Un sesquicentenaire suprême : Les relations de la Chambre haute avec la haute cour

La Cour suprême du Canada a eu 150 ans en avril 2025. Et quand le discours du Trône marquera le début de la 45e législature, les neuf juges de la Cour suprême seront présents dans la chambre où tout a commencé.
Bien que la Cour suprême n’existait pas au moment de la Confédération, le document constitutionnel fondateur du Canada, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, qui deviendrait plus tard la Loi constitutionnelle de 1867, comportait une disposition prévoyant sa création.
En 1875, il y avait des arguments de poids en faveur de la création d’une telle cour. L’administration d’un pays en pleine croissance était devenue de plus en plus complexe. Des pressions s’exerçaient pour consolider la prise de décision à proximité et pour mettre en place une instance capable d’interpréter la Constitution et de fournir une clarté juridique dans les questions affectant l’évolution du pays.
Le sénateur Luc Letellier de Saint-Just, leader du gouvernement au Sénat, a fait valoir qu’une telle cour « nous offrirait plus de sécurité et plus de facilités pour le règlement des appels et s’avérerait beaucoup moins coûteuse pour les plaignants. »
C’était une question de souveraineté canadienne, a ajouté le sénateur Alexander Campbell, un des Pères de la Confédération : « Nous ressentons tous le désir – inhérent, je suppose, aux jeunes nations – de compter sur nos propres forces et de nous efforcer de revendiquer tous les attributs de la nationalité. »
Pourtant, il y avait des hésitations. Certains politiciens craignaient que la nouvelle cour n’érode les droits des provinces en se prononçant la plupart du temps en faveur du gouvernement fédéral.
Néanmoins, le 8 avril 1875, le Parlement a adopté une loi établissant une cour nationale permanente à Ottawa, composée de six juges. À l’automne, le juge en chef fait prêter les serments d’allégeance et d’office aux cinq autres juges dans la Chambre du Sénat.
Le Sénat a également été le premier client de la cour. En avril 1876, le Sénat a déféré à la cour la question de savoir si un projet de loi, l’Acte pour incorporer les Frères des Écoles chrétiennes au Canada, relevait de la compétence fédérale ou de la compétence provinciale. La cour, dans sa première interprétation de la Constitution du pays, a estimé qu’il s’agissait d’une question provinciale.
Au départ, la Cour suprême n’était pas la plus haute juridiction du pays : ses décisions pouvaient faire l’objet d’un appel devant le Comité judiciaire du Conseil privé, au Royaume-Uni.
Cela a joué un rôle important dans l’histoire du Sénat quand, dans les années 1920, un groupe de militantes pour les droits des Canadiennes, que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Célèbres cinq, a lancé une contestation judiciaire audacieuse.


Ça vaut largement le papier sur lequel il est écrit

Pour célébrer le 150e anniversaire de la Cour suprême, le Sénat a dévoilé la version originale de la loi qui, en 1875, a institué ce tribunal – et le public aura l’occasion de l’admirer.
La page titre et la page de signature de l’Acte pour établir une Cour Suprême et une Cour d’Échiquier pour le Canada seront exposées dans l’édifice de la Cour suprême à partir d’avril 2025 grâce à un accord de prêt entre le Sénat et la cour.

La loi est entre les mains du Sénat en raison de la Loi sur la publication des lois, qui confie la garde de tous les originaux des lois adoptées par le Parlement – avant et après la Confédération – au greffier du Sénat et greffier des Parlements. La plus ancienne loi conservée dans les voutes du Sénat est un parchemin de 1849 écrit à la main et qui émane de la province du Canada.
L’exposition est le résultat d’un travail d’équipe.
Des professionnels de l’Institut canadien de conservation ont été invités à examiner l’acte et à déterminer comment l’exposer en toute sécurité sans l’endommager. L’humidité, la température et même l’exposition à la lumière peuvent affecter l’état du document.
Des experts de Bibliothèque et Archives Canada ont ensuite monté les quatre pages originales sur des passe-partout à l’aide de bandes de papier japonais – un adhésif adapté à la conservation – afin d’éviter qu’elles ne se plient.
La Bibliothèque du Parlement a pour sa part fourni un porte-documents particulier pour éviter tout dommage pendant le transport.
L’exposition se tiendra jusqu’au 10 octobre 2025. Les pages originales seront remplacées par des reproductions le 27 mai 2025; les originaux seront exposés à nouveau entre le 2 et le 10 octobre 2025.
Elles ont demandé la clarification d’un passage de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique qui précise que seules les « personnes qualifiées » peuvent siéger au Sénat. Elles ont adressé une pétition au gouvernement canadien pour que celui-ci demande à la Cour suprême si cela incluait les femmes.
En avril 1928, la cour, composée uniquement d’hommes, a statué que, non, les « personnes qualifiées » n’incluaient pas les femmes. Défiant, les Célèbres cinq ont interjeté appel au Comité judiciaire du Conseil privé. Un an et demi plus tard, le tribunal britannique invalidait la décision.
C’est ainsi que les femmes ont été accueillies au Sénat. Très vite, en 1930, Cairine Wilson, qui militait pour les droits des enfants défavorisés, des réfugiés et des pauvres, a été nommée au Sénat. Dans son discours inaugural à la Chambre haute, la sénatrice Wilson a fait l’éloge de la ténacité des Célèbres cinq.

« Je ne saurais oublier l’action de celles-là qui ont vaillamment porté notre cause jusqu’au Conseil privé de Sa Majesté », a-t-elle déclaré.
« Les Canadiennes sont redevables de leur succès à ces femmes de volonté. »
En 1949, il a été mis fin au droit d’interjeter appel au Comité judiciaire du Conseil privé. Depuis lors, la Cour suprême est la plus haute juridiction du Canada. Son groupe initial de six juges est passé à neuf juges, nommés par le gouverneur général sur l’avis du premier ministre et du cabinet.
Le lien durable qui unit le Sénat et la Cour suprême est apparent lors du discours du Trône, qui marque la reprise des travaux parlementaires par une synthèse des intentions du gouvernement pour la session.
Lors de la cérémonie, les neuf juges de la Cour suprême sont assis au centre de la Chambre du Sénat, directement en face des trônes du Canada. Depuis 1953, ils ont des sièges confortables. Avant cela, ils devaient se serrer les uns contre les autres sur le sac de laine bosselé et inconfortable.
En de rares occasions, le discours est prononcé par une personne autre que le gouverneur général, qui représente le monarque au Canada. Ainsi, la reine Elizabeth II l’a lu lors de ses visites royales de 1957 et de 1977, et le juge en chef de la Cour suprême l’a lu à quatre reprises : en 1931, en 1940, en 1963 et en 1974.
Comment cela se fait-il? Le juge en chef occupe la troisième place au tableau de la préséance du Canada, derrière le gouverneur général et le premier ministre, et juste avant le Président du Sénat. Cela signifie que le juge en chef peut exercer des fonctions vice-royales si le gouverneur général n’est pas disponible. Quand il agit en cette qualité, le juge en chef est connu comme l’administrateur du gouvernement du Canada.
Pour le sénateur Pierre J. Dalphond – clerc à la Cour suprême et juge à la Cour d’appel du Québec – la Cour suprême demeure une source de fierté nationale.
« Depuis sa création, la Cour suprême est passée de cour d’appel intermédiaire à haute instance d’un pays doté d’une constitution fédérale et d’une Charte des droits », a déclaré le sénateur Dalphond.
« Au cas par cas, il s’est développé un dialogue entre elle et le Parlement, marqué par sa neutralité et respectueux de la séparation des pouvoirs voulue par les constituants. Ses jugements sont largement acceptés ici et même cités ailleurs dans le monde. »
« Il s’agit d’une institution dont les Canadiens peuvent être fiers. »



L’épouse du roi George VI, la reine Elizabeth, qui sera plus tard connue sous le nom de Reine-Mère, vient poser la première pierre de l’édifice de la Cour suprême au début des travaux, en 1939. (Crédit photo : Bibliothèque et Archives Canada)
Le monument d’Ottawa Les femmes sont des personnes! se trouve à côté de l’édifice du Sénat du Canada. Les Célèbres cinq, Emily Murphy, Henrietta Muir Edwards, Nellie McClung, Louise McKinney et Irene Parlby, sont représentées ici célébrant leur victoire dans l’affaire « personne », quand leur appel d’une décision de la Cour suprême a été accueilli et qu’elles ont ouvert le Sénat aux femmes.
Ernest Cormier est l’architecte à qui l’on doit l’édifice de la Cour suprême du Canada. Il a conçu plusieurs édifices Art déco de premier plan à Montréal dans les années 1920 et 1930. (Crédit photo : Getty Images)