Projet de loi sur les nouvelles en ligne
Deuxième lecture--Suite du débat
7 mars 2023
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-18 et je m’inquiète sincèrement de ses répercussions sur la libre expression des idées et les débats ouverts dans notre pays.
La Loi sur les nouvelles en ligne, telle qu’elle est proposée, limiterait la quantité de nouvelles que nous pouvons lire au Canada en limitant l’accès. Le gouvernement ne veut pas seulement décider ce que nous pouvons regarder et lire, comme nous l’avons vu avec le projet de loi C-11. Il cherche maintenant à obliger des entreprises étrangères, par l’entremise du projet de loi C-18, à financer du contenu canadien, mais pas n’importe lequel. Encore une fois, il s’agit de limiter les choix et les sources.
La croisade d’Ottawa pour la réforme numérique relève simplement de la réglementation gouvernementale du contenu, ce qui risque non seulement de miner l’indépendance des médias, mais également de limiter ce que nous pouvons lire ou entendre à propos des événements dans notre région, dans notre pays et à l’étranger. Pour ces raisons, et parce que je crois à la liberté d’expression et à la liberté de choix, je m’oppose fondamentalement à un projet de loi qui limite mon droit de m’informer.
Le gouvernement affirme que ce projet de loi vise à donner un coup de pouce à une industrie traditionnelle en difficulté, mais à quel prix? Le gouvernement oblige essentiellement des entreprises à conclure des contrats pour obtenir de l’argent des grandes plateformes étrangères comme Google ou Facebook et s’en servir pour financer les radiodiffuseurs et les éditeurs au Canada, surtout les grands joueurs traditionnels. Facebook et Google ont réagi en menaçant de retirer tout simplement tout le contenu journalistique de leurs sites, ce qui nous empêchera de partager avec d’autres personnes du contenu que nous jugeons intéressant ou important. Ce projet de loi a pour effet de nous pénaliser.
C’est même encore pire, car, si on force des entreprises à payer pour les liens sur lesquels nous pouvons cliquer afin d’accéder à l’ensemble du contenu, cela aura des effets désastreux sur les petits médias indépendants qui ont grandi et survécu en publiant gratuitement leur contenu grâce aux liens fournis sur ces plateformes.
Comme je l’ai dit plus tôt, mon journal local vient de faire faillite. Il est vrai que la technologie a changé la donne, mais ces petits entrepreneurs veulent non pas des subventions, mais pouvoir faire des affaires, et ils survivent en publiant leur contenu en ligne gratuitement.
Ce projet de loi limitera la capacité de ces petits acteurs en difficulté à utiliser Internet pour attirer des abonnés. Le paradoxe de l’approche du gouvernement est que les grands journaux et radiodiffuseurs traditionnels, dans l’intérêt desquels ils sont censés agir, ont encore plus besoin des plateformes. Ils ont eux aussi besoin d’un plus grand nombre d’yeux sur leur contenu, car le nombre de téléspectateurs et d’abonnés ne cesse de diminuer.
En ce qui concerne le gouvernement, l’intérêt est évident. Il s’agit de forcer les plateformes à payer pour ne pas avoir à donner l’impression de distribuer l’argent, ce qui, bien sûr, le mettrait à risque d’être accusé d’acheter les faveurs des médias. Je rappelle que le gouvernement a financé et soutenu des entités en difficulté, y compris celles qui couvrent la politique d’Ottawa.
Le gouvernement affirme que les plateformes comme Facebook tirent des bénéfices financiers du partage de nouvelles ou de liens et qu’elles devraient donc payer. Les plateformes répliquent par des chiffres, soulignant que les actualités ne représentent qu’une très petite partie de leurs activités en ligne, environ 3 % pour Facebook, et précisent qu’elles ne placent même pas de publicités sur les actualités partagées parce que la plupart des utilisateurs ne veulent pas les voir. Il ne s’agit donc pas d’une source de revenus importante.
Il n’en reste pas moins que ce gouvernement ne semble pas comprendre — ou ne pas vouloir comprendre — que les plateformes sont un espace en ligne gratuit mis à la disposition de tous, y compris des médias. Les gens peuvent y partager du contenu, ce qui profite évidemment aux créateurs de contenu du pays.
Bien entendu, de nos jours, beaucoup de personnes veulent lire leurs nouvelles en ligne, et les plateformes gratuites sont une source quasi illimitée d’information. Par conséquent, sans ces plateformes, les plus petites entreprises vont probablement continuer, comme Wadena News, de fermer leurs portes, et il deviendra de plus en plus difficile de percer dans l’industrie grâce à un nouveau produit en ligne et de livrer concurrence aux joueurs établis et déjà bien subventionnés.
Les grands médias ont déjà un avantage. Ils peuvent imposer un accès payant à leurs articles, de telle sorte que même si un lien est partagé sur une plateforme, l’accès à l’article demeure impossible à quiconque n’a pas d’abonnement. Avec le projet de loi C-18, ils peuvent avoir le beurre et l’argent du beurre : les frais d’abonnement des consommateurs et les subventions des géants du Web.
Avec le projet de loi C-18, Ottawa tient en quelque sorte un pari risqué, car les géants du Web comme Google et Facebook ont déjà été confrontés à des mesures législatives semblables dans d’autres pays. Le Canada est un si petit marché que le fait de s’en retirer nous causera plus de tort qu’il n’en causera aux géants du Web.
Nous courons aussi le risque d’être la cible de représailles commerciales de la part d’alliés et de partenaires, notamment des États-Unis. Le projet de loi C-11 a été jugé protectionniste et peut‑être contraire à l’Accord de libre-échange nord-américain, et ce sera aussi le cas du projet de loi C-18. Nous obligeons des entreprises à négocier des contrats pour prendre de l’argent à des sources étrangères afin de financer des radiodiffuseurs et des éditeurs canadiens. Il s’agit ni plus ni moins d’une subvention gouvernementale déguisée.
L’idée même que nous réclamions de l’argent à des sociétés américaines pour soutenir, entre autres, notre radiodiffuseur national est choquante. Pouvez-vous imaginer la réaction des Canadiens si les États-Unis adoptaient une loi forçant les entreprises canadiennes à payer des millions de dollars pour soutenir des entreprises médiatiques américaines en difficulté uniquement parce qu’elles ont besoin de plus d’argent? Il y a de quoi avoir honte.
Le directeur parlementaire du budget a indiqué que le projet de loi coûtera des centaines de millions de dollars aux géants du Web parce qu’il n’impose pas vraiment de limite aux coûts potentiels et que la liste des entités admissibles au financement s’est allongée. Elle comprend maintenant des centaines de stations locales de campus et de radiodiffuseurs autochtones.
Comme nous le savons, quand un pays impose une taxation de ce genre, c’est un désagrément. Cependant, lorsque de nombreux pays souhaitent épauler les médias traditionnels en leur donnant de l’argent qu’ils n’ont pas gagné, cela devient un précédent coûteux. Il n’est pas surprenant que les gros joueurs comme Facebook ou Twitter aient menacé de bloquer le partage de nouvelles.
Vous pouvez voir pourquoi il ne serait pas rentable de garder les nouvelles sur ces plateformes si le projet de loi était adopté. Cela ne vaudrait pas la peine. Il serait plus facile pour ces entreprises de simplement les retirer. Les pertes subies par les plateformes seraient négligeables, mais ce serait dévastateur pour le processus de partage des nouvelles. Les consommateurs canadiens sont ceux qui seraient le plus durement touchés. Comme l’a dit ma collègue la sénatrice Simons, on dirait que les rédacteurs du projet de loi n’ont jamais utilisé Internet.
Si ce n’était pas déjà bien évident, le gouvernement ne devrait pas toucher aux informations que nous consommons ni à la manière dont nous le faisons. Comme l’a dit un ancien comédien, Tommy Smothers, « la seule forme de censure valide, c’est le droit des gens de ne pas écouter ».
Le marché naturel des idées permet aux créateurs d’offrir leurs « marchandises » et aux consommateurs de faire un choix. Nous nous abonnons aux publications que nous aimons, nous regardons les chaînes qui nous plaisent, puis, quand ce n’est plus le cas, nous éteignons la télévision ou nous annulons notre abonnement.
Gardons le gouvernement à l’écart de ce processus. Essayons de préserver l’indépendance des médias et de laisser les Canadiens être informés sur leur monde.
Merci.