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Règlement, procédure et droits du Parlement

Motion tendant à modifier le Règlement du Sénat--Débat

1 mai 2024


Honorables sénateurs, la motion est insuffisante pour réaliser l’objectif d’un Sénat moins partisan et plus indépendant. Il reste donc du travail à faire après son adoption. Après tout, l’objectif d’un Sénat plus indépendant et moins partisan ne concerne pas seulement la façon dont nous faisons notre travail et ce qui nous réconforte. Il s’agit plutôt de la crédibilité et de la légitimité de l’institution pour les générations à venir.

Je ne suis pas naïf au point de croire qu’un Sénat entièrement composé de sénateurs indépendants, en soi, incitera les Canadiens à aimer la Chambre haute, mais je suis certain qu’un retour au duopole partisan fera le contraire. Adoptons rapidement la motion et utilisons-la comme base pour moderniser et améliorer le Sénat du Canada.

Merci.

L’honorable Denise Batters [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la motion d’initiative ministérielle no 165. Cette motion propose d’importantes modifications au Règlement du Sénat.

Ne vous méprenez pas : cette motion a pour objectif de tenter de détruire l’opposition conservatrice au Sénat. C’est ce que le gouvernement libéral cherche à faire depuis huit ans et demi. Le sénateur Gold affirme que le premier ministre Justin Trudeau et son Cabinet n’ont rien à voir avec la motion. Il veut nous faire croire qu’elle est de son propre cru, en tant que sénateur non affilié. Si tel est le cas, pourquoi le leader du gouvernement au Sénat l’a-t-il présentée comme motion d’initiative ministérielle? On sent une influence considérable derrière cette motion.

Et pourquoi la présenter maintenant? Le gouvernement Trudeau propose ces vastes changements au Règlement du Sénat, alors qu’il est à la fin de son mandat marqué par les scandales. Les libéraux sont en perte de vitesse dans les sondages, et il s’agit de leur ultime tentative pour consolider leur pouvoir avant le changement de gouvernement. Ce n’est pas une coïncidence si le gouvernement tente de forcer le Sénat à adopter cette proposition maintenant, alors que le premier ministre Trudeau a nommé plus de 80 sénateurs et que notre caucus conservateur de l’opposition ne compte plus que 13 membres — bientôt 12.

Les modifications au Règlement proposées dans cette motion ne sont généralement pas nouvelles. Elles ont été suggérées et étudiées par le Sénat à de nombreuses reprises auparavant : dans les documents de travail du sénateur Harder, au Comité sur la modernisation du Sénat et par des motions présentées par les sénateurs Woo et Tannas. Le gouvernement a essayé, en vain, de faire adopter ces modifications par le Comité sénatorial du Règlement. Comme cela n’a pas fonctionné, le gouvernement essaie maintenant de les faire adopter par le Sénat, où une grande majorité de sénateurs ont été nommés par le premier ministre Trudeau.

Le paradoxe sur lequel le gouvernement Trudeau a fondé son démantèlement de la structure du Sénat, c’est que les sénateurs nommés par le premier ministre Trudeau sont indépendants et non partisans. En réalité, on trouve dans les rangs de ces sénateurs de grands donateurs du Parti libéral, un ancien député libéral ayant siégé pendant 20 ans, une ancienne première ministre libérale, des dirigeants du Parti libéral, des anciens de la fondation Trudeau et même l’ancien responsable de la transition du gouvernement Trudeau.

Les comités sur les nominations au Sénat, prétendument indépendants, ne sont pas indépendants non plus. Ils sont également remplis de personnes nommées par le Cabinet du premier ministre Trudeau : des donateurs libéraux, des anciens de la fondation Trudeau et ainsi de suite. À ce stade, ces comités parfois vides ne prennent même pas la peine de dire aux Canadiens qui recommande les personnes qu’ils proposent. C’est le Cabinet du premier ministre qui choisit les membres des comités sur les nominations au Sénat et c’est aussi lui qui choisit les sénateurs. Le Cabinet du premier ministre a même admis qu’il utilisait la base de données du Parti libéral pour établir ses listes de présélection pour les nominations au Sénat.

C’est dans ce contexte, où on jette de la poudre aux yeux, que le gouvernement Trudeau a proposé cette motion, qui créerait une majorité indélogeable de sénateurs nommés par ce même gouvernement et qui bafouerait les droits de l’opposition, dont le devoir est de questionner le gouvernement.

Cette motion du gouvernement, la motion no 165, diluera le pouvoir de l’opposition en accordant à tous les autres groupes du Sénat les mêmes pouvoirs, que l’on pense aux limites de temps de parole pour les leaders, à la fixation de délai, aux ententes au sujet de la sonnerie en vue d’un vote ou à d’autres choses encore.

Dans le système de Westminster, le rôle du gouvernement est de proposer un programme législatif et de tenter de le faire adopter. Le rôle de l’opposition est de s’y opposer afin que tous les aspects des mesures législatives soient soigneusement examinés, en tenant compte de tous les points de vue. C’est particulièrement important au Sénat, où notre rôle est de faire un second examen objectif avant qu’un projet de loi soit adopté.

Les autres groupes du Sénat n’ont pas vraiment de rôle parlementaire. En fait, le Sénat est maintenant composé d’une grande majorité de sénateurs qui ont été nommés par Justin Trudeau. Ces groupes prétendent être également de l’opposition, alors qu’ils votent dans 95 % des cas avec le gouvernement Trudeau. Rappelons-le : fondamentalement, le mot « opposition » signifie « s’opposer ».

Les sénateurs nommés par un premier ministre antérieur n’ont évidemment pas la même allégeance à l’endroit du premier ministre en poste, et nous, du caucus conservateur, formons l’opposition. Or, la plupart des sénateurs des autres groupes — le Groupe des sénateurs indépendants, le Groupe des sénateurs canadiens et le Groupe progressiste du Sénat — ont été nommés par Justin Trudeau, ce qui signifie en gros qu’il est en train de nommer lui‑même son opposition. Honorables sénateurs, il s’agit d’une perversion de la démocratie qui est contraire à plus de 150 ans de tradition parlementaire au Canada.

Selon le Règlement, dans la plupart des cas, le leader du gouvernement et le leader de l’opposition disposent d’un temps illimité pour leurs interventions et leurs questions lors des discours au Sénat. C’est parce que le leader du gouvernement doit expliquer pourquoi telle mesure législative est importante pour le programme du gouvernement et que c’est en répondant aux questions que le gouvernement peut rendre des comptes. Le leader de l’opposition au Sénat dispose d’un temps de parole illimité pour exprimer son désaccord avec le gouvernement, critiquer les mesures législatives et s’assurer que ces dernières soient les meilleures possible. Selon les modifications que le gouvernement propose d’apporter au Règlement au moyen de cette motion, le leader du Groupe des sénateurs indépendants — qui est le plus grand groupe sénatorial à l’heure actuelle — disposerait aussi d’un temps de parole illimité pour faire valoir son point de vue et répondre aux questions, tandis que l’on accorderait 45 minutes à chaque leader des autres groupes de sénateurs. Dans quel but? Quel est le rôle parlementaire de ces sénateurs?

Traditionnellement, les sénateurs nommés par un premier ministre sont au service du caucus de son gouvernement. Toutefois, même si ce n’était pas le cas, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que les sénateurs nommés par un premier ministre entretiennent des idéologies politiques compatibles avec la position de ce dernier. Le Sénat est, après tout, une institution politique.

Dans le système actuel, les sénateurs nommés par le premier ministre Trudeau ont des idéologies similaires, mais ils ne siègent pas au sein du caucus national du gouvernement. Par conséquent, ils ne sont pas au courant des subtilités qui justifient comment et pourquoi les mesures législatives du gouvernement sont conçues. Que pourraient bien dire les leaders de ces groupes de sénateurs pendant 45 minutes ou un temps de parole illimité? Ils ne peuvent pas informer le Sénat au nom du gouvernement. Ils ne peuvent pas répondre aux questions au nom du gouvernement. Quel est donc le but? Si le leader du Groupe des sénateurs indépendants agit concrètement en tant que leader du gouvernement, qu’on lui donne simplement le poste. Cela me rappelle l’époque où on ne savait plus trop qui du sénateur Harder ou du sénateur Woo était véritablement le leader du gouvernement au Sénat.

Par ailleurs, dans le contexte des projets de loi, selon la motion du sénateur Gold, des sénateurs des groupes qui ne sont ni du gouvernement ni de l’opposition seraient qualifiés de « sénateurs désignés » et joueraient un rôle semblable à celui des porte-parole pour les projets de loi. En fonction de ce changement, un sénateur désigné de chaque groupe — le nombre de groupes ne se limiterait pas à cinq — aurait l’occasion de prononcer un discours de 45 minutes aux étapes des deuxième et troisième lectures de chaque projet de loi. Bien sûr, comme le sénateur Quinn l’a souligné précédemment, le gouvernement ne donnera pas de séance d’information aux sénateurs désignés comme il le ferait pour le porte-parole pour le projet de loi. De quoi exactement pourraient-ils donc parler pendant 45 minutes?

En plus de 150 ans, le Règlement du Sénat n’a jamais été modifié unilatéralement. Cela s’est toujours fait, à juste titre, par consensus. Il est consternant que le leader du gouvernement au Sénat essaie maintenant de contourner la définition de « consensus » essentiellement dans le but de détruire l’opposition. Le Comité du Règlement, dont je suis la vice-présidente, a récemment étudié la question de l’équité des groupes. Les sénateurs nommés par Trudeau n’ont pas réussi à parvenir à un consensus sur plusieurs questions, de sorte que le gouvernement contourne maintenant le Comité du Règlement et présente ces questions litigieuses au Sénat au moyen de cette motion.

Les membres de l’opposition conservatrice au sein du Comité du Règlement ont en fait accepté de nombreux changements mineurs au Règlement. Nous avons essayé de faire la distinction entre les changements acceptés et les questions controversées qui ne faisaient pas l’objet d’un consensus et qui étaient d’ordre général. Nous avons proposé d’aller de l’avant avec la mise en œuvre de ces changements mineurs. En fait, j’ai tenté de le faire à deux ou trois reprises au Comité du Règlement. Cependant, les sénateurs nommés par Trudeau ont refusé de donner leur accord. Ils ont dit que c’était tout ou rien. C’était il y a 18 mois. Aujourd’hui, le sénateur Gold cherche à interpréter le terme « consensus » au sens large, et il affirme que la motion n’a pas à faire l’unanimité. Le gouvernement Trudeau fait une ultime tentative de modifier le Règlement pendant ses derniers jours au pouvoir. On tente de détruire l’opposition, qui est un élément clé de la démocratie, laquelle existe depuis 156 ans au Canada et joue un rôle critique et historique dans la contestation du gouvernement.

Cette motion du gouvernement modifierait également la partie du Règlement du Sénat qui concerne les questions écrites adressées au gouvernement. Le sénateur Gold veut nous faire croire que le gouvernement présente un mécanisme de reddition de compte. Cependant, comme la plupart des manigances du gouvernement Trudeau au Parlement, cette motion ne donnera rien de tel. Le gouvernement limitera le nombre de questions écrites à quatre par sénateur. Ils disent que cela ressemble au Règlement de la Chambre des communes. Le fait est que l’opposition au Sénat ne compte que 13 sénateurs. L’opposition à la Chambre des communes compte environ 120 députés. De plus, à la Chambre des communes, le gouvernement a 45 jours pour répondre, mais au Sénat, il aurait 60 jours — sans explication sur le motif pour lequel les sénateurs sont traités comme des citoyens de seconde zone. La Chambre des communes et le Sénat sont censés être des Chambres égales et complémentaires.

Cette motion permet au gouvernement de ne même pas répondre à une question écrite, pourvu qu’il explique cette absence de réponse. Dieu sait que le gouvernement ne manque pas de créativité dans ce domaine! Ce n’est qu’une autre façon d’éviter de rendre des comptes. En réalité, la procédure proposée par le gouvernement pour les questions écrites l’incitera à retarder la réponse le plus longtemps possible. En effet, lorsqu’un sénateur reçoit une réponse, il peut soumettre une autre question, le maximum étant de quatre. Ainsi, plus le gouvernement tarde à répondre, moins il aura de questions à traiter. Cela va à l’encontre de l’objectif poursuivi en imposant un délai de réponse au gouvernement.

Selon la motion, si une réponse n’est pas déposée dans le délai imparti, la question sera transmise au Comité du Règlement du Sénat. Je demande donc, une fois de plus, pourquoi. Ce comité ne serait sûrement pas en mesure de fournir une réponse pertinente à une question sur le contenu. À la Chambre des communes, ces questions sont transmises au comité permanent concerné, dont les membres ont à tout le moins une bonne chance de chercher une réponse ou d’en recevoir une. Au Sénat comme à la Chambre des communes, il n’existe pas de véritable recours si la réponse est erronée ou vide de sens, comme l’était celle que j’ai reçue récemment et dont j’ai parlé pendant la période des questions au Sénat.

Cette motion du gouvernement Trudeau aura également de graves conséquences sur la procédure de fixation de délai, qui est en soi un outil draconien du gouvernement pour limiter le débat. La motion no 165 prévoit d’accorder au leader de chaque groupe 20 minutes pour intervenir et répondre aux questions lors d’un débat sur une motion d’initiative ministérielle de fixation de délai. Tout le débat est plafonné à deux heures et demie, ce qui signifie que les 100 autres sénateurs qui ne sont pas leaders auront à peine le temps de prendre la parole. Cette mesure va à l’encontre du principe fondamental du Sénat selon lequel tous les sénateurs sont égaux. En outre, elle réduira également le temps dont dispose le leader du gouvernement, qui propose la fixation de délai, pour répondre aux questions des autres sénateurs, ce qui permet au gouvernement d’éviter de rendre des comptes pour avoir limité le débat.

Les définitions proposées dans la motion posent de nombreux problèmes. Tout d’abord, l’alinéa 23c) de la motion indique que le leader du gouvernement au Sénat doit être « nommé par le gouvernement ». Or, il ne s’agit pas d’une nomination par décret : le leader du gouvernement au Sénat est nommé par le premier ministre, et non par le gouvernement. Si le gouvernement n’arrive même pas à bien rédiger cette partie de la motion, pourquoi devrions-nous lui faire confiance pour modifier le Règlement du Sénat?

La définition de whip du gouvernement ou d’agent de liaison qui est proposée porte elle aussi à confusion. Dans le Règlement du Sénat actuel, le whip du gouvernement est défini comme étant responsable d’assurer le quorum et la tenue des votes parmi les « sénateurs du parti au pouvoir ». De plus, il est généralement chargé de « gérer la désignation des suppléants pour remplacer les sénateurs du parti au pouvoir qui siègent à des comités ». Comme le bureau du représentant du gouvernement ne compte que trois membres et que ceux-ci ne siègent à aucun comité, je m’attends à ce que ces tâches soient pour ainsi dire inexistantes. Selon la motion du sénateur Gold, le seul changement consiste en l’ajout du mot « sensibilisation ». Qu’est-ce que cela signifie au juste? Même l’ancienne leader adjointe du gouvernement a admis devant le Comité du Règlement qu’elle était incapable de définir le rôle de sensibilisation du whip ou de l’agent de liaison du gouvernement. Selon elle, cela signifie qu’il « est en relation avec d’autres sénateurs ». C’est ce que nous faisons tous, honorables sénateurs. Quelle est la différence? Nous ne le savons pas, et le gouvernement Trudeau non plus. Pourquoi inscrire cette nouvelle définition dans la loi? Que fait au juste cette nouvelle version de l’agent de liaison, outre descendre l’allée avant un vote?

Il sera intéressant de voir si les sénateurs nommés par Trudeau seront aussi déterminés à appuyer le gouvernement et ses mesures visant à détruire l’opposition lorsque ce sera leur tour d’être dans l’opposition. Ils verront peut-être les choses sous un tout autre angle.

Nos traditions parlementaires ont évolué en fonction du rôle très important que jouent l’opposition et le gouvernement dans le système de Westminster. Notre système a été établi de cette manière parce qu’il fonctionne. Il permet à la démocratie de s’exprimer et il permet d’obtenir les meilleures lois possibles grâce à la contribution du Sénat. Nous ne devrions pas bouleverser nos structures fondamentales simplement pour apaiser un premier ministre, surtout qu’il achève de s’accrocher au pouvoir. J’espère donc que vous vous joindrez à moi pour voter contre cette motion draconienne et omnibus.

Merci.

L’honorable Diane Bellemare [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole pour soutenir cette motion présentée par le sénateur Gold. Je parlerai de trois questions : premièrement, de l’importance de la motion no 165; deuxièmement, du principe d’égalité entre les sénateurs et de la question des sénateurs non affiliés; et, enfin, du rôle du Comité du Règlement dans le processus de modernisation de notre Règlement et de nos procédures.

Je ne répéterai pas ce qui a déjà été dit quant au contenu de la motion no 165. Après tout, mon temps de parole est limité à 15 minutes. J’aimerais néanmoins préciser que cette motion est très importante pour assurer une plus grande pérennité aux transformations entreprises depuis 10 ans en ce qui a trait à l’existence nécessaire de plusieurs groupes et caucus au Sénat.

Dans la motion, la plupart des modifications que l’on propose d’apporter au Règlement complètent les modifications apportées à la Loi sur le Parlement du Canada en 2022 afin de reconnaître les nouveaux groupes sénatoriaux et des textes législatifs fédéraux. Elles sont également liées à des réformes antérieures visant à accroître l’indépendance du Sénat, notamment par la reconnaissance dans le Règlement, en 2017, des groupes non affiliés à un parti politique. Il s’agissait d’une étape cruciale pour que le Sénat devienne plus indépendant et moins partisan. Ce changement a mis fin au duopole des caucus libéral et conservateur qui existait au Sénat depuis 1867.

Notons que les partis libéral et conservateur ont siégé au Sénat en tant qu’opposition alors que le Bloc et le NPD étaient dans l’opposition à l’autre endroit. Voilà qui montre qu’un duopole au Sénat ne reflète pas la diversité des points de vue de la société canadienne.

La modification du Règlement de 2017, ainsi qu’un processus de nomination plus transparent, a interpellé des Canadiens qui ne s’identifient pas comme des partisans, renforçant ainsi les voix indépendantes au Sénat du Canada. En outre, elle a permis au Sénat de compter davantage de groupes, ce qui a permis de contrer le risque de majoritarisme.

Honorables sénateurs, permettez-moi de vous rappeler que les Pères de la Confédération, lorsqu’ils ont adopté un Parlement bicaméral, se sont inspirés du philosophe, économiste et politologue britannique John Stuart Mill, qui a rédigé l’ouvrage Considérations sur le gouvernement représentatif en 1861. Je vous assure que ce livre vaut la peine d’être lu, même en vacances.

Il a écrit :

La considération qui milite le plus, selon moi, en faveur des deux Chambres [...], c’est l’effet néfaste produit sur l’esprit de tout détenteur du pouvoir, que ce soit un individu ou une assemblée, par la conscience de n’avoir que soi-même à consulter.

Un Parlement monocaméral risque d’exacerber une telle situation. C’est donc l’une des raisons pour lesquelles le Sénat existe. Il garantit dans une certaine mesure aux populations minoritaires et aux régions qu’elles peuvent être entendues. Toutefois, la tyrannie de la majorité, comme l’a dit John Stuart Mill, peut également exister dans un Parlement bicaméral.

La motion no 165, de même que les modifications précédentes apportées au Règlement et à la Loi sur le Parlement du Canada, permettent de l’empêcher.

En effet, même si le bicaméralisme vise à empêcher la tyrannie de la majorité, la seule existence d’un Sénat ne suffit pas. Encore faut-il qu’il soit indépendant.

Qu’entend-on vraiment par « un Sénat indépendant »? En quelques mots, cela signifie qu’il n’est pas contrôlé par le parti au pouvoir, et en particulier par le Cabinet du premier ministre. Cela ne signifie pas que le Sénat ou les sénateurs peuvent faire ce qu’ils veulent. Un Sénat indépendant doit faire preuve de retenue et respecter les préférences démocratiques des Canadiens et de la Chambre élue, tout en protégeant les intérêts des minorités et des régions. Cela a été bien expliqué par la Cour suprême en 2014, ainsi que par le sénateur Ian Shugart, qui nous a quittés trop tôt, mais en laissant ce message essentiel.

Malheureusement, au Canada, comme l’ont montré les politologues, il est tentant pour le parti au pouvoir de contrôler le caucus sénatorial qui lui est affilié et d’imposer sa ligne de parti. Cela se fait au moyen du processus de nomination et d’un système de peur et de favoritisme et, en fin de compte, par des votes majoritaires soumis à la discipline partisane. Ainsi, les freins et contrepoids de John Stuart Mill ont pu être réduits à néant. Lorsque le Sénat compte au moins trois groupes, il devient plus difficile pour le parti au pouvoir d’exercer son contrôle. Il s’agit là d’une innovation marquante de la réforme du Sénat de la 42e législature.

Honorables sénateurs — et je m’adresse plus particulièrement à ceux et celles qui ont été assermentés depuis 2016 —, je vous invite à ne pas oublier que le majoritarisme a été une pratique réelle au Parlement fédéral depuis les débuts de la Confédération. Les partis au pouvoir qui se sont succédé ont toujours cherché à obtenir une majorité des votes au Sénat, et surtout à imposer une ligne de parti. Ce n’est pas surprenant que le Sénat ait été perçu comme l’institution qui approuvait à l’aveuglette les décisions de l’autre endroit. Le Sénat ne doit pas revenir en arrière.

La dernière crise existentielle du Sénat, qui a commencé en 2013 et à laquelle j’ai assisté avec étonnement, a été l’aboutissement de cette stratégie de contrôle du Sénat par le parti au pouvoir. Il faut l’avoir vécu pour le croire. Cette stratégie de contrôle a été documentée par le juge Vaillancourt dans son jugement dans l’affaire Duffy.

La motion no 165 est donc très importante dans le processus de modernisation du Sénat, mais ce n’est pas la fin du processus. D’autres règles doivent être modifiées pour aider tous les sénateurs à remplir leurs fonctions constitutionnelles.

Le Sénat doit se pencher sur la question de l’égalité entre les sénateurs, y compris les sénateurs non affiliés. À cet égard, permettez-moi de vous rappeler les débats du Sénat en 2015 et 2016, lorsque le sénateur John Wallace, nommé par le premier ministre Harper, a présenté une motion visant à charger le Comité du Règlement d’étudier cette question.

En résumé, le sénateur Wallace proposait que le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, les pratiques du Sénat et les dispositions du Règlement relatives aux comités, afin d’évaluer si tous les sénateurs étaient, dans les faits, traités également et de façon juste et équitable, peu importe qu’ils siègent à titre de membres du gouvernement, de membres de l’opposition, de membres de partis reconnus, ou de sénateurs indépendants ou non affiliés; tous devaient avoir les mêmes possibilités raisonnables de contribuer pleinement au Sénat par leur travail en comité.

Sa motion a aussi mis en évidence l’importance du processus de sélection des membres de nos comités dans ce contexte. À l’époque, j’estimais qu’au Sénat, nous devions d’abord voir à modifier le Règlement de façon à ce que les groupes indépendants soient reconnus. C’est ce qu’on a fait en 2017 et ce qui sera renforcé avec la motion dont nous sommes saisis.

Toutefois, je pense que le temps est maintenant venu de présenter de nouveau la motion du sénateur Wallace.

Enfin, permettez-moi de parler brièvement du rôle du Comité du Règlement. Cependant, j’aimerais d’abord vous raconter une anecdote. En mars 2015, j’ai eu le privilège d’accompagner le Président Nolin et d’autres sénateurs pour une visite de la Chambre des lords, à Londres. Charles Robert, greffier du Sénat et du Comité du Règlement, nous accompagnait également. Je lui ai demandé pourquoi le Comité du Règlement prend autant de temps pour proposer toute modification du Règlement et de la procédure. Il a dit que c’est parce que le Comité du Règlement essaie de parvenir à un consensus. Cela me semble logique. Cela m’a toujours semblé logique.

En effet, je le répète, je crois que le Comité du Règlement doit véritablement s’efforcer de parvenir à un consensus. Toutefois, que fait-on si on n’y arrive pas? Il se pourrait que le comité ne soit pas en mesure de parvenir à un consensus au sein de tous les groupes. Lorsque cela se produit, et lorsque les leaders ne peuvent manifestement pas s’entendre non plus, c’est donc l’ensemble du Sénat qui doit décider dans l’intérêt du pays.

Comme je l’ai dit précédemment, le Comité du Règlement a étudié le contenu de la motion no 165 et en a fait rapport au Sénat en mars 2023. Le cinquième rapport ne contenait aucune recommandation parce que le comité n’a pas réussi à atteindre le consensus. Les membres conservateurs du comité s’opposaient fermement à certains éléments.

Je dois également préciser que lorsque tous les groupes et caucus au sein du comité ont accepté d’étudier la motion concernant l’égalité des groupes, ce n’était pas dans l’intention de voter sur la question.

Dès le début de l’étude, nombreux étaient ceux qui pensaient qu’il serait impossible de parvenir à un consensus sur tous les points. L’objectif de notre étude était de clarifier les points sur lesquels le Sénat pouvait trouver un consensus. On pourrait dire que le Comité du Règlement a mené une sorte d’étude préalable de la motion no 165. Autrement dit, le comité a décidé de se faire une idée claire de la question et d’en faire part au Sénat.

J’ai décidé de ne pas mettre aux voix les différents points par respect pour la volonté initiale du comité. Un conflit sur ce sujet aurait compromis le travail futur du comité, rendant vulnérable à l’obstruction parlementaire tout rapport produit par le comité et déposé dans cette enceinte durant la période consacrée aux autres affaires.

À mon avis, lors de l’examen de nos procédures, le Comité du Règlement devrait essayer de parvenir à un consensus raisonnable. Cela signifie que les membres devraient essayer de trouver un terrain d’entente en toute bonne foi. Lorsque le consensus n’est pas possible, le rôle du comité consiste à éclairer notre assemblée sur les différentes possibilités. C’est ce qui a été fait dans le cinquième rapport. Ensuite, c’est au Sénat dans son ensemble de décider.

Je pense que les Canadiens s’attendent à plus de notre part : ils ne veulent pas de stratagèmes dignes de la série Le Trône de fer au Sénat. C’est pourquoi je suis heureuse que le sénateur Gold ait entamé ce débat transparent après des années d’efforts frustrés pour que le Règlement corresponde aux idéaux de notre rôle constitutionnel. Le débat sur le pouvoir et l’équité n’est pas un jeu à somme nulle. En fait, l’enjeu, c’est l’indépendance du Sénat par rapport au contrôle exercé par le parti au pouvoir sur ses décisions, et ce, pour le bien de tous les Canadiens. Quand nous améliorons le Sénat, c’est le public qui est le véritable gagnant.

Je suis heureuse que cette motion ait été présentée par le gouvernement parce que, au bout du compte, comme nous sommes nommés au Sénat, et non élus comme dans la plupart des Sénats du monde, les Canadiens ne peuvent pas ne pas nous réélire. Si le Sénat ne peut pas rendre de comptes aux électeurs, qui peut leur garantir que cette institution peut remplir son rôle de second examen objectif pour tous les Canadiens? Poser la question, c’est probablement y répondre.

En conclusion, permettez-moi de vous rappeler que l’élaboration de la motion no 165 a nécessité de nombreuses années de dur labeur, de dialogue et d’étude en comité. Je pense notamment au travail du Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat et du Comité du Règlement, ainsi qu’aux discussions dans les groupes de travail et aux débats au Sénat. Je remercie tout particulièrement le sénateur Gold et la sénatrice Lankin de tout leur travail dans ce dossier.

De mon point de vue, le temps est enfin venu de faire ce qui s’impose et de voter.

L’honorable Julie Miville-Dechêne [ - ]

J’interviens brièvement pour appuyer la proposition de changements au Règlement du Sénat présentée par le représentant du gouvernement, le sénateur Gold. Je serai brève, parce que je veux souligner les efforts de la sénatrice Bellemare et la remercier d’avoir bien expliqué ce qui s’est passé au Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, parce que je n’y étais pas. Le fait que vous nous ayez rappelé qu’il y a eu un processus réel et de véritables tentatives de consensus, qu’on n’y soit pas arrivé et qu’on a étudié le fond des choses montre bien que cette proposition ne sort pas de nulle part. Elle a le mérite d’avoir été étudiée d’une façon ou d’une autre et d’avoir été examinée par de nombreux regards. Merci, sénatrice Bellemare, pour votre expérience et pour nous avoir donné des précisions à cet effet.

Le Groupe des sénateurs indépendants a été impliqué et consulté au sujet de ces réformes, et nous appuyons ces modifications. Il y a donc un fort consensus, même si certains sénateurs — dont je fais partie — auraient souhaité aller plus loin pour rendre notre institution plus fonctionnelle.

Par exemple, je souhaiterais que le Sénat organise les débats sur un projet de loi X ou Y en continu, pendant une journée ou deux, pour qu’on puisse véritablement évaluer le pour et le contre et entendre plusieurs perspectives en même temps. Il s’agitait de tenir un véritable débat, en somme, plutôt que de faire des interventions entrecoupées et disséminées durant plusieurs semaines ou plusieurs mois — un éparpillement qui nuit beaucoup, à mon avis, à la qualité de nos séances.

Quand les échéanciers sont serrés ou qu’il existe une volonté commune des groupes et des partis, nous parvenons parfois à consacrer des périodes continues à un seul débat. C’était le cas, par exemple, du projet de loi sur l’aide médicale à mourir ou du projet de loi C-234, concernant les producteurs de grains et la taxe carbone.

Toutefois, ces occasions sont trop rares, selon moi, car je crois qu’elles bénéficieraient à tous.

L’autre règle que je déplore, personnellement, c’est l’octroi automatique d’un droit de vote au représentant du gouvernement et au leader de l’opposition lors des votes sur des projets de loi en comité. Pour moi, cet article du Règlement a pour effet de discréditer le travail des sénateurs, majoritairement indépendants, qui ont réfléchi pendant des semaines ou des mois sur l’esprit et la lettre d’un texte législatif.

Revenons cependant à ce qui est sur la table.

Je pense qu’il n’y a absolument rien, dans cet ensemble de réformes limitées et raisonnables, qui menace le rôle de l’opposition. Je note d’ailleurs qu’on ne touche pas directement à la définition de leader de l’opposition, qui continuera de devoir être issu d’un parti, et non d’un groupe indépendant. La politique partisane à laquelle certains tiennent tant est donc préservée.

Je n’aime pas beaucoup la partisanerie, vous le savez, mais je fais partie de ceux et celles qui croient à la nécessité d’une opposition vigoureuse au Sénat. Évidemment, pour jouer son rôle, cette opposition a besoin de règles et de procédures qui contrebalancent le pouvoir du parti majoritaire et de l’exécutif. À la Chambre des lords britannique, qui compte environ un quart de crossbenchers non partisans, le rôle de l’opposition est réservé au parti qui n’est pas au pouvoir et qui compte le plus de députés à la Chambre des communes.

On verra comment les choses évolueront ici. Il y a beaucoup d’inconnu dans notre réforme du Sénat, mais le caractère essentiel d’une opposition est indéniable à mes yeux. Ce rôle m’a frappée particulièrement — et le sénateur Dalphond l’a évoqué hier — dans les premiers mois de la pandémie de COVID-19, quand nous étions un tout petit groupe présent au Sénat alors que le climat d’urgence n’encourageait absolument pas le débat, qui restait pourtant nécessaire.

J’aimerais maintenant faire quelques remarques plus précises sur les changements proposés au Règlement.

D’abord, réduire la pause du souper de deux heures à une heure. C’est un changement simple, qui ne modifie en rien le pouvoir de l’opposition, à moins qu’on attribue une grande valeur à la possibilité d’étirer inutilement nos séances. Comme le disait l’ex‑sénatrice Solange Chaput-Rolland, bien connue pour son franc‑parler, et je cite : « On n’est plus des poulettes du printemps. » Pour les plus jeunes qui ne connaîtraient pas cette expression, cela veut dire qu’on a besoin d’un peu de sommeil.

Cette règle me semble d’une rigidité dépassée en 2024. Je comprends qu’il peut parfois y avoir des événements importants qui se déroulent en soirée en marge d’une séance du Sénat. Dans ce cas, une pause plus longue peut toujours être négociée entre les facilitateurs et les leaders. Cependant, qu’une pause de deux heures soit la norme me semble complètement inutile. D’ailleurs, cette règle de pause de deux heures, à moins d’obtenir le consentement unanime, n’existe pas à la Chambre des communes. Pourtant, nos collègues députés font acte de présence dans les réceptions organisées par les parties prenantes et les groupes de pression.

Il n’existe pas non plus de pauses de deux heures le soir à la Chambre des lords, qui est souvent notre inspiration dans le système de Westminster. Ce qu’ils font là-bas est plutôt intéressant; ils appellent cela le dinner break. À 19 h 30, pendant le dinner break, on organise un petit débat pour ceux qui n’auraient pas beaucoup participé aux débats pendant le reste de la journée, et ceux qui ont faim vont se chercher un sandwich au besoin. Les modèles varient au sein des différents parlements.

J’aimerais aussi dire quelques mots sur les changements proposés au temps de parole.

En vertu des règles actuelles, seuls le représentant du gouvernement et le leader de l’opposition disposent d’un temps de parole illimité — ce qu’on a vu à l’œuvre hier —, ce qui est semblable aux règles de la Chambre des communes. La proposition du sénateur Gold consiste à étendre ce privilège à la facilitatrice ou au facilitateur du plus grand groupe. S’agit-il vraiment d’une dilution du pouvoir de l’opposition, comme l’avancent nos collègues conservateurs? Je ne le crois pas.

À mon avis, si l’objectif est de convaincre — et c’est ce que devrait être notre objectif —, il est loin d’être clair que le fait de parler plus longtemps rende nécessairement des arguments plus convaincants. On a qu’à penser à la séance d’hier soir. Personnellement, les meilleures allocutions que j’ai entendues dans cette Chambre n’étaient pas les plus longues. Un discours d’une durée illimitée peut permettre de retarder un vote, mais l’opposition a déjà la possibilité de reporter un vote, et ce droit n’est pas affecté par le changement proposé. Je ne suis donc pas certaine que ce droit de parole illimité soit un très grand avantage stratégique pour le GSI, dont je fais partie, étant donné la philosophie de notre groupe, qui n’est généralement pas de bloquer ou de retarder indûment la bonne marche des travaux. J’ai bien compris le malaise évoqué hier dans cette Chambre et je crois, comme le sénateur Dalphond, que ces propositions représentent un progrès nécessaire, même si elles ne sont pas parfaites.

Plusieurs des autres modifications réglementaires me semblent simplement refléter le fait que le Sénat n’est plus un duopole gouvernement ou opposition. La réalité contemporaine du Sénat, c’est que nous sommes 79 sénatrices et sénateurs indépendants sur 96. Pourtant, en vertu des anciennes règles, nous n’avons pas un mot à dire sur des questions stratégiques, comme le report d’un vote et plusieurs autres éléments liés au fonctionnement du Sénat. Il est temps d’ajuster notre Règlement à cette nouvelle réalité.

La possibilité pour les groupes de sénateurs indépendants de reporter un vote n’est pas anodine. Dans ces cas, puisque nous n’avons pas de ligne de parti, il ne s’agit pas d’une décision visant un résultat particulier. Il peut toutefois s’agir d’une décision visant à permettre à un maximum de sénateurs et de points de vue de s’exprimer. Le vote sur le projet de loi C-234, sur la taxe carbone et les producteurs de grain, en est un bon exemple.

Malheureusement, le principal argument de nos collègues de l’opposition pour décrier ces modifications au Règlement, c’est d’insinuer — comme ils le font depuis huit ans — que nous n’avons aucune légitimité pour transformer le Sénat, puisque nous sommes à la solde du gouvernement Trudeau, et que nous sommes donc dénués de toute indépendance. Par conséquent, selon eux, ces changements ne seraient qu’une autre façon de favoriser le gouvernement actuel.

Ces critiques partisanes n’ont pas beaucoup de valeur à mes yeux, même si la répétition d’insultes gratuites m’irrite. Je suis personnellement très confiante dans mon indépendance. De plus, les changements que nous proposons sont destinés à être durables et à long terme. Or, comme mes collègues de l’opposition le savent et aiment le rappeler, les gouvernements changent. J’aurais préféré, moi aussi, que les quatre groupes puissent s’entendre par consensus sur ces changements au Règlement. Je comprends que ce n’est pas faute d’avoir essayé, et ce, depuis des années maintenant. J’estime que les sénateurs indépendants ont été très patients dans ce processus. Il est temps que les règles du Sénat tiennent compte de la nouvelle réalité de la Chambre haute, et c’est pourquoi j’appuierai sans réserve la motion du sénateur Gold.

Merci.

L’honorable Claude Carignan [ - ]

Madame la sénatrice, est-ce que vous accepteriez de répondre à une question?

La sénatrice Miville-Dechêne [ - ]

Bien sûr.

Le sénateur Carignan [ - ]

En ce qui a trait à la limite de temps ou au temps de parole illimité, vous savez qu’on peut avoir un droit et l’utiliser à bon escient et qu’on peut avoir un droit et en abuser. Peut-être trouvez-vous parfois que c’est à bon escient et peut-être trouvez-vous parfois que c’est de l’abus. Est-ce une raison pour changer la règle? Je vous donne un exemple. On voit souvent des projets de loi omnibus. On a vu des projets de loi de 1 000 pages qui modifiaient 30 ou 40 lois en même temps.

Croyez-vous vraiment que c’est avec 10 minutes sur un point très précis qu’un sénateur peut faire valoir sa position sur un projet de loi omnibus? Donc, il doit y avoir certaines personnes — dans ce cas, ce sont les chefs de parti ou des leaders de groupes qui ont un temps de parole illimité —, de façon à pouvoir souligner certains éléments importants, ce qu’un autre sénateur ne peut pas faire en 10 minutes.

Ne trouvez-vous pas qu’un futur gouvernement, peut-être celui de M. Poilievre — je sais que vous n’avez pas hâte, mais c’est peut-être ce qui va arriver —, qui décide de présenter un projet de loi omnibus... Vous n’aurez pas le temps de tout couvrir et vous direz alors que c’est épouvantable de ne pas avoir assez de temps pour critiquer ce projet de loi. Il y a 200 changements qui n’ont aucun sens et on est capable d’en couvrir 4 dans notre discours.

Ne trouvez-vous pas que le fait d’éliminer le temps de parole illimité rend l’opposition moins efficace dans son travail de porte‑parole sur des projets de loi?

La sénatrice Miville-Dechêne [ - ]

Comme vous le savez, sénateur, les propositions du sénateur Gold n’enlèvent aucunement le temps de parole illimité au leader de l’opposition. On ne touche pas à cela. On ne touche ni à ce temps de parole illimité de ce côté-ci ni à celui dont dispose le sénateur Gold. Il est question ici d’ajouter un temps de parole illimité pour le groupe majoritaire. Personnellement, je ne suis pas sûre que c’est un très grand avantage stratégique, parce que je fais la différence entre l’utilisation du temps de parole illimité pour des raisons partisanes parce qu’on n’aime pas un projet de loi. Le temps de parole illimité n’est pas seulement utilisé pour les projets de loi omnibus, mais bien à toutes sortes d’occasions.

Donc, oui, c’est une arme, je le comprends et le conçois. J’ai des réserves sur cette arme, parce que je suis une relativement jeune sénatrice et jusqu’à maintenant, les discours-fleuve ont eu un effet repoussoir sur moi. Je sais que ce n’est pas moi que vous essayez de convaincre, mais plein d’autres personnes. Cependant, je suis consciente que c’est un outil et tout ce que je vous dis, c’est qu’on ne vous l’enlève pas et que l’étendre au GSI ne vous enlève rien. Vous pouvez dire que vous n’avez plus...

L’opposition conserve d’importants pouvoirs et elle va continuer de jouer son rôle. D’ailleurs, je l’ai déjà dit dans cette Chambre. On vous entend. Vous êtes entendus, que ce soit sur les projets de loi omnibus ou le reste, on vous entend bien davantage qu’on pourrait entendre 12 personnes ailleurs. Vous avez donc une voix forte qui est entendue et bien franchement, il n’y a pas trop de risque pour vos avantages.

Le sénateur Carignan [ - ]

Si vous me le permettez, sénatrice Miville-Dechêne, ce n’est pas vraiment la question. C’est ce que vous dites et à cause de la qualification que vous donnez au temps de parole illimité pour le leader de l’opposition. Vous dites que c’est une arme. Ce n’est pas une arme; c’est un droit pour faire valoir un point de vue. Ce n’est pas une arme, c’est l’exercice démocratique d’un droit de façon à s’assurer qu’on couvre tous les éléments. On a, par exemple, d’assez bons changements dans le Règlement par rapport à plusieurs articles et plusieurs implications. Parfois, cela prend du temps. Ce n’est pas une arme, c’est un droit démocratique, et il doit rester comme il est. Le fait que vous discréditiez ce droit me dérange.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Je regrette, sénatrice Miville-Dechêne, mais votre temps de parole est écoulé.

L’honorable Jim Quinn [ - ]

Honorables sénateurs, je vais vous faire part de mes commentaires et développer certaines de mes autres questions et observations sur le sujet.

Je tiens à dire tout d’abord que les députés et les sénateurs sont, en fait, des parlementaires. Nous devrions être traités sur un pied d’égalité en ce qui concerne les réponses à des questions écrites et les réponses différées. Quand une question valable ne reçoit pas une réponse satisfaisante, il y a un mécanisme à l’autre endroit connu sous le nom de débat d’ajournement, peut-être mieux connu sous le nom de late show en anglais — et, non, il n’est pas animé par Conan O’Brien — qui peut être utilisé à 18 heures chaque jour, sauf le vendredi. Ainsi, les députés ont l’occasion de faire connaître leur intention de chercher à obtenir une réponse plus substantielle. Il est important que nous en ayons conscience, car, en réponse à ma question au sujet d’un délai de réponse de 45 jours, le sénateur Gold a fait remarquer que les députés ne disposaient d’aucun autre mécanisme pour les réponses différées à des questions posées pendant la période des questions. En fait, le mécanisme en question offre aux députés la possibilité d’obtenir une réponse beaucoup plus rapidement que ce que je propose dans mon amendement.

Ayant moi-même touché à la question des débats d’ajournement en tant que fonctionnaire, je peux dire d’expérience que le temps nécessaire pour donner une réponse peut représenter quelques heures, pas des jours, des semaines, des mois ou même des années.

Le Bureau du Conseil privé a une directive interne qui impose un délai maximal de 45 jours pour répondre aux questions provenant de l’une ou l’autre des deux Chambres. Or, l’absence de conséquence au Sénat fait en sorte que le délai de 45 jours est souvent dépassé et qu’il a fallu attendre plus de trois ans avant d’obtenir une réponse à certaines questions. C’est une question de respect élémentaire. Ne pas répondre dans un délai raisonnable à nos questions a un impact sur nous, les parlementaires, et cela rend notre travail beaucoup plus difficile.

J’appuie de nombreux éléments de la proposition du gouvernement, mais le délai de 60 jours ne cadre pas avec la politique existante et il semble avoir été établi de façon arbitraire. Appuyer l’amendement à l’étude ne signifie pas que la motion sera défaite. Si la fixation de délai est proposée pendant le débat sur cette question, il y aura simplement un vote au sujet de l’amendement, suivi d’un vote sur la motion principale. Je le répète, l’amendement à l’étude ne provoquera pas le rejet du train de mesures de modernisation.

Je crains que certains honorables sénateurs pensent que, si cet amendement est adopté, la modification du Règlement se soldera par un échec. D’autres croient peut-être qu’autoriser un seul amendement pourrait entraîner la présentation de nombreux autres amendements, notamment certains qui pourraient être considérés comme dilatoires. Selon moi, si d’autres amendements sont proposés et si certains sont effectivement dilatoires, non seulement les sénateurs ont le pouvoir de les accepter ou de les rejeter au moyen de votes, mais le sénateur Gold a aussi la possibilité de recourir à la fixation de délais, ce qui empêche la présentation d’autres amendements. J’estime qu’il est juste et raisonnable d’envisager de laisser une certaine marge de manœuvre à ce chapitre, étant donné que les amendements proposés pourraient renforcer la motion d’initiative ministérielle no 165. Après tout, il s’agit de notre Règlement.

Je vous fais part de ces réflexions parce que plusieurs de mes collègues au Sénat m’ont approché pour me dire : « J’appuie ce que vous tentez d’accomplir, mais je crains que, en apportant ce changement, toute la réforme n’échoue ou que des amendements frivoles soient présentés. » Je tenais à vous en faire part parce que je ne crois pas qu’une telle chose doit nous empêcher de présenter des amendements qui pourraient renforcer la motion et la rendre plus respectueuse envers nous, les parlementaires, car c’est ce que nous sommes.

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