintenant parler de la façon dont le projet de loi pourrait appuyer ce que les peuples autochtones font déjà pour modifier en profondeur leurs lois et processus juridiques. C’est un honneur pour moi de citer mon estimée ancienne collègue, Mme Val Napoleon, qui a affirmé que le projet de loi C-15 offre :

[…] une occasion pour le Canada d’être activement et véritablement multijuridique afin que les principes juridiques puissent guider la façon dont les peuples autochtones interagissent avec le Canada, mais de manière soutenue, car ces systèmes ont été minés.

La professeure Napoleon a aussi parlé des craintes que la déclaration et le projet de loi visant à la mettre en œuvre créent un droit de veto qui aura des conséquences négatives pour le Canada. Elle a dit au Comité des peuples autochtones que cette notion de veto :

[…] découle d’une perception très appauvrie du droit. Elle vient de la pire perception possible quant à la manière dont le droit fonctionne. Si nous pensons aux normes qui régissent le fonctionnement du droit au Canada et aux aspects juridiques qui le rendent légal, ces normes se perpétueront dans toutes les interprétations que nous en ferons au cours des travaux sur les questions que nous soumettrons au droit. Donc, l’idée d’un veto n’est pas la façon dont l’application de la loi fonctionne et dont les tribunaux fonctionnent.

Il existe des processus juridiques équilibrés et fondés sur des principes qui permettent de légitimer une décision concernant une question particulière. Ensuite l’affaire suivante nécessitera un autre processus fondé sur des principes concernant la question qui lui est soumise. Il est donc problématique de limiter ce processus et de dire qu’il créera un veto.

Honorables sénateurs, le contexte de notre débat est beaucoup plus large et profond que le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui. Nous sommes impliqués depuis que le Canada a refusé de signer la Déclaration des Nations unies en 2007, puis quand il a changé son fusil d’épaule et décidé de l’adopter en 2010 par une succession de projets de loi, à commencer par le premier, qui a été présenté par Romeo Saganash en 2013.

Le Canada a fait beaucoup de progrès dans les 14 dernières années, depuis le moment où il avait refusé d’accepter la Déclaration jusqu’à aujourd’hui, avec l’engagement de ce projet de loi à intégrer la Déclaration dans la législation canadienne. Cependant, il ne faut pas se leurrer. Bien que l’adoption du projet de loi C-15 marque un léger progrès, elle est aussi essentielle à la réconciliation. Il reste beaucoup de chemin a faire pour notre génération et toutes celles qui suivront.

J’ai très hâte de voter en faveur de ce projet de loi. Merci, meegwetch.

L’honorable Brian Francis [ + ]

Honorables sénateurs, je me joins au débat d’aujourd’hui depuis Epekwitk, le territoire ancestral non cédé de mon peuple, les Mi’kmaqs, afin d’appuyer sans réserve le projet de loi C-15.

La Déclaration des Nations unies est le résultat des efforts déployés par des dirigeants autochtones pendant des décennies. Elle ne crée pas de nouveaux droits. Elle établit plutôt des normes internationales en matière de droits de la personne adaptées aux réalités des peuples autochtones. C’est aussi un outil précieux pour amener les États participants à respecter leurs obligations.

Avant l’adoption de la déclaration, lors de l’Assemblée générale des Nations unies de 2007, de nombreux États ne reconnaissaient pas les peuples autochtones comme des détenteurs de droits au titre du droit international. Bien que 144 États l’aient appuyée par la suite, le Canada est l’un des quatre pays qui l’a rejetée. Même s’il a changé de position en 2010 en adoptant la déclaration, il l’a fait avec certaines réserves, en faisant valoir que c’était une mesure symbolique et non juridiquement contraignante. En 2016, le Canada a décidé de l’adopter sans réserve et s’est engagé à en concrétiser la mise en œuvre complète.

Ce que certains ne savent peut-être pas, c’est que ce n’est qu’en réponse à des pressions croissantes que le gouvernement fédéral a décidé d’appuyer le projet de loi C-262 à la Chambre des communes, en novembre 2017. Ce projet de loi a été adopté à l’autre endroit en mai 2018, à 206 voix contre 79, mais après des mois de retard et d’obstruction injustifiés, il est mort au Feuilleton du Sénat en 2019, pendant la Journée nationale des peuples autochtones. Ce résultat a causé beaucoup de déception et de consternation dans l’ensemble du pays. En réponse aux peuples autochtones qui demandaient au Canada de mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies immédiatement, le gouvernement fédéral a présenté le projet de loi C-15 en décembre dernier.

Les progrès réalisés dans les dernières décennies ne sont pas attribuables à une réelle volonté de la part des gouvernements fédéraux conservateurs et libéraux d’assainir la relation avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits, mais plutôt aux efforts considérables qui ont été déployés pendant longtemps, tant à l’échelle nationale que sur la scène internationale, pour assurer la reconnaissance, la protection et le respect de nos droits inhérents.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-15 établit un cadre législatif pour faire progresser la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones au Canada. Son adoption est essentielle pour faire avancer la réconciliation à l’échelle nationale. Le projet de loi affirme explicitement que la déclaration, en tant qu’instrument international universel en matière de droits de la personne, s’applique en droit canadien. Même si les cours provinciales et fédérales l’utilisent déjà comme source d’interprétation, la professeure Naiomi Metallic et d’autres intervenants ont parlé de l’importance de cette affirmation étant donné que la majorité des avocats, des juges et du public en général continuent d’être bien mal informés et de résister à son application et à son interprétation.

Une fois qu’elle sera ratifiée par l’entremise du projet de loi C-15, la déclaration ne sera plus simplement une volonté politique, mais plutôt un instrument international juridiquement contraignant pour l’État. À ce sujet, le projet de loi pourrait contribuer à l’avancement des droits des peuples autochtones, y compris au moyen de l’évolution de la jurisprudence sur les droits visés à l’article 35.

Le projet de loi exige aussi que le gouvernement fédéral actuel et ses successeurs, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, prennent les mesures nécessaires pour que les lois et les politiques fédérales soient compatibles avec la déclaration et qu’ils élaborent un plan d’action afin d’atteindre ses objectifs. En utilisant une approche fondée sur les distinctions, le plan d’action doit être présenté aux deux Chambres du Parlement et être rendu public dans un délai de deux ans. Si, par exemple, les échéanciers ne sont pas respectés ou que des problèmes insolubles surviennent, des comités des deux endroits pourront tenir des audiences et faire des recommandations. Les peuples autochtones pourront à ce moment exprimer leurs points de vue et leurs préoccupations. Ces exigences juridiques ajoutent une couche importante de transparence, de surveillance et de reddition de comptes. Je suis bien conscient que le changement transformateur que certains d’entre nous attendent à la suite de l’adoption du projet de loi n’aura pas lieu du jour au lendemain. Nous savons qu’il faudra beaucoup de temps et de travail, et nous ferons des erreurs. Cependant, ce processus ne peut pas être retardé davantage.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-15 a suscité des inquiétudes, et même de la peur, en raison de malentendus. Pour vous aider dans vos délibérations, je vais essayer, du mieux que je peux, de vous apporter quelques éclaircissements dès maintenant. Malgré des commentaires laissant entendre le contraire, le projet de loi C-15 n’impose pas de nouvelles obligations aux gouvernements provinciaux, territoriaux ou municipaux. Le projet de loi n’impose d’obligations qu’au gouvernement fédéral. Le préambule reconnaît expressément qu’il appartient à chacune de ces administrations d’établir ses propres approches. C’est exactement ce que la Colombie-Britannique a fait en 2019 et ce à quoi les Territoires du Nord-Ouest travaillent. Nous ne pouvons pas oublier que la déclaration est un instrument international des droits de l’homme contraignant pour le Canada en vertu de la présomption de conformité et de droit coutumier. Par conséquent, tous les ordres de gouvernement — fédéral, provincial, territorial et municipal — doivent respecter les normes minimales en matière de droits des peuples autochtones. En d’autres termes, nos différentes administrations ne peuvent pas simplement choisir les droits qu’il leur convient de faire respecter.

Si l’on s’en tient aux nombreux propos alarmistes qu’on a pu entendre, le droit à un consentement préalable donné librement et en connaissance de cause, que l’adoption du projet de loi C-15 matérialiserait, donnerait aux peuples autochtones un droit de veto sur l’exploitation des ressources et compromettrait certaines possibilités économiques. C’est faux. Le droit à un consentement préalable donné librement et en connaissance de cause n’a pas valeur de veto. En fait, ce mot n’est pas utilisé dans la déclaration ni dans le projet de loi. Ce droit, ce n’est ni dire oui ni dire non. Il a à voir avec la participation effective et significative des peuples autochtones aux processus décisionnels qui les concernent, avant que des mesures ne soient prises. Bien que les gouvernements aient l’obligation de consulter les peuples autochtones et de coopérer de bonne foi avec eux sur des propositions de projet concernant leurs terres, leurs territoires et leurs ressources, ainsi que dans toute une série d’autres contextes, l’industrie et les autres acteurs sont également tenus de respecter des normes minimales en matière de droits de la personne.

M. Wilton Littlechild, par exemple, a mentionné que le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause était essentiel pour assurer notre droit à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale, pour protéger nos terres, nos territoires et nos ressources, pour réduire ou éliminer les retards causés par les conflits et les poursuites, ainsi que pour faciliter l’établissement de partenariats équitables. Le grand chef Abel Bosum a parlé des progrès graduels, mais significatifs, obtenus par la nation crie dans le Nord du Québec au cours des quatre dernières décennies en ce qui concerne sa participation aux projets de développement économique. Nous avons également entendu les témoignages du Conseil national de développement économique des Autochtones, de l’Association nationale des sociétés autochtones de financement, du Conseil canadien pour le commerce autochtone et de l’Initiative de la réconciliation et de l’investissement responsable, entre autres, au sujet de l’importance de la reconnaissance des droits autochtones au moyen de l’adoption du projet de loi C-15 afin d’assurer un avenir plus prospère et plus équitable aux peuples autochtones et au Canada.

Avant de terminer, je veux parler de l’argument voulant que le projet de loi C-15 ait été adopté à la hâte par le Parlement sans la tenue de consultations adéquates. Effectivement, certains détenteurs de droits ont affirmé ne pas avoir été adéquatement consultés. Certains opposants au projet de loi ont affirmé que cela justifierait d’en empêcher son adoption. Cependant, un fait demeure : le projet de loi C-15 jouit d’un immense appui au sein des peuples autochtones partout au Canada. Oui, certains s’y opposent, mais il fallait s’y attendre, compte tenu de la méfiance envers tous les ordres de gouvernement engendrée par les actions du passé et du présent. Le Comité des peuples autochtones a appris que le gouvernement fédéral avait tenu 33 séances bilatérales avec l’Assemblée des Premières Nations, avec l’Inuit Tapiriit Kanatami et avec le Ralliement national des Métis. En outre, le gouvernement a tenu 70 séances par Internet. Certaines des recommandations issues de ce processus ont fait leur chemin jusque dans le projet de loi C-15.

Nous ne pouvons faire fi du fait que la Commission de vérité et réconciliation et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ont demandé au Canada de mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Dans son témoignage au comité, M. Littlechild a affirmé ceci :

En tant que Commission de vérité et réconciliation, nous avons tenu les consultations les plus longues et les plus exhaustives auprès des peuples autochtones. Plus de 7 000 témoins se sont présentés devant nous et nous ont parlé de la déclaration des Nations unies.

Pour ce qui est du délai, de combien de temps avons-nous besoin?

La professeure Metallic nous a également rappelé que le Canada discute du contenu de ce projet de loi depuis des années. Romeo Saganash, un Cri du Nord du Québec et un ancien député néo-démocrate, a présenté des projets de loi d’initiative parlementaire en vue de mettre en œuvre la déclaration en 2014 et en 2016 et tous deux ont été rejetés. De plus, il a mené de vastes consultations partout au pays.

Les comités pertinents de la Chambre des communes et du Sénat ont examiné le projet de loi C-262 pendant 15 jours en 2018. Le projet de loi C-15, qui s’appuie sur le C-262, a fait l’objet d’un examen parlementaire encore plus approfondi. Le comité de la Chambre des communes a entendu plus de 40 témoins et reçu 48 mémoires. En tout, le comité sénatorial a entendu 89 témoins et reçu 52 mémoires. Dans ce contexte, la professeure Metallic a dit ceci :

Il n’y a pas de changement de fond dans la loi, il s’agit simplement d’une clarification de l’état actuel du droit et d’un engagement envers un processus visant à apporter des changements de fond à l’avenir, ce qui nécessite explicitement la participation des Autochtones. La loi n’a donc aucun effet négatif; ses effets sont au mieux positifs, au pire neutres. Étant donné que toute modification future de la loi nécessitera une consultation auprès des peuples autochtones, et compte tenu des quelque cinq années de discussions sur le contenu du projet de loi, je pense qu’il est temps pour nous de passer aux choses sérieuses et de mettre en œuvre la déclaration.

Je suis tout à fait d’accord avec ces deux éminents experts autochtones. Nous ne pouvons pas laisser passer à nouveau cette occasion historique. Chers collègues, les détracteurs du projet de loi ont fait valoir que les consultations menées dans le cadre de l’étude du projet de loi C-262 et du projet de loi C-15 sont différentes. Je ne partage absolument pas cet avis.

L’ébauche initiale du projet de loi C-15 qui a été fournie aux peuples autochtones lors des premières consultations correspondait au projet de loi C-262. Nous devons examiner les deux projets de loi ensemble pour bien comprendre les consultations approfondies qui ont eu lieu au cours des cinq dernières années et les contributions importantes que les Autochtones ont apportées depuis. Les critiques ont également fait valoir que le gouvernement fédéral n’a pas rempli son obligation de consulter les peuples autochtones dans le cadre de l’élaboration du projet de loi C-15. Cependant, conformément à la décision rendue dans l’affaire Mikisew Cree First Nation c. Canada de 2018, cette affirmation est contraire à la loi en vigueur. Si on examine la consultation qui a été menée sur le projet de loi C-15, certains pourraient soutenir que le gouvernement fédéral en a probablement fait plus que ce qu’il était légalement tenu de faire.

Des critiques ont également soulevé la question de savoir si le projet de loi C-15 devait faire l’objet d’un consensus de la part des peuples autochtones. Pourtant, il est déraisonnable de s’attendre à ce que les 654 Premières Nations du Canada, sans compter les Métis et les Inuits, parviennent à un tel consensus. Pourquoi devraient-elles être assujetties à une telle exigence lorsque nous ne l’exigeons pas de la population non autochtone? Nous ne pouvons même pas nous entendre entre nous au Sénat sur le sujet.

Chers collègues, depuis sa création en 1867, le Sénat a joué un rôle important dans le génocide des Autochtones en imposant des lois et des politiques, comme les pensionnats, qui visaient à nous exploiter, à nous soumettre et à nous éliminer et qui ont contribué aux taux renversants de violence, de décès et de suicide qu’affichent nos communautés aujourd’hui.

C’est la dure vérité que doit expier cette Chambre de second examen objectif. Non seulement les Autochtones méritent mieux, mais ils exigent mieux de chacun de nous. Les paroles et les promesses n’ont rien à voir avec la vraie réconciliation. Ce qui compte, ce sont les mesures concrètes et les résultats. Par conséquent, je vous implore de voter en faveur du projet de loi C-15 sans délai. Wela’lioq. Merci.

Honorables sénateurs, c’est un honneur de prendre la parole après le sénateur Francis, l’excellent vice-président du Comité des peuples autochtones.

Je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Je tiens d’abord à remercier le sénateur Dan Christmas, président du Comité des peuples autochtones, d’avoir été un exemple incroyable de dévouement à la cause publique. Il a mis ses propres questions, opinions et intérêts de côté pour organiser et présider une série de réunions des plus exhaustives.

Merci, sénateur Christmas. Je remercie aussi notre personnel très compétent, qui a fourni une expertise et des services de haut niveau, comme d’habitude, pour nous aider dans notre travail.

Le comité a entendu un large éventail de témoins, notamment des juristes, des constitutionnalistes, des fonctionnaires, des dirigeants autochtones d’organismes nationaux et régionaux ainsi que des détenteurs de droits et de titres des quatre coins du pays. Au total, nos audiences ont duré 24 heures réparties sur six jours.

À mon avis, il n’y avait pas de consensus clair entre les partenaires au sujet du projet de loi C-15. Ce n’est pas un projet de loi parfait, mais le consensus était quasiment unanime à l’égard des principes de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. En fait, durant mes huit années comme membre du comité, je n’ai jamais vu un enjeu qui récoltait autant de soutien pour la question de fond. De nombreux témoins nous ont mentionné qu’ils appuyaient la Déclaration, mais avec une certaine réserve et ils expliquaient ensuite leurs préoccupations à propos du projet de loi C-15. Ces intervenants provenaient de tous les horizons. Il y avait des universitaires, des titulaires de droits issus des traités, des représentants ou des groupes de l’industrie des ressources et, surtout, des représentants de gouvernements provinciaux.

Honorables sénateurs, j’émets de sérieuses réserves au sujet du projet de loi. Voici les principales : le libellé du projet de loi comporte quelques problèmes que nous aurions dû régler au moyen d’amendements. Les versions française et anglaise peuvent avoir des significations différentes pour certains passages, surtout l’usage curieux du terme « loi canadienne » au lieu du terme habituel « lois du Canada ». Cela cause des maux de ventre aux provinces qui cherchent à tout prix à protéger leurs champs de compétence.

À cet égard, le comité a fait tout ce qu’il peut pour préciser, au moyen de questions aux représentants du gouvernement, au parrain du projet de loi et au représentant du gouvernement au Sénat et à tous ceux qui peuvent s’exprimer clairement, que l’intention derrière le libellé du projet de loi est de faire référence aux lois qui émanent du Parlement du Canada. Nous en avons aussi fait la remarque dans nos observations. Aujourd’hui, le ministre Lametti et, encore une fois, le représentant du gouvernement au Sénat, M. Gold, ont apporté de plus amples clarifications et précisions de ce fait. Un amendement aurait pu facilement clarifier la question au lieu de toutes ces démarches, si ce n’avait été des contraintes de temps.

Ma deuxième inquiétude émane du témoignage d’un éminent spécialiste des enjeux juridiques et constitutionnels. Ce dernier a affirmé que l’emplacement de certaines phrases dans le projet de loi soulève des préoccupations, car des titulaires de droits ont déclaré publiquement qu’à leur avis le projet de loi a une incidence immédiate et élargie sur les lois du Canada. Dans certains milieux, on désigne cela par le terme « attentes divergentes ».

On a exprimé la crainte de voir des avocats se précipiter devant les tribunaux, parce que le libellé du projet de loi leur donnerait des munitions pour intenter de nouveau des actions en justice dans l’optique de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. C’est la préoccupation du « chaos juridique ». Encore une fois, le comité a pris soin d’inscrire au compte-rendu des déclarations de ministres, de fonctionnaires et de l’ancien député Romeo Saganash, dont l’ancien projet de loi, le C-262, a servi de fondement au projet de loi à l’étude. Leurs observations m’ont convaincu, moi ainsi que d’autres personnes, que le projet de loi ne confère pas à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones plus d’influence sur les lois fédérales qu’elle en avait auparavant.

Il s’agit là d’un fait important et d’une distinction majeure entre le projet de loi C-262 et le projet de loi C-15. Le projet de loi prévoit la création d’un plan et la future mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Jody Wilson-Raybould — députée, ancienne ministre de la Justice et source de beaucoup d’admiration auprès de bien des gens dans cette enceinte — n’a pas témoigné devant le comité, mais elle a fait cette déclaration sur cette question :

Qu’on ne s’y trompe pas : la mise en œuvre n’a pas eu lieu. Le projet de loi C-15 concernant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, s’il est adopté par le Parlement au cours des prochaines semaines, ne mettra pas en œuvre les droits des Autochtones. Le projet de loi indique que le gouvernement prendra des mesures afin d’élaborer un plan d’action pour leur mise en œuvre.

Le jour de l’adoption du projet de loi, aucun aspect de la vie des Autochtones au pays ne changera. Les lois et les politiques qui sont en place et les pratiques du gouvernement ne se transformeront pas miraculeusement.

Toute personne au gouvernement qui affirme autre chose ne comprend pas son propre projet de loi. Au mieux, le projet de loi poussera les futurs gouvernements à prendre de nouvelles mesures et fera en sorte qu’il leur sera plus difficile d’en faire si peu, contrairement au gouvernement actuel et à ceux qui l’ont précédé.

J’adore la manière dont elle s’exprime. En quelques phrases, cette leader lumineuse nous éclaire, comme d’habitude.

Nous pouvons tous convenir, je crois, malgré certaines des critiques formulées dans les commentaires de l’ancienne ministre Raybould, qu’il s’agit d’un petit pas important dans la bonne direction.

L’un des principaux enjeux selon beaucoup de gens, moi y compris, concerne la définition du terme « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause », qui occupe une place importante dans la déclaration. La seule précision fournie par le gouvernement et les partisans du projet de loi consiste à dire qu’il ne s’agit pas d’un droit de veto. D’accord, nous avons compris, ce n’est pas un droit de veto.

Tout le travail nécessaire pour définir la notion de « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause » a été reporté à de futures discussions. Certaines personnes ont vaguement dit qu’il y aurait un peu de travail à ce sujet pendant les deux années consacrées à l’élaboration du plan d’action prévu par le projet de loi, et que quelques principes directeurs pourraient en ressortir. On verra.

Ne vous y trompez pas, chers collègues : cet enjeu jouera un rôle crucial dans la réussite de la déclaration au Canada, puisque le pays compte quelque 700 communautés autochtones distinctes, y compris des Premières Nations, des nations métisses et des nations inuites, bref, 700 communautés autochtones distinctes qui pourraient légitimement insister pour qu’on respecte leur droit à un « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause ».

Signalons que rien n’est prévu pour le moment, ni conseils, ni ressources financières — aucune ressource financière, je le répète — afin d’aider ces 700 communautés à établir des processus et à acquérir des compétences dans ce domaine. De plus, personne ne semble avoir pensé à ceux qui pourraient, tôt ou tard, souhaiter obtenir un consentement.

Bref, pour ce qui est du principal sujet de préoccupation des Canadiens inquiets, on ne sait pas vraiment comment les choses s’organiseront.

Cela m’amène à parler de ma plus grande crainte, soit que le gouvernement ne fasse pas le dur travail nécessaire pour concevoir un véritable plan d’action dans les deux prochaines années.

Honorables collègues, cette crainte n’est pas sans fondement. En ce qui concerne d’autres projets de loi ainsi que des initiatives urgentes, plus particulièrement lorsque ces mesures concernaient les peuples autochtones, nous avons souvent vu que le gouvernement n’a pas brillé par sa capacité de traduire ses beaux discours par des gestes concrets sur le terrain.

De plus, ce qui m’inquiète le plus, c’est que le gouvernement a rapidement accepté un amendement à l’autre endroit pour réduire l’échéancier prévu pour la conception du plan d’action, qui est passé de trois ans à deux ans, et ce, sans qu’on ait discuté de la façon dont on comptait compenser le manque de temps. Cela me préoccupe et m’amène à me demander à quel point il est vraiment déterminé à faire le dur travail nécessaire pour que l’initiative soit un succès pour le Canada et les peuples autochtones.

Le projet de loi contient par ailleurs des formulations imprécises. La définition du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause n’est pas claire. Nous craignons, à juste titre, que le gouvernement ne soit pas en mesure de faire le dur travail nécessaire avant de passer à la prochaine étape cruciale.

Je pourrais conclure sur ce constat déprimant. Je vais plutôt vous dire pourquoi je soutiens ce projet de loi. D’abord, il est clair que le Canada est arrivé à un cul-de-sac et qu’il ne peut plus exploiter les ressources comme il le faisait auparavant. Au cours des dernières années, nous avons créé notre propre nœud gordien avec l’accumulation de différents facteurs : des règles bureaucratiques étouffantes, un militantisme environnemental avisé, la prise de conscience des droits autochtones, un leadership technocratique et peu inspiré de l’industrie, des idéologies socioéconomiques conflictuelles et des programmes politiques.

Les investissements au Canada ont cessé. La plupart d’entre nous ne l’ont pas encore remarqué parce qu’il faut un certain temps avant que les effets se fassent sentir. Les premières personnes qui le remarqueront seront les travailleurs, mais nous le constaterons un jour aussi. Ce sera alors extrêmement douloureux pour l’ensemble du pays.

À mon avis, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones nous offre la voie honorable à suivre — une voie difficile, mais honorable — afin de faire ce qu’il faut pour le Canada et l’ensemble des Canadiens. Si nous parvenons à défaire ce nœud d’une façon qui permet au Canada et à l’ensemble de sa population de prospérer au moyen du développement responsable et équitable des ressources, des emplois et de la richesse, nous mériterons véritablement le respect et l’admiration des gens du monde entier.

Les sondages indiquent constamment que les Canadiens souhaitent que les ressources soient mises en valeur, que l’environnement soit protégé et que les peuples autochtones atteignent la prospérité et le contrôle absolu de leur avenir. Il existe une voie pour y parvenir. Nous devons la trouver ensemble, en ne ménageant aucun effort et en faisant preuve d’honnêteté et de bonne foi.

La deuxième raison — plus personnelle, celle-là — pour laquelle j’appuie ce projet de loi, c’est que je crois que nous devons faire confiance aux Autochtones et à leurs dirigeants. Après avoir rencontré des centaines de dirigeants autochtones durant ma vie, surtout depuis que je suis sénateur, je n’hésite pas du tout à leur accorder ma confiance.

Je serai éternellement reconnaissant à l’ancien sénateur Murray Sinclair, qui, il y a quelques années, a insisté pour que le Comité des peuples autochtones entreprenne un mini-examen de l’histoire de la relation entre le Canada et les peuples autochtones. Le 15e rapport a été publié durant la 42e législature, sous le titre Comment en sommes-nous arrivés là? Un regard franc et concis sur l’histoire de la relation entre les peuples autochtones et le Canada. Je conseille aux sénateurs de le lire. Ce fut une des meilleures leçons d’humilité de ma vie. Ce qui m’a le plus frappé, c’est le nombre de fois où, sur une période de 400 ans, les peuples autochtones ont fait confiance au Canada. À maintes reprises, les peuples autochtones ont agi de bonne foi. Ils ont constamment agi de bonne foi.

Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause requiert de la bonne foi des deux parties — et de la confiance. Il y a beaucoup de travail à faire, mais il faut le faire si nous voulons obtenir le pays que nous pouvons et que nous devons devenir.

Je vais donc appuyer ce projet de loi. Je le ferai tout en étant convaincu que cette modeste et prometteuse étape s’impose, même si elle n’est pas simple, pour ma province, pour mon pays et pour tous les Canadiens — jusqu’au dernier. Merci.

L’honorable Marty Klyne [ + ]

Le sénateur Tannas accepterait-il de répondre à une question?

Bien sûr.

Le sénateur Klyne [ + ]

Merci. Ma question comporte plusieurs volets.

Je ne crois pas que quiconque dans cette enceinte priverait une personne de son droit à l’autodétermination, dans la mesure où tout le monde est capable de faire des choix et de gérer sa vie. De la même façon, je ne crois pas que quiconque empêcherait une personne de s’instruire, d’assister à des cérémonies, d’apprendre sa culture et de parler sa langue. Je pense que nous respectons tous ces droits, de même que le droit de participer au marché du travail, de présenter sa candidature pour un emploi, de solliciter des contrats et d’y soumissionner.

Ne devrait-on pas demander le consentement des Autochtones pour déterminer efficacement l’issue des décisions qui touchent leur vie, au lieu de se contenter de solliciter leur participation? À cet égard, le principe du « pas dans ma cour » ne se limite pas aux non-Autochtones. Il s’applique aussi aux Autochtones. En reconnaissant le droit à l’autodétermination, le droit à la participation, la capacité des Autochtones de réclamer le consentement et la capacité d’obtenir leur consentement, les promoteurs — pour répondre à vos inquiétudes sur le manque d’investissements — et les personnes souhaitant investir dans des projets ou en faire la promotion devraient pouvoir obtenir le consentement des Autochtones sur des initiatives qui toucheront leur vie et se produiront dans leur cour.

Quelqu’un plus tôt — je crois que c’était le sénateur Boehm — a mentionné Perry Bellegarde, qui a avancé que cela nous aiderait à trouver un terrain d’entente sur lequel bâtir notre avenir. Un certain nombre de groupes souhaitent qu’il y ait des investissements en matière de développement et ils veulent y contribuer. Ils veulent se faire concurrence pour obtenir des emplois. Ils veulent se faire concurrence pour décrocher des contrats. S’il y a peut-être un groupe autochtone qui ne souhaite pas suivre le processus, je me permets d’assumer que le ratio des groupes qui veulent le suivre et qui veulent en arriver, comme vous l’avez dit, à la création d’un plan est beaucoup plus élevé. Ce ne sera pas une tâche facile, mais cela est sans importance. Il faut commencer à avancer et nous avons devant nous un excellent tremplin pour le faire.

En ce qui concerne le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, à mon sens, il ne s’agit que du droit de participer, du droit à l’autodétermination et du droit de prendre part à un projet qui se déroulera dans sa propre cour arrière. J’aimerais savoir si vous partagez mon avis en ce qui a trait aux droits et à la possibilité d’obtenir le consentement.

C’est intéressant. Tandis que vous parliez, diverses personnes qui ont témoigné devant le comité me sont venues à l’esprit. Nous avons notamment entendu des gens d’affaires autochtones. Dans l’ensemble, ils s’opposaient au projet de loi C-15, soutenant que la question du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause était une grande préoccupation pour eux. Qu’est-ce que cela signifie?

Comme vous le dites, et c’est particulièrement vrai pour les projets linéaires, où l’on doit obtenir l’approbation de 30, 40, voire 50 collectivités, au bout du compte, la tâche la plus ardue consistera à trouver un mécanisme qui permettra à toutes les collectivités concernées de se voir accorder les ressources et le délai voulus pour parvenir à leur propre décision lorsqu’il s’agit d’accorder leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. En outre, il faudra prévoir un moyen pour que ces collectivités aient accès à des experts, car elles ne croiront pas le promoteur sur parole. Cela vaut tant pour une entreprise autochtone que non autochtone. Voilà la préoccupation que nous avons entendue de part et d’autre.

Permettez-moi de mentionner une autre chose intéressante. Le sénateur Plett a parlé de Brian Schmidt, président et chef de la direction de Tamarack Valley Energy, un producteur de pétrole et de gaz de taille moyenne très prospère dans l’Ouest. M. Schmidt est un chef honoraire. Il a grandi dans un ranch près de la nation des Piikani. Il a exprimé des préoccupations relativement au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Nous avons échangé et il a dit une chose que j’ai trouvé intéressante. Il croit que, sous peu, les choses vont changer, que les grands projets seront dirigés par les communautés autochtones et par des entreprises autochtones et qu’il incombera à l’industrie de les soutenir. J’ai pensé que c’était une sage observation qui rejoint ce dont nous parlons. Merci, monsieur le sénateur.

Le sénateur Klyne [ + ]

Merci.

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