Aller au contenu

La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre

Motion d'amendement--Report du vote

7 décembre 2023


Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-234, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à nouveau, à l’article 2 (dans sa version modifiée par décision du Sénat le 5 décembre 2023) :

a) à la page 2, par substitution, à la ligne 23, de ce qui suit :

« entrent en vigueur à la date du troisième anniver- »;

b) à la page 3, par substitution, à la ligne 6, de ce qui suit :

« la date du troisième anniversaire de l’entrée en ».

Son Honneur la Présidente [ + ]

Je tiens juste à mentionner que je donnerai la parole aux sénateurs Ringuette, Lankin, Dalphond, Wells et Plett.

L’honorable Pierrette Ringuette [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour parler de l’amendement du sénateur Woo. J’espère que vous avez vérifié les faits que j’ai soulignés précédemment concernant les coûts du changement climatique pour notre économie et notre système de soins de santé, parmi de nombreux autres coûts inhérents aux émissions de carbone, parce que j’ai d’autres faits à présenter ce soir.

D’emblée, je tiens à dire que j’ai toujours été une fervente défenseure des agriculteurs, que ce soit à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, à la Chambre des communes ou ici. L’augmentation des coûts d’exploitation agricole due à la tarification du carbone sur le gaz naturel et le propane est marginale. Selon le directeur parlementaire du budget, le coût payé par l’agriculteur canadien moyen en combustibles pour le chauffage et le séchage, y compris la tarification du carbone, représente 0,8 % de ses dépenses globales — même pas 1 % de ses dépenses d’exploitation totales.

Je dirais que, étant donné le coût des émissions de carbone sur notre PIB, ce coût inférieur à 1 % est vraiment marginal par rapport au coût du changement climatique qui cause du tort à tous, y compris les exploitations agricoles. C’est comme le problème de la poule et de l’œuf.

Faut-il augmenter marginalement les coûts pour réduire les émissions des agriculteurs et l’escalade des coûts des événements liés aux changements climatiques? Pour moi, la réponse est claire. Plus vite nous réduirons les émissions, plus vite nous réduirons la fréquence de ces événements et les coûts pour nous tous, y compris et surtout nos agriculteurs.

Honorables sénateurs, le directeur parlementaire du budget a publié deux rapports distincts sur la tarification du carbone. Dans le premier, publié le 15 juin 2023, il estime les recettes fédérales auxquelles renonce le gouvernement fédéral au titre de l’exonération de l’activité agricole de la taxe sur le carbone, c’est‑à‑dire au titre de l’exemption actuelle pour l’essence et le diésel. Cette année seulement, l’exemption consentie au secteur agricole représente 595 millions de dollars, et elle atteindra 1,562 milliard de dollars annuels d’ici 2030. Cela signifie qu’en 2030, l’exemption actuelle aura représenté, au total, 8,622 milliards de dollars.

Il est malheureux que le Comité de l’agriculture et des forêts n’ait pas examiné ce rapport du directeur parlementaire du budget dans le cadre de son étude. Cette exemption s’applique à 97 % des combustibles utilisés par le secteur agricole. Vous conviendrez qu’il s’agit d’une exemption très généreuse consentie aux agriculteurs comparativement à tous les autres secteurs de notre pays, en particulier pour les agriculteurs du Québec et de la Colombie-Britannique.

L’autre rapport du directeur parlementaire du budget, publié le 15 septembre 2023, offre une estimation du coût de la tarification du carbone conformément au projet de loi C-234. Certaines personnes ont mentionné ce rapport de nombreuses fois dans ce débat, disant que le coût cumulatif pour les agriculteurs serait de 1 milliard de dollars. Le nombre exact qui figure dans le rapport est 979 millions de dollars. Toutefois, ce que je trouve trompeur, c’est que cela ne représente que la moitié de l’équation. On fait complètement abstraction du remboursement de 90 % associé à la tarification du carbone pour le propane et le gaz naturel.

En fait, lorsqu’on tient compte du remboursement de 90 % de la tarification du carbone pour le propane et le gaz naturel, le remboursement cumulatif réel pour la même période atteint 881 millions de dollars. Par conséquent, si on soustrait le remboursement cumulatif sur huit ans du coût total de 979 millions de dollars, on obtient 97,9 milliards de dollars. Cela représente 122 375 $ par année pour tous les agriculteurs du Canada.

Étant donné que le Canada — en excluant le Québec — compte 151 805 exploitations agricoles, on parle d’un coût net moyen de 806 $ par exploitation agricole, par année. Ce sont les faits selon les chiffres du rapport du directeur parlementaire du budget. Il faut éviter de faire fausse route en n’examinant pas la situation dans son ensemble.

Encore une fois, honorables sénateurs, je vais tenter de distinguer les faits des mythes en ce qui concerne les arguments qui ont été entendus jusqu’à maintenant.

La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre a établi différents mécanismes de tarification des émissions en fonction du secteur économique. Il y en a un qui nous couvre, nous les consommateurs particuliers. Il y en a un pour les émissions industrielles avec un tarif à la tonne de dioxyde de carbone qui peut faire partie du système d’échange pour l’industrie, et un autre pour les autres opérations, comme les fermes et les pêches commerciales.

La loi prévoit également que les provinces peuvent créer leur propre mécanisme, ce qu’avait fait ma propre province jusqu’au 1er juillet, en fonction de leurs propres émissions et avec leurs propres cibles, comme le Québec et la Colombie-Britannique l’ont fait.

La semaine dernière, j’ai discuté avec des agriculteurs de ma région qui font pousser du grain dans le cadre de leur alternance des cultures. Ils ont confirmé qu’un silo de séchage du grain coûte 200 000 $, qu’une moissonneuse-batteuse coûte entre 700 000 $ et 1 million de dollars, qu’un tracteur de 500 chevaux coûte 600 000 $ et qu’une récolteuse de pommes de terre coûte 2 millions de dollars. Compte tenu du prix de l’équipement agricole, toute chose étant égale et relative, un séchoir à grain est plutôt abordable.

Je leur ai aussi demandé s’ils séchaient leur grain à la ferme ou s’il le faisaient sécher par des entreprises commerciales. Même si un séchoir à grain ne coûte pas très cher, ils envoient leur grain au séchoir commercial de Grand Falls. Ma question suivante était donc : pourquoi un séchoir commercial? Leur explication était qu’ils pouvaient avoir recours au séchoir commercial seulement quand ils en avaient besoin et que celui-ci offre aussi des services d’entreposage et d’expédition.

Avec les changements climatiques, les inondations et les sécheresses — on ne sait jamais ce qui nous attend —, le séchage du grain n’est pas toujours nécessaire. Cela dépend des besoins. C’est pour cela qu’il y a des séchoirs commerciaux.

Chers collègues, ceci m’amène à penser que, si 60 % à 65 % du séchage du grain en Ontario se fait au moyen des séchoirs commerciaux, c’est parce qu’il s’agit de la solution la plus économique pour les agriculteurs. Je ne connais pas la situation au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta, parce que je n’ai jamais vu les données concernant ces provinces.

En ce qui a trait à l’argument voulant qu’il n’y ait pas de solution de rechange au gaz naturel ou au propane, les fermiers que j’ai rencontrés m’ont dit que la chaleur nécessaire pour les vaches dans les exploitations laitières et pour le bétail des élevages était minime, à cause de la chaleur générée par les animaux dans les bâtiments.

J’ajouterais également — le sénateur Mockler pourrait le confirmer — qu’il y a un producteur laitier local qui a installé, il y a plus de 12 ans, un système d’énergie de biomasse fonctionnant au moyen du méthane généré par ses activités et d’autres déchets agricoles qui produit de l’électricité. Il produit tellement d’électricité qu’il peut être autosuffisant et en vendre au réseau électrique du Nouveau-Brunswick. C’est une réalité depuis 12 ans dans une petite communauté de Saint-André, au Nouveau-Brunswick. Il existe des solutions de rechange.

Le régime actuel de tarification du carbone et de remboursement pour les agriculteurs est conçu pour inciter ces derniers à adopter des technologies plus propres afin de réduire leurs coûts d’exploitation, leurs coûts liés aux changements climatiques et leurs émissions. Conçus pour redistribuer 90 % des fonds recueillis dans le cadre du régime de tarification du carbone, les remboursements permettent de dédommager les agriculteurs pour les technologies plus écologiques dans lesquelles ils investissent, comme dans le cas du producteur de lait de Saint-André auquel j’ai fait allusion.

Dans l’énoncé économique de l’automne, le gouvernement a annoncé l’adoption prochaine de mesures législatives destinées à favoriser les investissements dans les technologies d’une économie propre comme le captage, l’utilisation et le stockage du carbone, les technologies propres, l’électricité propre pour les organismes publics et les entreprises privées, ainsi qu’un crédit d’impôt à l’investissement pour favoriser la production d’électricité et le chauffage grâce à la biomasse — des crédits d’impôt totalisant de 15 à 30 % du coût des investissements dans la biomasse. Ces mesures bénéficieront aux exploitations agricoles qui exploitent la biomasse.

Des producteurs et des transformateurs de poulet du Nouveau-Brunswick avec qui je me suis entretenue m’ont expliqué qu’un répit de trois ans et ce nouveau crédit d’impôt leur permettraient de passer à la biomasse en 12 à 18 mois afin de répondre aux besoins énergétiques de leur exploitation. Chers collègues, c’est donc possible.

Passons maintenant à un autre aspect de ces coûts : où nos émissions de carbone se situent-elles par rapport à celles d’autres pays? En 2023, le prix de la tonne de dioxyde de carbone est de 100 € , soit 147,64 dollars canadiens. D’après les données les plus récentes que j’ai pu obtenir sur le Royaume-Uni, et qui datent de 2021, le prix de la tonne de dioxyde de carbone y est de 141,60 dollars canadiens. C’était il y a deux ans. À titre de comparaison, le prix de la tonne de carbone au Canada en 2023 est fixé à 65 $. La tarification canadienne du carbone est inférieure de 44 % à celle des pays de l’Union européenne, avec lesquels nous avons conclu des accords commerciaux, et inférieure de 46 % à celle du Royaume‑Uni.

Honorables sénateurs, j’espère que je ne vous ai pas ennuyés avec toutes mes recherches factuelles. C’était important pour moi, pour ma connaissance personnelle et pour me faire ma propre opinion sur ce projet de loi, et c’était important de vous en faire part parce que nous n’avons pas tous autant de temps. J’en suis consciente.

Pour toutes les raisons que je viens de mentionner et à titre de compromis, et compte tenu de l’important programme sur la biomasse prévu dans l’énoncé économique de l’automne, l’amendement relatif à la période de trois ans proposé par le sénateur Woo est raisonnable et raisonné et, selon moi et selon les agriculteurs de ma région, il est certainement plein de bon sens. Si nous ne faisons pas cela, nous ne ferons que dire : « N’utilisez pas la biomasse, n’utilisez pas les nouvelles technologies, ne regardez pas vers l’avenir, restez à la traîne ». Je vous demande instamment, sénateurs, d’adopter la motion du sénateur Woo.

Merci.

L’honorable Pierre J. Dalphond [ + ]

Chers collègues, je ferai une courte intervention en appui à l’amendement du sénateur Woo. Il a expliqué très clairement les arguments en faveur de son amendement et je l’en remercie. J’ajouterais que, pour moi, sa proposition a encore plus de sens aujourd’hui qu’elle n’en avait pendant les travaux du comité, où elle a été rejetée à la suite d’un vote nul.

Pourquoi suis-je de cet avis? C’est parce que, en plus des solides arguments présentés par le sénateur Woo en comité et plus tôt ce soir, il y a eu, depuis que notre comité a terminé son étude, beaucoup de nouveaux développements qui rendent cet amendement nécessaire. J’admets n’avoir rien d’un expert en finances agricoles. C’est lui l’expert, et je m’en remets à lui. Quoi qu’il en soit, ses arguments m’ont paru très convaincants.

Premièrement, le 26 octobre, le premier ministre a annoncé la suspension de la tarification du carbone associée au mazout pour une durée de trois ans. On l’appelle souvent l’exemption de l’Atlantique, mais nous savons maintenant, grâce à la sénatrice Ringuette, qu’elle touchera plus de ménages en Ontario et ailleurs au Canada que dans les provinces de l’Atlantique en général. Comme je l’ai dit dans mon discours à l’étape de la troisième lecture, cette annonce m’a laissé plutôt perplexe. Après quelques recherches, je sais maintenant que, selon les prix actuels, produire le même niveau de chaleur coûte quatre fois plus cher avec du mazout qu’avec du gaz naturel, et que le prix du mazout a augmenté considérablement au cours des dernières années, contrairement à celui du gaz naturel, qui a baissé. Enfin, cette source d’énergie coûteuse est majoritairement utilisée par des ménages à faible revenu.

Comme la sénatrice Ringuette l’a déjà expliqué, cette exemption vise non pas une seule région, mais un groupe de personnes qui utilisent un produit dont le prix a grimpé en flèche au fil des ans et qui, en raison de leur situation financière, ne sont pas en mesure d’adopter une solution de rechange sans recevoir d’aide.

Par ailleurs, il ne faut surtout pas oublier que c’est une exemption d’une durée de trois ans, et non de huit ans, et sans les dispositions du projet de loi C-234 qui permettent de prolonger facilement la durée de l’exemption.

Pour ce qui est du deuxième développement, depuis l’étude de notre comité, le gouvernement a dit à maintes reprises qu’il n’avait pas l’intention d’offrir d’autres exemptions de la tarification du carbone. Le gouvernement a aussi réitéré son engagement ferme à l’égard de la tarification du carbone et à faire tout ce qu’il faut pour que le Canada respecte ses engagements au titre de l’Accord de Paris. Nous savons aussi que le Bloc québécois et le NPD adhèrent au plan climatique du Canada et rejettent l’approche « abolissons la taxe ». Ce point de vue n’exclut pas certaines exemptions en cas de situation critique.

Troisièmement, le 6 novembre, la Chambre des communes a rejeté une motion du Parti conservateur réclamant une exemption pour tous les carburants domestiques. Le sénateur Woo y a fait allusion. Pourquoi avoir un projet de loi qui prévoit une exemption pour toutes sortes de bâtiments agricoles, y compris pour ceux qui évoluent dans un système de gestion de l’offre qui leur garantit un bon revenu, mais qui n’accorde pas la même exemption pour toutes les formes de chauffage domestique? Je crois que c’est une bonne question. Comme je l’ai demandé à la troisième lecture, les vaches et les cochons valent-ils plus que les êtres humains?

En outre, il serait illogique d’adopter un projet de loi qui propose des exemptions pour le chauffage de toutes sortes de bâtiments agricoles pendant un minimum de huit ans, alors qu’il n’existe actuellement qu’une seule exemption, limitée à trois ans, pour les habitations utilisant du mazout. Je ne vois pas la logique de huit ans pour les bâtiments agricoles et de trois ans pour les personnes les plus pauvres du pays qui utilisent ce type de chauffage.

Quatrièmement, la semaine dernière, la Chambre des communes a rejeté une autre motion conservatrice. Cette motion nous ordonnait plus ou moins d’adopter le projet de loi C-234 sans amendement au milieu de notre examen. Le député conservateur Adam Chambers a déclaré aux médias, juste avant d’entrer au caucus conservateur, que les sénateurs devraient retourner « faire ce qu’ils font de mieux, c’est-à-dire demeurer invisible. » De toute évidence, il ignore la nouvelle réalité du Sénat. Nous n’avons pas l’intention d’être invisibles, monsieur, et nous sommes prêts à faire notre devoir constitutionnel, qui est d’apporter un second regard objectif sur toutes sortes de projets de loi, qu’ils émanent du Parti conservateur ou du gouvernement.

Nous sommes également conscients de notre rôle qui consiste à proposer des amendements lorsque nous le jugeons approprié, tout en laissant le dernier mot aux députés, qui sont élus. Voilà le bon fonctionnement du Parlement canadien. Pour citer le regretté sénateur Shugart : « nous savons très bien que notre rôle exige une certaine retenue. »

En fin de compte, le renvoi du projet de loi C-234 à l’autre endroit invitera tous les députés, y compris les libéraux et les ministres, à revoir la question des exemptions et à mettre en place une approche cohérente à cet égard.

Soit dit en passant, il s’agit aussi de l’objectif de la motion présentée il y a deux jours par notre collègue la sénatrice Bellemare. Dans son discours sur le projet de loi C-234, elle a exhorté tout le monde, y compris les provinces, le gouvernement fédéral et toutes les parties prenantes, à travailler ensemble pour trouver des solutions à la crise climatique. C’est seulement en travaillant ensemble que nous parviendrons à traverser cette crise, qui est liée à notre propre survie, et non en menaçant de ne pas appliquer des lois adoptées par le Parlement fédéral ou en laissant des États devenir des provinces voyous et des provinces devenir des États voyous en refusant d’appliquer des lois qui ont été adoptées de manière constitutionnelle.

Avec de la volonté et de la collaboration, nous pouvons nous attendre, comme elle l’a suggéré dans sa motion, à respecter nos engagements dans le cadre de l’Accord de Paris. Nous aurons une politique cohérente et une stricte tarification du carbone, avec des exemptions conçues pour donner un répit aux personnes qui en ont absolument besoin et de multiples programmes mis de l’avant par le gouvernement fédéral et les provinces pour aider tout le monde à prendre un virage vert. C’est la seule façon d’y parvenir.

Je sais que certains agriculteurs ont besoin d’aide. Je sais qu’ils s’inscrivent massivement à tous les programmes proposés jusqu’à maintenant par Agriculture Canada. Je sais qu’ils sont prêts à accepter des changements parce que, comme l’a dit le sénateur Cotter, ils sont les gardiens de la terre. Ils veulent que la terre survive, ils veulent survivre et ils veulent contribuer à bien nous nourrir. Cependant, nous devons tous travailler ensemble et ne pas chercher à échapper au fardeau porté par d’autres. Nous devrions tous partager le fardeau et travailler ensemble pour atteindre ces objectifs. Merci beaucoup. Marsee.

L’honorable David M. Wells [ + ]

Honorables sénateurs, j’allais poser une question à la sénatrice Ringuette, car elle a décrit avec tellement d’enthousiasme à quel point les agriculteurs s’en sortent bien qu’on croirait qu’ils adorent la taxe sur le carbone. J’allais lui demander si elle avait déjà rencontré un agriculteur qui voulait de la taxe sur le carbone et qui l’appréciait. Pendant tout ce processus, soit des mois et des mois, j’ai entendu des agriculteurs, des éleveurs, des producteurs et des propriétaires de séchoir à grains dire qu’ils ne veulent pas de la taxe sur le carbone. Pas un seul ne m’a dit — et j’ai fait beaucoup de consultations — « Vous savez quoi, sénateur Wells? J’adore la taxe sur le carbone. Il faut la garder. » Peut-être que j’aurais dû poser la question à des agriculteurs du Nouveau-Brunswick. J’aurais certainement eu une réponse différente.

Nous avons aussi entendu le sénateur Woo, qui a accordé beaucoup de crédit — à juste titre d’ailleurs — aux sénateurs Arnot et Cotter, qui ont prononcé d’excellents discours, probablement les meilleurs sur ce sujet. On aurait cru qu’il utilisait ces deux grands exemples pour appuyer ses dires. Bien entendu, ils vont à l’encontre de sa cause. Ces deux discours s’opposaient à la taxe sur le carbone pour les agriculteurs, les producteurs et les éleveurs.

Chers collègues, je veux revenir sur la façon dont nous en sommes arrivés à huit ans dans le projet de loi, qui a été présenté ici au Sénat il y a quelques mois. Je l’ai mentionné dans l’un de mes discours précédents — encore une fois, je ne me rappelle plus lequel — mais il s’agit d’une suggestion faite par le néo-démocrate Alistair MacGregor au comité de l’agriculture de l’autre endroit. Le projet de loi initial prévoyait une durée de dix ans et il a suggéré de la raccourcir à huit ans. Le sujet n’a pas fait l’objet de débat au comité de l’autre endroit, et ils ont tous convenu qu’une durée de huit ans est juste.

Bien que l’autre endroit ait voté, avec une majorité de députés de quatre partis et quelques députés d’un autre, nous entendons maintenant le sénateur Woo dire que ce n’est pas dix ans, ni huit ans, mais une durée de trois ans qui est juste.

Je vais commenter deux points. Le premier — et je sais que je l’ai déjà abordé —, c’est que j’ai participé à un événement sur le canola. J’ai eu la chance de discuter avec un agriculteur, et je l’ai déjà raconté ici, au Sénat. Cet agriculteur possède une ferme située à environ une heure au nord d’Ottawa. Il était excité parce qu’il allait acheter son propre séchoir à grain et que cela allait lui éviter d’avoir à envoyer sa récolte à North Gower, au sud d’Ottawa. En séchant le grain sur sa propre ferme, et au moment voulu, il prévoyait faire des économies sur le camionnage. Par ailleurs, cela lui permettrait de créer des emplois sur la ferme. Au final, cet agriculteur n’allait pas payer la taxe sur le carbone qu’il faut payer à l’utilisation des séchoirs commerciaux. Il allait bénéficier de l’exemption de la taxe sur le carbone. Peut-être qu’au titre de ce projet de loi, il bénéficiera tout de même de l’exemption, mais les exigences sont les mêmes pour les agriculteurs, les éleveurs et les producteurs qui rafraîchissent les bâtiments agricoles, qui sèchent le grain ou qui exploitent des serres.

Cet agriculteur était ravi parce qu’il n’aurait pas à payer la taxe sur le carbone. Il allait pouvoir contrôler le volume de séchage plutôt que de diviser la récolte en lots, sans devoir payer de frais de camionnage. Les économies allaient être substantielles, plus que le montant économisé en taxe sur le carbone. Il m’expliquait que le remboursement était échelonné sur 12 ans. J’ai dit : « Combien de temps vous faudra-t-il? » Il a répondu : « Il nous faudra 12 ans, mais nous sommes très heureux de le faire. » Chers collègues, je ne sais pas s’il serait aussi heureux aujourd’hui.

Le sénateur Wells [ + ]

Je reviendrai maintenant sur quelques-unes des déclarations faites pendant l’un des discours. La sénatrice Ringuette a dit que la taxe sur le carbone était remboursée à 90 %. Je sais que c’est faux, parce que des agriculteurs m’ont montré leurs factures. L’un d’entre eux m’a dit — je sais que je l’ai déjà mentionné pendant un débat à propos d’un amendement — qu’il avait reçu une facture de taxe sur le carbone de 153 000 $ pour un trimestre. Son remboursement était de 53 000 $. Si j’avais à choisir entre les deux, je préférerais décidément recevoir le montant de la taxe plutôt que celui du remboursement.

Nous savons, bien sûr, que si le propane et le gaz naturel n’étaient pas assujettis à la taxe sur le carbone, il n’y aurait pas de remboursement. Il n’y aurait donc pas de cumul d’avantages, comme certains l’ont laissé entendre dans des discours prononcés plus tôt.

Chers collègues, nous savons que le remboursement est appliqué de manière injuste parce qu’il ne porte pas seulement sur les carburants utilisés à la ferme, mais sur tous les coûts. Supposons par exemple que des fermes d’élevage n’utilisent pas de propane ni de gaz naturel, des carburants qui ne donnent pas droit à une exemption, mais qu’elles utilisent de l’huile non traitée ou du diésel. Elles obtiendraient l’exemption et elles obtiendraient aussi le remboursement, ce qui est clairement injuste et inéquitable.

Dans son amendement, le sénateur Woo a proposé de réduire la durée de l’exemption à trois ans, en fonction de l’annonce que le premier ministre a faite il y a quelques semaines sur les maisons chauffées au mazout. Vous savez quoi? Ce serait logique si c’était l’unique élément de comparaison. Cependant, nous savons que le chauffage domestique au mazout est rare au Canada, bien que fréquent dans ma province, Terre-Neuve-et-Labrador. D’ailleurs, mon ancienne maison était chauffée au mazout. C’était notre seul choix, à moins de changer de système.

Les exploitations agricoles qui sont chauffées au mazout bénéficient d’une exemption, mais pas celles qui sont chauffées au propane et au gaz naturel. Voilà l’essence du projet de loi qui nous a été soumis. Je ne pense pas que la comparaison soit juste. Le sénateur peut fonder son amendement sur ce qu’il veut, mais je ne crois pas que la comparaison est juste puisque le pourcentage de maisons chauffées au mazout au pays est si faible, même si ces maisons sont réparties sur une grande superficie. Il serait plus juste d’établir une comparaison avec d’autres exploitations agricoles. Pourquoi le sénateur ne l’a-t-il pas fait?

Chers collègues, j’en arrive à mon dernier point. Sur le site Web de l’Agence du revenu du Canada — j’en ai déjà parlé —, on peut lire que des exemptions de la taxe sur le carbone sont prévues, qu’elles sont intégrées au programme de tarification du carbone. En fait, sur le site Web de l’Agence du revenu du Canada, on parle d’allègement de la redevance sur les combustibles. C’est un synonyme de l’exemption de la taxe sur le carbone. L’allègement de la redevance sur les combustibles inclut sept catégories d’exemption, qui touchent notamment les pêcheurs et certaines activités agricoles, plus précisément en ce qui concerne le pétrole et le diésel. Il y a sept catégories.

Malheureusement, les agriculteurs qui utilisent du propane ou du gaz naturel ne sont pas visés par ces catégories. Nous voulions les ajouter. Initialement, nous avons proposé une échéance de 10 ans, puis de 8 ans et, maintenant, de 3 ans. Or, pour toutes les autres catégories d’exemption — sauf celle que le premier ministre a annoncée le mois dernier —, le site Web de l’Agence du revenu du Canada inclut la note suivante : « Un certificat d’exemption de la redevance sur les combustibles n’a pas de date d’expiration. » On ne parle pas de 3, 8 ou 10 ans. L’exemption s’applique tant que la taxe sur le carbone existe.

C’est évidemment injuste pour tous ceux dont l’exemption a une date d’échéance. Pourquoi un agriculteur et un pêcheur devraient-ils être traités différemment? Pourquoi l’approche devrait-elle être différente pour quelqu’un qui a une serre par rapport à quelqu’un qui doit chauffer son poulailler l’hiver et le rafraîchir l’été?

Chers collègues, je termine en mentionnant que le sénateur Dalphond a également parlé de situations difficiles. Ces situations difficiles se produisent parce que les gens perdent de l’argent en raison des frais supplémentaires qu’ils paient et qui n’ont pas nécessairement l’effet désiré.

Chers collègues, par-dessus tout, soyons justes. Offrons un traitement équitable aux gens qui produisent nos aliments. Merci.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ + ]

Honorables sénateurs, je serai très bref, mais je tiens à dire quelques mots au sujet de l’amendement. Je vais me concentrer sur l’amendement, contrairement à une intervenante précédente, qui a parlé pendant 13 minutes, sans que je sache réellement si elle parlait de l’amendement ou d’autre chose. Puis, dans la dernière minute et demie de son intervention, elle nous a dit qu’elle appuie cet amendement.

Chers collègues, j’encouragerais le sénateur Dalphond et le sénateur Woo, lorsqu’ils approcheront de l’âge de la retraite — je sais qu’il leur reste encore un peu de temps au Sénat —, à s’offrir pour travailler dans l’industrie agricole. Je suis convaincu que tous les agriculteurs au pays adoreraient les embaucher, puisqu’ils savent, je ne sais trop comment, que tous ces problèmes que connaît l’industrie peuvent se régler, même si tous les experts au pays disent que c’est impossible. Pourtant, le sénateur Woo et le sénateur Dalphond nous disent qu’ils savent que la technologie existe et que nous pourrons y accéder d’ici un an et demi, deux ans, voire trois ans. Ils nous disent : « Si un expert vous dit que cela prendra huit ans et si un agriculteur vous dit que cela prendra huit ans, ne les croyez pas parce que nous, à Montréal et à Vancouver, dans les villes, savons exactement combien de temps cela prendra, et cela prendra trois ans, alors réduisons la période de validité de l’exemption. »

C’est merveilleux, messieurs, merveilleux. Je vous invite réellement à le faire. Je pense que des gens seraient prêts à vous payer des millions de dollars pour aller les conseiller et les consulter et pour les aider à gagner l’argent dont ils ont désespérément besoin.

Cependant, chers collègues, permettez-moi de parler brièvement de l’amendement. C’est vrai, même si l’amendement a été rejeté, le sénateur Woo a tout à fait le droit de le proposer, tout comme le sénateur Dalphond. Même si son amendement a été rejeté à deux reprises, il l’a présenté une troisième fois. La troisième fois, c’est la bonne. J’imagine que, s’il avait été de nouveau rejeté, il serait revenu ce soir sous une forme ou une autre.

Le sénateur Yussuff a semblé dire que, même si nous avons le droit de présenter des amendements, nous devrions certainement les rejeter au Sénat s’ils ont déjà été rejetés ailleurs avant. Je suis certainement encouragé par le fait que le sénateur Yussuf votera assurément contre cet amendement, puisqu’il a été rejeté au comité. Le sénateur Yussuf n’a pas besoin d’autres informations pour faire son choix.

Chers collègues, la disposition de caducité a été ajoutée au projet de loi C-234 à l’étape de l’étude par le comité à la Chambre des communes. Au début, la période devait être de dix ans, puis elle a été réduite à huit ans après les débats. Le sénateur Woo voudrait maintenant la faire passer de huit ans à trois ans, parce qu’il connaît la technologie requise.

Cet amendement est malavisé pour deux raisons : premièrement, l’amendement n’est étayé... Il y a des gens qui doivent arrêter de parler, parce qu’ils ne sont pas censés parler quand une autre personne a la parole, mais je vais continuer et ignorer le leader du gouvernement et son acolyte pendant qu’ils continuent de débattre alors que j’ai la parole.

Premièrement, l’amendement n’est pas étayé par des données probantes. Rien de ce qui a été présenté au comité n’indique que la période de caducité devrait passer de huit à trois ans.

En fait, le professeur Lubitz, professeur agrégé à l’école de génie et de physique de l’Université de Guelph, nous fait remarquer qu’il faut compter au minimum six à huit ans, voire plus. Après tout, ce n’est qu’un professeur agrégé de l’école de génie de l’Université de Guelph. J’ignore s’il connaît le sujet.

Ce qui est certain, c’est qu’il ne s’est pas entretenu avec le sénateur Dalphond ni avec le sénateur Woo, car si cela avait été le cas, il ne serait pas de cet avis. Malgré tout, en réponse à une question de la sénatrice Simons à propos de la disponibilité de certaines technologies d’ici huit ans, le professeur Lubitz a répondu : « Il est difficile de me prononcer sur les technologies en cours d’élaboration. »

Il a poursuivi ainsi :

Nous avons parlé de la technologie de thermopompe; c’est ce que nous étudions. D’autres travaillent aussi sur la biomasse et sur d’autres technologies.

La sénatrice Ringuette, évidemment, affirme que la biomasse donnera d’excellents résultats.

Le professeur Lubitz a ajouté : « On pourrait soutenir que certaines de ces technologies sont sur le point d’être prêtes à une utilisation expérimentale à petite échelle de prototype [...] »

Peut-être dans un jardin près d’où habite la sénatrice Ringuette.

Le professeur Lubitz a poursuivi ainsi :

[...] mais, à mon avis, la question la plus importante est de savoir quand elles seront prêtes pour un déploiement à grande échelle. Je crois que certaines de ces technologies seront prêtes dans un délai de huit ans, mais pas dans un an ou deux. Notre projet n’atteindra pas cet objectif au cours de la prochaine année ou des deux prochaines années, mais il pourrait le faire d’ici six ou huit ans.

Je répète qu’il s’agit d’un professeur d’université.

De même, je ne suis pas au courant d’autres technologies qui seraient prêtes pour un tel déploiement à grande échelle dans les deux prochaines années. Il faut beaucoup de temps pour franchir ces étapes vers le déploiement et l’expansion. Il s’agit d’une grande infrastructure, dont la construction, la mise à l’essai et la reconstruction prennent beaucoup de temps.

Le professeur Singh, titulaire de la chaire de recherche principale en génie agricole et technologie au Collège de Lethbridge, a fait écho à l’incertitude du professeur Lubitz en disant ce qui suit :

Je ne sais pas si cela prend trois ou cinq ans et si ces carburants seront offerts sous une forme que les agriculteurs peuvent utiliser. Peut-être que oui, peut-être que non. Je suis désolé, mais je ne peux pas vous donner une réponse claire.

Dans son mémoire au Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes, le Conseil de l’innovation agroalimentaire a déclaré ceci :

Les travaux de recherche et d’innovation sur l’utilisation [de sources d’énergie de substitution renouvelables et propres] s’avèrent très prometteurs dans le domaine des activités agricoles. Toutefois, la technologie n’a pas encore atteint le stade de viabilité pour bien des activités agricoles. D’autres travaux de recherche et innovations seront nécessaires pour répondre aux besoins du secteur agroalimentaire.

À mesure que des sources d’énergie de substitution seront ciblées, il sera important de réfléchir à leur évolutivité, à leur abordabilité et à leur adoption.

Cela signifie-t-il que nous ne parviendrons jamais à remplacer le propane et le gaz naturel? Non. Par contre, la plupart des experts rapportent qu’il nous faudra au moins une décennie avant d’avoir à notre disposition des solutions de rechange réalisables, éprouvées, abordables et évolutives.

Chers collègues, cet amendement n’est appuyé par aucune donnée probante. Pour cette raison, il doit être rejeté.

En plus de ne pas s’appuyer sur des données probantes, cet amendement est tout à fait inutile. Évidemment, personne ne sait exactement quand on pourra mettre en place de nouvelles technologies que les agriculteurs pourront adopter à grande échelle. Cependant, dès que cette technologie sera disponible, on pourra modifier la disposition de caducité simplement en faisant adopter un amendement par les deux Chambres du Parlement. Cet amendement est tout à fait présomptueux et arbitraire, puisqu’il n’est pas fondé sur des données probantes, sans oublier qu’il est tout à fait inutile.

Honorables sénateurs, il a été rejeté au comité pour une raison bien évidente : les experts nous disent que ce n’est pas un bon amendement. Selon eux, lorsque la technologie sera disponible, le gouvernement — les deux Chambres du Parlement — pourra la rendre accessible.

C’est une autre tentative de torpiller un projet de loi. Je suis convaincu que dans un jour ou deux, vous aurez enfin la possibilité de dire « oui » ou « non » au projet de loi, parce que je suis sûr qu’après ceci, le sénateur Dalphond et le sénateur Woo diront que c’en est assez, que nous avons assez tardé, que nous avons complètement vidé le projet de loi avec l’amendement précédent. Cet amendement est inutile. Vous avez atteint votre but en torpillant le projet de loi avec l’amendement précédent. Vous avez détruit le gagne-pain des agriculteurs. Vous avez ruiné les familles agricoles et détruit leur gagne-pain. C’est ce que vous avez fait, alors pourquoi poursuivre cette mascarade?

Chers collègues, examinons au moins les faits — pas ce que vous aimez, pas ce que Justin Trudeau veut, et pas ce que le chef de mon parti veut. Examinons les faits. Regardez ce que veulent les agriculteurs. Votez pour les agriculteurs. Voter contre cet amendement, c’est voter pour les agriculteurs. Faisons au moins cela avec cet amendement.

Je vous demande, chers collègues, de rejeter cet amendement et de passer à la question principale à la première occasion. Merci.

Le sénateur Dalphond [ + ]

Le sénateur Plett accepte-t-il de répondre à une question?

Le sénateur Plett [ + ]

Non. En tout respect, je refuse.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Son Honneur la Présidente [ + ]

À mon avis, les oui l’emportent.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie? Le vote sera reporté à la prochaine séance.

Haut de page