Le Code criminel
Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Ajournement du débat
8 février 2021
Honorables sénateurs, je crois que toute personne a le droit de prendre ses propres décisions de fin de vie. En tant que législateurs, nous avons la responsabilité de clarifier les questions complexes entourant l’aide médicale à mourir.
Mon point de vue se fonde sur l’expérience que j’ai vécue en voyant des proches mourir au fil des années. J’ai eu de nombreuses discussions avec des gens qui sont en fin de vie et qui doivent composer avec ce genre de problèmes. Par ailleurs, nous avons évidemment tous participé aux débats sur le projet de loi C-14 et aux audiences du comité sur le projet de loi C-7.
Tous les jours, des familles canadiennes doivent vivre des expériences douloureuses. Tous les jours, des personnes atteintes d’une maladie incurable souffrent inutilement dans des lits d’hôpitaux ou dans des centres de soins. Beaucoup trop de personnes sont seules à la maison, même si elles ont perdu leurs facultés physiques ou intellectuelles, soit parce que leurs familles sont très loin ou dans un autre pays, soit par manque de ressources financières.
Nous avons vu des Canadiens atteints d’une maladie en phase terminale qui, faute de pouvoir soumettre une demande anticipée d’aide médicale à mourir, ont mis fin à leurs jours plus tôt qu’ils ne l’auraient souhaité, ou pire encore, qui ont passé les derniers moments de leur vie dans la confusion et dans la crainte de perdre conscience le matin avant la procédure et d’être ainsi obligés de continuer de vivre sans être conscients ou en étant privés de leurs facultés. Ils sont constamment angoissés à l’idée de ne plus exercer le moindre contrôle sur une vie qui leur échappe.
Tant de gens passeront probablement le reste de leur vie et, à n’en pas douter, leurs derniers jours avec des étrangers, c’est-à-dire des personnes qui, bien entendu, étaient autrefois des êtres chers. D’autres passeront des mois ou des années à craindre le pire ou souffriront seuls dans un monde qui leur échappe en se rappelant à l’occasion qu’ils ne sont plus la personne qu’ils ont déjà été.
Ils perdront leur dignité, leur caractère, leur personnalité et, bien entendu, leurs options. Ceux d’entre nous qui ont été témoins de cette lente descente aux enfers savent que c’est tout simplement inhumain.
La cour du Québec a statué que personne ne doit nous empêcher de faire des choix, tel que le prévoit la Charte canadienne des droits et libertés, quant à notre « droit à la vie, à la liberté et à la sécurité », et une vaste majorité de Canadiens sont de cet avis. En effet, 86 % des Canadiens estiment que les personnes atteintes d’une maladie dégénérative grave ou incurable devraient pouvoir demander et obtenir l’aide médicale à mourir, et 74 % estiment que l’aide médicale à mourir devrait être accessible aux personnes atteintes d’une maladie incurable, même si leur mort n’est pas imminente.
Le projet de loi sur l’aide médicale à mourir, c’est une affaire de choix. Il ne s’agit pas de forcer quelqu’un à mourir, et ce n’est pas non plus une solution bon marché pour s’occuper de trop nombreux aînés ou maisons de retraite dangereuses. Seulement, les lois ont provoqué un déséquilibre net en matière d’accessibilité et elles ne sont pas toujours appliquées de manière équitable, cohérente ou opportune. Cela s’avère particulièrement difficile dans des collectivités rurales comme la mienne, à des heures d’un hôpital et avec un accès très limité à des médecins ou des avocats.
Personnellement, je crois que tout le monde devrait avoir le droit de faire une demande légale préalable dans le cadre de directives de fin de vie. Quiconque perd ses capacités de manière inattendue ne devrait pas être contraint de passer le reste de sa vie inconscient ou dans un lit d’hôpital jusqu’à sa mort. C’est pour cela que nous avons des ordonnances de ne pas réanimer. Une directive anticipée a le même objectif, selon moi. Nos décisions à propos de notre vie personnelle, énoncées clairement et étayées solidement, devraient être respectées, même s’il devait nous arriver, à un moment donné, de perdre notre capacité à réaffirmer consciemment notre choix et décision.
Certains pensent que c’est une manière simpliste de voir les choses, mais je ne suis pas d’accord. Beaucoup d’entre nous ont déjà vécu ce genre d’expérience ou s’inquiètent de leur avenir et de la sénescence.
À la loterie de la maladie, je veux avoir le choix. Si mon cancer réapparaît, j’aurai droit à l’aide médicale à mourir, mais si la démence ou la maladie d’Alzheimer arrive avant lui, rien n’est certain.
Dans une intervention précédente, j’ai mentionné le vers bien connu : « Ne te laisse pas sombrer paisiblement dans le sommeil. » Nous ne voulons pas sombrer paisiblement dans le sommeil, mais vivre pleinement. Mais pour le moment où il ne sera plus possible de vivre en tant qu’être humain conscient, sensible et en lien avec les autres, veuillez me laisser choisir, tant que j’ai encore la capacité de le faire, une façon plus paisible de sombrer dans le sommeil.
Merci de votre attention, chers collègues.