La Loi sur les aliments et drogues
Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Débat
12 décembre 2024
Merci. Je n’avais pas l’intention de parler du projet de loi C-252, mais je sens qu’il y a une volonté de le faire progresser dans le processus législatif. Comme la relâche approche, j’ai pensé que je pourrais dire quelques mots sur cette mesure pour aider à faire avancer les choses.
Permettez-moi tout d’abord de remercier la marraine du projet de loi, mon amie la sénatrice Dasko, ceux qui ont déjà appuyé le projet de loi — la sénatrice Petitclerc, en particulier — ainsi que les membres du Comité des affaires sociales, qui ont réalisé l’étude sur le projet de loi et qui nous ont soumis leur rapport.
Je n’ai pas assisté aux réunions du Comité des affaires sociales sur ce projet de loi. J’ai suivi les délibérations, mais puisque je n’étais pas aux premières loges, je n’ai pas une compréhension totale des nuances de ce débat. Par conséquent, je ne veux pas exagérer ma connaissance de ce qui s’est passé au Comité.
Cependant, vous vous rappellerez peut-être que j’ai posé des questions, tant à l’étape de la deuxième lecture qu’à celle du rapport. Vous avez peut-être décelé dans mes questions une certaine hésitation à l’égard de ce projet de loi. Je tiens à assurer à tout le monde que cette hésitation n’a rien à voir avec l’objectif du projet de loi. Je souscris pleinement à l’idée de limiter la publicité pour les aliments et les boissons destinée aux enfants de moins de 13 ans, notamment parce que j’ai moi-même souvent eu maille à partir avec l’industrie de la publicité lorsque mes propres enfants étaient séduits par des produits qui leur paraissaient irrésistibles. Je confirme d’ailleurs que j’ai souvent mordu la poussière.
Je ne suis pas un adepte du laisser-faire en matière de publicité. Je ne veux pas que tout soit permis et qu’aucune restriction n’encadre les types de publicité qui sont nocifs pour la société et, en particulier, nocifs pour les enfants. Je suis favorable à l’idée d’imposer des balises à l’industrie de la publicité — dans ce cas précis, en ce qui concerne la publicité pour les produits alimentaires et les boissons — dans le but de promouvoir une saine alimentation et un mode de vie sain.
Comme je l’ai dit dans mon discours sur le projet de loi C-282, relatif à la gestion de l’offre, les objectifs politiques peuvent être atteints par différents moyens. Quel que soit l’objectif politique en cause, la question qui se pose à nous en tant que législateurs, en tant que responsables de la réglementation qui font partie du pouvoir exécutif, c’est celle du choix du moyen d’action. Quel est le meilleur moyen d’atteindre un objectif politique donné?
L’instinct de nombreux responsables de la réglementation les pousse, évidemment, à réglementer. L’instinct de nombreux législateurs, dont beaucoup d’entre nous ici, les pousse à élaborer des règlements pour résoudre un problème, en quelque sorte de manière incidente : on impose une règle — « Nul ne peut faire ceci ou cela » — et, en conséquence, nul ne peut le faire. Les règlements ont un coût et ils ne sont pas infaillibles. Parfois, c’est très difficile de se défaire de règlements qui sont mauvais ou dépassés. C’est pourquoi je préfère pour ma part ce que l’on pourrait appeler une « réglementation modérée ». Ce n’est pas un terme que j’ai inventé. C’est un concept que de nombreux organismes axés sur la saine gouvernance préconisent, dont l’Organisation de coopération et de développement économiques. Il s’agit simplement de trouver, pour un objectif stratégique donné, la forme de réglementation qui est la moins intrusive, celle qui a les meilleures chances de succès. J’insiste sur ce point parce qu’il ne s’agit pas de réduire le fardeau qui pèse sur l’industrie ou les consommateurs, mais bien de trouver la meilleure voie pour concrétiser l’objectif à atteindre.
Une des façons d’adopter une approche réglementaire modérée, c’est en misant sur les normes. Vous ne le savez peut-être pas, mais ce sont les normes qui font tourner le monde. Nous ne serions pas ici à profiter du système de chauffage, de ventilation et de climatisation, de l’éclairage, du réseau WiFi, des téléphones et de tout ce qui fait fonctionner cet édifice sans les normes qui ont été élaborées en grande partie par l’industrie, en concertation avec des parties prenantes, et qui ont ensuite été intégrées dans les pratiques des industries concernées : les électriciens, les gens de métier, les plombiers et ainsi de suite. Il ne s’agit pas à l’origine de mesures réglementaires coercitives.
J’aime croire que la même approche modérée fondée sur des normes aurait pu être appliquée pour atteindre l’objectif que nous visons ici, c’est-à-dire limiter et, en fait, interdire la publicité d’aliments et de boissons destinée aux enfants de moins de 13 ans.
Nous avons appris, notamment lors des audiences du comité, que l’industrie et les organismes publicitaires ont tenté de créer des codes pour régir la publicité destinée aux enfants. Durant de nombreuses années, ils avaient en place ce qu’ils appelaient l’Initiative canadienne pour la publicité sur les aliments et les boissons destinée aux enfants. J’estime qu’il est juste de dire que ce fut un échec, et le comité a fourni des preuves que cela n’a pas fonctionné.
L’industrie a alors tardivement tenté de se ressaisir et de créer un code de pratiques plus strict, qu’elle a appelé le Code des pratiques responsables en matière de publicité sur les aliments et les boissons destinée aux enfants, qui est entré en vigueur l’an dernier seulement. Selon l’industrie, il s’agit d’un code obligatoire que les annonceurs sont tenus de respecter, à défaut de quoi les radiodiffuseurs qui diffusent ces publicités seront privés de leur licence. Il se tient un débat à savoir si le code est réellement obligatoire, mais je ne parlerai pas de cela.
Je ne vais pas remettre en question le jugement du comité, qui a conclu que ce code obligatoire récemment mis en place par l’industrie n’est pas adéquat. C’est sa conclusion. Je dirai cependant qu’elle est un peu prématurée. Après tout, le code est seulement en vigueur depuis moins d’un an. En tout cas, il n’a pas impressionné le comité.
Toutefois, j’espère que, malgré la conclusion du comité, l’industrie pourra quand même prendre part à l’élaboration de la réglementation qui s’imposera si nous adoptons ce projet de loi visant à régler le problème des publicités destinées aux enfants.
J’étais heureux d’entendre la marraine du projet de loi confirmer que les fonctionnaires de Santé Canada avaient bien l’intention de consulter les représentants de l’industrie pour travailler avec eux à l’élaboration de la réglementation nécessaire.
Il se peut que le code de l’industrie ne réponde pas aux normes visées par Santé Canada. Toutefois, si le code respecte ou dépasse les normes que Santé Canada souhaite intégrer dans les réglementations contraignantes, il y a lieu d’adopter ce code dans son intégralité par la voie d’un mécanisme que l’on appelle l’« incorporation par renvoi ». Autrement dit, on prend le travail de l’industrie et des intervenants qui ont élaboré ce code, on reconnaît qu’il répond à tous les objectifs que nous voulons atteindre — le gouvernement et le Parlement — et on l’intègre dans la réglementation comme moyen, d’une part, de reconnaître que l’industrie s’est approprié ces exigences, mais aussi de lui redonner la responsabilité de s’assurer que ces règles sont respectées.
Avant que nous passions — très bientôt, j’espère — au vote qui pourrait mener à l’adoption de ce projet de loi, j’aimerais simplement dire que je ne voudrais pas que les fonctionnaires compétents de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, de Santé Canada et d’ailleurs voient cela comme une façon de les autoriser à inventer des règlements. Je sais que parler d’inventer des règlements peut avoir une connotation péjorative, mais ce que je veux dire, c’est que la bureaucratie a tendance à élaborer des règlements simplement parce qu’on lui demande d’en créer. J’espère qu’en apportant notre modeste contribution, nous encouragerons les fonctionnaires à travailler avec l’industrie en vue d’examiner la possibilité de recourir à l’incorporation par renvoi à une étape ou à une autre du processus d’élaboration des règlements.
Honorables collègues, c’est tout ce que j’avais à dire à ce sujet. Je respecte vraiment le travail de ma collègue, la sénatrice Dasko, qui a défendu ce projet de loi, le travail du comité et le rapport qui a été présenté. Il est temps que nous prenions une décision sur ce projet de loi, et je demande respectueusement que nous le mettions aux voix.
J’aimerais donner la parole au sénateur Black. Je crois que vous avez une question.
J’aimerais poser une question au sénateur Woo, s’il accepte d’y répondre.
Je vous remercie, sénateur Woo, de vos observations sur le travail considérable que l’industrie a fait — je l’apprécie — et sur votre espoir que de plus amples consultations seront menées auprès de celle-ci.
Je me demande si vous êtes au courant des différences de terminologie entre les versions française et anglaise en ce qui concerne le « marketing » et la « publicité », ce qui pourrait créer davantage de confusion au bout du compte. Êtes-vous au courant de cet aspect?
Je vous remercie, sénateur Black, de la question. Je suis au courant des documents que vous, moi et d’autres avons reçus et qui font valoir cette affirmation. Je n’ai aucune raison de la remettre en question. Je ne maîtrise pas suffisamment le français pour me permettre de me prononcer de manière définitive. C’est peut-être quelque chose dont vous voulez parler, mais je ne peux pas vraiment m’avancer sur le sujet.
Si votre français et mon français ne sont pas assez bons, y aurait-il lieu de faire vérifier par quelqu’un d’autre les versions anglaise et française pour assurer leur concordance?
Le sénateur Carignan a peut-être une opinion là-dessus. Il a les compétences linguistiques en français. Nous devons nous tourner vers notre comité. Je respecte les membres du comité. J’imagine qu’ils ont examiné les versions dans les deux langues. S’ils avaient eu une préoccupation, ils l’auraient exprimée. Je le répète, je n’ai pas assez de connaissances pour me prononcer sur le sujet.
J’ai quelques questions pour le sénateur Woo.
Premièrement, sénateur Woo, je ne comprends pas comment vous justifiez le fait que vous avez récemment voté en faveur d’un congé de TPS sur la malbouffe, mais que vous faites preuve d’un enthousiasme débordant au sujet de ce projet de loi, que vous présentez comme la solution miracle pour empêcher que tous les jeunes enfants développent une dépendance au sucre raffiné.
Mon autre question porte que quelque chose de très troublant. Vous avez admis dans votre discours que le projet de loi nécessite des règlements et que Santé Canada et le gouvernement vous ont assuré qu’ils consulteront l’industrie après son adoption et que, bien sûr, ils élaboreront les règlements connexes. Au cours de la dernière décennie, le gouvernement a pris l’habitude d’exclure les règlements du débat et de l’équation quand nous examinons un projet de loi, ce qui est très problématique, car, très souvent, comme nous le savons en tant que législateurs, ce sont les règlements qui déterminent les résultats d’un projet de loi.
La même erreur s’est produite avec le projet de loi C-11, que nous avons adopté à la hâte au Sénat. C’est le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes qui devait élaborer les règlements, et, un an et demi plus tard, bien sûr, c’est la catastrophe, et nous attendons toujours les règlements.
Ma question est donc la suivante : ne serait-il pas prudent pour nous de nous assurer que le gouvernement et la fonction publique joignent les règlements au projet de loi avant même que nous envisagions de le mettre aux voix?
Je vous remercie de votre question. Dans cette énumération, il y avait des questions sur trois ou quatre projets de loi distincts. Tout d’abord, vous lirez peut-être la transcription de mon discours. Je n’ai pas manifesté beaucoup d’enthousiasme pour le projet de loi, si je me souviens bien. En fait, j’ai dit que je regrettais qu’on n’ait pas accordé plus d’attention aux opinions de l’industrie à ce sujet. Je ne suis donc pas certain que votre interprétation mérite une réponse, car elle ne concorde pas avec ce que j’ai dit.
En ce qui concerne la question plus générale de la réglementation…
Sénateur Woo, votre temps de parole est écoulé.
J’aimerais avoir l’occasion de terminer mes réflexions.
Le consentement est-il accordé?
En fait, je suis contre l’inclusion de règlements détaillés dans les projets de loi. Je pense qu’il n’est pas de notre ressort d’entrer dans les détails de nombreuses questions techniques. Je sais que les législateurs ont l’instinct et une sorte de réflexe de vouloir concevoir des dispositions réglementaires très spécifiques en application d’un projet de loi, mais je ne suis pas certain que nous ayons l’expertise nécessaire pour le faire.
Ma philosophie, c’est que notre travail consiste à légiférer, en termes relativement généraux, de manière à établir des instructions claires sur la direction à prendre, mais pas à élaborer des règlements détaillés que les fonctionnaires n’auront plus qu’à suivre.
Permettez-moi également de dire que mes fonctions de coprésident du Comité mixte permanent d’examen de la réglementation m’amènent souvent à examiner avec mes collègues des règlements qui ne correspondent pas nécessairement à la loi. Ce problème est en partie causé par nos efforts trop soutenus pour inclure des instructions spécifiques dans nos projets de loi, car ces instructions créent des problèmes aux fonctionnaires qui tentent de concilier l’objet d’un projet de loi avec les règlements que nous y avons intégrés de force.
Je propose l’ajournement du débat.
L’honorable sénatrice Martin, avec l’appui de l’honorable sénatrice Seidman, propose que le débat soit ajourné à la prochaine séance du Sénat. Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Des voix : Oui.
Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
Des voix : Non.
Son Honneur la Présidente : À mon avis, les non l’emportent.
Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?
Le vote aura lieu à 21 h 53. Convoquez les sénateurs.
Honorables sénateurs, la troisième lecture du projet de loi a commencé le 3 décembre. C’était la semaine dernière. La semaine dernière, nous avons entamé la troisième lecture. Aujourd’hui, on nous demande de mettre le projet de loi aux voix. Le projet de loi n’a pas été débattu ce soir avant que le sénateur Woo ne prenne la parole, et il a dit lui-même qu’il n’était pas prévu qu’il prenne la parole aujourd’hui. Comme l’a dit le sénateur Woo, le projet de loi présente des lacunes majeures. L’une d’entre elles, et non la moindre, comme l’a souligné le sénateur Black, est la différence marquée entre la version anglaise et la version française de la mesure législative.
Manifestement, ce que le Groupe des sénateurs indépendants nous force à faire ce soir, avec l’aide de quelques autres sénateurs, ne relève pas du second examen objectif. Le gouvernement joue le jeu à fond.
Ces sénateurs veulent que nous adoptions ce projet de loi — je répète, un projet de loi d’initiative parlementaire. Non seulement toute l’équipe gouvernementale vote, mais en plus elle indique aux autres comment voter. Toutefois, ces sénateurs sont, bien sûr, tous indépendants.
Ils veulent que nous adoptions le projet de loi immédiatement tout simplement pour nous montrer qu’ils sont majoritaires et qu’ils sont désormais aux commandes.
La sénatrice Saint-Germain veut nous contraindre à adopter un projet de loi qui comporte des lacunes importantes et a des conséquences importantes pour diverses entreprises, sans débat approprié et sans possibilité de consulter les parties prenantes ou de proposer des amendements réalistes.
Ce projet de loi n’est pas urgent. Il est débattu au Parlement depuis des années. Une version de ce projet de loi a été débattue au Parlement lorsque les conservateurs étaient au pouvoir. Le projet de loi n’entrera pas en vigueur avant des mois, voire des années, même s’il est adopté ce soir.
Chers collègues, si nous voulons être la Chambre de second examen objectif, nous devons appuyer sur la touche « pause ». Le projet de loi doit faire l’objet d’un débat approfondi. Sa marraine nous en a parlé il y a une semaine. Faisons notre travail en tant que Sénat. Prenons le temps d’étudier ce projet de loi très attentivement.
Lorsque nous reviendrons en février, le projet de loi sera encore à l’étape de la troisième lecture, et nous aurons amplement le temps d’en débattre. Si nous le jugeons nécessaire, nous le mettrons aux voix. Cependant, en raison des tactiques de la majorité des sénateurs ici, je n’ai pas d’autre choix, Votre Honneur, que de présenter un amendement pour nous donner un peu de temps pour étudier ce projet de loi.