Comment un livre grand format a sauvé l’édifice de l’Est
C’était en 1964 : l’édifice de l’Est, voisin de l’édifice du Centre, était en danger. À l’aube de son 100e anniversaire, on planifiait détruire son intérieur victorien. On parlait même de le démolir et de le remplacer par un édifice en béton.
Cependant, en 1967 — l’année du centenaire du Canada — un champion improbable est intervenu.
C’est une histoire familière, selon la conservatrice de la Chambre des communes, Johanna Mizgala.
« Le pendule balance toujours. Pendant un temps, tout le monde veut du moderne. Puis, tout d’un coup, on redécouvre le charme des anciens immeubles; on veut les restaurer et leur redonner leur lustre d’antan. »
Un chef-d’œuvre néogothique
Une fois sa construction terminée en 1865, l’édifice administratif de l’Est – comme on l’appelait – accueillait près des deux tiers de la fonction publique, notamment 300 membres du personnel et 11 des ministères les plus puissants du Canada, dont le ministère des Finances, le ministère de la Justice et le Bureau du Conseil privé. Au cœur de l’édifice se trouvaient les bureaux du gouverneur général et du premier ministre.
Pour cet immeuble néogothique, les architectes Augustus Laver et Thomas Stent se sont inspirés du palais de Westminster de Londres, en Angleterre, nouvellement reconstruit. Avec ses murs de grès de Nepean rustique, ses sculptures élaborées et son haut toit en mansarde, l’édifice de l’Est est considéré comme étant l’exemple le mieux préservé d’architecture néogothique de l’époque victorienne au Canada.
« C’est un édifice fort et gracieux à la fois, a fait valoir Mme Mizgala. Les lourds contreforts et les murs de pierre brute l’ancrent dans la Colline, tandis que les flèches de treillis décoratives attirent l’œil vers le ciel. C’est une combinaison très romantique. »
Une adaptation difficile
Lorsque l’édifice a été pensé, le Canada était une colonie britannique qui ne comptait que 2,5 millions d’habitants. Les architectes de l’édifice de l’Est n’auraient pas pu imaginer ce que deviendrait le Canada en 1905, avec ses neuf provinces, ses deux territoires et ses quelque 6 millions de citoyens.
Pour accommoder une fonction publique grandissante, on a construit une annexe en 1910 qui se mariait bien à la structure gothique d’origine, tout en incorporant de nouvelles méthodes de construction. Elle a été construite autour d’une structure en acier, avec des dalles de plancher en béton et un toit plat.
La nouvelle aile comptait six chambres fortes souterraines qui protégeaient les réserves financières de la nation avant la création de la Banque du Canada en 1934. Au cours de la Première Guerre mondiale, ces voûtes de fer ont protégé plus de 1 milliard de dollars d’or : le paiement de la Grande-Bretagne pour ses fournitures de guerre.
Les rénovations subséquentes n’ont pas été fidèles au style d’origine. Immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, l’édifice a été complètement modernisé. On a ajouté des bureaux au grenier, remplacé l’ancien toit en ardoise par un toit en cuivre, construit des sorties de secours et installé des gicleurs.
Des caractéristiques de l’ère de la Confédération d’une valeur inestimable ont été perdues en cours de route. Des meubles d’époque ont été jetés, et les cages d’escalier lumineuses ont été converties en de petits bureaux sombres. Les foyers de pierre, les planchers de bois franc et les lavabos de marbre ont été détruits. Selon la légende de l’édifice de l’Est, quelques-uns de ces éléments ont été sauvés parce que les occupants des bureaux se sont enchaînés aux conduites d’eau pour empêcher leur démolition.
Puis, en mars 1964, on prévoyait éviscérer et rénover l’édifice — et même carrément le démolir.
Un respect renouvelé
Au bout du compte, l’édifice de l’Est a été sauvé grâce à un livre.
En 1967, le fonctionnaire Bob Phillips, un passionné d’histoire, a publié un livre grand format méticuleusement documenté intitulé The East Block of the Parliament Buildings of Canada, qui soulignait l’importance de l’édifice sur les plans architectural et culturel. Ce livre a entraîné le lancement d’une campagne publique pour préserver l’édifice.
En deux ans, le bureau de sir John A. Macdonald, le premier des premiers ministres du Canada, avait été restauré et avait retrouvé sa grandeur des années 1870. Les visites publiques ont commencé peu après. D’autres rénovations, effectuées de 1978 à 1981, ont permis de réparer la plupart des dommages qui avaient été causés par le passé et de restaurer deux pièces historiques : le bureau du gouverneur général et le bureau de sir George-Étienne Cartier, ancien ministre de la Milice.
Une deuxième vie
En 1981, le Sénat s’est installé dans l’édifice de l’Est, qui compte encore aujourd’hui des bureaux de sénateurs et de leur personnel, ainsi que des salles de comités.
L’édifice fait aussi l’objet de travaux de réhabilitation dans le cadre de la Vision et du plan à long terme du Parlement. La première phase du projet, qui devrait se terminer en 2022, se centre sur la restauration de l’extérieur de l’aile d’origine et vise notamment la réparation de la maçonnerie, le nettoyage au laser de l’extérieur de l’édifice et la restauration du toit de cuivre.
La deuxième phase, au cours de laquelle l’édifice devra être libéré, s’attaquera à l’infrastructure. Elle visera à renforcer la protection sismique de l’édifice et à remplacer ses systèmes mécanique et électrique.
L’édifice ne risque maintenant plus rien. Depuis 1983, il est protégé à titre d’édifice fédéral du patrimoine et il accueille de façon permanente des bureaux de sénateurs et des salles de comités. Lorsque les travaux de réhabilitation seront terminés, les sénateurs et les visiteurs pourront admirer toute la beauté de l’édifice de l’Est revitalisé, qui sera restauré et renforcé pour les décennies à venir.
Une combinaison toute en couleurs de grès de Nepean, de grès de l’Ohio et de grès rouge de Potsdam, en plus des hauts toits de cuivre en mansarde, font de l’édifice de l’Est l’un des immeubles néogothiques les plus distinctifs du Canada. (Crédit photo : Parlement du Canada)
La construction de l’édifice de l’Est en 1863. (Crédit photo : Musée McCord)
Prise de vue de l’édifice de l’Est à partir de la rue Wellington, près des portes principales de la Colline du Parlement, à la fin des années 1870. (Crédit photo : Bibliothèque et Archives Canada)
Le bureau du gouverneur général dans l’édifice de l’Est a été restauré en 1982 pour lui redonner toute sa grandeur d’origine. Seize gouverneurs ont occupé ce bureau de 1866 à 1942, avant qu’il ne soit déplacé vers Rideau Hall. (Crédit photo : Parlement du Canada)
Huit créatures monstrueuses, sculptées dans les années 1860, sont perchées haut sur la tour sud-ouest. À la fois poisson, chien et lézard, ces créatures s’inspirent d’une obsession, à l’ère victorienne, pour les fossiles de dinosaures et la nouvelle science qu’était la paléontologie.
Cette photographie de la Colline du Parlement prise en 1910 montre l’aile nord nouvellement construite de l’édifice de l’Est, au centre, et la tour Victoria d’origine (édifice du Centre), derrière. (Crédit photo : Bibliothèque et Archives Canada)