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Génie d’artisans visionnaires : l’édifice du Centre érigé dans la pierre, le bois et le fer

En février 2019, le Sénat a déménagé dans l’édifice du Sénat du Canada, une ancienne gare construite en 1912. Le Sénat occupera cet emplacement temporaire pendant la restauration de l’édifice du Centre du Parlement, sa demeure permanente.

Bien que l’édifice du Centre soit inaccessible pendant les travaux, les Canadiens peuvent continuer d’admirer ses œuvres d’art et son architecture grâce à la visite virtuelle immersive du Sénat.


Pendant la nuit du 3 février 1916, l’édifice du Centre, qui abrite le Sénat et la Chambre des communes du Canada, a été la proie des flammes.

Le lendemain, l’Ottawa Evening Journal publiait ceci : « Les édifices du Parlement du Canada ont été détruits. Le grand édifice de la Confédération est réduit à un amas de ruines fumantes. »

La tragédie a porté un dur coup au pays, qui manquait déjà d’argent à cause de son engagement dans la Première Guerre mondiale et était ébranlé par la perte de plus de 10 000 Canadiens sur le front occidental.

Toutefois, le gouvernement de Robert Borden était bien décidé à reconstruire l’édifice. En sept mois, les architectes avaient été choisis, les plans avaient été dessinés, et la première pierre angulaire, qui avait été récupérée de l’édifice original, avait été posée à l’angle nord‑est de la Colline du Parlement.

« L’incendie a représenté une occasion singulière », affirme Johanna Mizgala, conservatrice de la Chambre des communes.

« Au cours des 50 années qui ont suivi la Confédération, le Canada avait connu une forte expansion, et l’édifice du Centre était devenu trop petit par rapport à ce qu’il était à l’origine. Tout à coup, le gouvernement avait l’occasion de réfléchir au fait qu’il lui fallait peut‑être une plus grande structure et qu’il pourrait faire certaines choses différemment. »

La reconstruction a permis de réunir quatre des artisans les plus remarquables du pays, lesquels, pendant les années 1920 et 1930, ont ajouté à l’édifice du Centre de nombreux éléments décoratifs qui en font l’un des édifices les plus faciles à reconnaître au monde.

L’architecte en chef de l’édifice du Centre, John A. Pearson.

LE VISIONNAIRE

John A. Pearson

John A. Pearson, l’architecte en chef, était perfectionniste. Il voyait personnellement à tous les détails de la construction de l’édifice, du plan de terrain à la conception de l’ameublement, en passant par le symbolisme des statues et des éléments décoratifs.

« Tout a été conçu de manière à former un ensemble cohérent, explique Mme Mizgala. M. Pearson a conçu l’édifice comme une véritable œuvre d’art. »

L’architecte en chef a choisi la pierre pour l’intérieur de l’édifice du Centre en consultation avec William Parks, un géologue réputé de l’Université de Toronto. Ce dernier avait recommandé d’utiliser de la pierre de Tyndall du Manitoba, une pierre calcaire de couleur crème dont la texture est subtilement marbrée et qui présente occasionnellement des traces de fossiles.

« Les artisans-sculpteurs qui travaillaient pour M. Pearson ont contesté ce choix », raconte Phil White, sculpteur du Dominion. « Ils se sont plaints parce que cette pierre était trop grossière pour pouvoir être sculptée délicatement. C’est pourquoi on l’a remplacée par du calcaire de l’Indiana (une pierre lisse pratiquement dépourvue de grain) pour les éléments qui exigeaient plus de finesse. »

L’obsession du détail de M. Pearson a été source de frictions avec certaines des personnes qu’il avait embauchées. En effet, Walter Allen, qui dirigeait l’atelier de sculpture, a quitté son poste en 1924. Son remplaçant, Ira Lake, a réalisé la majorité des sculptures de la Chapelle du Souvenir, dans la Tour de la Paix, avant de démissionner brusquement en 1927, reprochant à M. Pearson d’insister pour qu’il ajoute du « feuillage gothique sans intérêt » à ses œuvres.

Le premier sculpteur du Dominion du Parlement, Cléophas Soucy.

LE SCULPTEUR SUR PIERRE

Cléophas Soucy

Lake a été remplacé par Cléophas Soucy, un Montréalais, qui faisait partie de l’équipe de sculpteurs de l’édifice du Centre depuis 1919. M. Soucy, qui avait participé à toutes les étapes du projet, était considéré comme la personne qui était la mieux placée pour comprendre la vision de M. Pearson. Il est devenu le premier sculpteur du Dominion du Parlement.

« M. Soucy connaissait l’édifice et l’histoire du programme. Il incarnait la mémoire institutionnelle du projet », raconte M. White qui, à titre de sculpteur du Dominion, est responsable du programme autrefois dirigé par M. Soucy.

Cléophas Soucy a été à la tête d’une équipe qui a compté jusqu’à 13 sculpteurs. Pendant les années 1930 et 1940, ils ont travaillé par intermittence pour terminer la majeure partie de l’extérieur de l’édifice ainsi que la Chambre du Sénat et la Chambre des communes. L’été, pendant la suspension des travaux parlementaires, les membres de l’équipe se hâtaient d’en accomplir le plus possible.

Le sculpteur sur bois Elzéar Soucy.

LE SCULPTEUR SUR BOIS

Elzéar Soucy

Elzéar Soucy était le frère aîné de Cléophas Soucy. Entre 1920 et 1928, il a été responsable de l’exécution de la majeure partie des boiseries intérieures de la Chambre du Sénat et de la Chambre des communes, travail auquel il a lui‑même participé. Jusqu’alors, il était surtout connu pour sa statue en bronze de Pierre Le Moyne d’Iberville, soldat français et administrateur de la colonie, qui se trouve à l’extérieur de l’hôtel du Parlement à Québec.

« Elzéar et son équipe ont principalement travaillé avec du chêne blanc », explique M. White. « C’est un bois à grain fin, durable et magnifique. C’est le matériau parfait pour un édifice de style néo-gothique comme l’édifice du Centre, car c’est le bois qu’utilisaient les sculpteurs au Moyen Âge. »

Le ferronnier Paul Beau.

LE GÉNIE DISPARU

Paul Beau

Le maître-ferronnier Paul Beau est la quatrième personne à avoir laissé sa marque à l’intérieur de l’édifice du Centre. Au début de sa carrière, avant de se tourner vers la ferronnerie, M. Beau a été antiquaire et horloger. Essentiellement autodidacte, il a appris l’art de travailler le cuivre, le laiton et le fer au cours des voyages qu’il faisait à l’étranger pour acheter des antiquités et pendant lesquels il a étudié les collections des musées à Paris, New York, Londres et Bruxelles.

Il a fabriqué des éléments de finition intérieure pour certaines des résidences les plus grandioses de Montréal et, en 1910, on lui a confié la fabrication de la ferronnerie décorative pour l’édifice de l’Assemblée législative de la Saskatchewan (en anglais seulement).

John Pearson a engagé M. Beau en 1920 et lui a confié la direction de l’atelier de ferronnerie de la Colline du Parlement. Pendant six ans, M. Beau et ses assistants ont fabriqué une quantité impressionnante d’accessoires en fer comme des ustensiles de foyer ainsi que des charnières de portes, des rampes et des balcons ornementaux.

« À l’époque, son talent était inégalé », affirme M. White. « Il a été l’un des rares entrepreneurs à avoir été engagé sans que l’on organise de concours. »

Beau a toutefois été maître artisan à une époque où l’industrialisation allait rendre la ferronnerie désuète. La commande pour l’édifice du Centre et une commande pour le Musée des beaux-arts de Montréal dans les années 1930 lui ont permis de tenir pendant un certain temps, jusqu’à ce que la Seconde Guerre mondiale lui porte le coup de grâce.

« La guerre a été dévastatrice pour lui », explique M. White. « La demande pour ses articles décoratifs en métal s’est épuisée. De plus, le fer, le cuivre et le laiton dont il se servait ont été affectés à la fabrication de matériel militaire. »

Démuni et oublié, M. Beau s’est enlevé la vie à 78 ans au pied de la croix d’acier du mont Royal, à Montréal.

Un héritage de pierre, de bois et de fer

Les sculptures et les accessoires en fer de l’édifice du Centre sont soigneusement protégés pendant que les travaux de construction sont en cours. Les peintures et les meubles ont été entreposés. Les boiseries, les colonnes et les sculptures patrimoniales ont été retirées ou mises à l’abri derrière des panneaux en contreplaqué.

 White parle de l’empreinte laissée par ces quatre artistes remarquables sur l’édifice le plus emblématique du Canada.

« John Pearson, Cléophas et Elzéar Soucy et Paul Beau ont tous consacré les meilleures années de leur carrière à l’édifice du Centre. Si ce dernier se distingue parmi les édifices gouvernementaux du monde entier, ce n’est pas parce qu’il manque d’originalité. Au contraire, c’est parce que chaque artisan y a laissé sa marque. »

Les ustensiles de foyer très détaillés, conçus par le ferronnier Paul Beau pour le bureau du Président du Sénat, présentent les courbes d’inspiration gothiques et les éléments de feuillage stylisés qui caractérisent son travail.

Cléophas Soucy et son adjoint, Cœur de Lion McCarthy, ont sculpté les statues représentant un lion et une licorne qui gardent l’entrée de la Tour de la Paix, ainsi que les armoiries des provinces qui ornent celle ci. (Crédit photo : Wikimedia Commons)

L’équipe d’Elzéar Soucy a ciselé les boiseries que l’on voit tout autour de la Chambre du Sénat. Les sculpteurs ont créé une ornementation de style médiéval à laquelle ils ont intégré des plantes et des animaux du Canada, comme des feuilles d’érable, des écureuils et des hiboux.

L’horloge qui surplombe l’entrée de la Chambre du Sénat comprend un logo partiellement dissimulé de l’équipe de hockey des Sénateurs d’Ottawa. Le logo a été ajouté dans les années 1920 par un des sculpteurs qui travaillaient sous la direction d’Elzéar Soucy.

Les sculpteurs de l’édifice du Centre ont immortalisé l’architecte John A. Pearson en sculptant un <a href='https://sencanada.ca/fr/sencaplus/comment-pourquoi/gargouilles-et-grotesques-les-sinistres-sentinelles-de-la-colline-du-parlement/' target='_blank'>grotesque</a> à son image sur la façade sud de l’édifice.

Ce sont les membres de l’équipe d’Elzéar Soucy qui ont exécuté les <a href='https://sencanada.ca/fr/sencaplus/comment-pourquoi/gargouilles-et-grotesques-les-sinistres-sentinelles-de-la-colline-du-parlement/' target='_blank'>grotesques</a> fantaisistes – non, ce ne sont pas des gargouilles — qui gardent l’entrée de la Chambre.

Dans la Chambre du Sénat, Cléophas Soucy et les membres de son équipe ont conçu la toile de fond de l’estrade du Président. L’espace est orné de têtes stylisées de courtisans médiévaux, et surmontée d’un buste en marbre de la reine Victoria.

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